R echerche ! Y. Hamel 1, I. André-Schmutz 1, 2, D. Bonhomme 1, M. Cavazzana-Calvo 1, 2 Immunothérapie adoptive antivirale en transplantation RÉSUMÉ. La transplantation médullaire et la transplantation d’organes sont des procédures thérapeutiques largement utilisées pour traiter des affections héréditaires ou acquises. La prévention du rejet et l’induction de la tolérance sont dépendantes de l’utilisation d’une immunosuppression non spécifique et de longue durée, qui entraîne un certain nombre de complications, notamment infectieuses. Les herpèsvirus et l’adénovirus sont les agents infectieux responsables des complications virales sévères, surtout après greffe de cellules souches allogéniques. Les principales caractéristiques biologiques de ces virus seront rappelées avant de faire le point sur de nouvelles approches thérapeutiques basées sur l’injection intraveineuse des clones T antiviraux. Mots-clés : Greffe de moelle - CMV - EBV - Adénovirus. a transplantation médullaire allogénique et la transplantation d’organes L solides, bien que largement utilisées, restent des procédés lourds par la morbidité et la mortalité qui leur sont associées (1). Dans le cas particulier de la greffe de moelle osseuse allogénique, malgré une reconstitution hématologique relativement rapide, le risque d’infections opportunistes persiste plusieurs mois jusqu’à ce qu’un système immunitaire compétent se mette en place (2). Les infections opportunistes observées diffèrent selon le type de greffe et l’âge des patients. Les infections virales les plus fréquentes au cours de cette période de déficit immunitaire sont dues essentiellement aux herpèsvirus (cytomégalovirus [CMV], herpès-varicella zooster, virus d’EpsteinBarr [EBV]) et à l’adénovirus (3, 4). Le CMV, l’EBV et l’adénovirus humain sont responsables d’infections bénignes mais persistantes chez les individus immunocompétents, impliquant une balance extrêmement fine entre la surveillance immunologique et la mise en place de stratégies virales pour y échapper. Les cellules T cytotoxiques jouent un rôle majeur dans la défense contre ces infections virales. Le but de cet article est 1 INSERM U429, hôpital Necker-Enfants malades, 75743 Paris Cedex 15. 2 Laboratoire de thérapie cellulaire et génique, hôpital Necker-Enfants malades AP-HP, 75743 Paris Cedex 15. d’essayer de faire le point sur de nouvelles stratégies thérapeutiques basées sur l’immunothérapie adoptive. En effet, la mise au point de ces nouvelles stratégies pourrait avoir un potentiel thérapeutique pour tous les patients soumis à une immunosuppression importante et de longue durée. Si cette approche s’avérait efficace, on pourrait imaginer, dans un futur plus lointain, de l’utiliser également pour les patients atteints de cancers induits par des virus. QUELQUES NOTIONS DE VIROLOGIE Virus d’Epstein-Barr Ce virus est un virus ubiquitaire appartenant à la famille des Herpesviridae, capable de transformer et d’immortaliser in vitro les lymphocytes B d’un sujet sain. La primo-infection par ce virus peut être responsable d’une infection aiguë symptomatique (mononucléose infectieuse), mais elle est asymptomatique dans la plupart des cas. Après la primo-infection, ce virus persiste dans les lymphocytes B sous une forme latente non réplicative durant toute la vie de l’individu. Au contraire, l’infection par ce virus des cellules épithéliales de l’oropharynx entraîne une production de virions responsables de la transmission horizontale du virus par l’intermédiaire de la salive. Les lymphocytes B infectés par l’EBV expriment les huit antigènes du cycle latent : les antigènes nucléaires EBNA (EBV nuclear antigens) 115 1, 2, 3A, 3B, 3C, la protéine leader (LP) et les deux protéines LMP (latent membrane proteins) (5). Chez un individu immunocompétent, l’infection latente est sous le contrôle des lymphocytes T cytotoxiques spécifiques de l’EBV, qui sont détectables à une fréquence de l’ordre de 1/1 000 cellules T circulantes et peuvent êtres réactivés in vitro par stimulation à l’aide d’une lignée lymphoblastoïde B autologue. L’activité cytotoxique (CTL) est préférentiellement dirigée contre les antigènes nucléaires EBNA 3A, 3B et 3C (6). Plus récemment, il a été décrit une activité cytotoxique mémoire contre les antigènes du cycle réplicatif. La réponse humorale ne joue qu’un rôle mineur dans le contrôle de la phase latente de l’EBV, alors que les lymphocytes T cytotoxiques, au contraire, semblent jouer un rôle essentiel. En effet, le sujet porteur d’un déficit de l’immunité cellulaire présente un risque élevé de développer des proliférations non contrôlées des lymphocytes B infectés par l’EBV (7). Elles sont polyclonales dans un premier temps, mais peuvent évoluer vers une prolifération monoclonale de pronostic très péjoratif. Ces lymphoproliférations induites par l’EBV se présentent le plus souvent sous forme de lymphomes diffus à grandes cellules B, qui peuvent être oligoclonaux ou monoclonaux. Dans plus de 80 % des cas, ces lymphoproliférations se développent à partir des cellules B du donneur chez les transplantés de moelle osseuse. Au Le Courrier de la Transplantation - Volume I - n o 3 - oct.