oD sie Do r r er r er Dossi Dossiie s s o ssie D Anxiété, dépression, conduites de dépendance et troubles psychotiques à l’adolescence J.-P. Moutte*, J. Doron** Cette étude, fondée sur une population de 18 adolescents accueillis dans un hôpital de jour, tente d’évaluer l’intensité et la nature des liens qui peuvent exister entre l’anxiété, la dépression, les conduites de dépendance et les troubles psychotiques. Les conduites symptomatiques et les modes de fonctionnement psychique sous-jacents ont été respectivement évalués à l’aide de méthodes standardisées et du Rorschach. Les principaux résultats révèlent qu’une majorité de sujets présente au moins deux troubles distincts. L’utilisation de substances psychoactives apparaît comme un facteur aggravant des troubles psychotiques et des troubles de l’humeur : les sujets qui présentent des conduites d’abus et/ou de dépendance sont en effet significativement plus déprimés et nécessitent des hospitalisations plus fréquentes que les autres sujets. L’analyse des modalités narcissiques témoigne du fait que la plupart de ces sujets présentent un fonctionnement psychique relevant de registres psychotiques plus ou moins profondément désorganisés. Camille, 19 ans, a été hospitalisée à plusieurs reprises depuis l’âge de 17 ans, tantôt pour état dépressif atypique, tantôt pour troubles des conduites. Une prise en charge en hôpital de jour a finalement été proposée il y a un an, des éléments délirants étant apparus au sein de la problématique dépressive. Comme de nombreux sujets à cet âge, Camille ne conçoit pas d’exister sans risquer sa vie. Si elle revendique sa consommation de substances, ses tentatives de suicide ou ses fugues, elle les attribue, dans le même temps, au divorce de ses parents lorsqu’elle avait 12 ans. Lors des entretiens individuels, Camille se présente tantôt comme étant très déprimée, tantôt en affichant une désinvolture qui accompagne le plus souvent * Psychologue clinicien, hôpital de jour du Parc, 347, boulevard du Président-Wilson, 33200 Bordeaux. ** Professeur de psychologie clinique et pathologique, université Victor-Segalen, Bordeaux 2, département de psychologie, Bât H, 3 ter, place de la Victoire, 33076 Bordeaux Cedex. un discours lucide et plein d’humour, parfois teinté de séduction. Cette juxtaposition d’affects et de symptômes, apparemment contradictoires, met à jour une économie qui est à la fois dépressive et antidépressive. Cette brève introduction peut représenter un exemple témoignant des difficultés conceptuelles que comporte l’étude de l’association entre troubles distincts, ceux-ci pouvant participer de causes différentes ou au contraire d’un déterminisme réciproque, d’interrelations causales assez étroites. Les troubles que cible cette étude ainsi que leurs différents liens ont déjà fait l’objet d’une littérature abondante, mais les travaux abordant simultanément ces quatre variables à l’adolescence sont relativement rares. Certains travaux consacrés aux formes de comorbidité liées à l’utilisation de substances révèlent pourtant que les troubles anxieux, les troubles de l’humeur et les troubles psychotiques comptent précisément parmi les plus fréquemment associés aux conduites d’usage, d’abus ou de dépendance (22). Si un nombre considérable de travaux a Le Courrier des addictions (5), n° 1, janvier/février/mars 2003 30 par ailleurs été consacré au problème des interrelations complexes qu’entretiennent les conduites d’abus ou de dépendance et les autres troubles, la nature exacte – sans doute multifactorielle – de celles-ci demeure mal élucidée. Certaines données peuvent toutefois être avancées. Les études épidémiologiques menées auprès de patients présentant des troubles psychotiques ou des troubles de l’humeur font apparaître une prévalence de l’abus de substances de deux à cinq fois supérieure à celle retrouvée en population générale. Par ailleurs, la plupart des études récentes ont montré l’absence de liens linéaires entre les troubles psychopathologiques et le type de substance consommée : l’alcool et