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Médecine
& enfance
Prescription ou conseil éducatif ?
D’après la communication de D. Marcelli, centre hospitalier Henri-Laborit, Poitiers, à la 10e Journée Arepege-Médecine et enfance
Rédaction : H. Collignon
Le conseil éducatif donné par le pédiatre dans certains troubles du développement
de l’enfant réalise une autoprescription du médecin par lui-même. Il doit s’inscrire
dans la durée et nécessite une alliance thérapeutique avec les parents.
a pédopsychiatrie et tout le
champ de la médecine qui concerne le comportement de l’enfant
ont ceci de particulier par rapport à la
médecine somatique qu’ils ne comportent pas de signe pathognomonique, ce
signe impérial de la médecine qui permet d’affirmer l’existence d’une pathologie. L’abord des troubles n’est pas catégoriel, maladie/absence de maladie,
mais dimensionnel, selon une progression du normal au pathologique.
Les pédiatres de leur côté ont cette particularité qu’ils ne se préoccupent pas seulement des maladies mais aussi du développement de l’enfant et de sa santé. Et
dans le domaine du développement, les
problématiques sont là aussi beaucoup
plus souvent dimensionnelles que catégorielles, ce qui suppose un mode de raisonnement particulier, auquel prépare
assez peu la formation médicale.
L
La construction d’une conduite
ne peut se comprendre en se
référant à sa désorganisation.
Les conditions qui président à la
construction d’une conduite ne peuvent
être assimilées à celles qui président à sa
déstructuration. Le développement historique de l’ADHD (« attention deficit hyperactivity disorder ») illustre bien cette
notion conceptuellement très importante. La première période remonte au début du 20e siècle, avec l’observation de
troubles sévères du comportement, notamment d’une grande agitation, chez
des enfants rescapés d’une épidémie
d’encéphalite qui a touché les Etats-Unis
et l’Europe en 1917-18. Par la suite,
d’autres atteintes cérébrales, traumatismes crâniens, infections… ont été envisagées comme pouvant être à l’origine
de troubles comportementaux. Dans les
années 50, un parallèle est fait entre les
enfants présentant des séquelles d’encéphalite à type d’agitation et les enfants
instables, dont on supposait alors qu’ils
présentaient des lésions cérébrales mineures. Le concept de « minimal brain
damage » est ensuite remplacé par celui
de « minimal brain dysfunction » (MBD),
qui est donc l’ancêtre de l’ADHD. Dans
les années 70, on avance l’hypothèse
d’un déficit en dopamine, hypothèse qui
ne pourra jamais être confirmée. Plus récemment, l’implication d’un facteur génétique a été évoquée.
Les changements de définition de
l’ADHD dans les différentes éditions du
DSM (Diagnostic and Statistical Manual) reflètent l’évolution des concepts,
l’accent étant mis essentiellement sur
l’hyperactivité dans le DSM II, tandis
que les troubles de l’attention apparaissent en première ligne dans le DSM IV
révisé, dans lequel ces troubles figurent
sous l’appellation « troubles déficitaires
de l’attention avec ou sans hyperactivité/impulsivité ».
La construction de l’attention
fait intervenir une dimension
éducative.
Plutôt que d’un gène ou d’un neurotransmetteur, la construction de l’attention
chez l’enfant relève d’une transmission
éducative au travers des jeux entre parents et enfant et grâce à la capacité des
parents à étayer l’attention de leur bébé.
Cette dimension éducative intervient
ainsi de façon essentielle dans le sentiment qu’acquiert l’enfant d’être l’auteur
de ses propres actes, ce que les neurocognitivistes dénomment l’agentivité. Des
travaux de recherche dans ce domaine
ont révélé l’implication de certaines aires
cérébrales dans ce processus d’agentivité
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et l’existence d’anomalies d’activité de
ces régions dans certaines pathologies
comme la schizophrénie. Pour autant ce
serait faire un raccourci hâtif et s’exonérer de la dimension relationnelle de
considérer que les troubles envahissants
du développement s’expliquent par des
anomalies neurofonctionnelles au niveau de ces régions cérébrales.
