SÉNAT – SÉANCE DU 11 OCTOBRE 2007 3839
numérique, pôle d’expertise et d’initiative, rattaché au
Premier ministre et ayant l’autorité sur plusieurs services
ministériels pour créer entre eux une synergie dynamique et
sortir des logiques ministérielles antagonistes.
La parole est à M. Bruno Retailleau, auteur de la
question.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le secrétaire d’État, notre
société est entrée de plain-pied dans l’ère du numérique, qui
connaît un perpétuel renouvellement.
Demain, la trajectoire économique et sociale de la France
dépendra dans une large mesure des profi ts que nous tirerons
de ces bouleversements. Encore nous faut-il adapter, voire
changer, notre modèle de gouvernance sur ces questions très
importantes.
La révolution numérique, qualifi ée voilà quelque temps
par MM. Nicolas Curien et Pierre-Alain Muet de « troisième
révolution industrielle », n’est pas seulement une addition
d’innovations si importantes soient-elles. C’est avant tout
une rupture technologique majeure qui modifi e non seule-
ment nos façons de faire, mais aussi nos façons de vivre, de
travailler, de nous divertir. Elle infl uence tous les pans de
l’activité humaine ; je pense, par exemple, à la télémédecine
dans le secteur de la santé, mais bien d’autres secteurs sont
concernés.
Le secteur économique en subit les effets au premier
chef, et cela pour deux raisons. D’une part, la révolution
numérique est un acteur clef de la mondialisation. Dans
quelques années, on comptera un milliard et demi d’inter-
nautes, ce qui est considérable. D’autre part, elle constitue
un facteur déterminant de notre effi cacité, tant individuelle
que collective, puisque les différentes mesures économétri-
ques montrent que les nouvelles technologies de la commu-
nication et de l’information stimuleraient la croissance de
0,40 point de croissance par an et expliqueraient 60 % des
gains de productivité, ce qui est, là aussi, très important !
Où en est la France dans cette révolution numérique ?
Notre pays a pris le train du développement numérique
et l’on peut se satisfaire, à juste titre, d’un certain nombre
d’avancées réalisées. Je pense aux offres simples, doubles et
même au « triple play » – téléphonie fi xe, Internet haut débit
et télévision – probablement l’une des meilleures offres en
Europe !
En revanche, nous ne pouvons nous satisfaire de nos
acquis, car aucune situation n’est défi nitive, et encore moins
s’agissant de la révolution numérique, qui est une révolu-
tion permanente !
Aujourd’hui apparaissent de nouveaux usages, de nouveaux
services que vous connaissez et dont les contenus sont de
plus en plus partagés entre les internautes. L’interactivité
est omniprésente et, sur le plan audiovisuel, on parle de
plus en plus du phénomène de « délinéarisation ». Cela
signifi e que l’internaute prend le contrôle de la program-
mation, allant même jusqu’à créer son propre contenu ! On
passe donc d’un univers déterminé par des mass media à un
univers construit autour du self media. L’infrastructure de
ces nouveaux services, existe déjà : c’est le « Web 2 0 ».
Il faut toutefois en être bien conscient, cette révolution
numérique qui se poursuit appelle de nouveaux défi s.
Le premier concerne le haut débit et même le très haut
débit. Les échanges, en particulier d’images, toujours plus
nombreux, nécessitent, tant pour les nouvelles applications
que pour les nouveaux usages des utilisateurs, des besoins
en bande passante toujours plus importants. Nos réseaux
doivent supporter cette explosion du trafi c. La société
Ericsson a calculé que, pour l’Europe de l’Ouest, et donc
pas seulement pour la France, le trafi c mobile total pourrait,
d’ici à 2012, être multiplié par sept, ce qui risque de poser
des problèmes de goulet d’étranglement.
J’y vois deux signifi cations fondamentales. Demain, le
très haut débit sera l’infrastructure de base de la société de
l’information. Dès aujourd’hui, il doit être conçu comme
une sorte de service universel accessible à tous et concerner
les réseaux aussi bien fi xes que mobiles.
Le deuxième défi concerne la mobilité. Demain la société
de l’information sera davantage encore la société de l’ubi-
quité. L’individu aura besoin d’une connectivité perma-
nente et voudra retrouver partout son univers, avec son
nuage d’applications. Nous entrons dans l’ère du « ce que
je veux, quand je veux et où je veux » ! Une telle mobilité
a une double dimension, à la fois spatiale, pour permettre
une connexion partout, et temporelle, pour permettre une
connexion tout le temps.
Le troisième défi est la résultante des deux premiers :
c’est la convergence. L’internaute ou l’individu, pour être
connecté en permanence, devra passer indistinctement d’un
réseau à un autre. À son domicile, il sera connecté grâce aux
réseaux fi laires ; dans la rue, il le sera grâce aux transmis-
sions par radiofréquences. La convergence doit, bien sûr, se
décliner aussi bien pour les terminaux que pour les indus-
tries et les services.
Telles sont, monsieur le secrétaire d’État, les grandes
évolutions. Dans mon rapport, je mentionne les succès de
la France à l’aide de chiffres très précis, que, faute de temps,
je n’ai pas cités.
Il convient maintenant de savoir si, surtout pour l’avenir,
la France est en mesure de faire face à tous ces défi s et à
toutes ces évolutions.
Nous sommes, je crois, vulnérables sur deux points : notre
organisation territoriale, d’une part, et notre organisation
politique, d’autre part.
Sur le premier point, la spécifi cité de la France, par rapport
à de nombreux autres pays d’Europe, est une ruralité encore
importante. Dans votre département, vous en savez quelque
chose, monsieur le secrétaire d’État ! (M. Hervé Novelli,
secrétaire d’État, acquiesce.) Dans notre pays, 31 % de la
population française vivent en milieu rural, contre 4 %
au Royaume-Uni, 10 % en Italie et 20 % en Allemagne.
Cette spécifi cité n’est pas près de disparaître, car, tous les
urbanistes et les démographes vous le diront – consultez les
dernières enquêtes de l’INSEE –, on constate un exode non
pas rural mais plutôt urbain. Ce sont les villes qui se dépeu-
plent au profi t des campagnes.
Il faut d’autant plus en tenir compte que le risque majeur
est celui d’une vraie fracture numérique, d’une béance
numérique et donc d’une France à deux vitesses, avec un
« Internet des champs » face à un « Internet des villes » doté
de connexions rapides, peu chères, confortables.
Permettez-moi d’attirer votre attention sur la répartition
actuelle. Pour 60 % d’entre eux, les Français n’ont pas accès
à un débit supérieur à 512 kilobits, ce qui est un « petit haut
débit » ! Sur 70 % du territoire, la téléphonie mobile de
troisième génération, ou 3G, ne passe pas. Enfi n, l’Associa-
tion de formation et d’information pour le développement
d’initiatives rurales, l’AFIP, prévoit que, d’ici à 2012, seuls
40 % de la population pourraient être connectés à la fi bre
optique. Et encore, il semble que ce chiffre soit surestimé.
Cela montre bien que, malgré les énormes efforts accom-