P. FOULQUIÉ, M. BOUSSATON SCINTIGRAPHIE OSSEUSE ET PATHOLOGIE DE LA CHEVILLE DU SPORTIF P. FOULQUIÉ1, M. BOUSSATON2 1 Médecine nucléaire - 2Chirurgie orthopédique - Clinique des Cèdres - 31700 Cornebarrieu Pendant longtemps, les principales pathologies de la cheville dans le domaine de la traumatologie sportive se sont limitées aux entorses graves avec fractures et arrachements ligamentaires. Ces pathologies sont parfaitement bien cernées par l’exploration radiologique standard associée aux tests dynamiques. Depuis quelques années, l’évolution de la technicité des pratiques sportives ainsi que des performances demandées aux sportifs de haut niveau ont permis de dénombrer un certain nombre de pathologies microtraumatiques qu’il est parfois difficile de mettre en évidence sur les examens radiologiques standards. Ces pathologies microtraumatiques nécessitent de mettre en œuvre des techniques d’exploration sophistiquées de façon à aboutir très rapidement au diagnostic . Ceci permet de mettre en œuvre une thérapeutique adaptée et efficace, le but étant d’obtenir la reprise de l’activité sportive dans des délais les plus brefs afin de respecter les impératifs sportifs , financiers et médiatiques. En ce qui concerne la thérapeutique, les traumatologues avaient le choix entre les traitements orthopédiques classiques et la chirurgie qui pouvait aller jusqu’à la mise en place d’une prothèse de l’articulation tibio-astragalienne (Figure 1). Nous étudierons dans ce chapitre la place de la scintigraphie osseuse dans l’évaluation de ces pathologies microtraumatiques en essayant de replacer les indications de cet examen par rapport aux autres techniques d’exploration morphologique spécialisée que sont le scanner et l’IRM. Nous nous limiterons à l’exploration des carrefours antérieur et postérieur de la cheville qui , nous le verrons, comportent des entités pathologiques bien différentes. 1. Pathologie du compartiment antérieur de la cheville 1.1. Anatomie du compartiment antérieur de la cheville : 1. Le plan le plus superficiel correspond aux tendons. Ces tendons sont bien palpables cliniquement et correspondent de dedans en dehors au jambier antérieur, à l’extenseur propre du gros orteil et à l’extenseur commun des orteils. 2. Le plan ligamentaire et relativement complexe et associe de nombreuses bandelettes fibreuses unissant les différents éléments osseux de cette région. 3. Le plan capsulaire : La capsule articulaire se projette en arrière du plan ligamentaire et tapisse la surface cartilagineuse articulaire tibio-astragalienne de façon étroite. 4. Plan osseux : Ce sont les éléments osseux qui vont nous - FIGURE 1 Prothèse tibio-astragalienne 4 Revue de l'ACOMEN, 1999, vol.5, n°1 Scintigraphie osseuse et pathologie de la cheville du sportif intéresser dans cet exposé. La berge antérieure du tibia est relativement exposée au traumatisme, elle est tapissée de cartilage. Le dôme astragalien se situe juste en dessous. Sur sa partie antérieure se trouve situé le col de l’astragale qui est le siège fréquent de lésion microtraumatiques de type ostéophytique. A noter que la surface cartilagineuse s’arrête en avant, à la limite entre le dôme et le col de l’astragale. un arrachement de la berge antéro-interne du tibia associé à un petit fragment osseux , en revanche , pas d’anomalie capsulaire (Figure 3). Ces éléments sont particulièrement importants à connaître dans les pathologiques du compartiment antérieur de la cheville. Ces pathologies peuvent être séparées en 2 grands groupes. Nous étudierons tout d’abord les pathologies aiguës qui s’accompagnent très souvent de lésions ostéocartilagineuses ou d’arrachements ostéo-ligamentaires notamment sur la berge antérieure du tibia. Dans un deuxième temps, nous étudierons les pathologies chroniques et surtout le syndrome exostosant antérieur qui peut se compliquer de lésions fissuraires de diagnostic difficile. - FIGURE 2 Scintigraphie : Fracture récente de la berge antérieure du tibia 1.2. Les pathologies traumatiques subaiguës Cas clinique n° 1 : Il s’agit d’un international de rugby de 28 ans qui a présenté une entorse par blocage en rotation forcée. Lors de l’examen clinique initial, on retrouve un oedème malléolaire interne. L’interrogatoire ne retrouve pas de notion d’hématome ni de craquement. Cette entorse est étiquetée bénigne. Ce patient bénéficie d’une physiothérapie de 15 jours. La douleur persiste sur le compartiment antéro-interne, la mobilité reste normale et la flexion dorsale est douloureuse. Il est décidé une immobilisation plâtrée de 8 jours. L’IRM pratiquée en première intention retrouve un épanchement intra-articulaire qui a nécessité la ponction de 6 ml de liquide