Sommaire Vol. XII - N° 5 - mai 2008 ÉDITORIAL 181 Fin de vie : donner ou se donner la mort ? G. Moutel ONCOLOGIE TRANSLATIONNELLE 184 Coordonnateurs : S . Faivre, C. Tournigand ÉDITORIAL MISE AU POINT 192 Gliome du sujet âgé : enjeux et stratégies O. Chinot Transplantation hépatique et cancer S. Faivre, B. Aussilhou, F. Durand, J. Belghiti Biomarqueurs du cancer bronchique non à petites cellules : du concept à la pratique clinique Fin de vie : donner ou se donner la mort ? Entre euthanasie active et suicide assisté : les cas de Vincent Humbert et de Chantal Sébire G. Moutel* M. Pérol, D. Arpin, J.C. Soria CAS CLINIQUE 219 Un sujet âgé insuffisant rénal peut-il bénéficier d’un traitement antiangiogénique en cas de cancer du rein métastatique ? P. Beuzeboc, N. Garnier-Viougeat, C. Daniel, M. Zerbib CONGRÈS – RÉUNION 222 Pratiques en cancérologie – Enseignement postuniversitaire de l’institut Bergonié, Bordeaux, 8 avril 2008 F. André-David Atteintes ostéo-articulaires induites par les traitements par antiaromatases au cours du cancer du sein S. Perrot, R. Marie-Javier, M. Marty, O. Mejjad, C. Tournigand, F. Laroche et le Cercle d’étude de la douleur en rhumatologie En plus... ❖ Agenda I 221 Abonnez-vous en ligne ! E n février 2007, Chantal Sébire, patiente âgée de 52 ans, atteinte d’esthésioneuro­ blastome – tumeur évolutive des sinus et de la cloison nasale, qui lui déformait cruellement le visage et hors de portée thérapeutique, muti­ lante et hyperalgique – demande à bénéficier d’un geste d’euthanasie. Elle relance le débat public sur la question. Le 6 mars, Mme Sébire écrit au président de la République, pour lui réclamer le droit de mourir. Assistée de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), elle dépose une requête exceptionnelle devant le président du tribunal de grande instance de Dijon. Mais, le lundi 17 mars, la justice rejette sa demande d’euthanasie active. Cette décision de justice est conforme à l’état de la législation sur la fin de vie du 22 avril 2005 : la loi Leonetti permet de pratiquer des arrêts de soins ou des abstentions de soins sans auto­ riser les médecins à pratiquer une euthanasie active. Mme Sébire opposait des “souffrances intenses et permanentes”, le “caractère incurable des maux dont elle est atteinte” depuis huit ans et son “refus de devoir supporter l’irréversible dégradation de son état”. Après la fin de non-recevoir opposée par la justice, elle est trouvée morte chez elle, le mercredi 19 mars, ce qui suscite certes des inter­ rogations sur les causes de sa mort, mais non www.edimark.fr Bulletin d’abonnement disponible page 231 * Laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale, faculté de médecine Paris-Descartes. La Lettre du Cancérologue • Vol. XVII - n° 5 - mai 2008 | 181 LK5-NEW + pub.indd 181 27/05/08 17:05:29 ÉDITORIAL sans que l’on sache qu’elle est d’origine médica­ menteuse. La question de savoir s’il s’agit d’un suicide ou d’un suicide assisté – réalisé dans le secret – est dès lors posée. Dans une très grande partie des cas de fin de vie (réanimation, cancérologie, neurologie, etc.), la loi Leonetti de 2005 – relative aux droits des malades et à la fin de vie – a permis de clarifier l’action médicale face à ses limites et la ques­ tion de la proportionnalité du traitement mis en œuvre. En effet, en évitant le prolongement de soins jugés abusifs, pouvant être qualifiés d’acharnement thérapeutique, cette loi auto­ rise à un arrêt ou à une limitation des soins, lesquels conduisent au décès du patient. Cette loi ne permet pas de geste actif et ne répond pas à la demande de Mme Sébire. Cette demande est à rapprocher de celle que Vincent Humbert adressa, en 2002, à la société. Une double hémiplégie – consécutive à des lésions cérébrales irréversibles au décours d’un accident de la voie publique – bloquait les