DOSSIER Vitamine D et cancers Vitamin D and cancers M. Espié*, F. Ledoux*, F. Coussy* L’ idée que le manque de vitamine D pourrait participer au risque de survenue de cancers est liée à la constatation que les cancers sont généralement plus fréquents dans les pays du Nord que dans les pays du Sud. L’exposition importante aux ultraviolets B (UVB) entraîne une plus forte photosynthèse de vitamine D. Les taux des métabolites de la vitamine D sont ainsi plus élevés et, de ce fait, les risques de développer certains cancers sont plus faibles (1). Il existe des supports biologiques à ce rôle protecteur éventuel, et aussi des récepteurs à la vitamine D dans beaucoup de tissus de l’organisme. Des modèles expérimentaux tendent à démontrer que le calcitriol facilite la différenciation cellulaire et exerce des activités anti-inflammatoires, anti-angiogéniques, proapoptotiques et antiproliférantes (2). Sur cultures cellulaires, le calcitriol participe à l’expression des récepteurs des androgènes et de l’estradiol, module l’action de facteurs de croissance (IGFBP-3) et interfère avec l’action de kinases impliquées dans la carcinogenèse. Des taux bas de vitamine D peuvent être associés à des facteurs de risque de cancers : comme l’obésité (la vitamine D est stockée dans le tissu adipeux), l’absence d’activité physique (corrélée souvent à moins d’activité en plein air et donc à une exposition solaire moindre), au fait d’être noir (facteur de risque aux États-Unis, avec une synthèse moins importante de vitamine D en réponse à l’exposition au soleil). Ces dosages ne tiennent pas compte des apports alimentaires, des supplémentations éventuelles… la maladie en elle-même peut empêcher ou réduire l’exposition au soleil, modifier l’alimentation pouvant ainsi réduire les taux de vitamine D. Un lien causal est donc difficile à mettre en évidence. En clinique, les données sont contradictoires Trois essais d’intervention ont été publiés, 1 en Grande-Bretagne, 2 aux États-Unis, ils ne retrouvent pas, tous cancers confondus, de réduction d’incidence dans les bras avec les supplémentations en vitamine D. Cependant, en 2007, un essai randomisé mené aux États-Unis a montré qu’une supplémentation en vitamine D (1 100 UI/j) réduisait le nombre total de cancers apparus chez des femmes ménopausées (p < 0,003) [3]. Vitamine D et cancer du sein En France, l’étude E3N ne retrouve globalement pas de lien entre vitamine D et cancer du sein. Cependant, dans les régions avec une plus forte exposition aux UV et chez les femmes ménopausées avec un apport alimentaire ou une supplémentation élevés, le risque de cancer du sein est diminué (HR : 0,68 ; IC95 : 0,54-0,85) [4]. L’étude randomisée WHI a comparé chez 1 067 patientes versus 1 067 témoins un placebo à une supplémentation en calcium (1 000 mg) avec la vitamine D (400 UI/j) pour une durée moyenne de 7 ans. Il n’a pas été observé de différence d’incidence concernant le cancer du sein (HR : 0,96 ; IC95 : 0,851,09). Le taux de base de vitamine D n’a également pas été corrélé à la survenue d’un cancer du sein (5). Cependant, dans une nouvelle analyse de cet essai et en ne prenant en compte que les femmes qui ne prenaient pas de calcium et de vitamine D au moment de la randomisation, les auteurs retrouvent une réduction de la survenue de cancer du sein de l’ordre de 14 à 20 % chez les femmes supplémentées (6). Une méta-analyse a été publiée en 2010 (7) et a repris 10 articles. Dans les études prospectives, elle ne retrouve aucun lien entre les taux de vitamine D et le risque de survenue de cancer. Les études castémoins, dont les auteurs soulignent le caractère hétérogène, retrouvent en revanche une réduction significative. Une nouvelle méta-analyse a été publiée en 2011 (8). Vingt-huit études ont été reprises, 3 prospectives et 25 rétrospectives cas-témoins. Parmi celles-ci 5 concernaient le cancer du sein, dont 1 a été jugée Références bibliographiques 1. Grant WB, Mohr SB. Ecological studies of ultraviolet B, vitamin D and cancer since 2000. Ann Epidemiol 2009;19(7):446-54. 