Là encore la construction d’une conduite ne peut être comprise en se référant
au modèle de sa désorganisation.
Les conditions de l’éducation
sont impliquées dans l’augmentation de la fréquence des TOP.
La médecine a une fâcheuse tendance à
raisonner en tirant de la lecture du passé
le pronostic du devenir : tous les psychopathes incarcérés ont un passé chaotique
avec des antécédents de TOP (troubles
oppositionnels avec provocation) dans
l’enfance, de troubles des conduites à
l’adolescence, etc., donc tous les enfants
qui ont des troubles des conduites sont à
haut risque de devenir de dangereux psychopathes. Or cette évolution qui mène
des TOP aux troubles des conduites, puis
aux troubles de la personnalité et à la délinquance ne concerne qu’une proportion
infime des enfants ayant des TOP.
Les TOP semblent en constante augmentation depuis quelques années, avec
toutefois des différences de fréquence
notables selon les pays, celle des EtatsUnis étant le triple de celle constatée en
France. Comment expliquer ce phénomène ? Un gène de l’opposition est-il en
train d’émerger ? Une bactérie, un virus
contamine-t-il le cerveau de nos jeunes
enfants ? A moins qu’il ne s’agisse d’une
modification de l’équilibre des neurotransmetteurs cérébraux ? Plus sérieusement, ce sont les conditions de l’édu-
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cation qui semblent devoir être prises en
compte dans cette évolution.
Nous sommes aujourd’hui dans l’ère de
ce que l’on pourrait appeler le solipsisme individuel. L’immense majorité des
enfants vivent entre la naissance et l’âge
de l’autonomie motrice dans un monde
merveilleux où ils bénéficient de la plus
grande attention, où tout est fait pour
satisfaire leurs désirs. L’enfant est ainsi
exhorté à faire ce qu’il veut, ou du
moins ce qu’il peut, entouré de la sollicitude bienveillante de ses proches.
Mais, à partir du moment où il commence à marcher, courir, grimper, il devient nécessaire de le limiter. Et le jeune
enfant qui entre dans cette phase de
conquête motrice, qui découvre la jubilation de marcher, de courir, de s’accaparer les objets dont l’accès était auparavant dépendant du bon vouloir de
l’adulte, n’a aucune envie de se voir entravé dans son exploration du monde.
S’ensuivent inévitablement des tensions
entre l’adulte soucieux de mettre des limites et l’enfant qui les refuse.
Le conseil éducatif suppose une
participation active des parents
Pour aider les parents, sans les disqualifier, à poser des limites, il faut leur faire
comprendre combien il est douloureux
pour un enfant qui a été beaucoup stimulé pendant les premiers mois de sa
vie d’accepter ces limites lorsqu’il acquiert la pleine maîtrise de sa motricité,
entre dix-huit mois et trois-quatre ans.
Et il est objectivement difficile pour un
parent, surtout s’il vit seul avec son enfant, de se priver constamment du plaisir de lui faire plaisir. Le conseil éducatif
dans ce cas ne doit pas se résumer à la
transmission de ce que le médecin considère comme la bonne éducation d’un
enfant. Il doit impliquer les parents de
manière active, en définissant avec eux,
par exemple, une règle qu’il leur paraît
important de transmettre et à laquelle
ils s’efforceront de ne pas déroger. L’objectif est de faire comprendre à l’enfant
que la vie commune comporte des règles
et que celles-ci sont fixées par les parents. Il est important ensuite d’évaluer
la façon dont ce conseil est appliqué par
QUESTIONS
➜ Les enfants qui fréquentent la crèche dès le plus jeune âge sont-ils moins exposés que
d’autres à des problèmes « éducatifs » ?
