Lendemains d`Empire, les soldats de Napoléon dans la

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Thibaut Bruttin Jeudi 5 janvier 2006
Conférence d’histoire de David Colon
Fiche de lecture
Lendemains d’Empire,
les soldats de Napoléon dans la France du XIXème siècle
de Natalie Petiteau
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1. L’auteur et sa démarche
2. Analyse et résumé
3. Synthèse chronologique
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1. L’auteur et sa démarche.
Lendemains d’Empire, publié en 2003 à la Boutique de l’Histoire, est très
représentatif d’une nouvelle façon d’appréhender l’histoire du XIXème siècle et, plus
généralement, d’appréhender l’histoire.
Natalie Petiteau a d’abord enseigné à l’université d’Avignon, elle est désormais
professeur d’histoire contemporaine à l’université de Poitier. Natalie Petiteau est
l’auteur d’Elites et Mobilités : la Noblesse d’Empire au XIXème siècle (1997) et de
Napoléon de l’histoire à la mythologie (1999). Elle a supervisé plus récemment un
ouvrage collectif intitulé Voies nouvelles pour l’Histoire du premier Empire (2003)
dont le titre à lui seul révèle que Natalie Petiteau entend faire de l’histoire
différemment, en empruntant des voies dont l’historiographie nous montre qu’elles
n’ont jamais été empruntées .
Avec Natalie Petiteau et Lendemains d’Empire, nous sommes à cent lieues de
l’histoire qui se veut récit, de l’histoire qui se veut genre littéraire. Les outils et les
termes qu’elle emploie sont ceux d’un sociologue et son étude historique prend en fait
la forme d’une analyse à caractère véritablement sociologique.
Lendemains d’Empire, comme son sous-titre l’indique, a trait aux vétérans des
campagnes de l’Empire. Ce sujet n’a jamais donné lieu à des travaux universitaires,
comme le constate l’Empire. Le terme de groupe social est sans doute le bon pour
appréhender ces individus qui vont connaître sous les drapeaux et de retour chez eux
des destins bien différents dont Natalie Petiteau s’efforce de retranscrire la
multiplicité.
Mais l’ouvrage, et c’est un choix, l’auteur le précise clairement dans
l’introduction, ne s’attache qu’aux simples soldats et aux officiers subalternes,
négligeant ainsi les figures les plus grandioses pour se consacrer aux sans-grades,
comme les désigne Natalie Petiteau, négligeant ces hommes tels Soult qui ont continué
à jouer un rôle majeur dans leur pays après 1815.
Son approche des vétérans se fait par le biais d’échantillons, de corpus, établis
au cours de ces recherches et constitués à partir des populations de communes du
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Doubs et du Vaucluse. Cette démarche peut rebuter le lecteur, d’autant plus que
Natalie Petiteau se trouve confrontée à la difficulté de trouver des documents relatifs à
la vie de ces anonymes dont, par définition, il reste peu de traces de l’existence.
Dès lors, les sources employées ne peuvent refléter qu’imparfaitement la réalité
du sujet et c’est la une des limites majeures de l’ouvrage qu’il faut souligner dès le
début de ce compte-rendu, limite dont l’auteur à conscience et qu’il rappelle à maintes
reprises pour relativiser les résultats de ses recherches. Les sources en elles-mêmes
sont constituées d’archives notariales, de dossier des hospices d’Invalides, de
demandes d’aides, de circulaires de la légion d’Honneur, de rares lettres et mémoires,
etc.
Si elles sont limitées par leur quantité, elles le sont aussi par leur qualité. En
effet, les témoignages des vétérans comme les documents administratifs n’abordent
souvent que les questions matérielles et ne permettent pas d’appréhender directement
la question des séquelles mentales dues à la guerre ou la question de l’opinion
politique des vétérans, par exemple.
