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Faut-il s’opposer fermement, convoquer des
certitudes cliniques ou scientifiques pour s’of-
fusquer de cette consommation et s’interposer
de façon la plus ferme… ? Ou, plus nuancé,
faut-il mettre comme condition à un travail de
type psychothérapeutique l’arrêt de la prise de
cannabis ? Plus loin encore, faut-il ne pas rele-
ver cette consommation pour attendre une éla-
boration de la part du patient qui conduira,
comme pour d’autres symptômes à sa dispari-
tion ? Ou faut-il y retrouver ses certitudes
quant à son propre passé de consommateur
(sinon encore actuel) et trouver dans la prise de
haschich de cet adolescent une preuve supplé-
mentaire de notre bon choix ?
Quelle est la bonne
conduite à tenir ?
Cette question a motivé l’organisation d’un
colloque sur le thème de : “Psychopatho-
logie de l’adolescent et usage du canna-
bis” (1). L’ampleur et le caractère passion-
nel de ce thème ont, d’ores et déjà, justifié
l’organisation d’une deuxième journée pré-
vue à l’automne 2001. Une édition des
actes sous forme d’ouvrage collectif s’en
suivra.
L’adolescent trouve, en effet, dans la question
des limites, un champ inépuisable pour les
interrogations et sollicitations des adultes. Et
de son corps ! Dans cette jouissance de la
transgression vient en fait s’inscrire la répéti-
tion d’un éprouvé dans le but de s’y acclima-
ter, de se familiariser avec lui, de se l’appro-
prier. “Le pubertaire” vient en effet, pour
nous, s’inscrire sous le mode d’un réel corpo-
rel, effraction dans le monde de l’enfance
construit autour du phallique, c’est-à-dire du
signifiant. Un au-delà de celui-ci vient s’im-
poser, sous un mode que nous qualifions de
féminin, c’est-à-dire autre que le masculin
(référé au phallique) ou que la féminité (para-
de phallique au constat, chez la fille le plus
souvent, de la différence des sexes dans la
réalité). Il recoupe ce que nous retrouvons
chez Freud sous les propos énigmatiques du
déplacement de la zone érogène du clitoris au
vagin (cf. Les Trois Essais, ou les textes de La
vie sexuelle) chez la fille à la puberté, et ce
que Lacan énonce de ce supplément de
jouissance qui vient caractériser la femme.
La transgression vient interroger cette part
de réel sur le plan du langage, avant qu’il
ne puisse être reporté, en fin d’adolescence,
sur le choix d’objet, dans la réalité, porteur
de l’autre sexe. Alors, se glissent toutes les
transgressions de l’adolescence, voire toute
la psychopathologie de celle-ci (dont l’agir
est le paradigme).
Mais cette part de réel interrogée par le
“mouvement” adolescent se complique
lorsqu’elle renvoie également à d’autres parts
de réel, héritées de l’enfance au titre de ce qui
n’a pu être transmis dans l’histoire familiale,
ou, plus concrètement, de ce qui a constitué
un traumatisme – au sens analytique du
terme. Un croisement s’opère alors entre un
mouvement constitutif, celui adolescent, et
un autre, à fin résolutive, et qui tente par
l’agir – seul moyen disponible – de recompo-
ser ces maillons manquants d’histoire.
La question particulièrement actuelle de la
consommation du cannabis chez les adoles-
cents nous paraît prendre place dans ce der-
nier cadre. La génération des soixante-hui-
tards, celle qui a fait de cette consomma-
tion le paradigme de leur recherche d’indé-
pendance et de différenciation d’avec la
génération de leurs parents, est actuellement
en âge d’avoir des enfants adolescents :
ceux-là mêmes qui leur renvoient, par leur
consommation personnelle, cette part de
réel non élaborée de leur propre histoire,
parce qu’interdite socialement.
Cette hypothèse vient nous permettre de sortir
d’ornières autour de cette consommation qui
grèvent le chemin de la réflexion. En effet,
celle-ci ramène la question du risque patholo-
gique à la consommation du cannabis, une
question qui sort du cadre général, et évite ces
clichés stéréotypés du “tout-danger”, ou du
“tout-cool” : chaque cas est à différencier. La
reprise de la consommation de cannabis chez
un psychotique – à entendre comme la reprise
de son délire – et sa prise ponctuelle dans un
cadre social par un adolescent bien inséré,
n’ont de point commun que le nom du pro-
duit, mais certainement pas l’effet de ce même
produit sur leur deux psychismes, ni les
conséquences potentielles qu’il faudrait en
attendre. Enfin, cette hypothèse vient sauver
les équipes quin dans les institutions s’occu-
pent des adolescents, du dilemme paralysant
et cristallisant souvent leurs conflits internes :
elle leur ôte la crainte d’être complices, voire
perverses, lorsqu’elles accueillent des patients
dont la consommation continue pendant le
temps de la prise en charge, ou d’être non soi-
gnantes lorsqu’elles excluent, au nom du res-
pect de “la loi”, des patients surpris en train de
poursuivre leur consommation.
Quel sens donner à la consomma-
tion de cannabis d’un adolescent ?
Olivier Ouvry*
La prise en charge de patients adolescents, dans un cadre hospitalier
ou libéral, conduit de façon lancinante le praticien à la question de la
prise de cannabis. De prises ponctuelles, lors de soirées entre pairs, jus-
qu’à des prises répétées, chaque journée (le matin, au réveil, dans la
matinée, en écoutant de la musique, après le déjeuner, pour digérer,
après l’école, avec des copains, le soir, comme minimum requis à toute
recherche de sommeil…), l’adolescent conduit son thérapeute à une
banalisation de la prise d’un produit qui reste cependant hors la loi.
* Psychiatre, psychothérapeute, Paris.