l`europe dans tous ses états

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L’EUROPE DANS TOUS SES ÉTATS
Nous y sommes : l’Europe recule. Après la crise financière qui a débuté en 2008, suivie de l’épisode grec
qui a vite tourné en crise systémique de la dette souveraine, le domaine bancaire a écopé.
En 2010, la confiance envers l’euro et les institutions européennes s’est effritée. Le projet européen
lui-même est désormais contaminé par ces événements malheureux.
Au mois de juin dernier, le Brexit (l’éventuelle sortie du
Royaume-Uni de l’Union européenne) a marqué un jalon.
Jamais, depuis la chute du mur de Berlin en 1989, l’Europe
ne s’est-elle retrouvée aux prises avec une crise d’une telle
dimension historique. Quel sera l’avenir économique de la
zone euro ? Essayons d’y voir clair.
LA REPRISE
Sur le plan économique, la zone euro est pourtant en sortie
de crise. Son tableau économique a cloué le bec à ceux qui
redoutaient que la baisse du prix du pétrole ne soit qu’un
feu de paille. Le cas échéant, un scénario de stagflation à
l’échelle de la zone aurait été envisageable, car en repartant à la hausse, le prix du pétrole aurait provoqué un taux
d’inflation au-dessus de 1,5 % en Europe.
En se matérialisant au moment où la croissance économique de la zone se serait affaissée autour de 1 %, ce scénario
aurait mis en évidence un cocktail d’inflation et de stagnation économique au sein de la zone. C’est cela, la stagflation,
et c’est le pire scénario imaginable, selon les économistes.
L’Europe y échappe donc, du moins pour le moment.
Si la pérennité de la baisse des cours pétroliers joue indéniablement un rôle important dans ce résultat, ce n’est pas
tout. La reprise s’avère plus vigoureuse et plus durable que
FIGURE
DONNÉES ET PRÉVISIONS
ÉCONOMIQUES POUR LA ZONE EURO
2014
2015
2016
2017
Croissance du PIB
(glissement annuel)
0,9 %
1,7 %
1,6 %
1,8 %
Inflation
(glissement annuel)
0,4 %
0,0 %
0,2 %
1,4 %
Chômage
11,6 %
10,9 %
10,3 %
9,9 %
Dette publique brute
(% du PIB)
94,4 % 92,9 % 92,2 %
91,1 %
Source : Commission européenne (hiver 2016)
lemedecinduquebec.org
prévu. Force est de constater que d’autres considérations
alimentent l’économie de la zone; un coup d’œil du côté de
la politique monétaire le confirme.
DIVERGENCE MONÉTAIRE
Dans le jargon des banquiers centraux, on affirme que la
politique monétaire européenne est divergente, en parti­
culier par rapport à celle des États-Unis, une conjoncture
qui exerce une pression à la baisse sur la devise européenne.
Il s’agit d’une situation avantageuse à maints égards.
La divergence de la politique monétaire européenne est le
résultat de pressions inflationnistes faibles dans la zone.
De plus, comme l’euro est corrélé positivement avec le
prix du pétrole, la devise européenne a tendance à suivre
le prix de l’or noir. Ainsi, si la montée du prix du pétrole a
un effet inflationniste en Europe, une partie de celui-ci est
contrebalancée par une augmentation de l’euro. Comme ce
phénomène est de nature à amoindrir ou à reporter l’apparition de pressions inflationnistes dans la zone euro, l’Europe
jouit d’une marge de manœuvre supplémentaire à cet égard.
Le tableau n’est pas le même aux États-Unis où les craintes
inflationnistes sont fortes. La Federal Reserve Board américaine (la Fed) a d’ailleurs augmenté la cible de ses taux
d’intérêt à court terme (sur les fonds fédéraux) afin de prévenir ces pressions. En pratique, elle maintient une pression
à la baisse sur l’euro par rapport au dollar.
L’euro se dévaluant, les exportations dans la zone sont stimulées. Puisque l’Europe profitera probablement de ces
politiques monétaires divergentes jusqu’en 2017, la reprise
européenne est bien enracinée. C’est une bonne nouvelle.
L’INCERTITUDE
L’incertitude s’avère cependant une ombre au tableau du
Vieux Continent.
Sur le plan économique, l’équivoque émane de pays membres
de la zone qui présentent une dette excessive. L’orientation
des politiques européennes à cet égard demeure floue, de
sorte que le niveau d’investissement est freiné.
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De plus, le ralentissement des économies émergentes
constitue un autre facteur d’incertitude. La volatilité croissante des marchés financiers internationaux témoigne
d’ailleurs du risque que représente cette situation. La zone
euro a vu ses actifs sensiblement dévalués au début de 2016.
En conséquence, les investisseurs se questionnent désormais sur l’incidence du ralentissement économique des pays
émergents sur l’Europe, notamment celui de la Chine. On ne
peut exclure la thèse selon laquelle les gains d’exportation
découlant de la dévaluation de l’euro sont annulés par la
faiblesse des marchés d’exportation européens.
