> Actualités thérapeutiques > PROMÉTHÉE : enquête nationale auprès de 19 395 patients évaluant les facteurs associés au risque de développer un état de stress post-traumatique après exposition à un événement traumatisant J. Audet (Angoulême), J.F. Chiariny (Montpellier), R. Hazen (Paris), J.F. Katz (Saint-Brieuc), J.A. Meynard (La Rochelle), H. Sontag (Strasbourg), M. Mueser (CHIESI SA), F. Mistretta (RCTs (entreprise d’organisation et de gestion d’essais cliniques et d’enquêtes épidémiologiques)) > L’ état de stress post-traumatique (ESPT) est défini par le DSM-IV comme un trouble anxieux caractérisé par la reviviscence de l’événement traumatisant associée à un effort d’évitement des stimuli et des situations rappelant ou symbolisant les circonstances du traumatisme initial. Une activation neurovégétative (hypervigilance, réaction de sursaut exagérée, troubles du sommeil, etc.) y est fréquemment associée. Ces perturbations sont à l’origine de souffrances cliniquement significatives et d’altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants. Non traitée, la pathologie peut évoluer favorablement ou se chroniciser, avec des séquelles qui peuvent persister pendant des dizaines d’années, voire même toute une vie. La recherche de ce trouble est fréquemment négligée pour des événements dont la nature traumatique n’est d’ordinaire guère prise en compte. Selon des 16 études anglo-saxonnes réalisées en population générale, la prévalence sur la vie entière d’être confronté à un événement traumatisant au cours d’une vie varierait entre 39 % et 90 %. La majorité des victimes ont une capacité à faire face sans développer de pathologie. Aux États-Unis, sa prévalence actuelle est estimée entre 8 et 12 % plaçant ainsi l’ESPT parmi les désordres psychiatriques les plus fréquents, derrière les addictions et la dépression. Une étude épidémiologique européenne (1, 2) récente a retrouvé une prévalence d’environ 1 % sur 12 mois et de 1,9 % sur la vie entière. Toujours selon cette étude, il existerait des données précises sur la comorbidité entre l’épisode dépressif majeur, ou les autres troubles anxieux, et un épisode de stress post-traumatique. En France, cette pathologie n’a pas été évaluée et les données chiffrées sont rares. L’enquête Prométhée a cherché à identifier les facteurs associés au risque La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. I - n° 5 - décembre 2005 de développer un ESPT dans une population de patients exposés à un événement traumatogène. Méthodologie Il s’agit d’une enquête naturalistique, rétrospective et transversale sans modification de la relation médecin/malade. Les médecins généralistes ou les psychiatres libéraux participants devaient sélectionner des patients traités par antidépresseurs et/ou anxiolytiques, en ambulatoire. L’objectif principal a été d’identifier les facteurs associés au risque de développer un ESPT après exposition à un événement traumatisant, au sein de deux populations : l’une ayant développé un ESPT et en souffrant actuellement, l’autre n’en souffrant pas. Les objectifs secondaires visant à évaluer ces deux populations étaient : l’impact symptomatique et fonctionnel de l’événement ; les modalités de prise en charge immédiate et à moyen terme de l’événement traumatisant ; les recours aux soins ; le profil des patients suivis en médecine générale comparé au profil de ceux suivis par les psychiatres. Une liste issue de la première partie de la Clinician Administered PTSD Scale for DSM IV (CAPS-1) a été fournie aux médecins et aux patients. L’échelle PCL-S a été “enrichie” d’une évaluation à cinq niveaux de sévérité des symptômes. La présence ou non d’un ESPT a été définie comme la présence d’un score supérieur ou égal à 44 à l’échelle PCLS. Sachant qu’un certain nombre de patients, bien qu’ayant un score élevé à la PCL-S, pouvaient ne pas répondre aux critères standards d’ESPT (DSM-IV ou ICD-1O). Une autre définition y a été associée (tableau I). Résultats Mille quatre cent soixante-quatorze médecins généralistes et 462 psychiatres ont participé à cette enquête. À partir d’un registre répertoriant 19 395 patients traités par antidépresseurs et/ou anxiolytiques, 6 174 patients (32 %) ont été traumatisés et 5 465 ont été inclus dans l’enquête. Quatre mille huit cent soixante-dix-sept questionnaires patients complets ont été analysés. Les patients observés par les psychiatres étaient plus jeunes. Ils ont vécu le traumatisme à un âge plus jeune, ont rapporté des événements plus anciens et présentaient plus d’antécédents psychiatriques familiaux et personnels que ceux suivis en médecine générale. Près de 80 % des patients rapportaient un événement traumatisant remontant à moins de cinq ans. Tableau I. Diagnostic de l’ESPT selon le DSM-IV. ESPT complet ESPT subsyndromique • Critère B = au moins 1 item (en fréquence et sévérité) parmi les items 1 à 5 coté > 2 et • Critère C = au moins 3 items (en fréquence et sévérité) parmi les items 6 à 12 cotés > 2 et • Critère D = au moins 2 items (en fréquence et sévérité) parmi les items 13 à 17 cotés > 2 • Critère B = au moins 1 item (en fréquence et sévérité) parmi les items 1 à 5 coté > 2 et à qui manquerait 1 item pour le critère C ou pour le critère D et Score total PCL-S > 44 Cette enquête révèle, en premier lieu, que le traumatisme du patient était ignoré du praticien dans 20 % des cas, ce qui implique la nécessité d’une recherche systématique d’événement traumatisant chez tout patient présentant un trouble anxieux et/ou dépressif évoluant au long cours. Soixante-quatorze pour cent des sujets ayant rapporté un traumatisme et traités actuellement par antidépresseurs et/ou anxiolytiques ont présenté un ESPT selon les critères retenus (PCLS ≥ 44 avec un score moyen = 58). Si on utilise la définition répondant aux critères DSM-IV de l’état post-traumatique (tableau I), 58 % des patients présentent un ESPT complet et 20 % souffrent d’ESPT subsyndromique (tableau II). Deux commentaires s’imposent : une confusion peut exister entre les critères diagnostiques, qui rassemblent des syndromes pour réaliser un diagnostic homogène, et une échelle d’évaluation, qui mesure l’intensité pathologique. L’état de stress post-traumatique repose sur la présence d’une triade symptomatique et non sur un score d’intensité à une échelle d’évaluation ; la distinction “événement de vie” et “traumatisme”. Initialement, la définition du traumatisme à l’origine de l’ESPT impliquait une prise de conscience, réelle ou fantasmatique, Tableau IV. Distribution des diagnostics d’ESPT complet et d’ESPT subsyndromique selon la définition du DSM-IV. Définition de l’ESPT Spécialité MG ESPT complet ESPT subsyndromique Absence d’ESPT Total n (%) 2 025 (55,33) 763 (20,85) 872 (23,83) 3 660 (100) Psy IC à 95 % (53,72-56,94) (19,53-22,16) (22,44-25,21) n (%) 791 (65) 229 (18,82) 197 (16,19) 1 217 (100) Total IC à 95 % (62,31-67,68) (16,62-21,01) (14,12-18,26) n (%) 2 816 (57,74) 992 (20,34) 1 069 (21,92) 4 877 (100) IC à 95 % (56,35-59,13) (19,21-21,47) (20,76-23,08) La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. I - n° 5 - décembre 2005 17 > Actualités thérapeutiques d’une mort imminente. Les principaux traumatismes rapportés (accident de transport, agression physique, agression sexuelle) correspondent à cette définition. En revanche, le premier en fréquence (la mort soudaine et inattendue d’un proche) et le cinquième (souffrance humaine majeure) s’apparentent plus à des événements de vie, particulièrement difficiles, pouvant provoquer des réactions anxieuses ou dépressives. Dans ces cas, la notion de mise en danger de l’intégrité physique et psychique n’apparaît pas au premier plan. En matière de facteurs de risque : l’âge (jeune) de survenue du traumatisme, les antécédents psychiatriques et familiaux, le nombre d’événements et le caractère sexuel constituent les principaux éléments à prendre en compte. En outre, quel que soit le traumatisme, les femmes ont plus de risque de développer un ESPT sauf dans le cas d’une agression sexuelle. Sur le plan symptomatique et fonctionnel, 80 % des patients souffrant d’ESPT se sentent perturbés par les souvenirs du traumatisme, 70 % présentent des troubles du sommeil, 65 % sont bouleversés par des rappels de l’épisode et 60 % ont une perte d’intérêt et de plaisir. En dehors des symptômes de la triade diagnostique, ces patients présentent également plus fréquemment des plaintes fonctionnelles témoignant de leur souffrance psychologique : algies, troubles sexuels, troubles de l’appétit, fatigue importante, difficultés de concentration et addictions. Ces plaintes concernent près de 60 % des patients vus par les psychiatres et 53 % des patients vus par les médecins généralistes. La prise en charge immédiate du traumatisme repose principalement sur le traitement médicamenteux (61 % des cas) et accessoirement psychothérapique (30 % des cas). Moins de la moitié des patients suivis par les psychiatres ont fait l’objet d’une prise en charge du type d’un soutien psychologique (26 %) ou d’un traitement médicamenteux dans les 24 heures qui suivent le traumatisme (44 %), contre respectivement 33 % et 66 % des patients observés en médecine générale. Un an après le traumatisme, plus de 50 % des patients n’ont pas éprouvé le besoin de consulter un médecin, qu’il s’agisse d’un généraliste ou d’un psychiatre. Pour les autres, la prise en charge des conséquences du traumatisme reste essentiellement pharmacologique. Il y a davantage d’arrêts de travail en cas d’ESPT, et ils sont d’une durée plus longue lorsqu’ils sont prononcés par un psychiatre. Plus d’hospitalisations ont été également constatées chez