CAS CLINIQUE
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La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 3 - mai-juin 2006
L
e traitement du cancer du sein métastatique repose
essentiellement sur la chimiothérapie, l’hormonothé-
rapie, le trastuzumab pour les tumeurs surexprimant
HER2 et la radiothérapie. L’exérèse chirurgicale de métastases
pulmonaires à visée curative n’apparaît ni comme une option ni
comme une recommandation. Celle-ci semble néanmoins pou-
voir apporter un bénéfice chez des patientes très sélectionnées,
comme le montre l’observation de deux patientes ayant été opé-
rées d’une métastase pulmonaire unique et en rémission clinique,
biologique et radiologique, 14 et 15 ans plus tard.
OBSERVATIONS
Premier cas
Madame M.C., âgée de 56 ans, consulte en juillet 1985 pour une
tumeur du quadrant supéro-externe du sein gauche mesurant 4,5 x
4 cm, associée à un ganglion axillaire centrimétrique dur. La
tumeur est classée T2a N1b. L’examen anatomopathologique du
forage biopsique conclut à un adénocarcinome galactophorique
polymorphe infiltrant de grade histo-pronostique SBR II. La cyto-
ponction au niveau du ganglion axillaire gauche n’a pas retrouvé
de cellule maligne. Le bilan d’extension (radiographie du thorax
et échographie abdominale) est négatif. Le traitement débute par
une radiothérapie néoadjuvante délivrée sur l’ensemble du sein
gauche et sur l’aire ganglionnaire axillaire gauche, l’aire sus-cla-
viculaire gauche et l’aire mammaire interne, suivie d’une tumo-
rectomie large associée à un évidement ganglionnaire. Sur la
pièce opératoire persistent des lésions d’adénocarcinome galac-
tophorique infiltrant polymorphe, partiellement colloïdo-
muqueux, avec une importante extension tumorale intracana-
laire. Un ganglion sur les dix-sept du curage axillaire est le siège
d’une volumineuse métastase de l’adénocarcinome avec effrac-
tion capsulaire. Étant donné l’envahissement de la recoupe et la
persistance de lésions tumorales actives, une mammectomie est
réalisée le 7 janvier 1986. Six cycles de chimiothérapie adjuvante
associant doxorubicine, cyclophosphamide et 5-fluorouracile sont
réalisés entre janvier et juillet 1986.
En février 1992, une radiographie du thorax réalisée à titre sys-
tématique dans le cadre de la surveillance note l’apparition d’une
opacité parenchymateuse pulmonaire lobaire inférieure droite.
Cette opacité mesure environ 1 cm de diamètre sur le scanner tho-
racique et est unique. La fibroscopie bronchique ne retrouve pas
d’anomalie endobronchique. L’échographie abdominale, la mam-
mographie du sein droit et la scintigraphie osseuse sont normales.
Une lobectomie inférieure droite est réalisée le 7 mai 1992. L’exa-
men anatomopathologique conclut à une métastase pulmonaire
unique, ganglionnaire et pédiculaire de l’adénocarcinome mam-
maire. Malgré l’absence de résultats des récepteurs hormonaux,
mais compte tenu de l’intervalle libre de 7 ans, une hormono-
thérapie par tamoxifène est instituée à partir de décembre 1997.
En mai 1999, un bilan de douleurs lombaires va conduire au dia-
gnostic de métastases osseuses au niveau de L2. Une irradiation
du rachis lombaire de D12 à L4, 21 Gy en 7 fractions, est réali-
sée. L’hormonothérapie est alors modifiée : le tamoxifène est
remplacé par l’anastrozole en association avec du clodronate.
À la dernière consultation de surveillance du 13 février 2006, la
patiente ne présente aucun argument clinique, biologique et radio-
logique (radiographie standard du thorax) de reprise évolutive
tumorale.
Deuxième cas
Madame H.G., âgée de 47 ans, est opérée en août 1985 par tumo-
rectomie au niveau du quadrant supéro-externe du sein gauche
et curage ganglionnaire axillaire gauche pour un carcinome cana-
laire infiltrant pT2 N0 (14N-) M0 SBR II, RP+ RO-. Elle ne reçoit
pas de traitement adjuvant. En juillet 1987, une mastectomie
gauche est réalisée pour une récidive locale. En mai 1988, la
patiente présente une métastase ganglionnaire sus-claviculaire
gauche. Huit cycles d’une chimiothérapie associant doxorubicine,
cyclophosphamide et 5-fluorouracile sont réalisés entre juin 1988
et février 1989. Une radiothérapie sur la paroi thoracique et sur
les aires ganglionnaires sus-claviculaire gauche, axillaire gauche
et mammaire interne est délivrée entre mars et mai 1989, asso-
ciée à une chimiothérapie de type CMF concomitante, poursui-
vie jusqu’en mars 1990. En octobre 1990, une radiographie du
thorax réalisée dans le cadre de la surveillance met en évidence
une opacité pulmonaire périphérique unique, axillaire droite,
confirmée par un scanner thoracique. Une lobectomie supérieure
droite pour cette métastase pulmonaire unique du cancer du sein
Survies à long terme plus de dix ans après exérèse
chirurgicale d’une métastase pulmonaire de cancer du sein
C. Daniel*, A. Livartowski*, A. Chapelier**, P. Beuzeboc*
* Département d’oncologie médicale, Institut Curie, Paris.