le cannabis sont les produits les plus utilisés par les patients, quels que soient les troubles associés (12, 17, 20). La plupart des données dont nous disposons font clairement apparaître la nécessité de la prise en compte de la comorbidité dépressionaddictions à l’adolescence, dans la mesure où elle est susceptible d’aggraver la sévérité des troubles, d’accroître le risque de tentative de suicide, d’entraîner une résistance accrue aux traitements et une durée d’évolution plus longue (9, 14, 16). Qu’elles soient primaires ou secondaires, l’anxiété et la dépression peuvent être considérées comme aggravant ou maintenant l’abus ou la dépendance au toxique (5). La nature des relations entre conduites addictives et troubles psychotiques demeure difficile à apprécier. Les données récentes révèlent que l’abus et la dépendance à l’alcool ou au cannabis peuvent favoriser l’apparition ou le maintien d’une symptomatologie positive (hallucinations, idées délirantes, etc.) et modifier de façon considérable l’évolution et le pronostic des troubles (3, 10, 15). Si l’on ne relève pas de rapport de causalité directe entre conduites d’abus ou de dépendance et pathologies psychotiques, l’étude de la chronologie de l’addiction, par rapport à l’apparition des premiers signes de la pathologie, montre que l’abus ou la dépendance au cannabis précèdent ou coïncident généralement avec la survenue du trouble, alors que l’abus ou la dépendance à l’alcool semblent succéder aux premiers symptômes plus souvent qu’ils ne les précèdent (1, 19). Plusieurs études prospectives ont par ailleurs montré que la survenue de rechutes psychotiques était significativement plus précoce et plus sévère chez les patients présentant des troubles associés à l’utilisation de substances psychoactives (11, 12, 15). L’une des principales données issues de r er r er oD sie sDioessi DDososssiie os r D l’examen transversal des formes de comorbidité entre anxiété, dépression et psychose indique que la plupart des troubles psychotiques sont susceptibles de comporter une symptomatologie anxieuse et/ou dépressive, en particulier à l’adolescence. Certains travaux ont ainsi mis en lumière une plus grande sévérité de la symptomatologie anxio-dépressive lors des premières décompensations psychotiques (6), en soulignant notamment la fréquence des raptus anxieux. Si les patterns de comorbidité entre psychose, dépression et anxiété à l’adolescence peuvent recouvrir des tableaux cliniques relativement hétérogènes, on notera que l’anxiété et la dépression ont toujours un retentissement important sur l’évolution des troubles psychotiques et sur l’insertion sociale et familiale des patients. Cette étude poursuit deux types d’objectifs. Il s’agit tout d’abord de mesurer la prévalence ponctuelle de la comorbidité entre anxiété, dépression et conduites de dépendance au sein d’un groupe d’adolescents et de jeunes adultes accueillis en hôpital de jour pour troubles psychotiques. Nous tâcherons, par là même, d’analyser les relations quantitatives qu’entretiennent ces variables entre elles. Nous tenterons également d’apporter une réponse à la question de l’inscription de cette comorbidité – en termes de place et de fonction – dans la problématique d’adolescents présentant des troubles psychopathologiques graves. Méthodologie Sujets La population de cette étude est constituée de dix-huit adolescents âgés de 16 à 21 ans qui présentent des troubles psychotiques non déficitaires. Ces quinze garçons et trois filles suivent tous une scolarité dans le cadre de l’hôpital de jour, les classes fréquentées allant de la cinquième à la terminale. P rocédure Les dix-huit adolescents ont été répartis en deux groupes selon qu’ils avaient ou non recours à l’utilisation de substances psychoactives. Les questionnaires I et J de la Mini international neuro-psychiatric interview (MINI 4,4) (13) ont été utilisés afin de distinguer les situations d’usage, d’abus et de dépendance à une ou plusieurs substances au cours de l’année écoulée (critères CIM-10). Les sujets de chaque groupe