182 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVII - n° 5 - mai 2008
ÉDITORIAL
sans que l’on sache qu’elle est d’origine médica-
menteuse. La question de savoir s’il s’agit d’un
suicide ou d’un suicide assisté – réalisé dans le
secret – est dès lors posée.
Dans une très grande partie des cas de fin de
vie (réanimation, cancérologie, neurologie, etc.),
la loi Leonetti de 2005 – relative aux droits des
malades et à la fin de vie – a permis de clarifier
l’action médicale face à ses limites et la ques-
tion de la proportionnalité du traitement mis
en œuvre. En effet, en évitant le prolongement
de soins jugés abusifs, pouvant être qualifiés
d’acharnement thérapeutique, cette loi auto-
rise à un arrêt ou à une limitation des soins,
lesquels conduisent au décès du patient. Cette
loi ne permet pas de geste actif et ne répond pas
à la demande de Mme Sébire.
Cette demande est à rapprocher de celle
que Vincent Humbert adressa, en 2002, à la
société. Une double hémiplégie – consécutive
à des lésions cérébrales irréversibles au décours
d’un accident de la voie publique – bloquait les
fonctions motrices de tout son corps. Seule
une motricité du pouce droit lui permettait de
communiquer par pression. En décembre 2002,
il fait écrire au président de la République et lui
demande le “droit de mourir”. La réponse du
Président est qu’il ne peut donner ce droit qui
lui est demandé. En septembre 2003, la mère
de Vincent Humbert injecte une dose de barbitu-
riques dans la sonde gastrique qui nourrit son fils.
Le geste échoue, il tombe dans un coma profond.
En réanimation, le médecin qui le prend en charge
dit avoir abrégé ses souffrances en débranchant
l’appareil qui l’aidait à respirer.
Il convient d’étudier les différences qu’il y a entre
ces deux cas, car elles éclairent le débat et les
choix en présence. Dans le cas de Mme Sébire,
le suicide est possible par ses propres moyens.
Dans le cas de Vincent Humbert, il est impos-
sible seul.
Pourquoi demander un geste accompagné
lorsque le suicide est possible ? Il s’agit pour les
défenseurs de cette cause de faire reconnaître
un nouveau type de mort par la collectivité. Le
suicide y est aujourd’hui connoté négativement,
la médecine a pour mission de le combattre – à
juste titre dans le registre de pathologies
psychiatriques – et de sauver les suicidants. Par
ailleurs, le suicide peut priver les descendants de
droits : en matière d’assurance vie ou d’accidents
corporels, le versement d’un capital peut être
mis en question, selon les clauses des contrats.
Enfin, la question de la réussite du geste est
posée : un suicide peut mal se passer, entraî-
nant des souffrances ou des échecs eux-mêmes
générateurs de complications et de souffrances
nouvelles.
Ainsi, le débat évolue vers deux concepts : le
suicide assisté – lors duquel des médecins pour-
raient prodiguer des conseils et délivrer le(s)
matériel(s) afin que le ou la patiente mette fin
à ses jours – ou l’euthanasie active dans le cadre
de laquelle le professionnel de santé réalise lui-
même le geste entraînant la mort.
Pour un médecin, pour tout soignant et pour les
citoyens, il est légitime que le débat soit bien
posé, car “donner” la mort ce n’est pas la même
chose que de se donner la mort. La conception
du métier de médecin et de soignant et celle que
l’on a de l’homme peuvent légitimement amener
certains à refuser l’euthanasie active.
Le suicide assisté est également différent de
l’euthanasie active en ce sens qu’il respecte –
en termes de symbolique et de réalisation du
geste – totalement l’autonomie du patient
jusqu’au moment ultime, jusqu’à la dernière
seconde. L’individu reste seul maître du jeu et
responsable du geste.
Aucun de ces choix ne saurait être imposé à la
médecine, sans débat et sans respect de clause de
conscience. On comprendrait que notre société
n’avance que lentement sur ces choix, mais si des
décisions sont prises, il faudra à l’avenir envisager
dans quelles situations et comment :
▸ la société peut (et doit) ou non reconnaître à
certains citoyens le droit de choisir leur mort ;
▸ l’implication du tiers médical serait envi-
sageable dans un choix qui n’est à ce jour pas
reconnu comme étant d’ordre médical.
Tout cela amène à des bouleversements concep-
tuels fondamentaux : le premier serait d’accepter
que des personnes qui souhaitent se suicider
voient désormais leur choix validé par la collec-
tivité, le second serait – en cas de geste actif
accompli par un médecin – de faire sortir de la
clandestinité et du secret ce mode de décès, avec
une protocolisation et des procédures dont la
rigueur devrait être exemplaire.
Dans tous les cas, on conçoit que la décision ne
se prenne pas dans l’urgence et que si, à l’avenir,
des évolutions se faisaient jour, la notion d’ex-
ceptionnalité soit la règle, pour éviter toute
banalisation. ■
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