De même, l’étude sociologique menée par l’auteur tente de s’appuyer sur des
statistiques, mêmes si celles-ci ne peuvent évidemment qu’être bien imprécises et,
puisqu’elles sont basées sur le seul corpus vauclusien, elles ne peuvent pas prétendre
refléter l’ensemble de la réalité de la France.
De plus, dans sa volonté de précision, Natalie Petiteau a glissé dans son livre de
nombreux exemples issus de son corpus vauclusien. De ces longues énumérations un
peu rébarbatives émergent de temps à autre des destins étonnants de soldats mais, en
ayant systématiquement recours à l’illustration de son propos par l’étude de cas de
soldats, l’auteur risque d’ennuyer son lecteur, même si celui-ci est volontaire.
Cependant, il faut mettre un élément indiscutable au crédit de Natalie Petiteau :
Lendemains d’Empire est une somme. A lire cet ouvrage, le seul sur le sujet, on
perçoit l’importance du travail qu’a représenté sa rédaction, on réalise les heures
d’épluchages d’archives militaires et communales qui ont été nécessaires. Le livre est
donc particulièrement documenté, comme en témoigne l’abondante bibliographie
fournie en fin de volume et les non moins abondantes indications bibliographiques qui
grignotent chaque page du livre.
Mais, pourquoi Natalie Petiteau adopte-t-elle une telle précision dans sa
démarche ? Parce qu’elle entend dépasser la légende et montrer la réalité des vétérans
des guerres napoléoniennes, loin de toute mythologie.
Cette volonté d’aller au-delà de la légende caractérise donc l’ensemble de
Lendemains d’Empire. Natalie Petiteau veut discerner la part de la légende de ce qui
relève des faits.
Avouons que de ces soldats démobilisés, nous avions l’image qu’en donne
Joseph Conrad dans le Duel (1908) à travers le portrait du fougueux Gabriel Féraud et
de ses amis, des nostalgiques de l’Empire réduits à la misère, ne touchant plus qu’une
demi-solde, nommés colonels ou généraux dans les derniers instants des Cent-Jours, se
réunissant au Palais Royal pour évoquer avec leurs compagnons d’armes leurs
campagnes glorieuses.
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Mais de ses propres soldats Napoléon lui-même a contribué à faire des légendes
vivantes par ses discours, en appelant les soldats de sa Grande Armée ses « braves »,
les « débris » (ce dernier terme est celui qui semble avoir traversé tout le XIXème
siècle pour désigner les vétérans des campagnes napoléoniennes). Les romantiques ont
ensuite pris le relais. Citons Victor Hugo, que Natalie Petiteau néglige de mentionner,
qui a fait des guerres napoléoniennes une véritable épopée et qui leur rend hommage
en ces termes dans Les Châtiments dans le long poème en sept volets intitulé
l’expiation :
Car ces derniers soldats de la dernière guerre
Furent grands ; ils avaient vaincu toute la terre,
Chassé vingt rois, passé les Alpes et le Rhin,
Et leur âme chantait dans les clairons d’airain !
Mais justement, Natalie Petiteau entend dépoussiérer l’image du grognard, rendre
à l’histoire sa vérité. Elle est animée par la volonté d’aller au-delà de légende forgée
par les Romantiques, d’aller au-delà de cette légende qu’a propagée le Second Empire,
d’aller au-delà de la propagande diffusée sous la Restauration qui tendait à faire passer
tout vétéran pour un bonapartiste
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2. Analyse et résumé.
Après cette brève approche de la méthode de l’auteur, venons-en au contenu
même de l’ouvrage. Que sont devenus les soldats de Napoléon sans Napoléon ? C’est
là le sujet de l’ouvrage.
Les vétérans des guerres napoléoniennes ne forment pas à proprement parler
dans l’immédiat un groupe social, si l’on compare leur situation à celle des anciens
combattants de la guerre de 1914-1918. Ceux-ci formaient un groupe social qui avait
conscience d’en être un et trouvait son unité dans des associations. Or, les vétérans de
l’Empire vont longtemps être dispersés sans n’avoir aucune reconnaissance en tant que
tel dans leur ensemble par l’Etat et la société.