citrin. Par contre, cet examen ne retrouve pas de lésion osseuse anatomique. Devant la persistance des douleurs, une scintigraphie osseuse est programmée. Cet examen retrouve une positivité aux 3 phases. Sur la phase précoce on note une hyperfixation tissulaire sur la partie antéro-interne de la cheville droite. Sur la phase osseuse il existe un aspect d’hyperfixation hétérogène tout à fait typique des séquelles d’entorse récentes. Par contre, on note un spot d’hyperfixation plus marqué sur la partie antéro-interne de la berge tibiale (Figure 2). Afin de préciser les choses sur le plan morphologique, un arthroscanner est pratiqué ; cet examen met en évidence Revue de l'ACOMEN, 1999, vol.5, n°1 - FIGURE 3 Arthroscanner : Fragment antéro-interne de la berge du tibia. Le traitement est arthroscopique, il consiste en l’ablation du fragment ostéo-cartilagineux associée à une régularisation à la fraise. Ce patient a repris l’entraînement 3 semaines plus tard et son premier match 5 semaines après l’arthroscopie. Ceci permet donc de discuter de la position relative des examens spécialisés. La scintigraphie osseuse aurait due être programmée en premier car sa positivité affirme la présence d’une lésion osseuse ou ostéoligamentaire et guide au mieux la réalisation des coupes scannographiques ou d’IRM. Le diagnostic posé oriente le geste thérapeutique sous arthroscopie. 5 P. FOULQUIÉ, M. BOUSSATON Cas clinique n° 2 : Il s’agit d’un patient de 27 ans qui a présenté une entorse par mécanisme de varus équin (Figure 4).Ce mécanisme est très souvent rencontré dans les entorses de la cheville et correspond à l’association du mouvement d’hyperflexion plantaire à celui de rotation interne de la cheville. L’évolution clinique n’est pas satisfaisante puisqu’il persiste un léger oedème antéro-externe ainsi qu’une douleur provoquée en flexion dorsale et à la palpation de la région antéro-interne de cette cheville. Une scintigraphie osseuse est donc demandée à la recherche de lésions actives. Cette scintigraphie met en évidence la présence de 2 spots d’hypervascularisation précoces sur les parties interne et externe de la cheville gauche. Sur la phase osseuse, on note de façon très précise : - une petite zone d’hyperfixation ponctuelle sur la pointe de la malléole externe, - sur la partie antéro-interne, 2 zones d’hyperfixation au contact correspondant à la partie interne de la berge antérieure du tibia et au col de l’astragale en regard (Figure 6). - FIGURE 4 - Mécanisme de varus-equin L’examen clinique retrouve un oedème péri-malléolaire externe, une sensibilité pré et rétro-malléolaire externe. La douleur est élective au niveau de la partie antéro-interne de ce compartiment. La mobilité est un peu diminuée mais le testing est stable. L’examen radiologique est normal. Il est décidé une immobilisation plâtrée de 3 semaines. A la levée du plâtre, devant la persistance des phénomènes douloureux, une exploration scannographique retrouve un petit arrachement sur la partie antérieure de la malléole péronière (Figure 5). Par contre, pas d’anomalie morphologique sur la partie antéro-interne de l’articulation. - Figure 6 Scintigraphie : Fracture malléole externe et impaction compartiment interne. Ces 2 zones de fixation sont tout à fait typiques d’un mécanisme d’impaction. La positivité des phases précoces prouve le caractère récent de ces lésions (Figure 7). Sur le reste de la cheville, on note une fixation hétérogène tout à fait habituelle dans ces séquelles d’entorse. Un examen IRM demandé par la suite n’a rien apporté de plus au diagnostic , il ne retrouve notamment pas d’anomalie morphologique sur la partie interne de la cheville. Il est donc décidé en accord avec les cliniciens de poursuivre l’immobilisation de cette articulation et d’engager un traitement à base de CALCIUM et CALCITONINE, compte tenu des anomalies par impaction visualisées sur la scintigraphie osseuse. On constate donc que les entorses étiquetées bénignes sont souvent associées à des lésions ostéoligamentaires ou ostéocartilagineuses qui prolongent de façon importante leur guérison et nécessitent un bilan topographique - FIGURE 5 Scanner : arrachement osseux de la malléole externe. 6 Revue de l'ACOMEN, 1999, vol.5, n°1 Scintigraphie osseuse et pathologie de la cheville du sportif A noter que chez ce même patient la radio standard de la cheville controlatérale montrait le même type d’anomalie. et fonctionnel complet afin d’envisager des gestes thérapeutiques spécialisés et notamment l’arthroscopie. - FIGURE 8 Radio : ostéophyte antérieur. La question posée est de savoir s’il existe une pathologie fissuraire récente sur le volumineux ostéophyte antérieur. La scintigraphie osseuse montre la présence d’un spot d’hyperfixation focalisé sur la partie antéro-externe de la berge tibiale droite. Cette image très focalisée prouve la présence d’une lésion très certainement fissuraire de cet ostéophyte (Figure 9). - FIGURE 7 Phase tissulaire : affirme le caractère récent des lésions. 