fonctions motrices de tout son corps. Seule une motricité du pouce droit lui permettait de communiquer par pression. En décembre 2002, il fait écrire au président de la République et lui demande le “droit de mourir”. La réponse du Président est qu’il ne peut donner ce droit qui lui est demandé. En septembre 2003, la mère de Vincent Humbert injecte une dose de barbitu­ riques dans la sonde gastrique qui nourrit son fils. Le geste échoue, il tombe dans un coma profond. En réanimation, le médecin qui le prend en charge dit avoir abrégé ses souffrances en débranchant l’appareil qui l’aidait à respirer. Il convient d’étudier les différences qu’il y a entre ces deux cas, car elles éclairent le débat et les choix en présence. Dans le cas de Mme Sébire, le suicide est possible par ses propres moyens. Dans le cas de Vincent Humbert, il est impos­ sible seul. Pourquoi demander un geste accompagné lorsque le suicide est possible ? Il s’agit pour les défenseurs de cette cause de faire reconnaître un nouveau type de mort par la collectivité. Le suicide y est aujourd’hui connoté négativement, la médecine a pour mission de le combattre – à juste titre dans le registre de pathologies psychiatriques – et de sauver les suicidants. Par ailleurs, le suicide peut priver les descendants de droits : en matière d’assurance vie ou d’accidents corporels, le versement d’un capital peut être mis en question, selon les clauses des contrats. Enfin, la question de la réussite du geste est posée : un suicide peut mal se passer, entraî­ nant des souffrances ou des échecs eux-mêmes générateurs de complications et de souffrances nouvelles. Ainsi, le débat évolue vers deux concepts : le suicide assisté – lors duquel des médecins pour­ raient prodiguer des conseils et délivrer le(s) matériel(s) afin que le ou la patiente mette fin à ses jours – ou l’euthanasie active dans le cadre de laquelle le professionnel de santé réalise luimême le geste entraînant la mort. Pour un médecin, pour tout soignant et pour les citoyens, il est légitime que le débat soit bien posé, car “donner” la mort ce n’est pas la même chose que de se donner la mort. La conception du métier de médecin et de soignant et celle que l’on a de l’homme peuvent légitimement amener certains à refuser l’euthanasie active. Le suicide assisté est également différent de l’euthanasie active en ce sens qu’il respecte – en termes de symbolique et de réalisation du geste – totalement l’autonomie du patient jusqu’au moment ultime, jusqu’à la dernière seconde. L’individu reste seul maître du jeu et responsable du geste. Aucun de ces choix ne saurait être imposé à la médecine, sans débat et sans respect de clause de conscience. On comprendrait que notre société n’avance que lentement sur ces choix, mais si des décisions sont prises, il faudra à l’avenir envisager dans quelles situations et comment : ▸ la société peut (et doit) ou non reconnaître à certains citoyens le droit de choisir leur mort ; ▸ l’implication du tiers médical serait envi­ sageable dans un choix qui n’est à ce jour pas reconnu comme étant d’ordre médical. Tout cela amène à des bouleversements concep­ tuels fondamentaux : le premier serait d’accepter que des personnes qui souhaitent se suicider voient désormais leur choix validé par la collec­ tivité, le second serait – en cas de geste actif accompli par un médecin – de faire sortir de la clandestinité et du secret ce mode de décès, avec une protocolisation et des procédures dont la rigueur devrait être exemplaire. Dans tous les cas, on conçoit que la décision ne se prenne pas dans l’urgence et que si, à l’avenir, des évolutions se faisaient jour, la notion d’ex­ ceptionnalité soit la règle, pour éviter toute banalisation. ■ 182 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVII - n° 5 - mai 2008 LK5-NEW + pub.indd 182 27/05/08 17:05:29