Médecine & enfance Les insuffisances hépatiques aiguës de l’enfant : dix questions-réponses LES JEUDIS DE BICÊTRE D. Devictor, réanimation néonatale et pédiatrique, CHU Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre Les insuffisances hépatiques aiguës (IHA) du nourrisson et de l’enfant évoluent le plus souvent vers la mort en l’absence de traitement. Leur incidence n’est pas connue. Elles représentent environ 10 % des indications de transplantation hépatique. La présentation suivante n’a pas la prétention d’être exhaustive. Elle est focalisée sur les quelques messages essentiels. Rubrique dirigée par T.A. Tran, service de pédiatrie générale hématologie et rhumatologie pédiatriques, L. Chevret, service de réanimation néonatale et pédiatrique, néonatologie, et S. Rouget, service de médecine de l'adolescent CHU Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre QUELLE EST LA DÉFINITION DES IHA DE L’ENFANT ? Les IHA sont définies comme « un syndrome de défaillance multisystémique d’organes dans lequel une atteinte profonde des fonctions hépatiques, avec ou sans encéphalopathie, survient chez un patient ne présentant pas de maladie hépatique sous-jacente reconnue ». Cette définition est importante, car elle décrit l’IHA non pas comme la défaillance d’un seul organe mais plutôt comme la conséquence de celle-ci, soulignant la gravité de ce syndrome. Par ailleurs elle insiste sur le fait que l’enfant, notamment le nourrisson, peut ne pas avoir d’encéphalopathie hépatique (ce qui est nécessaire dans la définition de l’IHA de l’adulte). Enfin, l’enfant peut avoir une maladie hépatique sous-jacente mais non reconnue, ce qui permet de prendre en compte les maladies métaboliques. QUELLES SONT LES CAUSES DES IHA DU NOURRISSON ET DE L’ENFANT ? Elles sont très nombreuses et peuvent être classées en sept catégories : métaboliques, infectieuses, toxiques, autoimmunes, malignes, vasculaires et de cause indéterminée. De façon très schématique, les IHA du nourrisson sont le plus souvent d’origine métabolique (par mars 2011 page 127 exemple galactosémie, fructosémie, tyrosinémie, cytopathies mitochondriales…), alors que celles de l’enfant plus âgé sont d’origine virale (virus A, B, C, D, E, HHV6) ou toxique (paracétamol en particulier). Dans un grand nombre de cas, la cause reste indéterminée. Etablir le diagnostic étiologique est une urgence. En effet, certaines causes peuvent répondre à un traitement spécifique, d’autres peuvent être une contre-indication absolue à la greffe. A cet effet, le nourrisson ou l’enfant doit être rapidement transféré dans un service d’hépatologie en connexion avec un plateau médico-technique rompu à ces recherches étiologiques en urgence. COMMENT FAIRE LE DIAGNOSTIC D’IHA ? Les signes sont souvent peu spécifiques, notamment chez le nourrisson : altération de l’état général, refus de boire, vomissements par exemple. L’existence d’un ictère est d’emblée évocatrice. Il peut également s’agir de la découverte d’une hépatomégalie, avec ou sans splénomégalie, ou d’une complication : syndrome hémorragique, hypoglycémie, encéphalopathie. QU’EST-CE QUE L’ENCÉPHALOPATHIE HÉPATIQUE ? Il s’agit d’une complication majeure des Médecine & enfance IHA. Elle est sans doute liée à des anomalies métaboliques dues au fait que le foie ne remplit plus son rôle d’homéostasie. Son évolution est généralement imprévisible mais souvent explosive en pédiatrie. Chez le nourrisson, l’encéphalopathie hépatique revêt une sémiologie particulière : modification du caractère, délire, agitation et cris précèdent un coma d’abord agité puis plus profond avec hypotonie et mydriase. Chez l’enfant plus âgé, la sémiologie est identique à celle de l’adulte, avec quatre stades de gravité croissante allant de la confusion au coma profond. Quel que soit l’âge, l’encéphalopathie hépatique s’accompagne d’un œdème cérébral responsable d’hypertension intracrânienne, celle-ci étant la première cause de décès des IHA. Cela souligne l’importance du transfert précoce en unité de réanimation afin de minimiser les conséquences neurologiques de l’IHA