1.3. Pathologie chronique du compartiment antérieur de la cheville Le bilan radiologique standard de la cheville des sportifs montre souvent des anomalies morphologiques à type de prolifération ostéophytique très fréquente sur le compartiment antérieur de la cheville réalisant le syndrome exostosant antérieur. Il est difficile sur les seuls examens morphologiques d’affirmer le caractère évolutif de ce syndrome exostosant ou la présence d’une lésion fissuraire surajoutée. En effet, ces anomalies sont souvent extrêmement limitées sur le plan topographique et seule la scintigraphie osseuse permettra de faire le diagnostic. - FIGURE 9 Scintigraphie : Fracture de l’ostéophyte antérieur. Cas clinique n°3 : Il s’agit d’un rugbyman présentant des douleurs chroniques du compartiment antérieur de la cheville droite. Ce patient décrit plus récemment la récidive de douleurs sur cette cheville. Le bilan radiologique initial montre un syndrome exostosant antérieur associant une prolifération ostéophytique de la berge antérieure du tibia ainsi que du col de l’astragale situé en regard (Figure 8). Revue de l'ACOMEN, 1999, vol.5, n°1 Pour les commodités de l’exposé et afin de prouver la complémentarité entre les images morphologiques et les images fonctionnelles, nous avons effectué une image de superposition du cliché radiologique standard effectué en profil et de la scintigraphie osseuse effectuée dans les mêmes conditions de positionnement (Figure 10). 7 P. FOULQUIÉ, M. BOUSSATON l’astragale constitué par ses tubercules internes et externes, plus en dedans sont situés les tendons du fléchisseur commun des orteils ainsi que du jambier postérieur qui passe derrière la malléole interne. - Les ligaments : Le plan ligamentaire est relativement complexe, il comporte de nombreux faisceaux postérieurs. - La capsule articulaire postérieure : Cette capsule présente un intérêt physiopathologique majeur dans la mesure où elle constitue un élément susceptible d’être traumatisé lors des mouvements d’hyperflexion plantaire. - Les structures osseuses : On décrit de haut en bas la berge postérieure du tibia, la partie postérieure de l’astragale, la partie postéro-supérieure du calcanéum. La partie postérieure de l’astragale, appelée plus communément queue de l’astragale, est constituée de 2 tubercules : le tubercule postéro-externe et le tubercule postéro-interne. Le plus volumineux est le tubercule postéro-externe qui présente 3 variations anatomiques. Dans sa version courte, le tubercule postéro-externe n’est pas hypertrophié. Le tubercule postéro-externe peut être hypertrophié réalisant sa version longue communément appelée queue de l’astragale. Il existe fréquemment chez les sportifs un os surnuméraire appelé os trigone qui correspond à la non fusion du noyau d’ossification postérieur de l’astragale, ce qui est d’autant plus fréquent chez les sportifs ayant pratiqué jeune. - FIGURE 10 Image de fusion Radio/Scintigraphie. Cette image prouve, de façon évidente que la zone d’hyperfixation scintigraphique se situe au niveau de l’ostéophyte radiologique. Devant ces éléments, il est décidé de réaliser une arthroscopie. Cette arthroscopie retrouve bien sûr le volumineux ostéophyte antérieur qui paraît mobile sur sa base lorsque le chirurgien introduit sont palpateur. Le testing antérieur per-arthroscopie montre bien que l’ostéophyte vient buter en position de flexion dorsale forcée sur le col de l’astragale. C’est ce mécanisme d’hyperflexion forcée qui a entraîné sa rupture. L’ablation de l’ostéophyte au ciseau confirme la fracture de cet ostéophyte. Enfin, il est réalisé une régularisation à la fraise. Le cliché radiologique standard de contrôle effectué le lendemain est satisfaisant. 2.2. Physiopathologie Lors des mécanismes d’hyperflexion plantaire, les structures postérieures de la cheville (le tubercule postéro-externe et la partie postérieure de la capsule articulaire) sont prises en tenaille entre la berge postérieure du tibia et le calcanéum (Figure 11). Ce patient a repris quelques jours plus tard son activité sportive habituelle. Nous voyons donc que l’exploration des pathologies traumatiques du compartiment antérieur de la cheville impose une bonne coordination entre les examens complémentaires morphologiques et fonctionnels. Il ne s’agit pas d’opposer la scintigraphie osseuse aux autres techniques morphologiques mais au contraire de l’associer afin d’optimiser le diagnostic et surtout d’envisager l’attitude thérapeutique la plus efficace. 