Médecine & enfance Une crise épileptique isolée NEUROLOGIE S. Auvin, service de neurologie pédiatrique et des maladies métaboliques, hôpital Robert-Debré, Paris Rubrique dirigée par S. Auvin CAS CLINIQUE Vous voyez un jeune garçon de trois ans. Il est le premier enfant d’une fratrie de deux. Il n’y a pas d’antécédent personnel ou familial notable. La grossesse et l’accouchement ont été normaux. Le développement de la petite enfance s’est fait normalement. Le seul élément relevé à l’examen est un angiome plan qui couvre le côté droit du visage, s’étendant du front à la lèvre supérieure. Les parents vous racontent que le matin ils ont été réveillés par des bruits provenant de la chambre de leur enfant. Quand ils sont arrivés dans la chambre, leur enfant avait des mouvements oculaires horizontaux associés à des secousses des deux bras et ne répondait pas à leurs appels. Il est « resté ailleurs » pendant cinq bonnes minutes puis il est devenu tout mou. Ils se sont alors rendus aux urgences. Après un examen clinique complet, on leur a expliqué que leur enfant avait fait une crise épileptique isolée, qu’un scanner sans injection avait été réalisé (figure 1) et que, celui-ci étant anormal, ils allaient devoir rencontrer un spécialiste. Ils ont pu repartir des urgences car l’enfant avait retrouvé un état normal et, d’après le compte rendu radiologique, les éléments du scanner étaient anciens. Inquiets, ils viennent vous voir. Que faites-vous ? Pourquoi ? A quel diagnostic pensez-vous ? Il faut recommander une hospitalisation pour une surveillance de vingtquatre heures. Cette attitude n’est pas celle à appliquer à tous les patients ayant présenté une crise épileptique partielle isolée sans anomalie de l’examen clinique (cf. Médecine et enfance, octobre 2008). Mais nous sommes ici dans une situation particulière. Chez ce jeune patient, nous devons évoquer un syndrome de Sturge-Weber, car il présente un angiome facial, des calcimai 2010 page 253 fications cérébrales et une épilepsie débutante. Seules des calcifications sont spontanément hyperdenses au scanner lorsqu’il n’y a pas d’injection d’un produit de contraste (figure 1). De plus, ces calcifications ont une répartition prépondérante dans le cortex. Dans cette maladie, l’épilepsie débute fréquemment par un « orage » de crises épileptiques pouvant conduire dans certains cas à un état de mal épileptique. C’est pour cette raison qu’il faut faire hospitaliser ces patients. Ce mode clinique de début d’épilepsie était déjà connu mais il vient d’être confirmé dans une série assez large [1]. Le diagnostic de syndrome de SturgeWeber peut être retenu chez ce patient qui associe une crise épileptique, un angiome plan dans le territoire ophtalmique du nerf trijumeau et des calcifications cérébrales au scanner. Ce diagnostic devrait être évoqué chez tous les patients présentant un angiome facial atteignant le territoire ophtalmique du nerf trijumeau, et ce dès la période néonatale. Quelles investigations et quelle prise en charge envisagez-vous ? Il faut réaliser une IRM avec des séquences recherchant un angiome pial grâce à une injection de gadolinium (figure 2). C’est le seul moyen d’affirmer la présence de l’angiome pial. On demandera aussi un électroencéphalogramme. Ces investigations vont permettre d’apprécier l’étendue de l’angiome pial avant la prise en charge thérapeutique. Un bilan ophtalmologique recherchera un glaucome dû à l’existence d’un angiome choroïdien, situation plus rare, mais qui ne doit pas être négligée (figure 3). Un traitement antiépileptique sera débuté dès cette première crise. C’est une situation assez unique car on ne met habituellement pas de traitement en place après une crise isolée, mais le contrôle de l’épilepsie est un point essentiel dans le syndrome de Sturge-Weber. Médecine & enfance LE SYNDROME DE STURGE-WEBER Le syndrome de Sturge-Weber est une maladie congénitale non héréditaire caractérisée par l’association d’un angiome trigéminé et de manifestations neurologiques en rapport avec un angiome pial (angiome de la pie-mère). Le glaucome secondaire à un angiome choroïdien est également une complication possible. L’angiome facial est localisé au niveau du territoire