L’hôpital L'hôpital, clef de voûte de la santé publique, se trouvait au cœur du problème. Conçu pour guérir, il semait trop souvent la maladie et la mort en propageant les fléaux qu'il était censé combattre. En France, l'Hôpital Général accueillait les mendiants, les orphelins, les vagabonds, les prostituées et les voleurs à côté des malades et des fous. A nonchalant doctor dancing a jig amidst unhappy patients in a decrepit hospital ward. Coloured etching by Charles Williams, 1813 (Holland,London) L'Hôtel-Dieu de Paris était géré par des ordres L'Hôtelreligieux. Les équipes médicales n'y effectuaient que des visites occasionnelles. Le premier objectif des médecins réformistes fut donc d'assurer la médicalisation des hôpitaux. Mais la Révolution et l'Empire, hostiles à l'endoctrinement religieux dont l'hôpital semblait être le théâtre privilégié, bloquent les grands projets hospitaliers. IBERTI, Observations générales sur les hôpitaux, Londres, 1788 Les innovations surgissent ailleurs. L'hôpital le plus remarquable du Continent était l'Hôpital général de Vienne.. Vienne Après les aliénés, la compassion qui flottait dans l'air du temps se tourna vers les maladies vénériennes : au jugement religieux qui considérait ces maux comme un châtiment salutaire succéda le point de vue « éclairé ». L'hôpital fournissait les soins, la nourriture, le repos et la convalescence. Non seulement les hôpitaux assuraient la promotion des médecins et des chirurgiens qui acceptaient de soigner gratuitement, mais la gloire qui s'attachait à l'affectation à un hôpital se doublait de nombreux avantages de carrière : les jeunes praticiens y trouvaient l'occasion de prendre langue avec leurs directeurs, de rencontrer des mécènes et des patients cossus. L'essor de l'institution hospitalière favorise le développement de l'enseignement à l'hôpital. Les institutions mises en place par des nonnon-médecins contribuent largement à la prospérité et à la promotion de la profession médicale.. médicale Au début du XIXe s’achève dans les grands hôpitaux parisiens une époque millénaire où la médecine s’ s’exerçait dans les bibliothèques et au chevet des malades scrutés isolément. Cette médecine de l’l’individu individu,, dominées par des doctrines fortement systématisées, laissera la place à une médecine d’ d’hôpital hôpital,, à laquelle s’ s’associera ensuite une médecine de laboratoire. L’hôpital devient un véritable lieu de cure, une « machine à guérir ». La médicalisation de l’l’hôpital passe tout d’abord par une phase d’ d’impuissance thérapeutique : avant de devenir ce lieu privilégié des interventions curatives modernes, l’l’hôpital sert comme une espèce de « machine à étudier et à enseigner ». Tout se passe comme si les malades se trouvaient dans l’l’hôpital pour les médecins et non l’l’inverse. Les malades offrent leur corps à la société en échange de l’l’abri et des soins physiques élémentaires. «Une époque toute nouvelle pour la médecine vient de commencer en France […] ; l’analyse appliquée à l’ l’étude des phénomènes physiologiques, un goût éclairé pour les écrits de l’Antiquité, Antiquité, la réunion de la médecine et de la chirurgie, l’organisation des écoles cliniques ont opéré cette étonnante révolution, caractérisée par le progrès de l’l’anatomie pathologique» (Rayer, 1818). Les racines de la nouvelle médecine sont à la fois sociales, philosophiques et scientifiques. L’école de Paris Au début du siècle, le génie de Napoléon se fait sentir jusque dans le domaine médical. Il s’ s’entoure de praticiens de premier ordre en leur prodiguant de justes récompenses. Il encourage ainsi la naissance d’ d’une grande école, dont les fondements avaient été jetés par X. Bichat, trop tôt disparu. Bichat a exercé une forte influence sur le plus célèbre clinicien du premier Empire : J.J.-N. Corvisart, médecin personnel de Napoléon. Corvisart (Paris, 17551755-1821), déjà connu grâce à son Essai sur les maladies du cœur et des gros vaisseaux, vaisseaux, publie, deux ans plus tard, en 1808, sa traduction commentée de l'Inventum l'Inventum novum ex percussione thoracis humani (1761) de Leopold Auenbrügger (Vienne, 17221722-1809). La percussion parcourt le monde. Ces inventions inaugurent l’ l’ère de l’exploration sémiologique physique, physique, portée à son plus haut point par Laennec. LAENNEC René-Théophile-Hyacinte De l'auscultation médiate, ou traité du diagnostic des maladies des poumons et du cœur, Paris : J.