16 La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. I - n° 5 - décembre 2005
>Actualités
thérapeutiques
L’
état de stress post-traumatique
(ESPT) est défini par le DSM-IV
comme un trouble anxieux carac-
térisé par la reviviscence de l’événe-
ment traumatisant associée à un effort
d’évitement des stimuli et des situa-
tions rappelant ou symbolisant les cir-
constances du traumatisme initial. Une
activation neurovégétative (hypervigi-
lance, réaction de sursaut exagérée,
troubles du sommeil, etc.) y est fré-
quemment associée. Ces perturbations
sont à l’origine de souffrances clinique-
ment significatives et d’altération du
fonctionnement social, professionnel ou
dans d’autres domaines importants. Non
traitée, la pathologie peut évoluer favo-
rablement ou se chroniciser, avec des
séquelles qui peuvent persister pendant
des dizaines d’années, voire même
toute une vie.
La recherche de ce trouble est fréquem-
ment négligée pour des événements
dont la nature traumatique n’est d’ordi-
naire guère prise en compte. Selon des
études anglo-saxonnes réalisées en
population générale, la prévalence
sur la vie entière d’être confronté à un
événement traumatisant au cours d’une
vie varierait entre 39 % et 90 %. La
majorité des victimes ont une capacité
à faire face sans développer de patho-
logie. Aux États-Unis, sa prévalence
actuelle est estimée entre 8 et 12 %
plaçant ainsi l’ESPT parmi les désordres
psychiatriques les plus fréquents, der-
rière les addictions et la dépression.
Une étude épidémiologique européenne
(1, 2) récente a retrouvé une préva-
lence d’environ 1 % sur 12 mois et de
1,9 % sur la vie entière. Toujours selon
cette étude, il existerait des données
précises sur la comorbidité entre l’épi-
sode dépressif majeur, ou les autres
troubles anxieux, et un épisode de
stress post-traumatique.
En France, cette pathologie n’a pas été
évaluée et les données chiffrées sont
rares. L’enquête Prométhée a cherché à
identifier les facteurs associés au risque
de développer un ESPT dans une popu-
lation de patients exposés à un événe-
ment traumatogène.
Méthodologie
Il s’agit d’une enquête naturalistique,
rétrospective et transversale sans modi-
fication de la relation médecin/malade.
Les médecins généralistes ou les psy-
chiatres libéraux participants devaient
sélectionner des patients traités par
antidépresseurs et/ou anxiolytiques, en
ambulatoire.
L’objectif principal a été d’identifier les
facteurs associés au risque de dévelop-
per un ESPT après exposition à un évé-
nement traumatisant, au sein de deux
populations : l’une ayant développé un
ESPT et en souffrant actuellement,
l’autre n’en souffrant pas.
Les objectifs secondaires visant à éva-
luer ces deux populations étaient :
l’impact symptomatique et fonction-
nel de l’événement ;
>
PROMÉTHÉE : enquête nationale
auprès de 19 395 patients évaluant
les facteurs associés au risque
de développer un état de stress
post-traumatique après exposition
à un événement traumatisant
J. Audet (Angoulême), J.F. Chiariny (Montpellier), R. Hazen (Paris), J.F. Katz (Saint-Brieuc),
J.A. Meynard (La Rochelle), H. Sontag (Strasbourg), M. Mueser (CHIESI SA), F. Mistretta (RCTs (entreprise d’organi-
sation et de gestion d’essais cliniques et d’enquêtes épidémiologiques))
>
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La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. I - n° 5 - décembre 2005
les modalités de prise en charge
immédiate et à moyen terme de l’évé-
nement traumatisant ;
les recours aux soins ;
le profil des patients suivis en méde-
cine générale comparé au profil de ceux
suivis par les psychiatres.
Une liste issue de la première partie de
la Clinician Administered PTSD Scale for
DSM IV (CAPS-1) a été fournie aux
médecins et aux patients.
L’échelle PCL-S a été “enrichie” d’une
évaluation à cinq niveaux de sévérité
des symptômes.
La présence ou non d’un ESPT a été
définie comme la présence d’un score
supérieur ou égal à 44 à l’échelle PCL-
S. Sachant qu’un certain nombre de
patients, bien qu’ayant un score élevé à
la PCL-S, pouvaient ne pas répondre aux
critères standards d’ESPT (DSM-IV ou
ICD-1O). Une autre définition y a été
associée (tableau I).
Résultats
Mille quatre cent soixante-quatorze
médecins généralistes et 462 psy-
chiatres ont participé à cette enquête.
À partir d’un registre répertoriant
19 395 patients traités par antidépres-
seurs et/ou anxiolytiques, 6 174 patients
(32 %) ont été traumatisés et 5 465
ont été inclus dans l’enquête. Quatre
mille huit cent soixante-dix-sept ques-
tionnaires patients complets ont été
analysés.