2. Krishnan AV, Feldman D. Mechanisms of the anti-cancer and antiinflammatory actions of vitamin D. Annu Rev Pharmacol Toxicol 2011;51:311-36. 3. Lappe JM, Travers-Gustafson D, Davies KM, Recker RR, Heaney RP. Vitamin D and calcium supplementation reduces cancer risk: results of a randomized trial. Am J Clin Nutr 2007;85(6):1586-91. 4. Engel P, Fagherazzi G, Mesrine S, Boutron-Ruault MC, ClavelChapelon F. Joint effects of dietary vitamin D and sun exposure on breast cancer risk: results from the French E3N cohort. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 2011;20(1):187-98. 5. Chlebowski RT, Johnson KC, Kooperberg C et al. Calcium plus vitamin D supplementation and the risk of breast cancer. J Natl Cancer Inst 2008;100(22):1581-91. 6. Bolland MJ, Grey A, Gamble GD, Reid IR. Calcium and vitamin D supplements and health outcomes: a reanalysis of the Women's Health Initiative (WHI) limited-access data set. Am J Clin Nutr 2011;94(4):1144-9. 7. Yin L, Grandi N, Raum E, Haug U, Arndt V, Brenner H. Meta-analysis: serum vitamin D and breast cancer risk. Eur J Cancer. 2010;46(12):2196-205. 8. Chung M, Lee J, Terasawa T, Lau J, Trikalinos TA. Vitamin D with or without calcium supplementation for prevention of cancer and fractures: an updated metaanalysis for the US preventive services task force. Ann Intern Med 2011;155(12):827-38. * Oncologie médicale, centre des maladies du sein, hôpital Saint-Louis, Paris. La Lettre du Gynécologue • n° 375 - octobre 2012 | 23 LG 2012-10.indd 23 18/10/12 11:09 Mots-clés Points forts Vitamine D Cancer »» On constate que les cancers sont plus fréquents dans les pays du Nord que dans les pays du Sud. »» Un lien causal entre vitamine D et cancers n’est pas démontré, des études montrent cependant une réduction de survenue de cancers, notamment du cancer colique et peut-être du cancer du sein. Highlights »» We notice that cancers are more frequent in the North countries than in the South ones. »» A causal relationship between vitamin D and cancers is not demonstrated. However studies show a decrease in the occurrence of cancers especially regarding colon cancer and possibly for breast cancer. de trop mauvaise qualité pour être retenue. Parmi les 4 études analysées regroupant 2 363 patientes comparées à 2 363 témoins, il n’a pas été mis en évidence d’effet-dose entre les taux plasmatiques de vitamine D et la survenue ultérieure de cancer du sein (OR : 0,99 ; IC95 : 0,97-1,01 ; p = 0,425). Chez des patientes atteintes d’un cancer du sein, l’étude WHEL s’est intéressée à une éventuelle réduction du risque de rechute en fonction du taux plasmatique de vitamine D. Aucune corrélation n’a été mise en évidence (OR : 1,14 ; IC95 : 0,57-2,31) [9]. Keywords Vitamine D et cancer du côlon Vitamine D Cancer Références bibliographiques (suites) 9. Jacobs ET, Thomson CA, Flatt SW et al. Vitamin D and breast cancer recurrence in the Women's Healthy Eating and Living (WHEL) Study. Am J Clin Nutr 2011;93(1):108-17. 10. Huncharek M, Muscat J, Kupelnick B. Colorectal cancer risk and dietary intake of calcium, vitamin D, and dairy products: a meta-analysis of 26,335 cases from 60 observational studies. Nutr Cancer 2009;61(1):47-69. 11. Gilbert R, Martin RM, Beynon R et al. Associations of circulating and dietary vitamin D with prostate cancer risk: a systematic review and dose-response metaanalysis. Cancer Causes Control 2011;22(3):319-40. 