-A. Brosson et J.-S. Chaudé, 1819 En 1816, Théophile R. M. H. Laennec (Paris, 17811781-1826) invente son «cylindre», qui deviendra le stéthoscope et dont il détaillera l ’usage dans son Traité de l'auscultation médiate (1819). Il a rénové la médecine moderne de trois façons : en inventant une technique d’examen permettant au médecin de recueillir sur le malade des signes objectifs et vérifiables ; en appliquant avec rigueur la méthode anatomoclinique pour confronter les signes observés chez le vivant et les lésions relevées sur le cadavre ; par une œuvre aux bases expérimentales solides. Avec la percussion et l’l’auscultation, on passe de l’l’observation « passive » à l’examen « actif » des malades. Un retour à l’ l’esprit de système ? C'est aussi l'époque de François J.V. Broussais (Paris, 17721772-1838), adversaire acharné de Laënnec et de sa méthode anatomoclinique. Il plaide pour une physiologie doctrinale (Catéchisme de la médecine physiologique, physiologique, 1824) en réduisant l’l’ensemble des manifestations morbides, même psychiques, à un commun processus élémentaire d’ d’irritation à point de départ gastrogastro-intestinal, et d d’’inflammation des organes solides (phlegmasie (phlegmasie). ). Ses théories aboutissent à la saignée générale. Broussais insiste sur l’l’identité fondamentale entre les processus physiologiques et pathologiques : la maladie ne se distingue pas qualitativement de la santé mais seulement quantitativement (principe de Broussais). Pendant la première moitié du XIXe , la France est à la tête du progrès médical, notamment dans le domaine de la clinique. Ses hôpitaux, facultés et laboratoires ont été le modèle de ceux d’ d’Europe et d’Amérique. En France, l’l’hôpital devient non seulement un lieu de soin, mais aussi un centre de recherches systématiques et d’enseignement actif. Joseph C.A. Récamier (Paris, 17741774-1852) propose le spéculum vaginal (1812). C’ C’est le début de l’endoscopie : un ensemble de techniques qui a considérablement élargi le champ d’ d’observation. L’endoscopie a donné accès à l’l’intérieur des conduits et des cavités, en empruntant d’abord les orifices naturels, puis en créant des «portes d’ d’entrée» temporaires au prix d’une minime incision des plans superficiels. En 1851, le physicien allemand Hermann L.F. van Helmholtz (Berlin, 18211821-1894) construit le premier ophtalmoscope. La médecine profite ainsi des découvertes et des inventions faites dans les autres domaines du savoir scientifique. L’invention de la lampe électrique (Edison, 1878) transforme l’l’endoscopie en une technique rigoureuse. François Magendie (Paris, 17831783-1855) Il proclame la nécessité d ’utiliser toutes les ressources des sciences en plein essor : physique et chimie (Leçons (Leçons sur le sang, sang, 1838). Ses premiers travaux portent sur la toxicologie expérimentale (action de la strychnine sur la moelle épinière). Il inaugure ainsi une méthode scientifique de recherche sur l’l’action des toxines dans l’organisme. François Magendie (Paris, 17831783-1855) « Erreurs » célèbres qui l ’ont fait tomber dans l’l’oubli : 1. mépris du microscope, 2. négation de la contagiosité du choléra, 3. ferme opposition à l’l’anesthésie générale. Claude Bernard La physiologie est dominée par Claude Bernard (1813 (1813--1878), qui occupe la chaire de médecine du Collège de France. Il décrit la fonction glycogénique du foie, la thermorégulation et les liquides de l'organisme. Son chef d’ d’œuvre demeure l'Introduction l'Introduction à la médecine expérimentale (1865). Léon Augustin Lhermitte 1844-1925 "La leçon de Claude Bernard" dans son laboratoire du Collège de France, exposé en 1889 Quelques instruments utilisés par C. Bernard pour ses recherches Un soufflet utilisé pour respiration artificielle des animaux pendant l'anesthésie Claude Bernard Il pose en principe que la connaissance médicale ne peut reposer que sur l’observation rationnelle des phénomènes spontanés ou provoqués. «La méthode expérimentale […] est un raisonnement à l’l’aide duquel nous soumettons méthodiquement nos idées à l’l’expérience des faits». Claude Bernard L ’expérimentation est pour lui « l’l’art d’ d’obtenir des expériences rigoureuses et bien déterminées, est la base pratique et en quelque sorte la partie exécutive de la méthode expérimentale appliquée