-nov.-déc. 2001 R echerche contraire, chez les transplantés d’organes, elles se développent le plus souvent à partir des lymphocytes B du receveur. L’EBV sous sa forme épisomale est détecté dans plus de 90 % des lymphoproliférations (8). Le risque de développer ces lymphoproliférations est directement lié à l’absence d’une réponse cellulaire T spécifiquement dirigée contre l’EBV. En effet, en présence d’un défaut de l’immunité cellulaire, la susceptibilité à développer une lymphoprolifération EBV est extrêmement augmentée. Adénovirus Il existe environ cinquante sérotypes d’adénovirus humains, divisés en six familles sur la base de leurs caractéristiques immunologiques, moléculaires et fonctionnelles. Les adénovirus sont des virus contenant un génome à double brin d’ADN linéaire d’environ 35 Kb. L’adénovirus se lie à un récepteur cellulaire dont l’identité n’est pas connue, et est intégré après liaison avec une protéine secondaire récemment identifiée, le récepteur de la vitronectine. Ce virus est intégré dans le lisosome, et le corps viral ainsi libéré migre dans le noyau, où la transcription de l’adénovirus peut commencer (9). La plus grande partie de la population adulte (plus de 45 %) présente des anticorps sériques contre de nombreux sérotypes des adénovirus et développe une immunité anti-adénovirus qui perdure toute la vie (10). Ce virus reste dans l’organisme sous forme latente. Les infections induites par l’adénovirus sont rarement graves chez les enfants et les adultes sains, mais peuvent être sévères et compromettre le pronostic vital des individus immunodéprimés (11). Le rôle de l’adénovirus dans les infections après greffe est sous-estimé. L’association entre infections sévères adénovirales et immunodéficience de type cellulaire suggère que l’adénovirus est normalement contrôlé par la réponse immunitaire cellulaire (12). Il n’existe pas à l’heure actuelle de médicament efficace contre les infections par adénovirus. Bien que la réponse immunitaire cellulaire contre l’adénovirus soit peu connue, il est possible que les transferts adoptifs d’une réponse cellulaire puissent contrôler l’in- fection, chez les sujets immunodéprimés (13). Actuellement, il est acquis que les sujets normaux séropositifs développent une réponse mémoire contre ce virus, et que les protéines de capside viral peuvent stimuler la prolifération des cellules mononucléées périphériques (14). Les cellules natural killer ne jouent pas un rôle déterminant dans l’élimination des cellules humaines infectées par l’adénovirus. La reconnaissance de l’antigène capsidique peut amener à la cytolyse rapide des cellules infectées sans besoin d’assemblage des virions comme pour d’autres virus humains à ADN. Les infections adénovirales se développent chez les enfants au cours des 30 premiers jours qui suivent la greffe, et de manière plus fréquente que chez l’adulte. La raison de cette différence est mal comprise. Cytomégalovirus (CMV) L’histoire naturelle de l’infection à CMV a fait l’objet de nombreuses études. Après une infection primaire, le sujet immunocompétent développe une pathologie modeste ou subclinique, et le virus rentre dans une phase latente. Bien que le sujet sain (CMV séropositif) ne présente aucun signe d’infection active, la fréquence de précurseurs cytotoxiques spécifiques pour le CMV reste très élevée, entre 1/5 000 et 1/20 000 des lymphocytes T du sang périphérique. Cette fréquence persiste tout au long de la vie, suggérant ainsi que la réponse T, et plus particulièrement CD8+, joue un rôle actif dans la protection de l’hôte vis-à-vis d’une réactivation virale. Contrairement à l’adénovirus, nous disposons aujourd’hui de différents médicaments capables de prévenir et de traiter cette infection, mais ils présentent de nombreux effets néfastes sur la reconstitution hématologique à partir du greffon médullaire transplanté (15), comme la résistance médicamenteuse qui peut se développer. Développement des immunothérapies adoptives La mise en évidence du contrôle de ces infections virales par des effecteurs cellulaires a incité