12. Weinstein S. Serum 25-hydroxyvitamin D and risk of lung cancer in male smokers: a nested case-control study. PLoS One2011;6(6):e20796. 13. Helzlsouer KJ. Overview of the cohort consortium vitamin D pooling project of rarer cancers. Am J Epidemiol 2010;172(1):4-9. 14. Mondul AM, Weinstein SJ, Mannisto S et al. Serum vitamin D and risk of bladder cancer. Cancer Res 2010;70(22):9218-23. Une méta-analyse menée en 2009 et regroupant 60 études (10) montre que les sujets qui ont un taux de vitamine D supérieur ou égal à 33 ng/ml ont un risque divisé par 2 de développer un cancer du côlon par rapport à ceux ayant un taux inférieur ou égale à 12 ng/ml. L’étude européenne EPIC a confirmé ces données. La majorité des études constatent d’ailleurs ce rôle “protecteur” de la vitamine D. L’étude randomisée WHI (6) montre un risque diminué en faveur de la supplémentation chez les femmes ne prenant pas de traitement hormonal substitutif (THS) alors que l’inverse a été mis en évidence chez les femmes prenant un THS. Dans la méta-analyse de 2011, Chung et al. (8) observent 6 % de décroissance du risque de développer un cancer colorectal (OR : 0,94 ; IC95 : 0,910,97 ; p < 0,001) pour chaque élévation de 10 nmol/l de concentration plasmatique en vitamine D. Vitamine D et cancer de la prostate Une méta-analyse de 2011 a repris 25 publications (11). Pour les études prospectives, il n’a pas été mis de corrélation en évidence. Pour les études cas-témoins, les auteurs ont observé une grande hétérogénéité et concluent qu’il est peu probable que la vitamine D joue un rôle majeur tant dans la prévention du cancer de la prostate que dans sa progression (11). La méta-analyse de 2011 ne retrouve également aucun bénéfice (OR : 1,01 ; IC95 : 0,99-1,04 ; p = 0,35). Vitamine D et cancer du poumon Les données sont rares et contradictoires. Dans l’étude NHANES, aucune corrélation n’a été mise en évidence initialement. Avec davantage de recul, on a noté une mortalité accrue par cancer du poumon chez les hommes qui avaient initialement un fort taux de vitamine D. Dans une étude finlandaise, il n’a globalement pas été noté d’association, mais une réduction du risque a été observé chez les femmes et chez les moins de 50 ans. Une récente étude castémoins aux États-Unis n’a retrouvé aucune association chez des hommes fumeurs, sauf peut-être chez ceux ayant été prélevés en hiver au moment où la biosynthèse de la vitamine D est réduite (12). Vitamine D et cancers de l’endomètre, de l’œsophage, de l’estomac, des reins, des ovaires, du pancréas, des voies aérodigestives supérieures et lymphome non hodgkinien Aucune association n’a été retrouvée. Il faut noter cependant qu’un risque plus important de cancer du pancréas a été observé pour des taux élevés de vitamine D (> 100 nmol/l) [13]. Une étude randomisée, réalisée chez des hommes fumeurs, porte sur une supplémentation en tocophérol et en bêtacarotène associée à un risque de survenue de cancer de la vessie. Les taux plasmatiques de vitamine D ont été dosés et il a été retrouvé un risque accru de cancer de la vessie pour des taux bas de vitamine D (p = 0,04) incitant à mener de nouvelles études (14). Conclusion Au final, il est difficile d’affirmer que des taux sériques élevés de vitamine D protègent des cancers en général et que l’association, lorsqu’elle existe, est causale même si les données expérimentales sont en faveur d’un rôle bénéfique de cette vitamine et qu’il existe une forte présomption d’effet positif concernant le cancer colique. Des essais d’intervention sont en cours. ■ 24 | La Lettre du Gynécologue • n° 375 - octobre 2012 LG 2012-10.indd 24 18/10/12 11:09