Angio fév. 98 22/04/04 12:19 Page 4815 Le phénomène de Raynaud... toujours présent Pierre Sintes* diagnostiqué à l’inTdeoujours terrogatoire, un phénomène Raynaud mérite un examen clinique complet qui sera suivi, dans tous les cas, d’une capillaroscopie, surtout s’il s’agit d’un Raynaud bilatéral et symétrique. La capillaroscopie orientera la suite des explorations complémentaires à la recherche d’une cause générale et notamment d’une collagénose. En revanche, en cas de forme unilatérale, l’écho-doppler est indispensable pour éliminer une lésion artérielle emboligène. Il pourra être complété par un EMG en cas de paresthésies systématisées. Au total, un examen clinique bien conduit et un bilan paraclinique simplifié éliminent, dans la majorité des cas, une forme secondaire. Si les règles hygiéno-diététiques sont toujours préconisées, les médicaments sont, en revanche, réservés aux formes sévères mais avec un résultat inconstant. * G.R.A.C.I.A., Hôpital Broussais, Paris. Décrit en 1862 par Maurice Raynaud l’acrosyndrome qui porte son nom garde tout son intérêt à l’aube du XXIe siècle du fait de sa grande fréquence et de la multiplicité des étiologies possibles. En effet, il peut être le témoin d’une simple hypersensibilité au froid, le plus souvent familiale, ou bien au contraire s’associer à d’autres symptômes dans le cadre d’une maladie systémique au pronostic sévère. Son diagnostic reste toujours clinique et le plus souvent une capillaroscopie est nécessaire pour orienter les autres examens complémentaires à la recherche d’une cause dans les phénomènes de Raynaud secondaires. De plus, sa physiopathologie garde encore une part de mystère. Epidémiologie En France, le phénomène de Raynaud a une prévalence de l’ordre de 4 %, avec des variations selon les régions et le sexe. Il touche surtout la femme, chez laquelle la fréquence varie de 3 à 6 %. On distingue les formes primitives des formes secondaires. Le phénomène de Raynaud idiopathique ou “maladie de Raynaud” est le plus répandu dans la population générale. Il s’agit d’un trouble fonctionnel, parfois gênant, mais d’évolution toujours bénigne. En revanche, les Raynaud secondaires s’intègrent dans des affections loco-régionales ou générales, ces dernières étant le plus souvent des collagénoses au pronostic sévère et au premier rang desquelles figure la sclérodermie généralisée. Dans une consultation hospitalière spécialisée, au recrutement biaisé, les Raynaud secondaires sont les plus fréquents, mais cela ne semble pas être le reflet de la réalité dans la population générale. Diagnostic clinique Le diagnostic d’un phénomène de 4815 Raynaud se fait toujours à l’interrogatoire. Parfois, les patients sont examinés au moment de la crise vasomotrice et le diagnostic est alors évident. Plus souvent, le patient se plaint d’avoir les “doigts morts” à l’exposition au froid durant dix à vingt minutes. A cette phase syncopale peuvent succéder une phase cyanique puis une phase hyperhémique plus ou moins douloureuses. En réalité, la simple notion de décoloration des doigts survenant de façon paroxystique au froid ou lors d’une émotion doit faire évoquer le diagnostic de phénomène de Raynaud. En dehors des crises, les doigts ont en général une coloration normale. Il est parfois utile de recourir à des photographies pour aider les patients à décrire leur trouble vasomoteur. Il s’agit d’un acrosyndrome paroxystique à différencier des autres acrosyndromes vasculaires permanents telle l’acrocyanose, fréquemment répandue chez les jeunes femmes, qui ont, dans ce cas, les mains rouges, moites et froides en permanence, avec au moment de l’exposition au froid une majoration des symptômes, voire un Raynaud sur un ou plusieurs doigts. A l’issue de cet interrogatoire, le diagnostic de Raynaud est porté et l’enquête étiologique doit commencer dès l’examen clinique. Bilan orienté d’un phénomène de Raynaud La multiplicité des causes possibles et la gravité de certaines d’entre elles imposent un bilan étiologique minimum. Celui-ci sera orienté en fonction de certains critères comme le sexe, l’âge, la profession du patient, la date d’apparition des premières crises et surtout l’uni- ou la bilatéralité du phénomène de Raynaud. C’est donc dès Angio fév. 98 22/04/04 12:19 Page 4816 l’interrogatoire et au cours de l’examen clinique que la recherche étiologique débute ; les examens complémentaires, comme la capillaroscopie ou l’échodoppler, ne sont que le prolongement de la clinique. Raynaud bilatéral Les principales causes sont le phénomène de Raynaud idiopathique (ou maladie de Raynaud) et les collagénoses, au premier rang desquelles figure la sclérodermie généralisée. - L’interrogatoire recherchera en priorité des arthralgies diffuses, des myalgies, des troubles digestifs