DOSSIER THÉMATIQUE Prédispositions génétiques au cancer du sein GENEPSO : cohorte nationale prospective de personnes porteuses d’une mutation sur les gènes BRCA1 et BRCA2 GENEPSO: French BRCA1/2 carrier cohort study E. Fourme, C. Picard, M.L. Manche-Thévenot, C. Noguès, groupe Génétique et cancer* Présentation de l’étude C * Service d’épidémiologie clinique et d’information médicale, Centre RenéHuguenin, Saint-Cloud. inq pour cent des cas de cancer du sein et de l’ovaire seraient dus à une prédisposition génétique transmise selon le mode autosomique dominant. Les mutations des gènes BRCA1 et BRCA2 sont responsables d’une partie de ces formes héréditaires. Plusieurs questions continuent de se poser pour améliorer la prise en charge des familles dans lesquelles une telle mutation a été identifiée : ➤➤ Quel est le risque qu’un sujet porteur d’une mutation développe un cancer du sein et/ou de l’ovaire et/ ou un autre cancer au cours de sa vie ? ➤➤ Ces risques de cancer sont-ils modifiés par des facteurs hormonaux, d’autres facteurs génétiques ? ➤➤ Doit-on utiliser les mêmes paramètres pour évaluer le pronostic des cancers du sein et de l’ovaire associés à une altération des gènes BRCA1/2 que ceux utilisés pour les cancers communs ? ➤➤ Quel est l’impact psychologique et social pour une personne qui se sait prédisposée au cancer du sein et/ou de l’ovaire ? Une cohorte nationale de près de 1 600 femmes et hommes porteurs d’une mutation constitutionnelle délétère sur BRCA1/2, atteints ou non de cancer (cohorte GENEPSO), est à ce jour constituée pour permettre de répondre à ces questions ; 29 centres d’oncogénétique sont actifs (38 investigateurs). Le 10 | La Lettre du Sénologue • n° 43 - janvier-février-mars 2009 recueil standardisé de données épidémiologiques et cliniques initié fin 1999 est en cours ainsi que le suivi de ces personnes qui est organisé sur 10 ans. Le recul médian sur cette cohorte est de 3 ans, ce qui implique la poursuite d’un important travail de collecte de données. Les personnes de 18 ans et plus sont incluses à partir des consultations d’oncogénétique. Elles complètent un questionnaire épidémiologique et psychologique d’inclusion. Une mise à jour active est organisée à 1 an, 2 ans, 3 ans, 5 ans, 7 ans et 10 ans. Les arbres généalogiques sont collectés ainsi que des données sur la mutation en cause. Des livrets cliniques sont remplis par l’investigateur pour chaque cas de cancer (caractéristiques morphocliniques, traitements et devenir). Des informations sont recueillies sur les chirurgies prophylactiques (type et âge de réalisation). Le grand nombre d’inclusions au cours des huit dernières années nous a permis d’être présents à l’échelle européenne. Des collaborations internationales ont été mises en place (1-5). Les collaborations prévues en France sur les projets spécifiques s’organisent et, pour certaines d’entre elles, des analyses sont en cours. GENEPSO est une cohorte nationale soutenue par le groupe Génétique et cancer et bénéficie de plusieurs financements structurants (Ligue nationale contre le cancer et Fondation de France). DOSSIER THÉMATIQUE Analyses en cours sur les données françaises Estimation du risque de cancer du sein et de l’ovaire Les estimations du risque de cancer du sein ou de l’ovaire des personnes ayant une mutation délétère d’un des gènes BRCA1/2 sont très variables d’une étude à l’autre, mais toutes trouvent des risques plus élevés que ceux estimés dans la population générale. Le risque de développer un cancer du sein avant 70 ans varie de 40 % à 85 %, alors que ce risque est de l’ordre de 10 % dans la population générale. Celui de développer un cancer de l’ovaire avant 70 ans varie de 10 % à 63 %, alors qu’il est de l’ordre de 1 % dans la population générale. La plupart de ces estimations ont été faites à partir de données rétrospectives avec des biais de recensement qui sont plus ou moins bien pris en compte dans les analyses. Les études prospectives de porteurs de mutation délétère indemnes de pathologie cancéreuse doivent permettre une estimation sans biais du risque de cancer. Les risques relatifs de cancer sont estimés par les standard incidence ratio (SIR). Le nombre de cancers attendus est calculé à partir des incidences de la population générale. Les taux d’incidence de référence par localisation, par tranches d’âge de 5 ans et par périodes, utilisés pour le calcul des cas attendus sont ceux produits par FRANCIM/InVS 2005. Le nombre de cancers observés est le nombre de cas de cancer du sein et de l’ovaire observés pendant la période de suivi. Celle-ci est calculée à partir de la date d’inclusion