Il faut attendre 1857 et la création de la Médaille de Sainte-Hélène pour que
naisse le sentiment d’appartenir à un véritable groupe social. Il faut noter que ce
groupe des anciens soldats de Napoléon va traverser tout le premier XIXème siècle et
sera encore debout pendant une grande partie du second. En effet, il y a encore des
vétérans de la Grande Armée vivant sous la troisième République. Le dernier d’entre
ces hommes d’une exceptionnelle longévité serait mort en 1898.
Mais il faut avoir à l’esprit que le statut d’ancien combattant n’existe pas au
XIXème siècle. Etre vétéran ne donne pas nécessairement droit à une pension puisqu’il
faut avoir trente ans de services pour recevoir une pension. De toute façon, cette
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pension n’est qu’un complément de salaire car elle est nettement inférieure au salaire
d’un journalier.
De plus, percevoir une pension ne signifie pas être accepté à l’hôtel des
Invalides de Paris, fondé par Louis XIV et auquel Napoléon a voulu redonner tout son
éclat, ou à ses succursales de Louvain et d’Avignon, créées en 1801 par l’Empereur,
car il faut être âgé d’au moins soixante ans ou être atteint d’une blessure équivalant au
moins à la perte d’un membre.
Dans une première partie, Natalie Petiteau revient brièvement sur le passage de
la guerre à la paix, sur les conditions de vie aux armées et sur la démobilisation pour
mieux prendre en compte ce qui différenciera les vétérans de leurs concitoyens. Selon
les estimations, 1 660 000 soldats seraient partis sous les drapeaux. Pendant plusieurs
années, parfois plus de dix ans, ils ont traversés l’Europe, combattu en Espagne, en
Belgique, en Allemagne, en Russie, etc, menés par leur Empereur. La phase de
démobilisation qui suit Waterloo montre selon Natalie Petiteau les limites de
l’ancienne administration impériale qui va s’avérer incapable de contrôler l’ensemble
des troupes qui vont se disperser dans leur majorité d’elles-mêmes et les soldats vont
rentrer chez eux sans ordre officiel et sans être pour autant inquiétés. Les désertions
massives de ce type seront nombreuses dans les derniers mois de l’Empire. En
revanche, l’absence de document attestant la démobilisation va s’avérer problématique
par la suite pour bien des soldats en vue de l’obtention d’une pension. Natalie Petiteau
met à ce propos en avant le fait que les demandes de pension des vétérans ont marqué
pour les familles françaises la première occasion de constitution d’archives
administratives. Elle met aussi l’accent sur la douleur physique et morale et sur la
question de la mémoire qui sont les marques indépassables du service des vétérans.
La seconde partie du livre est consacrée à la question de la réinsertion dans la
société proprement dite. Le retour à la vie civile fut pour un certain nombre de soldats
synonyme d’indigence et de déclassement. Natalie Petiteau montre des hommes
désireux avant tout de retrouver leur place dans leur communauté villageoise, dans
leurs ateliers, auprès des leurs. Le retour au foyer a signifié pour eux le retour à la terre
natale. Les cas d’ascension sociale semblent rares. De même, une minorité seulement
semble avoir été tentée par l’aventure de la modernité économique ou l’appel d’autres
horizons (Algérie ou Amérique, par exemple). La réinsertion par le mariage, par le
biais des mariages de rosières, orchestrés par l’Empire, montre les multiples facteurs et
formes de réinsertion. Les vétérans qui se reconvertissent à leur retour des armées
occupent souvent des emplois où ils sont au contact de la société, à son service :
écrivains publics, bibliothécaires, concierges, cabaretiers…Ils sont également
nombreux à occuper des emplois réservés dans l’administration, et en particulier dans
l’encadrement des populations : ils seront gendarmes, gardes champêtres, buralistes…
Dans la troisième et dernière partie, Natalie Petiteau débat de la place des
vétérans dans la société de leur temps, des réseaux d’entraides, de leurs opinions et de
leurs engagements politiques. Elle s’interroge sur les modalités de la naissance d’une
identité collective, ce que nous allons maintenant nous efforcer de montrer dans la
troisième partie de notre compte-rendu.