** Service de chirurgie thoracique, hôpital Foch, Suresnes.
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est effectuée en novembre 1990. Une hormonothérapie de type
tamoxifène est ensuite débutée. En janvier 2000, le tamoxifène
est remplacé par de l’anastrozole.
La dernière consultation de surveillance remonte au 31 janvier
2006. La patiente ne présente aucun argument clinique, biolo-
gique et radiologique (radiographie standard du thorax) de reprise
évolutive tumorale.
DISCUSSION
En dépit des progrès réalisés depuis quelques années, le cancer du
sein au stade métastatique reste une maladie incurable, avec une
médiane de survie aux alentours de 24 mois. Le traitement repose
essentiellement sur la chimiothérapie, le ciblage d’HER2 par le tras-
tuzumab, l’hormonothérapie et la radiothérapie. Parmi les points
marquants des avancées intervenues ces dernières années – l’aug-
mentation des taux de réponses objectives, la durée moyenne de
maintien de la réponse, l’amélioration globale de la qualité de vie
et une prolongation de la durée de survie avec les chimiothérapies
de première ligne et de seconde ligne (voire de troisième ligne) –,
les progrès apportés par les antiaromatases et les traitements ciblés
ont permis une amélioration de la survie globale, avec de plus en
plus de patientes survivant à long terme. Mais ces avancées ne sont
que les éléments d’un meilleur contrôle palliatif, puisque les
rechutes sont inéluctables, plus sévères, plus étendues et de moins
en moins sensibles aux différents traitements proposés.
Le cancer du sein métastatique étant une maladie systémique, il
n’y a pas de place consensuelle pour des métastasectomies à
visée curative, même si l’exérèse de métastases isolées (céré-
brales, hépatiques ou pulmonaires) peut se discuter et a fait l’objet
de plusieurs publications. La chirurgie à visée palliative est régu-
lièrement indiquée en cas de métastases osseuses présentant un
risque fracturaire ou compressif et de métastases cérébrales symp-
tomatiques.
Les métastases pulmonaires isolées synchrones ou métachrones
du diagnostic du cancer du sein sont rares. J.J. Casey et al. en ont
estimé l’incidence aux alentours de 3 % (1). Les métastases pul-
monaires isolées lors de la présentation initiale sont estimées à
moins de 5 % sur le registre des cancers du sein métastatiques de
l’Institut Curie. Elles sont le plus souvent multiples et diffuses
dans les deux champs pulmonaires.
Selon les recommandations actuelles de surveillance d’une
patiente traitée pour un cancer du sein, la radiographie du thorax
n’est pas systématique. Les modalités de la surveillance sont
déterminées en fonction du risque de récidive locale et/ou méta-
statique à partir des critères pronostiques initiaux. Après un trai-
tement conservateur pour un carcinome infiltrant du sein, les
métastases surviennent le plus souvent dans les cinq premières
années. L’essentiel de la surveillance, de façon consensuelle,
repose sur un examen clinique et des mammographies réguliers.
La place de la résection chirurgicale des métastases pulmonaires
de cancer du sein est controversée. Toutefois, quelques publica-
tions signalent, sur des populations de malades sélectionnées,
l’intérêt des stratégies combinées associant le traitement local
d’une métastase unique par chirurgie et/ou irradiation au traite-
ment médical.
Notre équipe a déjà rapporté les résultats d’une série de
40 patientes ayant bénéficié de l’exérèse chirurgicale de méta-
stases pulmonaires d’un cancer du sein (2). La survie globale à
5 ans était de 54 ± 8 % et la survie sans récidive de 30 ± 8 %. La
médiane de survie était de 70 mois à partir du diagnostic de méta-
stase ; elle était nettement supérieure à la médiane de survie de
22 mois observée chez les 57 autres patientes porteuses de méta-
stases pulmonaires isolées, traitées, durant la même période et
dans le même centre, uniquement par chimio-hormonothérapie.
Certes, ces deux populations de patientes n’étaient pas compa-
rables, avec, dans la série chirurgicale, une sélection de patientes
présentant des tumeurs d’évolution lente et sensibles aux traite-
ments médicaux, comme en témoignent le délai moyen de
58 mois entre le cancer du sein et la survenue de la ou des méta-
stases et le délai de 10,5 mois entre le diagnostic de la maladie
métastatique et l’acte chirurgical.