Les patients observés par les psy-
chiatres étaient plus jeunes. Ils ont
vécu le traumatisme à un âge plus
jeune, ont rapporté des événements
plus anciens et présentaient plus d’an-
técédents psychiatriques familiaux et
personnels que ceux suivis en médecine
générale. Près de 80 % des patients
rapportaient un événement traumati-
sant remontant à moins de cinq ans.
Cette enquête révèle, en premier lieu,
que le traumatisme du patient était
ignoré du praticien dans 20 % des cas,
ce qui implique la nécessité d’une
recherche systématique d’événement
traumatisant chez tout patient présen-
tant un trouble anxieux et/ou dépressif
évoluant au long cours.
Soixante-quatorze pour cent des sujets
ayant rapporté un traumatisme et trai-
tés actuellement par antidépresseurs
et/ou anxiolytiques ont présenté un
ESPT selon les critères retenus (PCL-
S44 avec un score moyen = 58). Si on
utilise la définition répondant aux cri-
tères DSM-IV de l’état post-traumatique
(tableau I), 58 % des patients présen-
tent un ESPT complet et 20 % souffrent
d’ESPT subsyndromique (tableau II).
Deux commentaires s’imposent :
une confusion peut exister entre les
critères diagnostiques, qui rassemblent
des syndromes pour réaliser un dia-
gnostic homogène, et une échelle
d’évaluation, qui mesure l’intensité
pathologique. L’état de stress post-trau-
matique repose sur la présence d’une
triade symptomatique et non sur un
score d’intensité à une échelle d’éva-
luation ;
la distinction “événement de vie” et
“traumatisme”. Initialement, la défini-
tion du traumatisme à l’origine de
l’ESPT impliquait une prise de
conscience, réelle ou fantasmatique,
Tableau I. Diagnostic de l’ESPT selon le DSM-IV.
ESPT complet
ESPT subsyndromique
Critère B = au moins 1 item (en fréquence Critère B = au moins 1 item (en fréquence
et sévérité) parmi les items
1 à 5 coté > 2
et sévérité) parmi les items
1 à 5 coté > 2
et et
Critère C = au moins 3 items (en fréquence à qui manquerait 1 item pour le critère C
et sévérité) parmi les
items 6 à 12 cotés > 2 ou pour le critère D
et
Critère D = au moins 2 items
(en fréquence
et
et sévérité)
parmi les items 13 à 17 cotés > 2 Score total PCL-S > 44
Définition de l’ESPT Spécialité
MG Psy Total
n (%) IC à 95 % n (%) IC à 95 % n (%) IC à 95 %
ESPT complet
2 025 (55,33) (53,72-56,94) 791 (65) (62,31-67,68) 2 816 (57,74)
(56,35-59,13)
ESPT subsyndromique
763 (20,85) (19,53-22,16) 229 (18,82) (16,62-21,01) 992 (20,34) (19,21-21,47)
Absence d’ESPT 872 (23,83) (22,44-25,21) 197 (16,19) (14,12-18,26) 1 069 (21,92) (20,76-23,08)
Total 3 660 (100) 1 217 (100) 4 877 (100)
Tableau IV. Distribution des diagnostics d’ESPT complet et d’ESPT subsyndromique selon la définition du DSM-IV.
18 La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. I - n° 5 - décembre 2005
>Actualités
thérapeutiques
d’une mort imminente. Les principaux
traumatismes rapportés (accident de
transport, agression physique, agres-
sion sexuelle) correspondent à cette
définition. En revanche, le premier en
fréquence (la mort soudaine et inat-
tendue d’un proche) et le cinquième
(souffrance humaine majeure) s’appa-
rentent plus à des événements de vie,
particulièrement difficiles, pouvant
provoquer des réactions anxieuses ou
dépressives. Dans ces cas, la notion de
mise en danger de l’intégrité physique
et psychique n’apparaît pas au premier
plan.
En matière de facteurs de risque :
l’âge (jeune) de survenue du trauma-
tisme, les antécédents psychiatriques et
familiaux, le nombre d’événements et le
caractère sexuel constituent les princi-
paux éléments à prendre en compte. En
outre, quel que soit le traumatisme, les
femmes ont plus de risque de dévelop-
per un ESPT sauf dans le cas d’une
agression sexuelle.
Sur le plan symptomatique et fonc-
tionnel, 80 % des patients souffrant
d’ESPT se sentent perturbés par les sou-
venirs du traumatisme, 70 % présentent
des troubles du sommeil, 65 % sont
bouleversés par des rappels de l’épisode
et 60 % ont une perte d’intérêt et de
plaisir. En dehors des symptômes de la
triade diagnostique, ces patients pré-
sentent également plus fréquemment
des plaintes fonctionnelles témoignant
de leur souffrance psychologique :
algies, troubles sexuels, troubles de
l’appétit, fatigue importante, difficultés
de concentration et addictions. Ces
plaintes concernent près de 60 % des
patients vus par les psychiatres et 53 %
des patients vus par les médecins géné-
ralistes.
