Nous devons aussi cette avance au rapport rédigé par
Gilbert Barbier en 2011, dans le cadre de l’Office parlemen-
taire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques,
au rapport d’information sur les pesticides de Mme Bonnefoy
en 2013, et à la proposition de résolution européenne
présentée tout récemment par Mme Patricia Schillinger et
M. Alain Vasselle sur les critères d’identification des pertur-
bateurs endocriniens. Au même moment, le député Jean-
Louis Roumégas se livrait au même exercice à l’Assemblée
nationale, en prenant en compte, outre les perturbateurs
« avérés » et « présumés », les perturbateurs « suspectés ».
La proposition de résolution déposée par notre groupe sur
l’initiative d’Aline Archimbaud est une invitation à
poursuivre ces efforts, car la Commission européenne est
aujourd’hui un frein, et les lobbies tentent de faire passer
leurs intérêts avant la santé publique et l’environnement. Ici,
une plainte de la filière des plastiques ou d’une organisation
agricole provoque l’annulation par le Conseil d’État de
l’arrêté encadrant l’utilisation des pesticides. À Bruxelles,
les fabricants usent de tout leur poids pour empêcher une
définition large indispensable aux nouvelles règles. Nous ne
pouvons en rester là !
Ces substances restent trop présentes, la question des liens
entre santé et environnement est encore trop marginale dans
les politiques publiques, au point que le ministère de la santé
se cantonne à la gestion et aux soins, tandis que la santé
environnementale a trouvé refuge au ministère de l’écologie.
La crise sanitaire est silencieuse, mais elle blesse et tue.
Ainsi, dans le monde, deux décès sur trois sont le fait de
maladies chroniques. En France, ces dernières progressent
quatre à cinq fois plus vite que le changement démogra-
phique. Le cancer touche un homme sur deux et deux
femmes sur cinq.
Il aura fallu du temps pour bien identifier les mécanismes
des perturbateurs endocriniens, ces petites molécules conte-
nues dans de nombreux produits d’usage ou de consomma-
tion courante migrent et pénètrent nos organismes,
modifiant les messages normaux de nos hormones, qu’il
s’agisse des hormones de croissance, de déterminisme
sexuel, de l’adolescence, de la satiété et de régulations
diverses de notre métabolisme.
On mesure tous les dangers liés à l’exposition de bébés en
formation, si leur mère respire des solvants ou des pesticides.
Il serait inimaginable de laisser sévir un mécanicien qui
remplacerait les freins d’une voiture par un accélérateur ou de
permettre à un hacker de communiquer des messages erronés,
à la place de la tour de contrôle. Toutefois, on accepte que
des substances chimiques viennent brouiller la formation de
l’appareil urogénital du fœtus, imprégner les organismes,
programmer des cancers du sein de la petite fille à naître,
fausser la communication interne de nos organes, au risque
de dysfonctionnements profonds et de maladies graves.
L’UFC-Que choisir ? vient de publier une liste de
400 cosmétiques avec perturbateurs. Messieurs, votre gel
douche aux parabènes et alkyphénols ne mérite pas de
compromettre votre fertilité et de saboter votre descendance.
Mesdames, les phtalates de votre vernis ou le benzophénone
de votre teinture ne valent pas la puberté de votre fille.
Bricoleurs, la rénovation de votre intérieur à grands coups
de solvants ne mérite pas que vous risquiez un cancer,
comme c’est le cas pour de trop nombreux paysans,
premières victimes des produits phytosanitaires.
Après le phénoxyéthanol dans les lingettes, révélé par
l’Institut national de la consommation, voici la dioxine, le
glyphosate, des pesticides, des hydrocarbures aromatiques
polycycliques et des cancérogènes probables dans douze
types de couches pour bébé ! Ils sont « Probables », seule-
ment… Néanmoins, je ne pense pas que vous accepteriez de
monter dans un avion classé « crash probable » ! (M. Jean
Desessard applaudit.)
En attendant l’interdiction, il faut au moins un étiquetage
informatif, comme nous aurions pu et dû le faire depuis un
an pour les tampons et serviettes hygiéniques.
Les plus jeunes sont parmi les plus exposés : crèches et
écoles devraient être des zones exemptes de tout perturbateur
et de tout pesticide, tant dans les meubles, l’alimentation et
les produits d’hygiène que dans les jouets.
Le rapport de l’ANSES sur l’exposition professionnelle aux
pesticides en agriculture de juillet 2016 et celui de l’INSERM
sur les effets des pesticides sur la santé de juin 2013 ont établi
les risques importants que fait peser l’usage des pesticides sur
la qualité des eaux et de l’air, donc sur la santé publique.
Or le bilan dressé en novembre 2015 par le Conseil général
de l’environnement et du développement durable sur la
qualité des eaux de notre pays fait état d’une contamination
généralisée par les pesticides : dans 92 % des points de
surveillance, la présence d’au moins un pesticide a été
détectée et, en moyenne, 15 pesticides différents ont été
recensés sur chaque point de mesure.
Cela justifie l’instauration par la loi d’une zone non traitée
d’au moins cinq mètres autour des points d’eau, sans qu’une
dérogation soit possible, mais aussi autour des fossés, qui
jouent un rôle déterminant dans le transfert des pesticides
vers les cours d’eau. Par la proposition de résolution, il est
demandé cette même prévention aux abords des zones
d’habitation et des écoles.
Une classe d’insecticides couramment utilisée pourrait
affecter les performances cognitives d’enfants qui en ont
absorbé. On a évalué à 14 millions le nombre de points de
QI perdus à la suite d’une exposition à ces produits. Nos
enfants ont droit à un meilleur héritage !
Pour ne rien faire, l’argument du dommage économique
pour l’industrie et les distributeurs est souvent brandi. Mais
pense-t-on, au-delà des douleurs des personnes atteintes, aux
dommages financiers ? Selon les économistes Julia Ferguson
et Alistair Hunt, le coût des cinq catégories de troubles ou de
maladies liés à des déséquilibres hormonaux est en France de
82 milliards d’euros annuels, sans compter les coûts induits
comme l’absentéisme.
Sauf à compter sur davantage de malades, donc davantage
de dépenses de santé pour relancer la croissance, il faut mettre
un terme à cette absurdité.
Dès lors, comment agir vis-à-vis de Bruxelles ? Sans critères
de définition des perturbateurs endocriniens, l’Europe ne
possède pas l’outil conceptuel nécessaire pour organiser la
révision de sa réglementation et agir pour la santé et la
biodiversité. Elle en est réduite à des mesures de sauvegarde,
qui sont certes nécessaires dans l’immédiat, mais tout à fait
insuffisantes pour prendre le problème à bras-le-corps.
Parce qu’elle a repoussé l’élaboration de ces critères de
façon dilatoire, la Commission européenne a été condamnée
le 16 décembre dernier. Sous l’influence de l’EFSA, l’Autorité
européenne de sécurité des aliments, hélas secouée par des
SÉNAT – SÉANCE DU 22 FÉVRIER 2017 1723