dans la cohorte jusqu’à la date de dernières nouvelles ou la date de diagnostic de cancer du sein. Les SIR sont estimés en fonction de l’âge et du gène muté (BRCA1 ou BRCA2). À ce jour, GENEPSO a inclus 1 335 femmes et 228 hommes. Parmi ces 1 335 femmes, 752 étaient indemnes de pathologie cancéreuse à l’inclusion dans la cohorte. Soixante deux pour cent des femmes indemnes à l’inclusion présentent une mutation délétère de BRCA1. L’âge moyen au moment de l’inclusion dans la cohorte est de 38 ans (médiane : 37 ans, extrêmes : de 18 à 98 ans). Le suivi médian des 752 femmes indemnes est d’environ 2 ans (avec un maximum de 7,5 ans). Quarante-quatre cancers du sein incidents ont été observés jusqu’à présent. Nous confirmons que le risque de cancer du sein pour les femmes porteuses d’une mutation BRCA1/2 est très significativement supérieur à celui de la population générale féminine française : BRCA1 : SIR = 21,8 ; IC95 : 14,9-30,9 ; BRCA2 : SIR = 17,6 ; IC95 : 9,3-30. Ce qui se traduit par un risque de développer un cancer du sein à 70 ans de l’ordre de 81 % pour BRCA1 et 82 % pour BRCA2. Ces résultats sont les premiers issus de données prospectives à l’échelle nationale sur le risque de cancer de personnes porteuses de mutations constitutionnelles BRCA1/2. Une seconde analyse sera conduite ayant pour objectif d’estimer le risque de second cancer du sein et le risque de cancer de l’ovaire. Chirurgie prophylactique Des recommandations nationales et internationales sur la prise en charge des personnes porteuses d’une mutation des gènes BRCA1/2 existent, en particulier sur la chirurgie préventive. À ce jour, le taux de réalisation de ces pratiques chirurgicales préventives n’est pas connu en France. Une description préliminaire de la fréquence de la chirurgie prophylactique mammaire et ovarienne parmi les femmes indemnes ou non de pathologie cancéreuse au moment de l’inclusion dans la cohorte a été présentée lors du congrès de la SFSPM à La Baule et permet d’estimer, pour la première fois, ces pratiques chirurgicales en France. Ce que l’on peut noter d’ores et déjà sur les femmes de la cohorte GENEPSO est que 51 % des femmes indemnes de pathologie cancéreuse âgées de 40 ans et plus ont eu recours à une chirurgie prophylactique ovarienne. Ce taux de réalisation atteint 60 % pour les femmes de 50 ans et plus. Le taux de mammectomie bilatérale prophylactique est faible (aux alentours de 5 %) parmi les femmes mutées BRCA1/2 et indemnes de pathologie cancéreuse. Ces premiers résultats apparaissent faibles au vu des recommandations françaises actuelles mais devront être analysés et nuancés en tenant compte de l’évolution des recommandations, en particulier sur la chirurgie préventive mammaire (6, 7), du recul par rapport au rendu de résultat du test génétique et de la complexité des éléments qui amènent à la prise de ce type de décision. ■ Références bibliographiques 1. Andrieu N, Goldgar D, Easton DF et al. Pregnancies, breastfeeding and breast cancer risk in the International BRCA1/2 Carrier Cohort Study (IBCCS). J Natl Cancer Inst 2006;98:535-44. 2. Andrieu N, Easton DF, ChangClaude J et al. Effect of chest X-rays on the risk of breast cancer among BRCA1/2 mutation carriers in the international BRCA1/2 Carrier Cohort Study: a report from the EMBRACE, GENEPSO, GEO-HEBON, and IBCCS Collaborators’ Group. J Clin Oncol 2006;24:3361-6. 3. Chang-Claude J, Andrieu N, Rookus M et al. Age at menarche and menopause and breast cancer risk in the international BRCA1/2 Carrier Cohort Study. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 2007;16:740-6. 4. Brohet RM, Goldgar DE, Easton DF et al. Oral contraceptives and breast cancer risk in the international BRCA1/2 Carrier Cohort Study: a report from EMBRACE, GENEPSO, GEO-HEBON, and the IBCCS Collaborating Group. J Clin Oncol 2007;25:3831-6. 5. Antoniou AC, Rookus M, Andrieu N et al. Reproductive and hormonal factors, and ovarian cancer risk for BRCA1 and BRCA2 mutation carriers: results from the International BRCA1/2 Carrier Cohort Study (IBCCS). Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 2009 (sous presse). 6. Expertise collective FNCLCCInserm. Risques héréditaires de cancers du sein et de l’ovaire. Quelle prise en charge ? Expertise collective Inserm, Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer. Paris : Éditions Inserm, 1998:635 p. 7. Eisinger F, Bressac B, Castaigne D et al. Identification et prise en charge des prédispositions héréditaires aux cancers du sein et de l’ovaire (mise à jour 2004). Bull Cancer 2004;91:219-37. La Lettre du Sénologue • n° 43 - janvier-février-mars 2009 | 11