à la médecine ». Claude Bernard Le chercheur idéal doit savoir abandonner une hypothèse ou une intuition sans retard et sans regret, si elle est contredite par l’l’expérience. Il n’ n’a pas prétendu établir des dogmes et figer la doctrine médicale selon sa seule conception. Claude Bernard Il s’ s’intéresse en premier lieu à la physiologie, voire à la biologie. Il insiste sur l’l’identité fondamentale entre les processus physiologiques et les processus pathologiques. Presque toutes ses expériences consistent dans la création artificielle d’ d’états morbides : c’est en abolissant, en exagérant ou en déviant les fonctions vitales que Cl. Bernard cherche à déterminer leurs caractéristiques « normales ». Le milieu intérieur (homéostasie) Claude Bernard forge la notion de milieu intérieur qui, élargie par Walter Cannon en celle d d’’homéostasie homéostasie,, exprime le pouvoir régulateur des organismes multicellulaires. Le défaut essentiel d’ d’un organisme malade ne réside pas nécessairement dans une de ses parties. Il peut concerner son pouvoir d’ d’intégration harmonieuse entre les parties et sa capacité d’ d’adaptation aux changements du milieu intérieur. Avec l’l’idée que la maladie est la perturbation de l’équilibre vital on revient, la fin du XIXe, à l’enseignement d’ d’Hippocrate. L’anesthésie La chirurgie était tombée en décadence pendant le Moyen Age jusqu’à la Renaissance. Elle était reléguée parmi les arts manuels et laissée aux barbiers-chirurgiens parce qu’indigne des médecins de profession. Pour progresser, elle avait à résoudre quatre problèmes principaux : la douleur, l’asepsie, l’hémorragie et le choc postopératoire. L’anesthésie poursuit un double but : éliminer la douleur et provoquer chez le patient un état de relaxation musculaire. Les chirurgiens du passé cherchaient à franchir l’obstacle de la douleur en intervenant le plus rapidement possible. C’est pour cette raison que Larrey, le prestigieux chirurgien de l’armée de Napoléon, fit, à la bataille de Moskova, plus de deux cent amputations en vingt-quatre heures. Anne-Louis, Girodet-Trioson, Portrait du Baron Dominique Jean Larrey (début XIXe) Charles-Louis Muller: Larrey opérant sur le champ de bataille, Paris, Académie Nationale de Médecine Le problème de la douleur n’est pas résolu par les chirurgiens mais par les chimistes. En 1800, le chimiste Humphry Davy fait connaître aux sociétés médicales anglaises les effets analgésiques et hilarants du PROTOXYDE D’AZOTE. On ne le prit pas au sérieux. Il avait lui-même inhalé du protoxyde d’azote pour calmer la douleur aiguë d’un abcès dentaire. Humphry Davy L’inhalation du gaz hilarant devient un spectacle de variété, avant d’être utilisé par les dentistes dans l’extraction de dents. Le premier médecin se servant des propriétés narcotiques du protoxyde d’azote dans une opération chirurgicale fut Crawford Williamson Long. Il fut le premier à utiliser l’éther, en 1842. Long ne divulgue pas les résultats obtenus avec l’éther, beaucoup plus efficace que le protoxyde d’azote. Avant de le faire, il voulait répéter l’expérience plusieurs fois pour être certain que l’insensibilité à la douleur était bien due au gaz et non à la suggestion ou à l’insensibilité naturelle du patient. L’usage de l’éther comme anesthétique se répand dans les salle opératoires américaines et européennes en 1846. Le gynécologue écossais J.Y. Simpson n’est pourtant pas satisfait de son action. L’éther provoque souvent des troubles dans les bronches. Il préfère le chloroforme. L’application de l’anesthésie dans le domaine gynécologique suscite ainsi de vives querelles. La Genèse affirme : « Tu enfanteras dans la douleur », disent les prêtres calvinistes indignés. Simpson rappelle qu’avant d’enlever la côte d’Adam pour créer la femme, Dieu plonge le premier homme dans un profond sommeil. Le Dieu de la Genèse est donc un habile anesthésiste ! Des médecins de Philadelphie lui écrivent pour dire que la douleur de l’enfantement est naturelle, donc nécessaire. Simpson leur conseille de ne pas utiliser le chemin de fer pour se rendre à New York. Soyez cohérents, ajoutet-il, choisissez le moyen de transport que la nature nous a donné : les pieds ! Simpson finit par avoir raison de ses contradicteurs. Mais ce fut moins en vertu de ses dons de dialecticiens que par la décision de la reine Victoria de se faire administrer l’anesthésique