ont ensuite pris part à un entretien de recherche au cours duquel Grille d’investigation des modalités narcissiques (Monika Boekholt, 1992) Axe 1 : Coloration affective de la représentation de soi (ou d’objet) + Élation : toute marque de grandeur, puissance enviable, beauté, noblesse. Valorisation explicite de l’objet, de soi ou de la relation. - Dévalorisation explicite, dysphorie, fragilité, menace, interrelation présentée comme négative. = Neutralité, constat, dénomination simple, pas de tonalité affective exprimée. ± Mouvements simultanés d’attraction/répulsion, de dénigrement/réparation, descriptions dysphoriques complaisantes, ambivalence explicite, etc. Axe 2 : Procédés • Échelle i : Représentation idéale de soi ou d’objet i1. Simple valorisation, dévalorisation, non justifiées, constat. i2. Parure, art, fleurs, décor, danse, fête, musique, feu d’artifice, attributs féminins, objets creux, etc. i30. Attributs virils, objets et signes de puissance, objets à moteur, constructions érigées, agressivité socialisée, feu, bestiaire puissant/impuissant, formulation additive ou privative. i31. Béance, vide, trou, vacuité interne sans représentation sexuelle associée. i32. Altération, déformation corporelle. i33. Décomposition, désagrégation, pourriture, ruines, objets en déséquilibre, en morceaux. i4. Monde asexué, naïf, puéril, petit, mignon, amusant, jouet, pureté, monde virginal, anges, etc. i5. Grandiose, toute puissance magique, convoitée ou redoutable, versus valorisation ou menace, êtres maléfiques, monstres, etc. Neutralité absolue. Bisexualité. Survalorisation excessive en fonction du stimulus. i6. Idéalisation du négatif, dévitalisation, statue, momie, marionnette, pétrification d’un contenu précédemment animé, contenu minéral. i7. Agressivité destructrice, attributs destructifs, projection agressive, volcan, bombardement, écrasement. • Échelle R : Retrait et centration sur soi R1. Découpes inhabituelles, valorisation de l’imaginaire, désintérêt, images floues, centrations autistiques. R2. Centration sur le corps et/ou le sexe, symbolisme transparent mais pas de réponse directe, déplacement par biais culturel, scientifique, animal, insistance sur la verticalité de la symétrie. R3. Réponses corporelles anatomiques et sexuelles directes, sang. R4. “Narcissisme primaire” : expression symbolique, éléments primitifs, éléments marins, animaux marins, géographie aquatique vague. R41. Fantasmes de retour au sein maternel crûment exprimés ; thèmes obstétricaux directs ; fœtus. R5. Fantaisie orale : réponses alimentaires, scènes de dévoration, nutrition, becs, bouches, dents, gueules, mâchoires, hyène, ogre. R6. Régression au niveau du mode de pensée, brusques dénivellations perceptives. R7. Vigilance, caractère persécutif, interprétatif, guetter, scruter (intentionnalité sous-jacente). • Échelle S : Dimension spéculaire et dédoublement S1. Miroirs, reflets par rapport à l’axe de la planche. S2. Réponses unilatérales : dédoublement de percepts habituellement unitaires. S3. Insistance sur la symétrie et sur la duplication des images ; oscillation unité/dualité dans la même phrase ou à l’enquête ; confusion singulier/pluriel. S4. Réponses bilatérales, accent mis sur la posture plus que sur la relation. S5. Jumeaux, siamois, personnages collés, soudés, semblables, interchangeables par rapport à l’axe de la planche. S6. “Dissociation symétrique” : réponses symétriques contradictoires. • Échelle L : Enveloppes corporelles, tactiles et chromesthésiques L0. Thématique d’étayage : porter, soutenir, bercer, s’appuyer sur, contenir… L1. Peaux, vêtements, tissus, voiles, masques ; thématiques d’enveloppement, recouvrir, cacher. L2. Fragilité de l’enveloppe : transparences, déchirures, membranes, libellules, discontinuité, effraction. L. Qualité tactile : matière, épaisseur, consistance, doux, velu, compact, rugueux, sec, etc. L4. Qualité visuelle : sensorialité, couleur, luminosité ; contraste blanc-noir, couleurs dégradées. L5. Superpositions de percepts mal délimités, “contaminations”. L6. Perceptions auditives et olfactives. 