La prise en charge immédiate du
traumatisme repose principalement sur
le traitement médicamenteux (61 %
des cas) et accessoirement psychothé-
rapique (30 % des cas). Moins de la
moitié des patients suivis par les psy-
chiatres ont fait l’objet d’une prise en
charge du type d’un soutien psycholo-
gique (26 %) ou d’un traitement médi-
camenteux dans les 24 heures qui sui-
vent le traumatisme (44 %), contre
respectivement 33 % et 66 % des
patients observés en médecine géné-
rale.
Un an après le traumatisme, plus de
50 % des patients n’ont pas éprouvé le
besoin de consulter un médecin, qu’il
s’agisse d’un généraliste ou d’un psy-
chiatre. Pour les autres, la prise en
charge des conséquences du trauma-
tisme reste essentiellement pharmaco-
logique. Il y a davantage d’arrêts de
travail en cas d’ESPT, et ils sont d’une
durée plus longue lorsqu’ils sont pro-
noncés par un psychiatre. Plus d’hospi-
talisations ont été également consta-
tées chez les patients souffrant d’ESPT
consultant un psychiatre. Sur un plan
juridique, 24 % des victimes ont porté
plainte. Parmi elles, plus de 85 % n’ont
pas bénéficié de décision de justice !
Les types principaux d’événements
concernés sont les agressions phy-
siques, les accidents de transport, les
agressions à main armée, les agressions
sexuelles. L’existence ou non d’une
réparation juridique n’a pas eu d’in-
fluence sur la sévérité de l’ESPT chez
ceux qui en souffraient encore au
moment de l’enquête.
Sur un plan thérapeutique, 84,4 % des
patients souffrant d’ESPT étaient traités
par antidépresseurs et 54,6 % par
anxiolytiques. Les motifs des prescrip-
tions étaient rarement l’ESPT.
Plus de 80 % des patients souffrant
actuellement d’ESPT et traités par anti-
dépresseurs le sont par inhibiteurs de la
recapture de la sérotonine. Dans 75 %
des cas, le motif de prescription est une
dépression (64 % d’épisodes dépressifs
majeurs et 11 % d’épisodes dépressifs
réactionnels).
Concernant les prises en charge non
médicamenteuses des patients souf-
frant d’ESPT, si la psychothérapie s’im-
pose pour plus d’un tiers (42 %) des
patients – respectivement 85 % et 25 %
pour ceux suivis par les psychiatres et
les médecins généralistes–, il est sur-
prenant de remarquer le recours à la
kinésithérapie dans près de 20 % des
cas. Elle est prescrite à 28 % de
patients souffrant d’ESPT consultant
chez les psychiatres et 17 % de ceux
vus par les médecins généralistes ; ces
taux recouvrent probablement des tech-
niques de relaxation à médiation cor-
porelle.
Conclusion
La faible proportion de données inex-
ploitables (10,7 %) souligne l’apport
significatif de cette enquête dans la
connaissance de la clinique de l’ESPT et
des modalités de sa prise en charge en
France. Les patients suivis par les psy-
chiatres sont plus jeunes et présentent
plus d’antécédents psychiatriques. Ce
constat s’explique par le fait que seuls
les patients les plus gravement atteints
sont adressés au spécialiste.
Motifs de prescription Antidépresseurs (AD) Anxiolytiques (AX) AD + AX
MG Psy MG Psy MG Psy
État dépressif (%) 69,8 75,8 12,2 14,9 77,5 71,3
Traitement anxieux (%) 6,8 4,0 55,4 73,1 6,9 7,0
ESPT (%) 0,5 6,1 0,7 0 1,0 10,5
Autres (%) 22,9 14,2 31,7 11,9 14,7 11,3
Tableau III. Motifs de prescription.
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La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. I - n° 5 - décembre 2005
La non-connaissance du traumatisme par
le médecin doit nous inciter à rechercher
davantage d’informations et être vigi-
lant sur la relation médecin-malade.
Les facteurs de risque classiques sont
retrouvés tels que le sexe féminin, les
antécédents psychiatriques, le type et
le nombre des traumatismes. Les
conséquences de la pathologie, notam-
ment l’augmentation de la consomma-
tion de soins (consultations, prises de
traitement, arrêts de travail, hospitali-
sations), sont soulignées par les résul-
tats de l’enquête PROMÉTHÉE.
Sur un plan thérapeutique, le recours
aux antidépresseurs est la règle. Ces
médicaments sont le plus souvent
associés à une prise en charge psycho-
thérapique, lorsqu’ils sont prescrits par
les psychiatres.
Cette enquête française est importante
à considérer, compte tenu de l’effectif
conséquent de la cohorte interrogée. Les
résultats révèlent une sous-estimation
des conséquences de l’événement trau-
matique et l’existence d’un état dépres-
sif comorbide souvent méconnu. La sen-
sibilisation des médecins à la dimension
psychodynamique des troubles de l’hu-
meur est donc nécessaire.
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Pour en savoir plus...
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