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3. Synthèse chronologique
Reconstituons ici brièvement le parcours des vétérans et l’évolution de leur
situation en fonction des différents régimes en place. Ceci est l’occasion de renouer le
fil historique que Natalie Petiteau rompt par le choix qu’elle fait d’une trame
thématique et non chronologique.
A peine démobilisés, les anciens soldats de Napoléon sont victimes de la
Terreur blanche dans les mois qui suivent Waterloo. Ils sont assimilés à ces brigands
de la Loire, ces militaires déguenillés qui errent sur les routes de France. Cette Terreur
blanche s’avère totalement incontrôlée dans le midi. Des vétérans sont tués, d’autres
molestés, injuriés par leurs concitoyens. La Terreur blanche va prendre une forme
légale après la victoire des Ultraroyalistes aux élections d’août 1815 qui voit la
formation de la chambre introuvable. Celle-ci va condamner les principaux chefs
militaires qui se sont ralliés à Napoléon durant les Cent Jour et va mettre en place un
dispositif répressif à l’égard des « vieux débris » telle la loi sur les cris séditieux. A
cette époque, et durant toute la Restauration, les vétérans sont considérés comme des
agitateurs potentiels dangereux. Ils sont très surveillés dans les premiers temps par les
services de la préfecture qui signalent chacune de leurs réunions. Les anciens ne
peuvent alors requérir auprès du Roi qui leur est hostile pour obtenir un soutien
financier face à la misère qui les guette, ils le font par conséquent auprès de grands
notables, comme le duc d’Orléans.
C’est tout naturellement qu’à l’avènement de Louis-Philippe ils continuent à lui
adresser leurs requêtes. Ils revendiquent de plus en plus fortement des droits au nom
des devoirs que la nation a envers eux. Ces missives expriment aussi un net refus de
l’exclusion sociale. Si Louis-Philippe tente de s’allier les anciens combattants par des
actes à forte portée symbolique tels la remise en place en 1833 de la statue de
Napoléon place Vendôme, l’achèvement de l’Arc de Triomphe en 1836 ou le retour
des cendres de l’Empereur en 1840, il s’attire l’hostilité de certains d’entre eux. Les
obsèques du général Lamarck, ancien général de Napoléon, donne lieu à l’insurrection
républicaine des 5 et 6 juin 1832 contre Louis-Philippe qui compte parmi ses rangs
bon nombre de vétérans parisiens. De même, en 1848 comme en 1830, des vétérans
participent aux combats et jouent un rôle majeur dans les soulèvements car ils
enseignent aux révolutionnaires à se servir des armes qu’ils ont, durant leur service,
pris l’habitude de manier.
L’arrivée de Louis-Napoléon Bonaparte au pouvoir marque l’entrée des
vétérans dans le discours politique. Le neveu de Napoléon fait voter la loi du 15 juillet
1850 qui autorise les sociétés de secours mutuel que la Monarchie de Juillet avait
dissoutes. Devenu Empereur, Napoléon III fait référence au passé glorieux de la
Grande Armée pour légitimer son pouvoir, s’assurant par exemple la présence
d’anciens soldats de l’Empire aux cérémonies officielles. La création de la médaille de
Sainte-Hélène par le décret du 12 août 1857 marque cette instrumentalisation des
vétérans par le Second Empire sans que le régime fasse nécessairement l’unanimité par
eux. C’est le second Empire qui a fait des vétérans des campagnes napoléoniennes un
véritable groupe politique.
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