L’évolution de l’économie mondiale est donc une importante source d’incertitude pour la zone euro et cet état de
fait entraîne des risques. Or, l’augmentation du risque n’est
jamais une bonne nouvelle pour les affaires. Le hic, c’est que
les Européens ont entrepris de rajouter eux-mêmes une
bonne dose d’incertitude dans ce cocktail déjà consistant.
LE BREXIT S’INVITE
Dans un pareil climat, le Brexit est une catastrophe. Lors d’un
référendum tenu au mois de juin dernier, le Royaume-Uni
a décidé de quitter l’Union européenne en ayant recours
à l’article 50 du traité de l‘Union. Non seulement le processus durera-t-il au minimum deux ans, mais ce divorce
ne passera pas comme une lettre à la poste, d’autant plus
que les pourparlers s’annoncent houleux, complexes et
très incertains.
La zone euro est la plus importante zone de libre-échange
de la planète. Elle compte 508 millions de consommateurs,
incluant les 65 millions d’habitants du Royaume-Uni. Dans
cette zone, la main-d’œuvre, le capital, les biens et les
services circulent librement.
Si aucun accord de retrait n’est conclu entre le RoyaumeUni et l’Union européenne, les règles de l’Organisation
mondiale du commerce s’appliqueront au commerce transfrontalier entre tous les pays concernés. Si tel était le cas,
les Britanniques pourraient faire face à l’imposition de droits
de douane importants de la part d’autres pays européens,
et vice versa. Les répercussions pourraient être majeures
et personne n’est véritablement en mesure d’en préciser
leur nature ni leur ampleur. L’incertitude est donc totale.
Songeons simplement au fait que 44 % des exportations
britanniques prennent la direction de l’Europe continentale chaque année et que ces flux commerciaux génèrent
3,8 millions d’emplois au Royaume-Uni. Songeons aussi au
fait que 50 % des voitures vendues au Royaume-Uni sont
de marques allemandes (BMW, Mercedes et Volkswagen).
Qu’arrivera-t-il si les Britanniques en viennent à imposer
des droits de douane à l’importation de véhicules ?
Airbus constitue un autre exemple révélateur, car cette
société aéronautique est en quelque sorte un consortium
politique mis sur pied pour permettre à des fabricants européens de compétitionner efficacement à l’échelle mondiale.
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Le Médecin du Québec, volume 53, numéro 8, août 2016
Comme Airbus emploie 15 000 personnes au Royaume-Uni,
certains en sont à se demander si les Britanniques peuvent revendiquer ces emplois alors qu’ils s’excluent de la
zone euro.
Avec 1,2 million d’emplois, le secteur financier britannique
sera le premier affecté par le Brexit. Sans l’Europe, la City
de Londres sera probablement reléguée au rang de centre
financier régional, alors qu’elle rivalise actuellement avec
New York. De grandes banques installées dans la capitale
londonienne, telles que JP Morgan Chase, ont déjà évoqué
la possibilité de quitter Londres pour le continent.
Toutefois, le Royaume-Uni n’est pas seul à faire les frais de
cette situation confuse. En effet, l’Europe continentale n’est
pas en reste, car plusieurs analystes craignent que sans
l’effet temporisateur des Britanniques, Bruxelles emprunte
la voie de la rigidité réglementaire et de l’interventionnisme
à outrance.
Or, il est de commune connaissance que le monde des affaires carbure à la prévisibilité. L’incertitude limite la capacité
d’attirer des investissements porteurs pour la croissance
économique et la création d’emplois. Les effets économiques du Brexit sont donc majeurs, mais difficiles à évaluer
pour le moment.
RÉORGANISATION EUROPÉENNE
Le retrait éventuel des Britanniques de la zone euro suscite
des questions si fondamentales que bien des observateurs
suggèrent qu’une réorganisation majeure de l’Union européenne s’ensuivra. S’agira-t-il :
h D’une fragmentation encore plus grande de l’Union européenne, voire d’un morcellement qui se concrétisera sur
un fond de nouveaux départs stimulés par une perte de
la crédibilité de la zone de plus en plus associée à une
zone économique caractérisée par une croissance anémique, de crises d’endettement, de chocs migratoires et
géopolitiques ainsi que de chômage ?
h D’une fuite en avant vers une union politique accélérée
dans le but de sauver les meubles ?
h Du développement d’une forme d’association à géométrie variable, voire d’une formule qui permettrait, par
exemple, de retenir les Britanniques (ou toute autre nation
récalcitrante) dans le giron européen sous réserve d’un
statut spécial ?
À ce moment-ci, toutes les options semblent être sur la
table, mais bien malin celui qui saura prédire à quoi ressemblera l’Europe de demain. (Figure) //
Note : L’article ci-dessus ayant été rédigé dans les jours suivant l’annonce des résultats du référendum sur le Brexit, il est possible que des développements se soient
produits dans ce dossier au moment où vous prendrez connaissance de ce texte.
Nous vous prions d’en tenir compte dans votre réflexion.
Note de la rédaction. Ce texte a été écrit, révisé et mis en pages
par Conseil et Investissement Fonds FMOQ inc. et ses mandataires.
Il n’engage que ses auteurs.
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