DÉCLARATION SENAT DU GOUVERNEMENT

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N°
125
SENAT
SESSION
EXTRAORDINAIRE
DE
1973-1974
Annexe au procès-verbal de la séance du 22 janvier 1974.
DÉCLARATION
DU
GOUVERNEMENT
sur la politique monétaire,
LUE
Au nom de M. PIERRE MESSMER,
Premier Ministre,
Par M. Jean TAITTINGER,
Garde des Sceaux, Ministre de la Justice.
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
J'ai l'honneur de vous donner lecture du discours que pro­
nonce actuellement, devant l'Assemblée Nationale, M. le Premier
Ministre.
En proposant au Président de la République de convoquer
le Parlement en session extraordinaire, pour une durée limitée et
sur un ordre du jour précis, j'ai souhaité associer la représenta­
tion nationale et, à travers elle, l'opinion tout entière aux décisions
du Gouvernement en matière monétaire.
Politique monétaire. — Déclaration du Gouvernement.
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L'application de l'article 30 de notre Constitution ne répond
pas aujourd'hui à une nécessité technique — aucune disposition
d'ordre législatif ne vous est proposée — mais à une volonté
démocratique.
S'agissant de notre monnaie, dont la tenue et la défense sont
inséparables de toute notre politique économique et sociale, il
était naturel d'informer immédiatement les élus de la Nation de
la nature exacte et des motifs des décisions prises en Conseil des
Ministres le 19 janvier. Le Parlement a droit à cette information
et le pays pourra tirer profit des débats et des opinions qui seront
émises au cours de cette session extraordinaire .
Nous donnons ainsi une nouvelle preuve de notre volonté
d'entretenir avec les assemblées parlementaires le dialogue fruc­
tueux qui est une des bases de notre régime politique. L'objet
du débat est vraiment l'affaire de tous, notamment par ses impli­
cations sur le pouvoir d'achat et l'emploi ; il faut donc que la
discussion soit aussi large et approfondie que possible. Le Par­
lement en est le lieu d'élection et l'Assemblée Nationale pourra,
en toute connaissance de cause, exercer son droit de contrôle sur
l'action du Gouvernement.
Nous savons aussi que, de cette manière, tous les parlemen­
taires, députés et sénateurs, seront mieux à même de contribuer
à éclairer les Français sur la politique qui est suivie.
Car c'est bien d'une politique qu'il s'agit, au sens le plus
élevé du terme. La décision d'interrompre, pour une durée de
six mois, les interventions obligatoires de la Banque de France
sur le marché des changes, dont le Ministre de l'Economie et
des Finances vous entretiendra plus longuement, n'est pas une
réponse à une situation de crise . Rien d'urgent ou de dramatique
ne nous imposait de la prendre. Nos réserves, amassées au cours
des dernières années, et les concours que certains de nos parte­
naires nous offraient nous permettaient de faire face aux événe­
ments.
Notre choix, que nous avons voulu exercer dans le calme et
la liberté d'appréciation a été dicté par des considérations plus
profondes : c'était le seul qui nous permette, dans une période
troublée et difficile, de maintenir sûrement notre indépendance
de décision, sans compromettre notre volonté de coopération euro­
péenne. Il était la condition du maintien de la priorité que nous
accordons à la croissance et au plein emploi, sans nous priver
de nos moyens de lutte contre la hausse des prix.
— 3 —
Ainsi que le Président de la République l'a dit à plusieurs
reprises, les prochains mois, les prochaines années risquent d'être
difficiles pour l'économie mondiale et donc pour la France. Nous
entrons dans un monde différent de celui que nous avons connu
depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. En ce qui concerne
tant l'adaptation de notre économie et de nos conditions de déve­
loppement économique et social que notre stratégie internationale
et notamment nos rapports avec les pays producteurs de matières
premières, nous serons amenés à prendre des initiatives nouvelles,
à revoir certaines de nos priorités, à adapter nos structures.
Pour bien jouer cette carte, notre liberté d'action et notre
indépendance doivent être assurées. Beaucoup d'entre nous se
rappellent les entraves, le filet dans lequel nous étions enserrés
à certaines époques de la IV République lorsque notre autonomie
de décision était réduite par les menaces qui pesaient sur notre
monnaie .