2. Pathologie du carrefour postérieur de la cheville 2.1. Anatomie - Les tendons : Il est important de bien connaître les différents tendons présents dans cette région. Le tendon le plus médian est celui du fléchisseur propre du gros orteil. Ce tendon passe dans la gouttière postérieure de - FIGURE 11 - Physiopathologie du carrefour postérieur : Mécanisme de tenaille postérieure. 8 Revue de l'ACOMEN, 1999, vol.5, n°1 Scintigraphie osseuse et pathologie de la cheville du sportif Il existe donc de façon très schématique 2 types de pathologies, les lésions des parties molles et les lésions osseuses. Les lésions de récessus postérieur correspondent au traumatisme de la portion postérieure de la capsule synoviale qui peut s’accompagner d’une rupture partielle ou totale. Les lésion osseuses correspondent à des fractures ou des fissures du tubercule postéro-externe dans sa version longue ou de l’os trigone. cette danseuse classique pratiquant de façon intensive les mouvements d’hyperflexion plantaire. Le traitement est bien sûr chirurgical avec réparation de cette brèche postérieure. 2.3. Examen clinique L’examen clinique recherche 2 signes. Le premier est une douleur de la partie postéro-interne de la cheville en avant du tendon d’Achille, le second recherche une douleur rapportée provoquée par la flexion contrariée du gros orteil (Figure 12). On se souvient que le tendon du fléchisseur propre du gros orteil passe dans la gouttière postérieure de l’astragale. - FIGURE 13 Arthroscanner : Rupture du récessus capsulaire postérieur. Cas clinique n°2 : Il s’agit d’un patient de 28 ans, joueur de football présentant une douleur récente de la partie postérieure de la cheville. Le bilan radiologique initial montre une hypertrophie du tubercule postéro-externe (Figure 14). Il n’est pas possible d’affirmer ou d’infirmer la présence d’une fracture récente. - FIGURE 12 Examen clinique :Recherche de la douleur provoquée par la flexion contrariée du gros orteil. Cas clinique n°1 : Il s’agit d’une jeune patiente de 16 ans pratiquant la danse classique. Cette patiente présente depuis environ 6 mois une douleur de la partie postérieure de la cheville surtout lors des mouvements de pointe. Le bilan radiologique initial retrouve une anomalie postérieure de l’astragale décrite comme une calcification postérieure ou un os trigone fracturé. Morphologiquement, il n’est pas possible d’affirmer la présence d’une lésion osseuse récente. Dans ces conditions une scintigraphie osseuse est programmée. Cette scintigraphie est parfaitement normale tant aux phases vasculaire/tissulaire qu’osseuse. L’activité des cartilages de croissance est symétrique. L’arthroscanner montre de façon évidente une rupture complète du récessus postérieur de la capsule articulaire (Figure 13). Il s’agit donc dans ce cas d’une lésion des parties molles postérieures par mécanisme de tenaille chez Revue de l'ACOMEN, 1999, vol.5, n°1 - FIGURE 14 Radio : Hypertrophie du tubercule postéro-externe de l’astragale. La scintigraphie osseuse montre une positivité aux 3 phases de l’examen. Hyperfixation tissulaire et hyperfixation osseuse punctiforme sur le versant postérieur de l’astra- 9 P. FOULQUIÉ, M. BOUSSATON gale (Figure 15). Ceci confirme donc la présence d’une lésion fracturaire à ce niveau, responsable de la symptomatologie clinique. la mesure où la séméiologie scintigraphique est claire. Le seul élément à prendre en compte est l’hyperfixation tissulaire qui affirme le caractère récent de la lésion. Il faut donc, dans ces indications, réaliser de façon systématique les clichés tissulaires en position de profil interne. Là encore, les images de fusion permettent en superposant les données morphologiques et fonctionnelles d’affirmer la localisation précise de la zone fissuraire . Le traitement peut être chirurgical, par une voie d’abord postéro-interne le chirurgien procède à l’ablation du fragment osseux . Conclusion La pratique sportive intensive, la réalisation répétée des mêmes gestes entraîne le développement d’une pathologie micro-traumatique de plus en plus fréquente chez les sportifs de haut niveau. - FIGURE 15 Scintigraphie : Fracture de la queue de l’astragale. Sur le plan scintigraphique, le diagnostic de lésion fracturaire ou fissuraire du tubercule postéro-externe ou d’un os trigone postérieur ne pose pas de problème particulier dans La scintigraphie osseuse permet de préciser la lésion active responsable de la symptomatologie, elle oriente les examens morphologiques spécialisés et conditionne l’attitude thérapeutique. ______ 10 Revue de l'ACOMEN, 1999, vol.5, n°1