D Le traitement chirurgical de la personne âgée atteinte d’un cancer du sein

16 | La Lettre du Sénologue 49 - juillet-août-septembre 2010
Le cancer du sein chez les femmes âgées
DOSSIER THÉMATIQUE
Le traitement chirurgical
de la personne âgée atteinte
dun cancer du sein
Surgery in the management of older women with breast cancer
E. Fondrinier*, B. Maget**
D
ans la décision d’opérer ou non, l’expérience
montre que l’âge est souvent le critère de
choix avec des seuils arbitrairement choisis.
Dans l’étude de Rai et Stotter, c’est celui de 70 ans
(1). Et si elles sont opérées, les femmes âgées ont
davantage de mastectomies (2) et moins d'explora-
tion ganglionnaire axillaire (3) que les femmes jeunes.
D’autres articles de ce dossier nous ont montré
que l’âge seul devait s’effacer au profit d’une réelle
évaluation. Cette évaluation doit être poursuivie
pour choisir les modalités de l’intervention et ne pas
l’imposer sans arguments. Si une grande partie de la
littérature sur le cancer des personnes âgées reste
centrée sur les traitements médicaux, il est rassurant
de constater que la prise en charge chirurgicale est
de plus en plus discutée. Audisio et al. ont constaté
une augmentation de 118 % des articles consacrés
à ce sujet entre les années 1980 et le début des
années 2000 (4).
Caractéristiques des lésions
de la femme âgée
L’article de Fauvet (p. 8) et la revue de Wyld et Reed
nous montrent que, chez la femme âgée (5), les
tumeurs sont généralement plus grosses et qu’ il y a :
– moins d’atteinte des ganglions axillaires ;
– moins de haut grade ;
– moins de formes prolifératives (phase S) ;
– plus de lésions hormonosensibles ;
– moins de surexpression de Cerb2 ;
– plus de cancers lobulaires, mucineux ou papillaires.
En synthèse, si la biologie semble plus favorable, les
lésions sont de taille plus importante lors de la prise
en charge, ce qui ne sera pas sans incidence sur les
modalités du traitement locorégional.
Faut-il opérer les patientes
âgées ?
Pour les patientes opérables bien sûr, la question
n'est pas évitable si l'on considère qu'au moins
6 études randomisées ont comparé la chirurgie à
l'hormonothérapie chez les femmes d'au moins
70 ans (6). De l'analyse du groupe Cochrane, il
ressort que l'hormonothérapie utilisée était unique-
ment du tamoxifène, qu'il n'y a pas de différence de
survie globale (SG), mais qu'il y a une différence en
termes de survie sans récidive (SSR) en faveur du
traitement chirurgical.
Tant que nous n’aurons pas les résultats de l’étude
ESTEeM comparant antiaromatase ± chirurgie chez
les patientes de plus de 75 ans à récepteurs posi-
tifs (7), la conclusion reste en faveur du traitement
chirurgical chaque fois qu'il est possible et accepté.
Préférences des patientes
Après la lecture de l’article de M. Derzelle (p. 30)
sur nos idées fausses en la matière, on a déjà pu
s’interroger sur ce sujet. Il y a malheureusement
peu de réponses. Les patientes sont décrites comme
plus passives, plus dépendantes de l’avis du médecin
(8, 9). Pourtant, quand on les interroge, elles savent
aussi exprimer un choix en faveur de la conservation
de leur sein (10).
Peut-on les endormir ?
La plupart des patientes sont opérées sous anes-
thésie générale. Les techniques d’anesthésie loco-
régionale ne sont pas encore très diffusées. E. Samain
* 5 B, rue Jean-d’Orbais, 51100 Reims.
** Institut Jean-Godinot, avenue
Koenig, 51000 Reims.