et notamment un pyrosis. Une dyspnée d’effort évoquera une fibrose alvéolaire débutante. Un syndrome de GougerotSjögren sera suspecté devant une sécheresse buccale et oculaire. Il faudra également s’enquérir des traitements suivis et en particulier rechercher la prise de bêtabloquants, même en collyre, pouvant être à l’origine de l’acrosyndrome ou de la majoration d’un Raynaud préexistant. - L’examen clinique apportera une attention toute particulière à l’aspect des doigts et de la peau : doigts boudinés, infiltrés, sclérodactylie, cicatrices de nécrose pulpaire, présence de télangiectasies en pleine peau ou mégacapillaires visibles à l’œil nu au rebord unguéal. A l’issue de cet examen clinique, la démarche étiologique est déjà bien avancée et certains examens complémentaires doivent être envisagés en fonction de la cause recherchée. Cependant, un examen doit toujours être pratiqué en cas de phénomène de Raynaud bilatéral : il s’agit de la capillaroscopie au lit unguéal des doigts. - La capillaroscopie est l’examen complémentaire à réaliser systématiquement car elle est rarement normale dans les formes secondaires. Véritable prolongement de l’examen clinique dans le Act. Méd. Int. - Angiologie (14) n° 240, Février 1998 cadre d’une consultation angiologique, il s’agit d’un examen simple, non invasif, fiable et peu coûteux. La capillaroscopie visualise les capillaires au lit unguéal et permet de les quantifier et d’étudier leurs anomalies morphologiques (dystrophies mineures et mégacapillaires). On recherche également les anomalies des espaces péricapillaires (œdème, hémorragies) et de l’écoulement sanguin (sludge). A partir de ces différents critères, il est possible de distinguer un Raynaud idiopathique d’une microangiopathie organique (1). De plus, la présence de mégacapillaires est spécifique d’une sclérodermie généralisée ou d’un syndrome de Sharp ou encore d’une dermatomyosite. L’aspect capillaroscopique peut aussi être le témoin d’une microangiopathie organique non spécifique faisant alors suspecter un lupus systémique, un syndrome de Gougerot-Sjögren, une PAN ou une polyarthrite. La capillaroscopie permet donc de poursuivre et d’orienter la recherche étiologique. Ainsi, devant une capillaroscopie normale et une clinique évocatrice d’un Raynaud idiopathique, il n’est pas nécessaire de pousser plus loin les investigations. En revanche, une capillaroscopie anormale doit faire pratiquer un bilan biologique minimum (2) comprenant : NFS, plaquettes, cryoglobulinémie, facteurs antinucléaires. Si une sclérodermie généralisée est suspectée, la recherche de localisations viscérales s’impose : radio pulmonaire et des mains recherchant respectivement une fibrose alvéolaire et une calcinose sous-cutanée. Un syndrome sec sera éliminé par un test de Shirmer et une biopsie des glandes salivaires accessoires. Le bilan immunologique (3) est complété avec le dosage des autoanticorps anticentromères, anti-Scl 70 et antinucléolaires. 4816 Raynaud unilatéral Il témoigne le plus souvent d’une cause loco-régionale soit vasculaire soit neurologique. La capillaroscopie est dans ce cas peu contributive, et les examens complémentaires à privilégier sont donc l’écho-doppler et l’électromyogramme. - L’examen clinique recherche l’abolition d’un pouls, un souffle artériel. Il doit être complété par les manœuvres dynamiques à la recherche d’un syndrome de la traversée thoraco-brachiale. Le test d’Allen (5) est une manœuvre clinique très contributive en cas d’occlusion artérielle. La recherche d’une compression nerveuse est systématique au niveau du canal carpien, du coude et du défilé cervico-thoracique. - L’écho-doppler explore tout l’axe artériel, depuis la sous-clavière jusqu’aux flux pulpaires, à la recherche d’une lésion artérielle source d’embolies distales (sténose ou anévrysme) ou d’une obstruction artérielle. Chez un travailleur manuel utilisant des engins vibrants (6) ou chez certains sportifs (karaté, badminton, volley) (7), il faut éliminer un anévrysme cubital dû aux traumatismes répétés de la paume de la main. Il faut également pratiquer un doppler dynamique avec manœuvres d’abduction-rétropulsion des bras, manœuvres d’Adson et de Wright, dont la positivité est en faveur d’un syndrome de la traversée throraco-brachiale. En fonction des résultats de cet écho-doppler, une artériographie sera pratiquée en prévision d’une intervention chirurgicale (résection d’un anévrysme ou traitement d’une pince costo-claviculaire). - L’EMG est indiqué en cas de paresthésies du membre supérieur, celles-ci pouvant siéger dans le territoire du médian, du cubital ou du radial et témoignant alors d’une compression Angio fév. 98 22/04/04 12:19 Page 4817 localisée. Elles peuvent s’associer à un phénomène de Raynaud, mais