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C L I N I Q U E
Sacrée douleur !
●
G. Streit, A. Lohse, E. Toussirot, D. Wendling*
es tumeurs sacrées primitives sont rares, mais doivent être
évoquées de principe devant une douleur sacrée. Nous en
décrivons une nouvelle illustration.
L
OBSERVATION
Monsieur M., âgé de 50 ans a été hospitalisé pour une douleur
sacro-coccygienne évoluant depuis un an, à la suite d’une chute
de cheval.
La douleur a été fluctuante, avec 3 épisodes paroxystiques de
quelques jours dans l’année. Le diagnostic de coccygodynie était
initialement retenu. En juin 2002, une nouvelle crise intense a
motivé son hospitalisation.
Figure 1. Radiographie standard : lésion érodant l’extrémité inférieure
du sacrum.
Monsieur M. n’avait d’autre antécédent qu’un syndrome anxiodépressif.
L'examen a révélé une douleur sacrée, d’horaire mixte, associée
à des sensations d’épreintes et de ténesme évoluant depuis plusieurs semaines.
On a palpé une voussure sacrée inflammatoire paramédiane
droite. Au toucher rectal, le rectum était lisse mais sa paroi postérieure était refoulée par une volumineuse masse élastique de la
taille d’une orange.
Le reste de l’examen somatique, dont l’examen neurologique,
était sans particularité.
Le bilan biologique était normal.
La radiographie du bassin de face a révélé une masse pelvienne
érodant la partie inférolatérale droite du sacrum (figure 1). La
TDM du sacrum a confirmé ce diagnostic (figure 2). À l’IRM,
la lésion semblait bien limitée, appendue au sacrum, remontant
vers S2 et envahissant le canal sacré. Elle était hétérogène, avec
hyposignal en T1 et hypersignal, en T2 et rehaussée par l’injection de gadolinium (figure 3).
Figure 2. TDM : lésion envahissant le sacrum, le canal sacré et les structures voisines.
L’examen histologique de cette tumeur, après biopsie radioguidée, a révélé des cellules physaliphores dans une substance fondamentale mucoïde avec une architecture alvéolaire (figure 4,
p. 30). Les marqueurs cellulaires des kératines et de la protéine
S100 sont positifs (figure 5, p. 30). Ces éléments ont confirmé
le diagnostic de chordome sacré.
* Service de rhumatologie , CHU Minjoz , Besançon.
La Lettre du Rhumatologue - n° 307 - décembre 2004
Figure 3. IRM : T1 lésion hétérogène bien limitée, appendue au sacrum.
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Figure 4. Histologie : cellules physaliphores dans une substance fondamentale mucoïde avec une architecture alvéolaire caractéristique d’un
chordome.
Le chordome sacré touche préférentiellement les hommes
(deux hommes/une femme) et représente 20 % des tumeurs
sacrées.
Le développement est lent, avec un envahissement des structures locales. Des calcifications au sein de la tumeur peuvent
se rencontrer mais sont reliées à un phénomène de “soufflage” de l’os voisin plus qu’à des calcifications à proprement parler. Le diagnostic est évoqué devant des douleurs,
des troubles neurologiques déficitaires, une voussure souscutanée ou un bombement rétrorectal souple, comme dans
notre observation.
Les radiographies standard du sacrum sont peu contributives,
mais peuvent tout de même retrouver des lésions de destructions
périphériques du sacrum.
L’imagerie par TDM et IRM complète le bilan d’extension
locale.
Le diagnostic est confirmé par l’analyse histologique et immunohistologique. En effet, on retrouve l’association de cellules physaliphores, d’une substance fondamentale mucoïde avec une
architecture alvéolaire. La distinction avec un adénocarcinome
repose sur la présence de kératine et de la protéine S100 qui sont
assez spécifiques du chordome.
Le risque de récidive locale est majeur après exérèse, estimé
constant par certains auteurs. Une extension métastatique est
signalée dans 5 à 17 % des séries avec principalement des localisations pulmonaires (48 %), osseuses (26 %), ganglionnaires et
hépatiques...
Les principaux diagnostics différentiels sont répertoriés dans le
tableau ci-dessous.
Tableau. Diagnostics différentiels des lésions sacrées.
Dysraphies
✓ Moelle attachée
✓ Méningocèle intra- et présacrée
✓ Tumeurs congénitales
✓ Kyste périradiculaire de Tarlov
✓ Agénésie sacrée
Tumeurs nerveuses
✓ Neurinome et neurofibrome
✓ Épendymome
✓ Méningiome
Tumeurs osseuses
✓ Secondaires
✓ Primitives
✓ Chordome
✓ Kyste anévrismal
✓ Autres : sarcome d’Ewing, ostéosarcome,
chondrosarcome, fibrosarcome, sarcome
réticulaire, lymphome, myélome,
Hodgkin, ostéoblastome bénin, ostéome
ostéoïde, ostéochondrome
Figure 5. Immunohistologie : marqueur protéine S100 caractéristique
d’un chordome.
Le traitement a consisté en une exérèse chirurgicale carcinologique. Cette intervention s'est compliquée de troubles sphinctériens sévères. Une récidive locale, après 18 mois, a imposé une
nouvelle exérèse chirurgicale. L’indication d’un traitement adjuvant par photonthérapie ou ion carbone a été discutée.
DISCUSSION
Le chordome est une tumeur maligne qui se développe lentement à partir des résidus embryonnaires de la notochorde ou
chorde. Cette chorde se met en place à partir du 17e jour de vie
embryonnaire. Elle se forme à partir d’une invagination de l’ectoderme, et sert d’axe pour la mise en place et le développement
du rachis. Les reliquats de cette structure forment les nucléus
pulposus.
Le chordome peut toucher tous les segments rachidiens avec une
localisation élective au niveau sacrococcygien (55 % des cas) et
du clivus sphénoïdien (30 % des cas).
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Pathologie
de proximité
Le traitement est le plus souvent une exérèse carcinologique.
La tumeur est chimiorésistante et radiorésistante. Certaines
équipes proposent de la neutronthérapie, voire de la carbon-ionthérapie, encore en cours de développement.
La Lettre du Rhumatologue - n° 307 - décembre 2004
C
CONCLUSION
Cette observation rappelle la difficulté du diagnostic des lésions
tumorales sacrées, qui doivent faire évoquer, en cas de lésion
unique, un chordome.
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Po u r e n s av o i r p l u s . . .
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pathologique. In : Manelfe C (ed). Imagerie du rachis et de la moelle. Paris :
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sous la seule responsabilité de leurs auteurs.
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EDIMARK S.A.S. © mai 1983
Imprimé en France - Differdange SA - 95110 Sannois - Dépôt légal : à parution
Est routé avec ce numéro un supplément de 12 pages
intitulé “Les Nouvelles des rhumatismes inflammatoires”.
La Lettre du Rhumatologue - n° 307 - décembre 2004
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