La Lettre du Sénologue 49 - juillet-août-septembre 2010 17
Points forts
et al. ont passé en revue la littérature sur ce sujet
(11). À chirurgie égale, les études ne montrent pas
que le risque péri-opératoire est différent entre
les patientes âgées en bonne condition physique
et les plus jeunes. L’âge seul n’est pas un élément
suffisant pour apprécier ce risque. Celui-ci est lié
aux comorbidités associées, qui sont évidemment
plus fréquentes (12). L’acte intervient aussi, mais
la chirurgie mammaire est considérée comme
une intervention à faible risque. Évidemment, la
chirurgie de reprise liée à la survenue de complica-
tions augmente ce risque.
Une altération des fonctions cognitives postopératoires
est notée chez 15 % des patientes de plus de 70 ans
et elle reste trois fois plus importante à distance que
chez les patientes non opérées (11). Les facteurs
responsables ne sont pas établis.
Traitement conservateur
Le traitement conservateur est souvent souhaité par les
patientes (10) dont il améliore la qualité de vie (13) et
maintient l’image corporelle (14). Même si la situation
semble s’améliorer (15), ces patientes ont toujours plus
de mastectomies que les femmes plus jeunes.
Les études randomisées confirment que le traite-
ment conservateur est tout à fait raisonnable pour
cette population. Dans l’étude EORTC 10850 (16),
236 patientes de plus de 70 ans ont été randomisées
entre mastectomie versus tumorectomie + tamoxi-
fène : à 10 ans, la SG est la même. Pour Gori et al.
(17), 121 patientes de plus de 70 ans (N0) ayant des
tumeurs de moins de 4 cm ont été randomisées entre
mastectomie + tamoxifène versus tumorectomie
(marges saines) + tamoxifène : à 5 ans, les SG sont
les mêmes.
Létat des marges doit-il être différent chez les
patientes âgées ? Avec un recul de 8 ans, l’étude
de Park (18) réalisée sur 533 patientes âgées de 23
à 88 ans montre que l’état des marges est le facteur
le plus lié au risque de récidive. Dans son analyse par
régression logistique, seules l’étendue de l’atteinte
des marges et l’association à un traitement systé-
mique sont associées au risque de récidive local.
L’âge n’intervient pas. Quant à l’étude de Aziz et al.
(19) portant sur 1 377 patientes, elle montre que
l’obtention de marges saines, par réexcision éven-
tuellement, est importante tant pour les femmes
jeunes que pour les femmes âgées. En revanche,
l’étude EORTC, qui avait été mise en place pour juger
de l’effet du boost de radiothérapie, ne retrouve pas de
relation entre récidive locale et état des marges, alors
que le jeune âge (moins de 50 ans) a une influence
(20). La situation est probablement complexe mêlant
état des marges et âge, selon une interrelation et
une pondération encore inconnues. En pratique, il
paraît difficile de schématiser les situations. On peut
recommander, quand on opère une patiente même
âgée, de se mettre en situation d’exérèse complète.
Si celle-ci n’est pas obtenue au vu du compte rendu
anatomopathologique définitif, la situation doit être
discutée de façon multidisciplinaire en tenant compte
de l’importance de l’atteinte, des comorbidités et de
l’espérance de vie.
Qui dit traitement conservateur dit aussi radio-
thérapie. Il n’est pas justifiée qu’elle soit si souvent
oubliée (21) en dehors de l’inclusion dans une étude
(PRIME) [22], car l’impact sur le taux de récidives
locales est important : de 3 à 47 % (5). Létude de
Yood et al. (23), menée sur une population de 1 837
femmes âgées, montre que l’absence de radiothé-
rapie multiplie par deux le risque de mortalité.
D’après l'article de Cutuli et de Kirova (p. 20), les
schémas classiques sont souvent adaptables chez les
patientes dites “âgées” en bonne condition physiolo-
gique et, pour les autres, des adaptations techniques
sont possibles (hypofractionnement). Le délai entre
chirurgie et radiothérapie doit être limité, car il influe
sur le risque de récidive (24).
Lorsque le schéma est respecté, les résultats sont
aussi bons que pour les femmes plus jeunes.