de la branche ophtalmique du trijumeau ; il est la conséquence d’une régression anormale des plexus vasculaires de la portion céphalique du tube neural au cours de l’embryogenèse. Les manifestations neurologiques sont variables : épilepsie en rapport avec l’angiomatose et les calcifications corticales, mais aussi hémiparésie-hémiplégie ; une atteinte cognitive est également possible [2]. Les anomalies retrouvées dans le syndrome de Sturge-Weber (cérébrales, méningées, oculaires et cutanées) suggèrent l’existence d’une malformation vasculaire apparaissant pendant la période embryonnaire (cinq à huit semaines). Il semble donc que cette anomalie vasculaire occasionne des phénomènes d’occlusion, de stase, de diminution du retour veineux engendrant une hypoxie et une ischémie neuronale (zones d’hypoperfusion visibles en tomographie à émission de positons). Cette physiopathologie est responsable d’une atteinte progressive avec apparition de calcifications et d’une atrophie corticale (figure 4). 2 1. Scanner sans injection : présence de signaux hyperdenses dans le cortex. Ces signaux sont gyriformes et bilatéraux mais ils prédominent dans le cortex droit. 2. IRM cérébrale montrant des signes directs de syndrome de Sturge-Weber. Les signes directs sont la prise de contrastes, qui sont dus à l’angiome pial. Les signes indirects sont l’hypertrophie des plexus choroïdes et l’atrophie corticale sous-jacente à l’angiome pial. Séquence T 1 avec injection de gadolinium. Notez la prise de contraste au niveau de la pie-mère. 3. Examen ophtalmologique montrant un chemosis. Un glaucome doit être systématiquement recherché chez les patients ayant un syndrome de SturgeWeber. A : Reflet opaque de la cornée lié à un œdème de cornée par hypertonie oculaire. B : Chemosis à la lampe à fente. 4. IRM cérébrale. Séquence pondérée en T2 avec atrophie corticale postérieure à prédominance gauche et hypertrophie des plexus choroïdes gauches. 3 4 1 MANIFESTATIONS CLINIQUES Le signe clinique le plus évident, présent dès la naissance, est l’angiome facial dans le territoire ophtalmique. Cette atteinte à elle seule ne présente qu’un problème esthétique. Une prise en charge par un traitement laser est possible à partir de la deuxième enfance. Toutefois, un bilan à la recherche d’un syndrome de Sturge-Weber devrait être réalisé chez tous les nouveau-nés présentant un angiome plan dans le terri- toire de la branche ophtalmique du nerf trijumeau, car il est important d’établir un diagnostic le plus tôt possible. Il s’agit de faire réaliser une IRM avec inmai 2010 page 254 jection de produit de contraste, qui devra parfois être répétée si la première a été réalisée avant l’âge de six mois. Les manifestations les plus fréquentes Médecine & enfance sont les symptômes neurologiques que nous allons détailler ci-après. Les yeux sont le dernier organe pouvant être atteint. Un glaucome peut être observé. Cette atteinte est due à un angiome choroïdien. Une prise en charge spécialisée en ophtalmologie est alors nécessaire. Les manifestations neurologiques sont dominées par l’épilepsie. 75 à 90 % des patients présentant un syndrome de Sturge-Weber développent une épilepsie. La physiopathologie de l’épileptogenèse serait liée à la diminution du flux sanguin et du retour veineux au niveau de l’angiome pial, qui entraînerait une hypoxie focale, une altération du métabolisme neuronal et des calcifications. L’épilepsie associée au syndrome de Sturge-Weber est principalement constituée de crises partielles simples et/ou complexes. Il n’est pas rare que ces épilepsies soient pharmacorésistantes. Dans ces cas, un traitement chirurgical peut être discuté. Assez souvent, on observe une hémiparésie, voire une hémiplégie. Ces anomalies peuvent survenir à la suite d’une épilepsie très active, mais elles peuvent aussi prendre l’aspect d’une atteinte progressive. Il est possible d’observer des épisodes dits « stroke-like ». Ces épisodes se manifestent par un déficit neurologique brutal, comme cela peut être observé dans les accidents ischémiques, à la seule différence qu’ils sont ici résolutifs. Enfin, l’atteinte cérébrale peut être à l’origine d’un retard plus ou moins important des acquisitions