les patients souffrant d’ESPT consultant un psychiatre. Sur un plan juridique, 24 % des victimes ont porté plainte. Parmi elles, plus de 85 % n’ont pas bénéficié de décision de justice ! Les types principaux d’événements concernés sont les agressions physiques, les accidents de transport, les agressions à main armée, les agressions Tableau III. Motifs de prescription. Motifs de prescription État dépressif (%) Traitement anxieux (%) ESPT (%) Autres (%) 18 Antidépresseurs (AD) MG Psy 69,8 75,8 6,8 4,0 0,5 6,1 22,9 14,2 Anxiolytiques (AX) MG Psy 12,2 14,9 55,4 73,1 0,7 0 31,7 11,9 AD + AX MG 77,5 6,9 1,0 14,7 La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. I - n° 5 - décembre 2005 Psy 71,3 7,0 10,5 11,3 sexuelles. L’existence ou non d’une réparation juridique n’a pas eu d’influence sur la sévérité de l’ESPT chez ceux qui en souffraient encore au moment de l’enquête. Sur un plan thérapeutique, 84,4 % des patients souffrant d’ESPT étaient traités par antidépresseurs et 54,6 % par anxiolytiques. Les motifs des prescriptions étaient rarement l’ESPT. Plus de 80 % des patients souffrant actuellement d’ESPT et traités par antidépresseurs le sont par inhibiteurs de la recapture de la sérotonine. Dans 75 % des cas, le motif de prescription est une dépression (64 % d’épisodes dépressifs majeurs et 11 % d’épisodes dépressifs réactionnels). Concernant les prises en charge non médicamenteuses des patients souffrant d’ESPT, si la psychothérapie s’impose pour plus d’un tiers (42 %) des patients – respectivement 85 % et 25 % pour ceux suivis par les psychiatres et les médecins généralistes–, il est surprenant de remarquer le recours à la kinésithérapie dans près de 20 % des cas. Elle est prescrite à 28 % de patients souffrant d’ESPT consultant chez les psychiatres et 17 % de ceux vus par les médecins généralistes ; ces taux recouvrent probablement des techniques de relaxation à médiation corporelle. Conclusion La faible proportion de données inexploitables (10,7 %) souligne l’apport significatif de cette enquête dans la connaissance de la clinique de l’ESPT et des modalités de sa prise en charge en France. Les patients suivis par les psychiatres sont plus jeunes et présentent plus d’antécédents psychiatriques. Ce constat s’explique par le fait que seuls les patients les plus gravement atteints sont adressés au spécialiste. La non-connaissance du traumatisme par le médecin doit nous inciter à rechercher davantage d’informations et être vigilant sur la relation médecin-malade. Les facteurs de risque classiques sont retrouvés tels que le sexe féminin, les antécédents psychiatriques, le type et le nombre des traumatismes. Les conséquences de la pathologie, notamment l’augmentation de la consommation de soins (consultations, prises de traitement, arrêts de travail, hospitalisations), sont soulignées par les résultats de l’enquête PROMÉTHÉE. Sur un plan thérapeutique, le recours aux antidépresseurs est la règle. Ces médicaments sont le plus souvent associés à une prise en charge psychothérapique, lorsqu’ils sont prescrits par les psychiatres. Cette enquête française est importante à considérer, compte tenu de l’effectif conséquent de la cohorte interrogée. Les résultats révèlent une sous-estimation des conséquences de l’événement traumatique et l’existence d’un état dépressif comorbide souvent méconnu. La sensibilisation des médecins à la dimension psychodynamique des troubles de l’humeur est donc nécessaire. ■ Références bibliographiques 1. Ballenger P et al. Consensus Statement on Posttraumatic Stress Disorder From the International Consensus Group on Depression and anxiety. J Clin Psychiatry 2000;61(Suppl.5). 2. Foa EB et al. The Expert Consensus Guideline Series: Treatment of Posttraumatic Stress Disorder. J Clin psychiatry 1999; 6(Suppl.16). Pour en savoir plus... – Stein DJ, Bandelow B, Hollander E et al. WCA recommendations for the long-term Treatment of Posttraumatic Stress Disorder. CNS Spectrums 2003; 8,8(Suppl.1). – The ESEMeD/MHEDEA 2000 Investigators. Prevalence of mental disorder in Europe. Acta Psychiatr Scand 2004:109(Suppl.420):21-7. – The ESEMeD/MHEDEA 2000 Investigators. 12 months comorbidity patterns and associated factors in Europe. Acta Psychiatr Scand 2004:109(suppl. 420):28-37. – Kessler R. Posttraumatic stress disorder in the national comorbidity survey. Arch Gen Psychiatry 1995; 52:1048-60. – Kessler R et al. Posttraumatic Stress Disorder: The burden to the individual and to society. J Clin Psychiatry 2000;61(suppl.5). – McFarlane AS. The contribution of epidemiology to the study of traumatic stress. Soc Psychiatry Epidemio 2004;39:874-82. – Salomon et al. Trauma. Prevalence, Impairment, Service Use, and Cost. J Clin Psychiatry 1997;58(Suppl.9). La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. I - n° 5 - décembre 2005 19