31 oD sie Do r r er r er Dossi Dossiie s s o ssie D Tableau I. Comparaison des principales caractéristiques diagnostiques et thérapeutiques des deux groupes étudiés. G roupe A (n = 9) G roupe B (n = 9) Total (n = 18) 11,1 % 0% 33,3 % 22,2 % 11,1 % 11,1 % 22,2 % 11,1 % 11,1 % 5,5 % 27,7 % 16,6 % 11,1 % 11,1 % 11,1 % 0% 0% 11,1 % 5,5 % 5,5 % 11,1 % 0% 33,3 % 16,6 % 88,8 % 33,3 % 61,1 % Âge moyen de début des troubles 16,8 ans 13,3 ans 15 ans Catégories diagnostiques (CIM-10) • Schizophrénie • Troubles délirants persistants • Troubles schizo-affectifs • Troubles psychotiques aigus • Troubles de l’humeur : – épisode maniaque – trouble bipolaire – trouble dépressif récurrent • Troubles envahissants du développement Prise d’un traitement médicamenteux Nombre d’hospitalisations au cours de l’année • 1 hospitalisation • 2 hospitalisations ou plus choix ; l’autre a trait aux procédés d’investissement narcissiques et ne prend en compte que les réponses présentes dans le protocole. Des contraintes institutionnelles ne nous ayant pas permis de proposer la passation du Rorschach à tous les sujets, nous avons proposé celle-ci à dix d’entre eux, soit cinq sujets tirés au hasard dans chaque groupe. Le diagnostic principal (critères CIM-10) auquel nous nous référons pour chaque sujet a été établi par trois psychiatres expérimentés exerçant dans l’institution. La chronologie d’apparition des conduites d’abus et/ou de dépendance par rapport aux prodromes de la maladie a également été prise en compte. Nous avons considéré, à partir des éléments recueillis au cours de l’entretien, que l’apparition était concomitante si les deux types de troubles avaient débuté au cours de la même année, que l’un avait précédé l’autre si l’intervalle d’apparition était supérieur à un an. Résultats 22,2 % 33,3 % Antécédents familiaux • Troubles psychiatriques 44,4 % • Utilisation régulière de substances 33,3 % étaient utilisés différents instruments standardisés, à savoir : 1. L’inventaire d’anxiété de Beck (BAI) afin d’évaluer l’intensité de l’anxiété (7). 2. Le questionnaire CES-D (Center for Epidemiologic Studies-Depression scale) afin d’apprécier la sévérité de la symptomatologie dépressive (8). 3. Un questionnaire standardisé visant au recueil des données biographiques et thérapeutiques (âge, niveau scolaire, antécédents familiaux, prise d’un traitement, nombre d’hospitalisations au cours de l’année, etc.). Nous avons également tenté de cerner le mode de fonctionnement psychique de chaque sujet à partir du Rorschach. Les protocoles ont été cotés à l’aide d’une grille d’analyse mise au point par M. Boekholt (2), grille qui permet une approche différentielle des aménagements dépressifs relevant de registres distincts (névrotique, pervers, limite, psychotique) tout en fournissant des éléments comparatifs objectivables dans le cadre d’une recherche intergroupes. Nous ne détaillerons pas ici le mode de cotation si ce n’est pour préciser que celle-ci s’effectue sur deux axes : l’un est relatif à l’expression 0% 0% 11,1 % 16,6 % 33,3 % 11,1 % 38,8 % 22,2 % d’affect telle qu’elle est explicitée par la verbalisation et les réactions comportementales lors de la passation, de l’enquête et de l’épreuve des Étude descriptive Les dix-huit sujets constituant notre population ont été répartis en deux groupes, l’un composé de neuf adolescents ayant recours à l’utilisation de substances psychoactives (groupe A), l’autre de neuf adolescents ne présentant pas de telles conduites (groupe B). L’âge moyen est légèrement plus élevé au sein du groupe A (18,5 ± 1,3) qu’au sein du groupe B (17,6 ± 1,5). Comme le montre le Tableau II. Principales caractéristiques des protocoles de Rorschach (moyennes et pourcentages). Normes G roupe A G roupe B R entre 20 et 30 mn 18 mn 15 mn T entre 20 et 30 mn 21 mn 9 mn G D Dd 20 à 30 % 60 à 70 % 5 à 10 % 63 % 27 % 2% 72 % 22 % 4% F % F+% + % 60 à 65 % 70 à 80 % 70 à 90 % 58 % 66 % 70 % 60 % 66 % 66 % 3,5 5 1,5 5 1 2,5 H % A % 10 à 20 % 40 à 45 % 18 % 42 % 18 % 48 % Ban 