E.D. Staren et al. (3) ont comparé les résultats d’une série de
33 patientes ayant bénéficié de l’exérèse chirurgicale de méta-
stases pulmonaires d’un cancer du sein, dans le département de
chirurgie du Rush-Presbyterian-St. Luke’s Medical Center de
Chicago, avec ceux d’une série de 30 patientes porteuses de méta-
stases pulmonaires traitées médicalement par chimiothérapie
et/ou hormonothérapie. La médiane de survie dans le groupe
traité chirurgicalement était significativement supérieure à celle
observée dans le groupe traité médicalement : 55 mois versus
33 mois, de même que le taux de survie globale à 5 ans après la
récidive pulmonaire (36 % versus 11 %).
Dans la série de 37 patientes opérées au MD Anderson Cancer
Center de Houston entre 1981 et 1991, L.A. Lanza et al. (4) ont
rapporté une médiane de survie après thoracotomie de 47 ±
5,5 mois et une survie actuarielle à 5 ans de 49,5 %. À la Mayo
Clinic, dans une série publiée par M.L. McDonald (5) de
40 patientes recrutées également sur 10 ans, entre 1982 et 1992,
la survie globale à 5 ans était de 37,8 %.
Plus récemment, G. Friedel et al. ont rapporté les résultats de
l’exérèse chirurgicale des métastases pulmonaires de cancers
du sein chez 467 patientes (6). Il s’agit de la plus grande série
publiée à ce jour. Une exérèse chirurgicale complète a été réa-
lisable dans 84 % des cas. Les taux de survie à 5 ans, 10 ans
et 15 ans étaient respectivement de 38 %, 22 % et 20 %. Dans
cette étude, le principal paramètre pronostique était un inter-
valle libre supérieur ou égal à 36 mois entre le diagnostic ini-
tial et l’apparition de la maladie métastatique, avec des taux
de survie à 5 ans, 10 ans et 15 ans respectivement de 45 %,
26 % et 21 %, et une survie médiane de 50 mois (p = 0,0001).
Il n’a pas été retrouvé de différence significative en termes de
taux de survie à 5 ans, 10 ans et 15 ans entre les patientes
ayant subi la résection chirurgicale d’une métastase pulmo-
naire unique et celles ayant été opérées de métastases pulmo-
naires multiples. Par ailleurs, le type de résection chirurgicale
(wedge resection, segmentectomie, lobectomie ou pneumo-
nectomie) ne s’accompagnait d’aucune différence significa-
tive en termes de survie.
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Dans les autres séries publiées antérieurement, l’intervalle libre
entre le cancer du sein et l’apparition de la maladie métastatique
a été retrouvé comme paramètre pronostique ; il y varie entre 12
et 48 mois.
Les résultats de ces différentes études (4, 7-10) suggèrent que la
résection chirurgicale de métastases pulmonaires isolées de can-
cers du sein dans une population sélectionnée s’accompagne d’un
bénéfice en termes de survie par rapport au traitement médical seul.
En cas de nodule pulmonaire unique isolé, notre attitude, parta-
gée par de nombreuses équipes, est de proposer une chirurgie pre-
mière de type radical, compte tenu des difficultés diagnostiques
qui se posent avec un carcinome broncho-pulmonaire primitif.
Cette éventualité n’est pas rare. Les patientes traitées en situation
adjuvante par radiothérapie pour un cancer du sein ont un risque
deux à trois fois plus élevé de développer un cancer primitif du
poumon homolatéral au sein traité. Ce risque est évidemment
majoré chez les fumeuses (11). Dans la série chirurgicale anté-
rieurement rapportée par notre équipe, l’exérèse chirurgicale d’un
nodule pulmonaire isolé a conduit dans 25 % des cas au diagnos-
tic de carcinome bronchique primitif (2). Dans la série de G. Frie-
del et al., 12 % (12/103) des patientes opérées pour une suspicion
de métastases pulmonaires avaient en fait soit une tumeur bénigne
du poumon, soit un cancer primitif du poumon (6).
En cas de nodules multiples, nous restons fidèles à notre straté-
gie de traitement médical premier pour évaluer la réponse au
traitement afin de sélectionner au décours du traitement d’induc-
tion les patientes pouvant éventuellement bénéficier d’une résec-
tion chirurgicale de lésions résiduelles. Il est important de dis-
cuter de ces dossiers en réunion de concertation pluridisciplinaire
médico-chirurgicale pour ne pas faire perdre de chance de sur-
vie prolongée à ces quelques patientes, d’autant que des progrès
futurs dans les traitements ciblés peuvent encore laisser espérer
une amélioration de la survie.
R
ÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Classification BIRADS de l’ACR - Sénologie interventionnelle
14 et 15 décembre 2006 - Espace Saint-Martin, 75003 Paris
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