par des techniques de protection cérébrale. QUELLES SONT LES PRINCIPALES COMPLICATIONS ? Les IHA s’accompagnent d’un syndrome de défaillance multiviscérale. L’encéphalopathie hépatique, avec ou sans hypertension intracrânienne, a déjà été évoquée. Il faut également signaler les instabilités hémodynamiques, le risque hémorragique, les anomalies métaboliques (anomalies de la coagulation, hypoglycémie, hyperlactacidémie…). C’est pourquoi la prise en charge de ces enfants ne se conçoit que dans un service de réanimation spécialisé en réanimation hépatique pédiatrique. QUAND PRENDRE CONTACT AVEC UN GROUPE DE TRANSPLANTATION ? En pratique, il convient de transférer l’enfant dès que le facteur V ou le taux de prothrombine est inférieur à 50 %. Il faut souligner l’importance d’arrêter tout traitement dès qu’un enfant est suspect d’IHA. En effet l’altération des fonctions hépatiques risque de potentialiser les effets toxiques des médicaments. De même il faut se garder de perfuser du plasma sous le seul prétexte que les facteurs de coagulation sont effondrés. Les malades ne saignent spontanément que très rarement, et cette perfusion ne permettrait plus de suivre le facteur V et le taux de prothrombine, dont l’évolution est un des critères importants de la décision de transplantation hépatique. QUELS SONT LES NOUVEAUX ESPOIRS THÉRAPEUTIQUES ? Certaines causes sont accessibles à un traitement spécifique (galactosémie, fructosémie, tyrosinémie, herpès, certaines hépatites auto-immunes…). D’autres vont nécessiter une transplantation hépatique en urgence. L’enjeu est donc de limiter les complications et la défaillance multiviscérale en attendant la transplantation. C’est pourquoi des techniques sophistiquées de circulation extracorporelle sont proposées : techniques d’hémofiltration, de dialyse sur albumine… Certaines maladies métaboliques peuvent également bénéficier de la transplantation d’hépatocytes. Toutes ces techniques restent du domaine de la recherche. QUAND TRANSPLANTER OU NE PAS TRANSPLANTER UN ENFANT AVEC UNE IHA ? Les causes réversibles ou accessibles à un traitement spécifique sont bien évidemment des contre-indications à la transplantation. De même les causes malignes contre-indiquent la greffe. Enfin, lorsque l’enfant présente une défaillance de plusieurs organes ou que l’atteinte neurologique est jugée irréversible, la transplantation est contreindiquée. Dans les autres cas, le problème est de trouver un greffon à temps : mars 2011 page 128 ni trop tôt quand il existe des chances de guérison, ni trop tard quand il n’existe plus de chances de récupération, notamment neurologique. Les techniques de partage du foie (un greffon pour deux patients), le don parental, permettent de pallier partiellement la pénurie de greffon. L’indication de transplantation repose sur un faisceau d’arguments cliniques (stade de l’encéphalopathie, taille du foie…), biologiques (évolution des transaminases, facteurs de coagulation, lactacidémie…), étiologiques, voire histologiques. QUELS SONT LES RÉSULTATS DE LA TRANSPLANTATION ? Grâce à la transplantation, la mortalité des IHA du nourrisson et de l’enfant est passée de plus de 90 % à moins de 30 %. La transplantation est donc devenue la pierre angulaire du traitement des IHA dans la majorité des cas où la cause n’est pas accessible à un traitement spécifique. EN PRATIQUE QUEL EST LE MESSAGE LE PLUS IMPORTANT ? Il se résume très simplement à la nécessité de la prise de contact immédiate avec un groupe de transplantation pédiatrique dès lors que l’enfant présente un taux de prothrombine ou un facteur V inférieur ou égal à 50 % et avant que les signes neurologiques n’apparaissent. En effet, l’expérience montre que les IHA avec encéphalopathie hépatique évoluent vers la mort en moins de quarante-huit heures. Or si l’indication de transplantation est posée, il faut plus de quarante-huit heures pour trouver un greffon. C’est dire qu’à chaque fois une course contre la montre est lancée. 첸 Référence SQUIRES R. : « Acute liver failure in children », Seminars in Liver Disease, 2008 ; 28 : 153-66.