Journées nationales de rhumatologie 2011 Quand et comment évoquer une maladie auto-immune devant une atteinte polyviscérale ? Démarche diagnostique n Un rhumatologue est habitué à rechercher une maladie systémique quand il constate une polyarthrite ou des arthralgies, mais il peut aussi le faire quand il est confronté à d’autres signes cliniques. Quand évoquer une maladie auto-immune systémique En pratique, une maladie auto-immune systémique non spécifique d’organe doit être évoquée : • en urgence devant un syndrome thrombotique inexpliqué (syndrome “catastrophique” des anti-phospholipides) ou une (des) atteinte(s) viscérale(s) inflammatoire(s) inexpliquée(s) (connectivite ou vascularite systémique) ; • rapidement devant une atteinte d’organe sévère et évolutive potentiellement irréversible : - une hépatopathie auto-immune (hépatite chronique active, cirrhose biliaire primitive) ; - une néphropathie glomérulaire rapidement progressive ; - une atteinte neurologique centrale et/ou périphérique (sclérose en plaques…) ; - une atteinte pulmonaire (hémorragie alvéolaire) ; - une cytopénie (purpura throm- *Service de rhumatologie, CHU de Brest **Service de rhumatologie, CHU de Strasbourg 266 Pr Alain Saraux*, Pr Jean Sibilia** bopénique idiopathique, anémie hémolytique auto-immune…) ; - une polyarthrite destructrice (polyarthrite rhumatoïde). Quelle démarche adopter ? Le premier pas de la démarche est la recherche des autres atteintes viscérales que celles initialement détectées, d’où l’intérêt d’un bilan clinique, biologique (fonction hépatique, rénale, musculaire…) et d’imagerie d’autant plus complet que le contexte le nécessite. Le second point est la recherche des principaux syndromes pouvant mimer une maladie auto-immune et qui doivent donc être rapidement éliminés : • cancer et hémopathies ; • infection (endocardites infectieuses, virus) ; • toxiques ou médicamenteux. Comment confirmer le diagnostic ? Pour confirmer le diagnostic de maladies auto-immunes, il est nécessaire de rechercher des auto- anticorps, mais toute maladie autoimmune n’a pas d’auto-anticorps et certains auto-anticorps ne sont pas spécifiques puisqu’ils peuvent être induits par des médicaments ou une infection. Les auto-anticorps systématiquement recherchés Les auto-anticorps systématiquement recherchés sont les anti-nucléaires (Tab. 1) et les ANCA (anticytoplasmes des polynucléaires) (Tab. 2). En fonction du contexte, des anticorps spécifiques seront recherchés, comme par exemple en cas de syndrome pneumo-rénal (Tab. 3), d’atteinte hépatique (Tab. 4), ou de myosite (Tab. 5). En cas de thrombose ou de TCA allongé, évoquant un anticoagulant circulant, la recherche d’anti-cardiolipines et d’anti-bêta 2GPI guidera le clinicien vers un syndrome des anti-phospholipides. Différents auto-anticorps peuvent être demandés en urgence • Les anti-nucléaires. • Les ANCA (anticytoplasme de Rhumatos • Septembre 2011 • vol. 8 • numéro 70 Journées nationales de rhumatologie 2011 Tableau 1 - Prévalence des anticorps anti-nucléaires par pathologies. AnticorpsAffectionsPrévalence des ANA dans anti-nucléaires (ANA) ces affections (%) Anti-ADN natif Lupus systémique 50-70 Anti-nucléosome • Lupus systémique 30-50 • Sclérodermie 10-15 Anti-Sm Lupus systémique 15-25 Anti-RNP • Lupus systémique 10-15 • Connectivite mixte 95 • Syndrome de Gougerot-Sjögren 5-10 • Autres < 10 Anti-Ro/SS-A • Syndrome de Gougerot-Sjögren 60-80 • Lupus systémique 20-40 Anti-La/SS-B • Syndrome de Gougerot-Sjögren 50-70 • Lupus systémique 10-20 Anti-Scl 70 Sclérodermie systémique 30 Anti-centromère Sclérodermie de type CREST 85 Anti-t-RNA synthétase Myopathies inflammatoires 30-35 (JO1, PL7, PL12…) polynucléaires neutrophiles). • Les anti-GBM (anti-membrane glomérulaire). • Les anti-phospholipides. Ces auto-anticorps peuvent être demandés à titre diagnostique (ex : anti-ADN dans le lupus), pronostique (ex : anti-Sm dans le lupus sévère) et/ou évolutif (ex : antirécepteur à l’acétylcholine dans la myasthénie). Tableau 2 - Prévalence des ANCA (anticytoplasme de polynucléaires neutrophiles) par pathologies. VascularitesAnti-PR3 (%)Anti-MPO (%) Granulomatose de Wegener 80 10 Polyangéite microscopique 15 60 Polyangéite classique (PAN) 0 0 Maladie de Churg et Strauss 5 5 Maladie de Horton 0 0 Purpura rhumatoïde 0 0 Thrombo-angéite de Buerger 0 0 Maladie de Behçet 0 0 Tableau 3 - Hépatopathies auto-immunes. Pièges d’interprétation Trois pièges classiques de l’interprétation doivent être gardés à l’esprit : • l’auto-immunité “physiologique” amplifiée lors d’une réaction inflammatoire/infectieuse : 10 % des sujets âgés sains ont