5à7 4 3 Significatif si > 12 % 13 % 8% K C IA Le Courrier des addictions (5), n° 1, janvier/février/mars 2003 32 r er r er oD sie sDioessi DDososssiie os r D Tableau III. Dimension quantitative de l’analyse des modalités narcissiques au Rorschach. Axe 1 – Valorisation explicite, élation – Dévalorisation explicite, dysphorie – Neutralité, dénomination simple – Ambivalence explicite Axe 2 – Échelle i : représentation idéale de soi – Échelle R : retrait et centration sur soi – Échelle S : dimension spéculaire, dédoublement – Échelle L : enveloppes corporelles et chromesthésiques tableau I, les sujets qui recourent à l’utilisation de substances présentent des troubles d’apparition plus tardive et sont accueillis dans l’institution depuis moins longtemps (10 mois en moyenne) que les sujets qui n’utilisent pas de substance (24 mois en moyenne). La première constatation concerne la présence concomitante, chez une majorité de sujets, de manifestations anxieuses et/ou dépressives. Douze sujets présentent des manifestations dépressives (CES - D > 17 ou 23) relativement intenses (m = 22 ± 9,7). Ces manifestations ne diffèrent pas significativement en fonction du diagnostic principal, ce qui est sans doute dû au petit nombre de sujets dans chaque groupe. Dix sujets présentent des manifestations anxieuses (BAI > 15) ; cellesci sont relativement peu intenses (m = 16,8 ± 9,5). Nous n’avons trouvé de différence significative ni entre les deux groupes de sujets, ni entre les diverses catégories diagnostiques. Les sujets répondant aux critères de dépendance à une ou plusieurs substances au cours de l’année écoulée sont au nombre de huit. Cinq d’entre eux (62,5 %) répondent aux critères d’abus et/ou de dépendance à deux types de substances, qui sont dans tous les cas l’alcool et les dérivés du cannabis. Les autres sujets répondent aux critères de dépendance à une seule substance, qui est pour les uns le cannabis, pour l’autre l’alcool. Par ailleurs, trois de ces sujets consomment ou ont consommé d’autres types de substances (ecstasy, cocaïne) sans que l’on puisse parler d’abus ou de dépendance au cours de l’année. L’âge moyen de début des conduites d’utilisation de substances est de 16,7 ans (± 1,3). Cinq sujets ont présenté ce type de conduites avant l’apparition des premiers symptômes psychotiques ou thymiques patents. Les deux types de symptômes sont apparus de G roupe A G roupe B 8,1 % 15 % 72,2 % 4,7 % 5,2 % 9% 83,1 % 2,7 % 55,2 % 16,4 % 14,1 % 61 % 15,8 % 11,2 % 14,3 % 12 % manière concomitante chez trois sujets, et un seul a développé des conduites de dépendance plus d’un an après l’apparition d’une symptomatologie psychotique. Si les données obtenues doivent être nuancées, compte tenu du faible effectif sur lequel elles portent, elles mettent néanmoins en lumière le retentissement que cette comorbidité peut avoir sur le plan clinique : les huit sujets qui présentent des conduites de dépendance à une ou plusieurs substances psychoactives sont significativement plus déprimés (t = 4,14 p < 0,004) et hospitalisés plus fréquemment (t = 4,21 p < 0,003) que les autres sujets. Étude psychodynamique • Caractéristiques générales Les protocoles de Rorschach des adolescents présentant des conduites d’abus et/ou de dépendance se caractérisent par une verbalisation relativement riche pouvant comporter des bizarreries ou des éléments délirants. À l’inverse, les protocoles des adolescents n’utilisant pas de substance rendent compte d’un investissement de la passation moins important et témoignent d’une certaine pauvreté associative. La plupart des protocoles révèlent des oscillations parfois importantes entre les a-résonnances qu’assure le gel pulsionnel, l’activité de représentation subissant des attaques destructrices (disparition de la kinesthésie au profit de formes banales, figées, répétitives) et les émergences brutales de processus primaires. Ces épreuves témoignent dans leur ensemble d’un rapport au réel assez ténu, bien que les protocoles des sujets du groupe A révèlent un ancrage dans la réalité