Solin et al. ont comparé les résultats du traitement
conservateur dans deux populations selon leur âge :
50-64 ans et plus de 65 ans (25). Il y avait un peu
plus de grosses tumeurs (T2) chez les femmes plus
âgées sans différence d'atteinte ganglionnaire. Les
traitements locorégionaux étaient semblables dans
les deux groupes. À 10 ans, il n'y a ni différence en
ce qui concerne le nombre de décès dus au cancer,
ni récidive locale.
Quand on surveille des femmes âgées, on constate que
les crires “classiques”, tels que l’atteinte lymphatique,
le grade histologique, l’absence de radiothérapie, sont
»L’âge seul ne peut pas justifier une abstention chirurgicale.
»
Les principes de prise en charge ne doivent pas différer de ceux proposés dans cette situation à une
femme plus jeune.
»
Quand ceux-ci ont été posés, l’analyse bénéfice/risque doit être réalisée par le chirurgien et l’anesthésiste
et tenir compte des comorbidités et non uniquement de l’âge.
»La recherche du ganglion sentinelle doit être privilégiée chaque fois qu’elle est possible.
»
La communication est un élément clé d’une bonne prise en charge, non seulement oncologique, mais aussi
en termes de qualité de vie. Elle doit être maintenue à tous les moments de la prise en charge et susciter
l’implication de la patiente.
Mots-clés
Chirurgie
Cancer du sein
Femmes âgées
Keywords
Surgery
Breast cancer
Older women
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Le cancer du sein chez les femmes âgées
DOSSIER THÉMATIQUE
aussi liés au risque de récidive locale comme chez les
plus jeunes (26).
L’association à un traitement systémique tend à
réduire le risque de récidive locale (18). Dans l’étude
randomisée du Stockholm Adjuvant Tamoxifen, l’ad-
jonction de tamoxifène chez des femmes ménopau-
sées sans atteinte ganglionnaire réduit le taux de
récidives locales de 7 à 3 % à 8 ans (27). Cet effet
est aussi retrouvé dans l’étude de Bosco pour les
tumeurs hormonosensibles (26).
Mastectomie
La mastectomie garde ses indications carcinolo-
giques “classiques” et, comme chez la patiente
jeune, elle peut aussi être délibérément choisie par
la patiente plutôt qu’un traitement conservateur.
Face aux lésions dont la taille seule justifierait la
mastectomie, rappelons que l’hormonothérapie
néo-adjuvante reste une option discutable (28).
Létude de Truong et al. (29) montre que l’âge seul
n’est pas un argument suffisant pour ne pas retenir la
radiothérapie après mastectomie en cas de mauvais
pronostic (large tumeur, atteinte ganglionnaire).
Complications
Wyld et Reed ont fait une synthèse des études
sur l'effet de l'âge sur le risque de complications
après une chirurgie mammaire (21). Il apparaît que
les séromes sont plus fréquents chez les femmes
âgées (OR : 2,4) ; que la fréquence des hématomes
et des infections n'est pas affectée, tout comme
les nécroses cutanées ; que les paresthésies axil-
laires sont moins fréquentes avec l'âge ainsi que les
séquelles postcurages au niveau du bras (douleur,
limitation...), même si la reprise des travaux ména-
gers est plus difficile.
Reconstruction
La reconstruction est d'autant moins réalisée que
la patiente est âgée (30). Les raisons théoriques
les plus habituellement évoquées sont liées à une
durée opératoire plus longue et à des comorbidités
liées à l'âge qui pourraient augmenter le risque de
complications. En fait, nous disposons de peu de
résultats, car cette population nest quasiment pas
représentée dans les séries. Pour autant, les quelques
résultats disponibles montrent un effet favorable
sur la qualité de vie (31). Un audit est prévu au
Royaume-Uni sur ce sujet.
Exploration axillaire
Lorsque l’exploration axillaire ne pouvait se faire
que par curage axillaire, plusieurs études ont montré
qu’il n’était réalisé qu’une fois sur deux selon l’âge
(32, 33). Les risques de séquelles en sont une des
raisons. En effet, les conséquences du curage sont
celles qui ont le plus d’effet sur la qualité de vie (14,
34). Une autre raison est certainement le rôle plus
pronostique que thérapeutique du curage. Toutes
les données actuelles ne vont pas dans ce sens.