D. Marcelli Ils sont moins exposés à certaines perturbations et tout particulièrement à l’angoisse de séparation. La fréquence de l’angoisse de séparation est d’autant plus élevée que
l’enfant est resté seul pendant ses premières années de vie avec sa mère ; elle est moindre
lorsqu’il a été confié à une nourrice et plus faible encore lorsqu’il a été gardé en collectivité.
Or l’angoisse de séparation est à l’origine de nombreux troubles psychosomatiques : troubles
du sommeil, coliques, fatigue, etc., et elle contamine la capacité d’autonomisation de l’enfant.
Il faut donc y être extrêmement attentif. L’angoisse de séparation peut être celle de l’enfant
mais également celle de la mère. Ce sont ces mères qui, en consultation, après que l’enfant a
parfaitement répondu à une question posée par le médecin, se croient obligées de traduire ce
que l’enfant a dit, comme si le monde extérieur ne pouvait comprendre leur enfant que par
leur intermédiaire. Ces mères se sentent rassurées que leur enfant ait besoin d’elle et s’angoissent quand il est loin d’elles. Dans ces situations où la mère est manifestement phobique,
la mise en crèche de l’enfant est importante, c’est véritablement un acte de prévention.
➜ Certains éducateurs remettent en question les idées de Françoise Dolto, lui reprochant notamment de préconiser un certain laxisme dans l’éducation des enfants.
D. Marcelli Il est important tout d’abord de faire la part entre les propos attribués à Françoise Dolto et ceux qu’elle a vraiment tenus. Par ailleurs, on ne peut les interpréter sans se référer au contexte des années 60-70, très différent de celui d’aujourd’hui. Prévalaient alors
dans l’éducation l’interdit, l’autoritarisme, voire l’emprise. Et Françoise Dolto montrait que
cet autoritarisme pouvait provoquer des déviances. A cette époque, tous les psys s’accordaient à dénoncer les effets néfastes de l’autoritarisme. Aujourd’hui, nous sommes confrontés
aux effets néfastes de l’excès de permissivité. Pour autant il ne faudrait en aucun cas revenir à
l’autoritarisme des années 60. Il nous faut aujourd’hui inventer des formes d’autorité démocratique, qui soient adaptées à la société dans laquelle nous vivons. L’autorité des années 60
consistait essentiellement à interdire et à n’autoriser que très peu. Celle des années 2000 doit
autoriser largement tout en fixant des limites à l’enfant.
les parents. Une nouvelle consultation
sera programmée un à deux mois plus
tard pour juger de l’évolution de l’enfant
et de la qualité de l’alliance de soins que
l’on a pu nouer avec les parents.
La dépression de l’adolescent illustre aussi parfaitement cet aspect dimensionnel
des troubles évoqué en préambule, avec
tous les intermédiaires possibles entre la
petite déprime et l’authentique dépression. L’adolescent déprimé a le sentiment
que personne ne le comprend, et il a une
image dépréciée de lui-même. Incapable
de se concentrer, il fuit la scolarité, ses résultats sont médiocres et les appréciations négatives de ses parents et de ses
professeurs renforcent encore son autodévalorisation. L’adolescent se trouve
ainsi entraîné dans une spirale dépressogène. Dans ces situations, la règle est,
bien entendu, de ne jamais prescrire
d’antidépresseur à l’issue de la première
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consultation. Un accompagnement empathique réalisé par le pédiatre sur une
période de trois à six mois peut permettre
une évolution favorable dans un certain
nombre de cas En revanche, si la situation n’évolue pas à l’issue de quelques
consultations, si les parents dénient le
diagnostic et restent dans une attitude de
disqualification permanente de l’enfant,
il faut certainement passer la main et demander un avis de pédopsychiatre.
Dans cette situation comme dans la précédente, par le conseil qu’il délivre, le
médecin s’autoprescrit ; cette autoprescription du médecin par lui-même doit
s’inscrire dans la durée et impliquer une
participation active de l’enfant et des
parents. C’est de cette manière que le
pédiatre peut jouer pleinement auprès
de l’enfant ou de l’adolescent son rôle
de tuteur de développement et de tuteur de résilience.
첸
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