extérieure et des capacités d’adaptation qui semblent connotées moins 33 négativement que ceux des sujets du groupe B. Le TRI – extratensif chez une grande majorité de sujets – met en évidence la massivité des affects et le caractère discontinu des possibilités de contenance pulsionnelle. Les mécanismes de défense auxquels recourent la plupart des sujets sont, dans l’un et l’autre groupe, le clivage, le déni, l’idéalisation et la projection. Les dix adolescents auxquels nous avons proposé la passation du Rorschach semblent tous confrontés à un processus psychotique. On notera toutefois que les profils généraux qui peuvent être établis pour chaque groupe diffèrent sensiblement l’un de l’autre (tableau II). • Analyse des modalités d’investissement narcissiques Cette analyse repose principalement sur les dimensions qualitative et quantitative des modalités narcissiques dans les protocoles. La dimension temporelle (enchaînement réponse par réponse, planche par planche) ne sera pas abordée ici. Le premier constat que l’on peut faire concernant la coloration affective de la représentation de soi et d’objet tient au fait que la plupart des réponses sont exprimées de façon neutre : les réactions comportementales sont assez rares et peuvent être connotées tant positivement que négativement. Pris dans leur globalité, les mouvements dysphoriques, anxieux ou de dévalorisation apparaissent au sein des deux groupes plus fréquemment que les marques d’élation, de plaisir ou de valorisation (tableau III, axe 1). Au sein du groupe A, les mouvements de dévalorisation ont trait tantôt à la représentation d’objet, tantôt à la représentation de soi, tandis que les mouvements de valorisation sont principalement dirigés sur la représentation de soi. Dans l’autre groupe, les mouvements de dévalorisation portent sur les représentations d’objet et de relation lorsque les mouvements de valorisation portent le plus souvent sur la représentation de soi. Sur le plan quantitatif, les procédés d’investissement auxquels recourent massivement tous ces adolescents ont trait à la représentation idéale de soi (tableau III, axe 2). Les réponses porteuses de cette thématique renvoient essentiellement aux items i2, i5, i6 et i7, le recours aux trois derniers mettant en lumière l’activité des polarités létales du narcissisme négatif. Les items de l’échelle R – R4, R5 et R7 principalement – sont quant à eux retrouvés dans des proportions comparables dans la plupart des oD sie Do r r er r er Dossi Dossiie s s o ssie D protocoles. Les mouvements de retrait qui président à l’utilisation de ces items semblent, dans l’un et l’autre groupe, dictés par un important désinvestissement objectal. Les items de l’échelle S qu’emploient la plupart des sujets, à savoir les items S4 et S6, renvoient aux mouvements scissionnels qui sont la marque de défenses psychotiques. L’emploi des items de l’échelle L recouvre là aussi certaines similitudes entre les deux groupes de sujets. Une majorité d’entre eux recourt en effet aux items L2, L4 et L5. La thématique et l’éprouvé subjectif perceptibles au travers de ce type de réponses sont généralement connotés négativement et renvoient à des relations d’objet recherchées ou redoutées mais toujours empreintes de dysphorie. On retiendra donc, à l’issue de cette approche différentielle, que les éléments dépressifs que présentent une majorité de sujets relèvent effectivement de registres dissociatifs. Discussion Nous n’évoquerons pas ici les hypothèses psychopharmacologiques et génétiques concernant la fréquence élevée de la comorbidité entre troubles psychopathologiques. Celles-ci ont fait l’objet d’études aussi nombreuses qu’attentives qui pourront être retrouvées ailleurs. L’analyse statistique de l’association entre les différentes variables étudiées montre que la dépression est corrélée avec l’anxiété (r = 0,69 p < 0,01), ce qui est cohérent avec la plupart des données dont nous disposons (5, 9). L’anxiété est, quant à elle, corrélée, dans une moindre mesure et de façon négative, avec la durée de