psychomotrices. PRISE EN CHARGE ET PRONOSTIC La prise en charge de cette maladie est symptomatique, avec un traitement antiépileptique dont le moment d’initiation reste à établir. Le début des manifestations épileptiques doit conduire à une hospitalisation, à un bilan et à un traitement dès la première crise. Le pronostic neurologique est influencé par deux types d’événements : les phénomènes vasculaires (thrombose, stase veineuse, hypoxie) et les épisodes épileptiques. Le contrôle de l’épilepsie est un point essentiel pour maîtriser la progression de la maladie sur le plan neurologique. Aussi la question d’un traitement antiépileptique prophylactique s’est-elle rapidement posée. Les données de la littérature suggèrent l’efficacité du traitement prophylactique antiépileptique en ce qui concerne l’existence de convul- SAMEDI 19 JUIN 2010, PALAIS DE LA MUTUALITÉ, PARIS sions, leur âge de début et le développement psychomoteur des enfants. Une étude rétrospective sur l’effet du traitement prophylactique par phénobarbital a montré une meilleure évolution psycho-intellectuelle chez les enfants traités. Les autres paramètres n’étaient pas différents, probablement en raison des effectifs limités étant donné la faible fréquence de la maladie [3]. Toutefois, le choix de la molécule à utiliser reste problématique. Certaines molécules répondraient mieux aux critères d’un traitement prophylactique (efficacité, tolérance) : carbamazépine, valproate, vigabatrin… mais à ce jour il manque surtout un essai clinique prouvant l’intérêt d’un tel traitement préventif. Les patients doivent être suivis par un neuropédiatre ayant une expérience spécifique, car une modification rapide des symptômes cliniques est possible chez ces patients. 첸 Références [1] KOSSOFF E.H. et al. : « An infantile-onset, severe, yet sporadic seizure pattern is common in Sturge-Weber syndrome », Epilepsia, 2009 ; 50 : 2154-7. [2] THOMAS-SHOL K.A. et al. : « Sturge-Weber syndrome : a review », Pediatr. Neurol., 2004 ; 30 : 303-10. [3] VILLE D. et al. : « Prophylactic antiepileptic treatment in Sturge-Weber disease », Seizure, 2002 ; 11 : 145-50. 3e colloque Sciences et Société du collectif « Pasde0deconduite » « LES ENFANTS AU CARRÉ ? UNE PRÉVENTION QUI TOURNE PAS ROND ! » Prévention et éducation plutôt que prédiction et conditionnement Tables rondes • Adaptation, prévention : qu’est-ce qui rime, qu’est-ce qui prime ? • De la socialisation à l’éducation, penser et grandir • Enfance et famille : contrôle des billets ou invitation au voyage ? Intervenants D. Calin (philosophe, ex-formateur d’enseignants spécialisés, IUFM Paris), P. Delion (professeur de pédopsychiatrie, université Lille-II), P. Frackowiak (inspecteur honoraire de l’Education nationale), V. de Gaulejac (professeur de sociologie, université Paris-VII), S. Giampino (psychanalyste, psychologue petite enfance, ANAPSY-pe), B. Golse (professeur de pédopsychiatrie, université Paris-V), R. Gori (professeur de psychopathologie, université Aix-Marseille I, psychanalyste), T. Greacen (directeur du Laboratoire de recherche, EPS MaisonBlanche), M. Julienne (journaliste sciences et société), C. Lane (professeur de littérature anglaise aux Etats-Unis), I. Millon (philosophe praticienne, directrice de l’Institut de pratiques philosophiques), S. Missonnier (professeur de psychologie, université Paris-V), M. Parazelli (professeur-chercheur, Ecole de travail social, université du Québec, Montréal), C. Simon-Lang (psychologue clinicienne, accueillante à « La maisonnée » de Strasbourg), P. Suesser (pédiatre en protection maternelle et infantile, SNMPMI), S. Tisseron (psychiatre et psychanalyste, directeur de recherche, université Paris-X). Discutants F. Bourdillon (médecin de santé publique), Y. Coinçon (pédopsychiatre), M. Dugnat (pédopsychiatre), N. Georges (psychanalyste), V. le Mézec (psychologue de l’Education nationale), P. Ourghanlian (enseignant spécialisé), T. Petitpierre (psychologue), G. Schmit (professeur de pédopsychiatrie), D. Terres (pédopsychiatre) Programme et bulletin d’inscription sur le site www.pasde0deconduite.org (http://www.pasde0deconduite.org/IMG/pdf/programme_colloque_pasde0deconduite_19juin2010.pdf) mai 2010 page 255