Quels enjeux éthiques du débat actuel sur la fin de vie? Congrès de la coordination bretonne des soins palliatifs Saint Brieuc, novembre 2013 Donatien Mallet USP de Luynes-CHU de Tours 1 er constat : une absence de suivi des recommandations du Rapport Sicard Pas de perspective de santé publique Pas de projet de réforme Approche essentiellement légaliste et médiatique 2 ème constat : de grandes incertitudes sur les modifications du cadre légal Loi Léonetti – – Sédation – – Directives anticipées contraignantes ? Renforcement légal de la procédure collégiale ? Droit à demander la sédation ? Droit à bénéficier d’une sédation ? Arrêt de vie – – Droit à une assistance médicalisée pour se suicider ? Droit à bénéficier d’une euthanasie ? Des enjeux éthiques transversaux 1. 2. 3. Quel rapport à la technique ? Quel rapport à la souffrance ? Quel rapport à l’autodétermination ? I. Quel rapport à la technique ? Entre mort naturelle et maîtrise du mourir, la co-construction d’un rapport à la technique L’homme moderne : naître, vivre et mourir en compagnie de la technique La décroissance de la mort naturelle 48 % des décès sont précédés d’une décision qui peut influer sur la durée de vie (Ined 2012) Un dissensus sur la qualification des décisions médicales Pour certains : le registre des soins palliatifs, confirmé par la loi – – – La sédation La non initiation, limitation ou arrêt de traitement L’euthanasie Pour d’autres : l’équivalence des décisions – La loi sous le lien « doctrinal » du « laisser mourir », « critiquable en son principe comme dans ses conséquences » M. Roux Pistes : a) Co-construire un rapport à la technique par la délibération « Habiter l’univers technique que l’homme construit… » B. Cadoré La délibération : – Ce qui construit et fonde la décision Valoriser la délibération Avant d’être un acte concret, la délibération est un processus relationnel, langagier et symbolique – – – – – Processus continu Dimension individuelle et collective S’appuie sur des relations Action d’abord sur les représentations, les significations par la médiation du langage Tentative de co-construction d’un sens à l’action Nécessité d’une reconnaissance institutionnelle b) Argumenter et maintenir les distinctions Distinctions entre « sédation » et « faire mourir » ? Sédation Euthanasie Intention Soulager en diminuant la vigilance Arrêter la vie Résultat Soulagement Mort rapide Quantité de vie avant la mort Parfois longue Quelques secondes à minutes Lien de causalité avec la mort Le plus souvent nul, mais parfois incertitude (dyspnée) Lien direct Procédure Administrer un sédatif avec des doses graduées jusqu’à obtention d’une somnolence Administrer un produit à dose létale Distinctions entre « ne plus s’opposer à la venue de la mort » et « faire mourir » Ne plus s’opposer à la venue de la mort Euthanasie Intention Ne plus chercher à prolonger artificiellement l’existence Prendre soin, poursuivre la relation Arrêter la vie Technique Retirer la technique Faire un geste technique Parcours médical Si la technique n’avait pas été prescrite, le patient serait déjà mort (réa) La personne vit indépendamment de la technique Agonie Parfois longue Quelques secondes à minutes Repères psychiques Retrait et démaîtrise Maîtrise Éthique Construction d’un rapport à la technique par la proportionnalité des traitements Autodétermination Conséquentialiste II. Quel rapport à la souffrance ? Entre médicalisation et demande sociale, une rencontre ouverte avec l’homme souffrant La médicalisation de la souffrance La souffrance médicalisée : – – Un signe qui révèle le dysfonctionnement d’un système neuro-organique Un appel à l’action Une souffrance sans sujet – « L’idéologie de la médecine industrielle détache la douleur de tout contexte subjectif afin de mieux la détruire » I.Illich Une injonction sociale L’hôpital sans douleur (B. Kouchner) Rapport DGOS 2013 – – – « Un désordre à contenir » « Contrôler les symptômes » « Préserver les droits des patients » Mourir sans souffrance – « La civilisation médicale s’engage à réduire la souffrance en augmentant la dépendance » I.Illich Une carence collective et symbolique face à la souffrance et la mort « Passage d’une société symbolique, visant à produire du sens, à une société technologique, visant à maîtriser de manière rationnelle le tout de la vie, nature aussi bien qu’humains » P. Boitte Pistes : a) Remettre la souffrance dans une dimension existentielle « La médecine a construit une représentation du corps qui place le sujet dans une position duelle en face de lui-même.. Or l’homme est un être de relations et de symboles et le malade n’est pas seulement un corps à réparer » D. Le Breton b) Construire un rapport à l’altérité : Parole, récit et écoute « Écouter c’est être là, l’oreille ouverte et laisser dire ce qui se dit » M. Bellet c) Soutenir la persévérance à être « Souffrir, à savoir endurer, c’est-à-dire persévérer dans le désir d’être et l’effort