Et nous étions obligés alors de demander, dans chaque crise,
une aide à l'étranger, à des conditions difficilement compatibles
avec notre souveraineté .
Telle n'est pas la situation actuelle. Mais qui peut affirmer,
dans un monde soumis depuis des années à des courants moné­
taires spéculatifs et brutaux, où la masse de capitaux flottants
est sans commune mesure avec les réserves dont disposent la
plupart des pays, qu'une telle situation ne se serait pas à nouveau
présentée ? Nous en aurions été l'une des premières victimes.
Il s'agit donc d'une politique volontariste qui refuse de se
laisser dominer par les événements et qui veut, au contraire, les
devancer pour éviter d'avoir à prendre des décisions sous l'empire
de la nécessité. A ceux qui nous reprocheraient cette mesure de
sagesse et de précaution, je demande quelles auraient été leurs
réactions et leurs critiques si nous nous étions présentés devant
vous en ayant perdu, sans utilité, une partie de nos réserves de
change ou laissé entamer le stock d'or de la France.
Les marins savent que la prudence et l'efficacité commandent
d'adapter la voilure, non pendant la tempête, mais avant.
Certes, nous aurions préféré, et c'est là, il ne faut pas le
cacher, l'inconvénient de notre choix, que ce fût l'Europe unie
qui puisse en commun définir cette politique, l'appliquer et la
défendre .
— 4 —
Mais, malgré nos efforts, malgré nos propositions, en dépit
de nos mises en garde, l'union économique n'en est encore qu'à
ses débuts .
Deux grandes nations n'ont pas pu en accepter les disciplines
monétaires. Nous n'avons pas obtenu, comme le Président de la
République l'a encore proposé à Copenhague, une véritable poli­
tique communautaire de lutte contre les mouvements des capitaux
internationaux flottants et par conséquent, contre la spéculation.
L'union monétaire devait être un fondement de la construc­
tion européenne, mais pour résister à des temps tourmentés, la
construction aurait dû être plus avancée.
Cela ne signifie pas que nous renonçons à nos ambitions en
ce domaine. Le délai de six mois que nous avons fixé à notre action
manifeste notre volonté de réintégrer les mécanismes commu­
nautaires. Et je souhaite que nous profitions de ce délai pour
fixer les conditions d'une construction européenne plus achevée
et par conséquent plus solide. Car il ne faut pas croire, ni laisser
croire, que le flottement de notre monnaie, décision qu'avaient
déjà adoptée deux des principaux pays de la Communauté pour
leur propre monnaie, brise notre effort commun. L'Europe, c'est
heureusement déjà beaucoup d'autres choses : les institutions
communautaires, la politique agricole commune qui n'est en rien
mise en cause, l'existence d'un grand marché intérieur protégé
vis-à-vis de l'extérieur par un tarif douanier unique, une volonté
de coopération politique. Sur tous ces points, la France est décidée
à aller de l'avant et s'efforce d'étendre cette action à tous les
domaines où se posent les problèmes urgents et vitaux pour
l'Europe, et je pense notamment à la politique énergétique.
Mais, et c'est le second point que je voudrais développer, le
renforcement de notre liberté de décision ne servirait à rien si,
ayant refusé de subir, nous n'étions décidés à agir.
Les grands objectifs que le Gouvernement a définis au cours
de la dernière session parlementaire, à l'occasion de la discus­
sion de la loi de finances pour 1974, s'imposent avec une acuité
accrue : la lutte contre l'inflation, la défense de la croissance
et du plein emploi.
Les répercussions des dernières hausses de prix du pétrole
et leurs conséquences sur l'équilibre de notre balance des paie­
ments rendront ces objectifs plus difficiles à atteindre dans un
monde où s'accentue la compétition entre les nations. Nous savons,
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et je l'ai déjà dit, que nous n'y parviendrons que si le pays tout
entier, conscient des difficultés, fait preuve de discipline et de sens
civique.