pour accoucher du prince Léopold, son septième fils, en 1852, que l’anesthésie devient à la mode. A côté des effets bienfaisants, elle présentait néanmoins des côtés négatifs. L’éther irrite les voies respiratoires. Le chloroforme est dangereux pour le foie et le muscle cardiaque (collapsus). Après 1945, deux autres substances ont été introduites en anesthésie : le CURARE et ses dérivés. Ils produisent une relaxation musculaire totale. Depuis des temps immémoriaux, les Indiens d’ d’Amérique du Sud empoisonnaient leurs flèches avec le curare. Ainsi, la proie blessée, mais non tuée, ne peut plus s’enfuir, car ses muscles sont paralysés par le poison. En effet, le curare interdit le reflexe sensorisensori-moteur en bloquant les terminaisons nerveuses. La radiologie Le 28 décembre 1895, Wilhelm Conrad Roentgen, professeur de physique à l’Université de Würzburg, dépose à la Société de physique médicale un mémoire dans lequel il décrit les propriétés physiques de rayons jusque alors inconnus et, pour cette raison, désignés par la lettre X. Le même jour, par un coïncidence extraordinaire, à Paris, le public peut contempler pour la première fois des images animées projetées sur un écran: il s’agit du « cinématographe » des frères Lumière. Les deux technologies s’allieront à plusieurs reprises au cours de leur évolution. Un autre phénomène annonce le XXe siècle : la vitesse avec laquelle le monde entier apprend la découverte des rayons X grâce au télégraphe et à la grande presse. Dès janvier 1896, dans tous les pays industrialisés on s’efforce de reproduire l’expérience. Le matériel nécessaire existe dans la plupart des laboratoires de physique. Le grand public adopte cette lumière invisible comme un jouet (cirques, salons, cafés, etc.) Matériel utilisé par W.C Rœntgen au moment de sa découverte : En haut , bobine d'induction et tube de Lenard ; En bas, tubes de Hittorf et Crookes. La première « radiographie » : main de Berta RŒNTGEN L’enthousiasme des zoologistes est immense : ils peuvent voir à l’intérieur des petits animaux sans les disséquer. Douaniers et policiers utilisent presque immédiatement les rayons X pour déceler des armes ou des objets passés en fraude. Dès la fin janvier 1896, des images radiologiques de pathologies osseuses circulent à l’Académie de médecine. Le corps humain devenu partiellement transparent sous l’action des rayons X, cette nouveauté offre un moyen d’exploration inédit qui enrichit le diagnostic médical. Dans l’année qui suit la découverte, l’usage des rayons X exige encore habileté et patience: il faut poser 15 minute pour un genou et 50 minutes pour un abdomen. Comme le témoignent plus de mille publications parues sur ce sujet en 1896, physiciens et ingénieurs, médecins ou simples amateurs se passionnent pour cette technologie balbutiante et ses applications. Ils la perfectionnent progressivement. Le 1er mars 1896, Henri Becquerel découvre la radioactivité naturelle. L’enchaînement des découvertes se poursuit avec deux autres savants: Pierre et Marie Curie. Quant au radiodiagnostic, les hésitations de ceux qui niaient son utilité sont balayées par le conflit mondial qui éclate en 1914. Des équipes radiochirurgicales mobiles opèrent jour et nuit à proximité des zones de combat. Leur rôle capital pendant la guerre est tel que, la paix revenue, les chirurgiens ne peuvent plus se passer du service des radiologistes. Mais la conquête d’une certaine transparence du corps humain ne s’est pas accomplie sans dommages. L’action biologique de ces radiations, ignorées au départ, s’est traduite par des lésions importantes chez certains pionniers. C’est pourquoi, beaucoup plus tard, quelques médecins aidés par des physiciens vont s’efforcer de protéger au mieux le malade, le radiologiste et ses aides, ainsi que les techniciens de l’industrie. Rendre visible l’intérieur du corps humain sans l’ouvrir, faire une sorte d’autopsie sans dissection, ce rêve des médecins d’autrefois devient réalité. Jean-Martin Charcot (1825 Jean(1825--1893), fondateur de l’l’école française de la Salpêtrière, décrit la sclérose latérale amyotrophique et, avec Vulpian, la sclérose en plaques. Outre la physiopathologie de la moelle épinière, son activité scientifique s’ s’étend à l’étude des maladies nerveuses dépourvues de toute cause apparente telles que l’l’hystérie et les névroses cérébrales sensibles à la suggestion.