pour exister en dépit de… » P. Ricoeur « Marcher avec en partageant le pain » d) Laisser ouvert et porter la question du sens ou non de l’existence L’énigme est encore de l’humain e) Prudence sur le discours social et médiatique Pas d’apologie de la souffrance Pas d’utilitarisme de la souffrance Pas de prétention à soulager toute souffrance Témoigner d’une solidarité effective et ouverte au questionnement Ouvrir le champ de la maladie grave aux proches, aux bénévoles, à la société III. Quel rapport à l’autodétermination ? Entre audodétermination légaliste et exclusion du patient, la promotion continue et adaptée d’une possibilité de choix au sein d’une rencontre Un courant philosophique et sociologique Depuis le XVIII ème siècle, valorisation de l’autodétermination de la personne Traduction progressive en terme de « droits » Déclinaison dans le champ de la santé (lois de mars 2002 et avril 2005) Émergence d’une éthique du soin qui respecte et promeut la capacité d’autodétermination Une injonction sociale croissante entre besoin, demande, désir et droit « La médecine semble convoquer à répondre techniquement au désir dont la demande est par essence sans limite » B Cadoré Constat d’un décalage Rédaction de directives anticipées : 2,5 % (Ined, 2013) Patients atteints de SLA (Danel, 2009) – – 50% ne peuvent anticiper 20 % rédigent des directives anticipées Souhait de s’exprimer sur les conditions de son mourir : 30 % des plus de 75 ans (Fournier, 2011) Patients en oncologie (Bruera 2001, Elkin 2007) – Souhait d’être informés mais pas nécessairement de jouer un rôle actif dans le processus de décision Pistes a) l’autonomie : une donnée d’existence et une visée Critique d’une forme d’autodétermination – – – « Une vie éthiquement consciente ne peut pas être comprise comme une affirmation bornée de soi » J. Habermas « Un concept non substantiel, mais relatif et relationnel » E. Morin « Si la dignité de l’homme avait plus à voir avec sa vulnérabilité et son ouverture à l’autre qu’avec sa raison et sa capacité à s’autodéterminer ? » C. Pelluchon C’est une potentialité et une visée qui se développent en relation – – – Dynamique temporelle Importance d’un espace relationnel et langagier (A de Broca) Inscription dans une histoire (P. Ricœur) b) Promouvoir l’autodétermination en soutenant les capacités Un processus continu « La médecine est l’art de cultiver l’autonomie des hommes en prenant soin de leur corps » J. F. Malherbes Devenir soi par 4 grandes capacités Quatre lieux de capacités – – – – Pouvoir dire Pouvoir faire Pouvoir s’imputer un choix, une action Pouvoir raconter et se raconter Pouvoir dire Prendre conscience de soi et s’attribuer une identité – Réintroduire du « je » → Une écoute qui reconnaît d’abord l’importance du « je » Pouvoir agir Faire advenir des évènements auxquels on a participé → Ne pas faire pour l’autre → Promouvoir la capacité de faire de l’autre en lien avec sa volonté → S’ouvrir à l’atypicité de la volonté Pouvoir s’imputer un choix → Offrir à la personne malade la possibilité de choix – – – Lutter contre le systématisme de l’opératoire Anticiper et dialoguer dans le temps (HDJ) Travailler sur les représentations – – – « Mourir de faim », « Crever de soif » « C’est l’abandonner » « Je suis un combattant… essayer la chimio » « Me battre pour voir mes enfants grandir » Introduire des tiers (EMSP) Rencontrer une autre équipe ou un autre service (USP) Manifester une créativité Pouvoir se raconter Une dimension identitaire – – – Retisser une cohérence d’existence en se remémorant et en se projetant Donner et construire du sens Demeurer malgré le non-sens « Une synthèse de l’hétérogène » P. Ricœur → Une écoute qui reconnaît d’abord l’importance du récit c) Prudence sur Les directives anticipées Les directives anticipées ne sont pas une fin en soi Elles sont un moyen pour élaborer conjointement un choix et un rapport à la limite « S’il le veut et le peut » En guise de conclusion Une évolution sociétale ? Peut être la fin d’une hégémonie du discours des soins palliatifs Un appel à approfondir ses repères pratiques et éthiques Exercer dans la pluralité : 4 pistes 1. Une compétence clinique avec des organisations de soins et des filières adéquates 2. L’ouverture vers le compromis – – – – Un parcours de la reconnaissance avec la construction d’une altérité (P. Ricœur, J.-F. Malherbes) Une base commune : la valeur de la relation l’emporte sur les repères personnels Une éthique du moindre mal Une sagesse pratique 3. Maintenir l’interdit et le rapport à la transgression quelle que soit l’évolution du cadre légal 4. Envisager l’hypothèse de la rupture Être soignant ? Une interrogation sur l’homme Quelle figure de l’homme, de la relation, de la médecine promouvons-nous lors de nos décisions ? Être soignant : une responsabilité individuelle et collective Assumer une posture de médiation entre l’homme et lui-même, l’homme et autrui, l’homme et les autres