La décision monétaire que nous avons prise n'est pas, contrai­
rement à ce que certains commentateurs ont voulu laisser croire,
une dévaluation, même déguisée.
Une dévaluation, c'est la constatation d'une valeur inadaptée
de la monnaie qui compromet les exportations. La compétitivité de
notre industrie n'est pas entamée sur les marchés extérieurs ; les
résultats du commerce extérieur, au cours des derniers mois, en
témoignent. Mais la souplesse du nouveau régime que nous avons
adopté nous permettra, dans ce domaine qui devient plus encore
que par le passé prioritaire, d'accentuer et de faciliter notre effort.
Ainsi sera mieux stimulée la croissance et protégé l'emploi. Je
tiens à vous donner l'assurance que cette considération a été d'un
grand poids dans notre choix.
Ainsi dégagés des préoccupations quotidiennes de défense de
nos réserves de change et d'or, disposant de moyens de lutte
contre la hausse des prix que vous avez approuvés il y a un mois
et dont les effets vont s'amplifier dans les semaines à venir, ayant
renforcé la compétitivité de notre économie, nous pourrons mieux
aborder ce qui, à mes yeux, constitue l'essentiel, c'est-à-dire le
renforcement durable de la puissance et de l'indépendance écono­
mique de la France. Car c'est cela le vrai problème et le véritable
enjeu.
Les réussites spectaculaires que nous avons obtenues au cours
des quinze dernières années en matière de croissance de progrès
social et d'amélioration du niveau de vie nous ont fait croire
que l'accroissement rapide de nos richesses était une donnée
normale et immuable et que seul restait à régler le problème
de leur répartition. Les événements nous rappellent que cette
croissance, nous devons encore la consolider et la défendre. Ce
sera le rôle du VIIe Plan, dont les travaux de préparation sont
commencés, d'en fixer les moyens.
Mais sans attendre, le Gouvernement déterminera dans les
prochaines semaines les mesures à prendre pour assurer une plus
grande indépendance énergétique de notre pays, pour adapter nos
priorités en matière d'équipements collectifs, pour engager une
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politique industrielle conforme aux nouvelles exigences de la com­
pétition mondiale. Je vous en rendrai compte dès le début de la
prochaine session parlementaire.
L'orientation choisie par le Gouvernement, samedi dernier, ne
saurait se ramener à une déclaration d'ordre technique, si impor­
tante soit-elle.
C'est une décision politique, donc globale :
— parce qu'elle vise à accroître la capacité de la France à
assurer son indépendance dans une période troublée ;
— parce qu'il nous faut préserver le dynamisme de notre éco­
nomie au dedans et au dehors ;
— parce que des phénomènes mondiaux et incontrôlables ne
doivent pas pouvoir remettre en cause les priorités sociales de la
Ve République.
Les socialistes et les communistes demandent, paraît-il, que le
Gouvernement pose la question de confiance.
Il y a deux raisons de ne pas le faire.
D'abord, c'est à l'opposition à prendre ses responsabilités en
démontrant, si elle le croit utile, qu'elle est toujours contre tout,
quel que soit le sujet. Ensuite, parce qu'il ne serait conforme, ni
à la Constitution que nous entendons, nous, appliquer exactement,
ni à la situation qui motive cette session que nous engagions la
responsabilité du Gouvernement.
C'est pourquoi, je voudrais pour conclure appeler l'attention
de chaque parlementaire sur la nécessité, au-delà des options per­
sonnelles, d'affirmer sa volonté d'aider à la réussite d'une poli­
tique qui n'est pas seulement celle d'un gouvernement et de la
majorité qui lui fait confiance, mais de la France tout entière.
La critique est le droit de chacun mais la critique doit être res­
ponsable. Et la responsabilité première des élus de la Nation, c'est,
aujourd'hui, de faire en sorte qu'en France comme à l'étranger, il
soit clairement perçu que notre pays se mobilise sur une affaire
essentielle pour l'intérêt national.
Je suis convaincu que le Parlement saura, en ces circons­
tances, manifester qu'il veut œuvrer en ce sens et qu'il y consa­
crera toute sa détermination.
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