r er r er oD s ie sDioessi DDososssiie os r D s Focuus Foc s Quel sens donner à la consommation de cannabis d’un adolescent ? Olivier Ouvry* La prise en charge de patients adolescents, dans un cadre hospitalier ou libéral, conduit de façon lancinante le praticien à la question de la prise de cannabis. De prises ponctuelles, lors de soirées entre pairs, jusqu’à des prises répétées, chaque journée (le matin, au réveil, dans la matinée, en écoutant de la musique, après le déjeuner, pour digérer, après l’école, avec des copains, le soir, comme minimum requis à toute recherche de sommeil…), l’adolescent conduit son thérapeute à une banalisation de la prise d’un produit qui reste cependant hors la loi. Faut-il s’opposer fermement, convoquer des certitudes cliniques ou scientifiques pour s’offusquer de cette consommation et s’interposer de façon la plus ferme… ? Ou, plus nuancé, faut-il mettre comme condition à un travail de type psychothérapeutique l’arrêt de la prise de cannabis ? Plus loin encore, faut-il ne pas relever cette consommation pour attendre une élaboration de la part du patient qui conduira, comme pour d’autres symptômes à sa disparition ? Ou faut-il y retrouver ses certitudes quant à son propre passé de consommateur (sinon encore actuel) et trouver dans la prise de haschich de cet adolescent une preuve supplémentaire de notre bon choix ? Quelle est la bonne conduite à tenir ? Cette question a motivé l’organisation d’un colloque sur le thème de : “Psychopathologie de l’adolescent et usage du cannabis” (1). L’ampleur et le caractère passionnel de ce thème ont, d’ores et déjà, justifié l’organisation d’une deuxième journée prévue à l’automne 2001. Une édition des actes sous forme d’ouvrage collectif s’en suivra. L’adolescent trouve, en effet, dans la question des limites, un champ inépuisable pour les interrogations et sollicitations des adultes. Et de son corps ! Dans cette jouissance de la transgression vient en fait s’inscrire la répéti- * Psychiatre, psychothérapeute, Paris. tion d’un éprouvé dans le but de s’y acclimater, de se familiariser avec lui, de se l’approprier. “Le pubertaire” vient en effet, pour nous, s’inscrire sous le mode d’un réel corporel, effraction dans le monde de l’enfance construit autour du phallique, c’est-à-dire du signifiant. Un au-delà de celui-ci vient s’imposer, sous un mode que nous qualifions de féminin, c’est-à-dire autre que le masculin (référé au phallique) ou que la féminité (parade phallique au constat, chez la fille le plus souvent, de la différence des sexes dans la réalité). Il recoupe ce que nous retrouvons chez Freud sous les propos énigmatiques du déplacement de la zone érogène du clitoris au vagin (cf. Les Trois Essais, ou les textes de La vie sexuelle) chez la fille à la puberté, et ce que Lacan énonce de ce supplément de jouissance qui vient caractériser la femme. La transgression vient interroger cette part de réel sur le plan du langage, avant qu’il ne puisse être reporté, en fin d’adolescence, sur le choix d’objet, dans la réalité, porteur de l’autre sexe. Alors, se glissent toutes les transgressions de l’adolescence, voire toute la psychopathologie de celle-ci (dont l’agir est le paradigme). Mais cette part de réel interrogée par le “mouvement” adolescent se complique lorsqu’elle renvoie également à d’autres parts de réel, héritées de l’enfance au titre de ce qui n’a pu être transmis dans l’histoire familiale, ou, plus concrètement, de ce qui a constitué un traumatisme – au sens analytique du terme. Un croisement s’opère alors entre un mouvement constitutif, celui adolescent, et un autre, à fin résolutive, et qui tente par 23 l’agir – seul moyen disponible – de recomposer ces maillons manquants d’histoire. La question particulièrement actuelle de la consommation du cannabis chez les adolescents nous paraît prendre place dans ce dernier cadre. La génération des soixante-huitards, celle qui a fait de cette consommation le paradigme de leur recherche d’indépendance et de différenciation d’avec la génération de leurs parents, est actuellement en âge d’avoir des enfants adolescents : ceux-là mêmes qui leur renvoient, par leur consommation personnelle, cette part de réel non élaborée de leur propre histoire, parce qu’interdite socialement. Cette hypothèse vient nous permettre de sortir d’ornières autour de cette consommation qui grèvent le chemin de la réflexion. En effet, celle-ci ramène la question du risque pathologique à la consommation du cannabis, une question qui sort du cadre général, et évite ces clichés stéréotypés du “tout-danger”, ou du “tout-cool” : chaque cas est à différencier. La reprise de la consommation de cannabis chez un psychotique – à entendre comme la reprise de son délire – et sa prise ponctuelle dans un cadre social par un adolescent bien inséré, n’ont de point commun que le nom du produit, mais certainement pas l’effet de ce même produit sur leur deux psychismes, ni les conséquences potentielles qu’il faudrait en attendre. Enfin, cette hypothèse vient sauver les équipes quin dans les institutions s’occupent des adolescents, du dilemme paralysant et cristallisant souvent leurs conflits internes : elle leur ôte la crainte d’être complices, voire perverses, lorsqu’elles accueillent des patients dont la consommation continue pendant le temps de la prise en charge, ou d’être non soignantes lorsqu’elles excluent, au nom du respect de “la loi”, des patients surpris en train de poursuivre leur consommation. 1. Psychopathologie de l’adolescent et usage du cannabis, 17 novembre 2000, Paris, ministère de la Santé. Organisateur : Annie Birraux, Brigitte Cadéac, Patrice Huerre, Françoise Marty, Olivier Ouvry sous l’égide du Collège international de l’adolescence (CILA). Supports institutionnels : Mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie (MILDT), Fondation santé des étudiants de France (FSEF), ministère de l’Emploi et de la Solidarité, École de parents et des éducateurs d’Île-de-France. 2. L’édition des actes du premier colloque de novembre 2000 est disponible auprès de Mme Bigand. Tél. : 01 45 85 25 17 (50 FF + port).