deux équipes pionnières à développer des stratégies d’amplification de ces cellules T in vitro pour les utiliser 116 spécifiquement dans la période prégreffe. L’équipe de Greenberg (États-Unis) a mis au point dans les années 1992-1995 (16) une technologie qui a le mérite d’avoir apporté la preuve de l’efficacité du transfert adoptif des lymphocytes T spécifiques contre un virus. La stratégie utilisée consistait à prélever à l’aide d’une biopsie cutanée les fibroblastes du donneur et à les infecter avec une souche de laboratoire du CMV-AD169. Une coculture était ensuite réalisée entre les fibroblastes du donneur et les lymphocytes CD8+ du sang périphérique après élimination des lymphocytes CD4+. Après trois semaines de coculture, les lymphocytes T CD8 amplifiés étaient capables, dans des tests de cytotoxicité in vitro, de tuer d’une façon spécifique une cible autologue infectée par le CMV (17). Des patients greffés avec une moelle osseuse T déplétée ont reçu quatre injections hebdomadaires croissantes de 3,3 à 100 x 107 CTL spécifique. Ce protocole a démontré que la survie des cellules CD8 injectées était conditionnée par la présence des cellules CD4. En effet, tous les malades inclus dans ce protocole ont montré une protection contre l’infection CMV de durée variable selon la rapidité de développement d’une réponse CD4. Aucune toxicité précoce ou tardive n’a été observée. Le second essai clinique, pionnier dans ce domaine, est l’essai développé par Rooney et Brenner (États-Unis) dans les années 1994-1998 (18). Leur essai avait pour but de prévenir la survenue des lymphoproliférations B-EBV induites. La procédure était un peu différente de celle rapportée plus haut. Les lymphocytes B du donneur étaient transformés in vitro en présence d’une souche de laboratoire d’EBV. Une coculture était ensuite réalisée entre les lymphocytes B transformés par l’EBV et les cellules mononucléées du même donneur. Les CTL anti-EBV obtenus ont été injectés au nombre de 2 x 107 CTL/m2 aux patients présentant une PCR-EBV positive, supérieure au seuil de 3 000 copies du génome viral pour 150 000 cellules mononucléées du sang périphérique qui avait été fixé au préalable. Aucun des 39 patients traités n’a développé de lymphomes d’EBV et, pour tous, une diminution significative de la charge virale a été documentée. Pour deux patients traités au moment Le Courrier de la Transplantation - Volume I - n o 3 - oct.-nov.-déc. 2001 R echerche où ils développaient un lymphome EBV, une disparition complète des cellules tumorales a été observée. Les limites de ces deux stratégies résident dans le temps nécessaire pour produire la cellule présentatrice d’antigène et dans la lourdeur de ces procédures. En effet, les patients immunodéprimés développent fréquemment plusieurs infections virales à la fois, et ce dans un laps de temps très court. Cependant, nous aurions besoin de techniques opérationnelles à court terme. La caractérisation et le développement des cellules dendritiques à partir de monocytes du sang ont ouvert les possibilités d’une utilisation plus large de l’immunothérapie adoptive et de l’obtention de clones polyspécifiques antiviraux ou antitumoraux. Le principe de cette approche est basé sur la génération des cellules dendritiques autologues au donneur et de leur infection avec des virus recombinants non réplicatifs, capables de coder pour les protéines immunodominantes de plusieurs virus à la fois. Les cellules dendritiques sont ensuite cultivées, pendant deux à trois semaines, avec les cellules mononucléées du même donneur. Les lymphocytes T ainsi activés sont capables de tuer très rapidement une cellule infectée avec le même agent pathogène (figure 1). Cette technique pourrait être encore simplifiée grâce au tri des seules cellules activées (19), ou bien grâce à l’utilisation des tétramères spécifiques (20). Le transfert adoptif de ces clones T spécifiques pourrait demain réduire fortement les com" plications virales après greffe. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Fishman JA, Rubin RH. Infection in organtransplant recipients. N Engl J Med 1998 ; 338, 24 : 1741-51. 2. 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Les cellules dendritiques infectées sont activées en présence de TNFα et cultivées pendant deux à trois semaines avec les lymphocytes T autologues du donneur. 117 20. Yee C, Savage PA, Lee PP, Davis MM, Greenberg PD. Isolation of high avidity melanoma-reactive CTL from heterogeneous populations using peptide-MHC tetramers. J Immunol 1999 ; 162, 4 : 2227-34. Le Courrier de la Transplantation - Volume I - n o 3 - oct.-nov.-déc. 2001