celui-ci est toujours incomplet et limité à quelques doigts. Au terme de l’examen clinique et du bilan paraclinique, il est possible de distinguer : - les véritables phénomènes de Raynaud, répartis en forme idiopathique et formes secondaires ; - les phénomènes de Raynaud majorés par un processus pathologique intercurrent (médicamenteux, hématologique) ; - les associations fortuites entre un Raynaud ancien et une pathologie générale ne modifiant pas le trouble vasomoteur. Traitement En cas de Raynaud secondaire, le traitement est bien sûr celui de la cause mais, même lorsque cela est possible, le trouble vasomoteur peut persister ensuite. Dans tous les cas, la prise en charge thérapeutique reposera sur des conseils hygiéno-diététiques : protection contre le froid, arrêt du tabac. Il faut avertir ces patients que certains médicaments leur sont contre-indiqués (dérivés de l’ergot de seigle, bêtabloquants, sympathomimétiques). De même, il faut être très prudent en cas de chirurgie podologique, car il y a un risque de complications postopératoires (algies, retard de cicatrisation, algoneurodystrophies). Le recours à un traitement médicamenteux est proposé en cas de gêne fonctionnelle importante ayant une répercussion sur les activités professionnelles ou quotidiennes du patient. Mais ce traitement est souvent décevant. En cas de Raynaud idiopathique, il faut avant tout rassurer le patient et lui expliquer le caractère bénin de sa maladie et l’absence de complication à long terme. Les vaso-actifs sont bien tolérés mais leur effet reste le plus souvent modéré et parfois transitoire. Ils méritent cependant d’être essayés en première intention. Les sympatholytiques, et en particulier la prazosine, qui est un inhibiteur des récepteurs alpha-1 post-synaptiques, peuvent être employés, mais avec prudence en raison de leur risque d’hypotension orthostatique. Les inhibiteurs calciques (8) sont les plus efficaces pour diminuer la fréquence et l’intensité des crises. Cependant, leurs effets secondaires sont nombreux et gênants (flush du visage, céphalées, œdèmes des membres inférieurs, hypotension). De plus, ils sont contre-indiqués en cas de BAV et doivent être prescrits chez les jeunes femmes sous couvert d’une contraception. Ils doivent donc être réservés aux formes sévères. La trinitrine par voie percutanée donne des résultats satisfaisants mais sa tolérance générale est souvent médiocre. Conclusion De diagnostic clinique, le phénomène de Raynaud nécessite toujours un bilan étiologique minimum. Celui-ci comprend un examen clinique complet et presque toujours une capillaroscopie, qui permettra d’orienter les autres examens complémentaires. En cas de Raynaud bilatéral et symétrique, une capillaroscopie et un bilan biologique minimum sont nécessaires car il peut s’agir d’une collagénose (sclérodermie généralisée), même si le Raynaud idiopathique est le plus fréquent. Une forme unilatérale et incomplète évoque plutôt une cause artérielle loco-régionale nécessitant la pratique d’un échodoppler à la recherche d’une obstruction artérielle ou d’un anévrysme. En dehors d’un traitement étiologique 4817 peu fréquent, les mesures thérapeutiques reposent sur une protection rigoureuse contre le froid et la prescription d’un vaso-actif ou d’un inhibiteur calcique en cas de gêne fonctionnelle importante. Bibliographie 1- Vayssairat M., Priollet P. : Atlas pratique de capillaroscopie. Ed. de la Revue de Médecine, Paris, 1983. 2- Priollet P., Yeni P., Vayssairat M., Segond P., Tallou F., Housset E. : Bilan étiologique minimum des phénomènes de Raynaud. Cent deux cas. Presse Méd., 1985, 14 : 1999-2003. 3- Kallenberg C.G.M., Pastoor G.W., Wouda A.A. : Antinuclear antibodies in patients with Raynaud’s phenomenon : clinical significance of anticentromere antibodies. Ann. Rheum. Dis., 1982, 41 : 382-387. 4- Le Quentrec P., Lefebvre M.L. : Doubleblind placebo-controlled trial of Buflomedil in the treatment of Raynaud’s phenomenon : six month follow-up. Angiology, 1991, 42 (4) : 289-95. 5- Pistorius M.A., Faucal (de) P., Planchon B., Grolleau J.Y. : Intérêt du test d’Allen dans la recherche d’une artériopathie distale au cours du phénomène de Raynaud. Etude prospective sur une série continue de 576 patients. J. Mal. Vasc., 1994, 19 : 17-21. 6- Spencer-Green G., Morgan G.J., Brown L., Fitzgerald O. : Hypothenar hammer syndrome : an occupational cause of Raynaud’s phenomenon. J. Rheumatol., 1987, 14 : 10481051. 7- Vayssairat M., Priollet P., Capron L., Hagege A., Housset E. : Does Karate injure blood vessels of the hand. Lancet, 1984, 11 : 529. 8- Rhedda A., Mc Causs J., William A.R., Ford P.M. : A double blind placebo controlled cross over randomized trial of diltiazem in Raynaud’s phenomenon. J. Rheumatol., 1985, 12 : 724-727.