des facteurs rhumatoïdes et 30 % des endocardites ont des facteurs rhumatoïdes et/ou des ANCA (anti-PR3) ; • l’auto-immunité “induite” : près de 200 médicaments peuvent être inducteurs d’auto-anticorps (antiépileptique, anti-HTA (bêtabloquant), immunomodulateurs (anti-TNF, salazopyrine)) ; • l’auto-immunité “paranéoplaRhumatos • Septembre 2011 • vol. 8 • numéro 70 FormesMarqueurs biologiques Hépatite chronique active type 1 • HyperIgG polyclonale • Anti-muscle lisse (anti-actine F) • Anti-nucléaire (aspect homogène) Hépatite chronique active type 2 • Anti-LKM (anti-P450 2D6) • Anti-LC1 Cirrhose biliaire primitive • HyperIgM polyclonale • Anti-mitochondrie de type M2 (antiPDH) Cholangite sclérosante ANCA (NANA) (non PR3 non MPO) Tableau 4 - Syndromes pneumo-rénaux (néphropathie glomérulaire et hémorragie alvéolaire) EtiologiesMarqueurs biologiques Maladie de Goodpasture Anti-membrane basale glomérulaire et alvéolaire Maladie de Wegener c ANCA (PR3) Polyangéite microscopique p ANCA (MPO) Lupus systémique Anti-ADN natif Anti-Sm, Ro/SS-A Anti-nucléosome 267 Journées nationales de rhumatologie 2011 sique” : 5 à 20 % des lymphoproliférations B produisent un auto-anticorps anti-MAG (neuropathie) et anti-GR (anémie hémolytique Coombs positif ). Conclusion Les auto-anticorps sont utiles au diagnostic, parfois urgent de maladie auto-immune. La seule difficulté est de penser à la recherche des auto-anticorps, en sachant les demander d’urgence lorsque le contexte le justifie. Néanmoins, le diagnostic doit être affirmé sur Tableau 5 – Myosites. Les auto-ac spécifiques des myosites Les auto-ac associés aux myosites ou MSA (myositis specific ou MAA (myositis associated auto-antibodies) auto-antibodies) • Anti-t-RNA synthétase - Anti-SRP • Anti-PM-Scl - Anti-Ku • Anti-Mas - Anti-KJ, Fer, Wa • Anti-RNP - Anti-Ro 52 KDa • Anti-Mi2 - Anti-SAE • Anti-PMS 1-2 - Anti-CADM p140 et MJ (NXP-2) • Anti-TIF1g un faisceau d’arguments analysés par un médecin expert de ces maladies. Cela conditionne la bonne prise en charge du patient. n Mots-clés : Maladie auto-immune, Atteinte polyviscérale, Démarche diagnostique, Anticorps, Hépatopathies, Syndromes pneumo-rénaux Cytokines et polyarthrite rhumatoïde Dr Michel Bodin*, D’après une communication du Pr Pierre Miossec, Lyon L a polyarthrite rhumatoïde se développe sous l’influence de facteurs exogènes (bactéries ? Virus ? Tabac...) et endogènes (sexe féminin, équilibre hormonal, facteur génétique,...). L’induction d’une réaction inflammatoire chronique avec production de cytokines inflammatoires, puis destruction de l’os et du cartilage se fait à partir de cellules sanguines en migration vers les articulations, sous l’influence de cellules mésenchymateuses résidant dans les articulations. De nombreux médiateurs comme le TNFα et les cytokines interviennent dans le déclenchement du processus inflammatoire et de la destruction structurale. *Rhumatologue, Griselles 268 La réaction inflammatoire normale est médiée en permanence par l’action des substances activatrices ou inflammatoires et des inhibiteurs anti-inflammatoires. La réaction inflammatoire chronique s’installe lorsque l’activité des proinflammatoires est beaucoup plus importante que celle des médiateurs anti-inflammatoires. cartilage ainsi que la majoration des érosions osseuses par action sur les ostéoclastes, par l’intermédiaire du système Rank/Rank ligand. L’expression et la production d’IL-6 par les synoviocytes se fait de façon synergique sous l’influence du TNFα et de l’IL-17. Celle-ci est un facteur majeur de destruction de l’os et du cartilage. Sous l’effet des cytokines IL-23 et IL-17, les cellules pathogènes (T cells) agissent sur les monocytes et lymphocytes, ainsi que sur les cellules mésenchymateuses après déclenchement secondaire de l’action du TNFα et de l’IL-1. À partir des cellules mésenchymateuses, la cytokine IL-6 et les enzymes accélèrent le processus de destruction. La cytokine IL-17, produite par les lymphocytes Th17, agit sur les fibroblastes, les macrophages et les chondrocytes. Elle déclenche l’inflammation et la destruction du Les interactions souvent synergiques des cytokines conditionnent l’effet des inhibiteurs spécifiques de celles-ci. L’inflammation chronique induit un déficit immunitaire secondaire, source d’infection. Les cas de tuberculose parfois sévère, survenant rapidement après l’instauration d’un traitement anti-TNFα, sont liés à l’inhibition de celuici. Seul un contrôle intensif et précoce de la maladie permet de diminuer le déficit immunitaire n responsable des infections. 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