On se souvient par exemple de la méta-analyse
de R.K. Orr (35) montrant un effet sur la survie du
curage axillaire, mais certaines études retenues ne
comportaient pas de femmes de plus de 70 ans.
Létude rétrospective du National Cancer Data Base
(NCDB) portant sur 547 847 femmes de stades I et II
traitées entre 1985 et 1995 montrait que l’absten-
tion touchait surtout les femmes âgées et les stades
précoces et que cela pouvait avoir un effet sur la
survie (36).
La plupart des études randomisées n'ont pas
confirmé ce risque. Rudenstam et al. (37) ne trouvent
aucune différence de survie avec un recul de 6,6 ans
pour 473 femmes de plus de 60 ans, sans ganglion
palpable, randomisées entre curage et abstention
(IBCSG 10-93). L'âge médian de la population était
de 74 ans. Toutes les patientes devaient recevoir
du tamoxifène. L'étude randomisée italienne de
Martelli et al. retrouve ce même résultat pour des
patientes T1N0 d'âge médian 70 ans (38). Cette
absence d'effet sur la survie du curage est confirmée
par la méta-analyse récente de M. Sanghani et al.
(39). En revanche, les résultats de l'étude prospec-
tive randomisée AXIL95 (en cours de publication)
montrent un effet sur la survie avec un recul de
5 ans. La randomisation avait porté sur 625 femmes
ayant des tumeurs ≤ 1 cm sans ganglion palpable
et une hormonothérapie systématique. Une des
raisons est peut-être liée à l'âge des patientes, plus
jeunes, puisqu’à l’inclusion elles devaient avoir plus
de 50 ans, l’âge médian était de 60 ans. L’âge inter-
vient peut-être comme semble l'indiquer l'étude de
Truong et al. (40) qui inclut 8 038 femmes de 50 à
89 ans présentant des lésions ≤ 5 cm. Ces auteurs
notent un effet variable de l’absence de curage
axillaire selon l’âge. Selon leurs résultats, le curage
peut être omis au-delà de 75 ans sans effet sur le
contrôle local et la survie. En deçà, l’omission du
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La Lettre du Sénologue 49 - juillet-août-septembre 2010 19
DOSSIER THÉMATIQUE
curage a des effets directs sur la survie, ou indirects
en conduisant à un sous-traitement (40). Mais il ne
s'agit pas d'une étude randomisée. Il y a peut-être
aussi un effet délai. Dans l'étude de Cabanes et al. à
l’institut Curie (41), une différence avait été mise en
évidence à 5 ans, elle disparaissait dans les analyses
avec plus de recul.
Les données manquent pour conclure sur ce sujet.
Heureusement, le curage axillaire systématique n'est
plus indiqué pour les T1N0, il est remplacé par la
recherche du ganglion axillaire sentinelle. Mais cette
technique est-elle adaptée aux femmes âgées ?
Par rapport à un curage standard, la recherche du
ganglion axillaire sentinelle est certainement indiquée,
car elle réduit la morbidité mais aussi les compli-
cations (sérome, douleur, infection, mobilité) [42].
Elle est en revanche moins performante en termes
d'identification chez les femmes âgées (43). Cela est
peut-être lié à l'importance du tissu graisseux dans le
sein, qui diminuerait la circulation lymphatique, ou
à l'involution graisseuse des ganglions, qui gênerait
la rétention du radiocolloïde (44, 45).
La situation n’est pas résolue quant à la conduite
à tenir en cas de positivité du ganglion sentinelle.
Elle ne l’est pas dans toutes les circonstances pour
les femmes plus jeunes, elle l’est encore moins pour
les femmes âgées. Les données issues des nomo-
grammes et autres scores disponibles sur le risque
d’atteinte des ganglions non sentinelles sont certai-
nement utiles pour prendre une décision vis-à-vis
du curage standard, en attendant les résultats des
études sur d’autres possibilités que le curage axillaire
systématique, comme l’étude AMOROS – EORTC
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Références bibliographiques
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