la prise en charge. Cette dernière donnée souligne l’importance d’une prise en charge durable, qui permette aux sujets l’intégration progressive de capacités à utiliser le cadre institutionnel comme système contenant et pare-excitant. Les troubles liés à l’utilisation de substances apparaissent comme étant principalement liés à la dépression. Ceux-ci sont toutefois significativement plus importants lorsque la dépression est présente conjointement avec l’anxiété (t = 2,92 p < 0,05). Le fait que la dépression, l’anxiété et les conduites addictives apparaissent, sur le plan statistique, comme des variables explicatives les unes des autres indique la possibilité d’une tentative d’automédication des angoisses psychotiques et/ou de l’humeur dépressive. La massivité du recours à l’alcool et au cannabis va d’ailleurs dans le sens de cette hypothèse, les effets anxiolytiques et subeuphoriques de ces deux types de substances étant bien connus. Si ces trois variables entretiennent des relations, celles-ci semblent toutefois difficilement réductibles à une relation linéaire de causalité, de nombreuses autres variables (l’intensité de la symptomatologie psychotique, l’utilisation ponctuelle d’autres substances, etc.) pouvant jouer un rôle déterminant dans l’apparition ou le maintien de ces manifestations comorbides. Le fait que l’alcool et les dérivés du cannabis soient les substances les plus fréquemment utilisées tend à confirmer l’importance, dans le choix du produit, du coût et de la disponibilité de celui-ci dans l’environnement du sujet. L’hypothèse selon laquelle le choix des substances utilisées par les patients psychotiques serait lié à une appétence préférentielle pour les psychostimulants – appétence probablement sous-tendue par une tentative d’automédication de la symptomatologie négative – n’est pas confirmée ici. La place importante qu’occupent le cannabis et l’alcool dans les conduites addictives auxquelles nous sommes confrontés semble en outre témoigner de la non-pertinence de la dichotomie entre drogues “douces” et “dures” ou entre substances licites et illicites lorsque l’on aborde la question de leur utilisation par des sujets présentant des troubles psychopathologiques. On constate que les conduites de dépendance précèdent le plus souvent l’apparition des troubles psychotiques ou thymiques. Cette chronologie tend à confirmer une série d’hypothèses que nous rappellerons brièvement. Selon la première de ces hypothèses, les substances psychoactives joueraient le rôle de facteur précipitant de la première décompensation psychotique ou thymique chez des sujets pouvant présenter des failles identitaires sous-jacentes. Selon la deuxième hypothèse, non exclusive de la précédente, l’utilisation régulière de substances modifierait la présentation clinique de la symptomatologie débutante, au point d’entraîner parfois des errements diagnostiques. Nous appuyant sur l’ensemble des données qualitatives, nous tâcherons maintenant de livrer une lecture processuelle (considérant un processus psychopathologique où surviennent divers éléments symptomatiques) plutôt que catégorielle (considérant la psychose et les manifestations qui lui sont associées comme des pathologies distinctes) des phénomènes comorbides qui constituent l’objet de ce travail. L’examen des protocoles de Rorschach Le Courrier des addictions (5), n° 1, janvier/février/mars 2003 34 témoigne du fait que les sujets que nous avons rencontrés présentent tous un fonctionnement psychique relevant de registres psychotiques plus ou moins profondément organisés. Il apparaît également que les procédés d’investissement narcissiques mis en jeu, s’ils sont sensiblement les mêmes dans les deux groupes, le sont toutefois en proportion variable selon que les sujets font partie de l’un ou l’autre groupe. Ces différences quant à la nature et au degré des mouvements d’investissement et de désinvestissement indiquent la possibilité de dénis, de clivages et de projections plus limités, moins radicalement coupés de la réalité chez les sujets du groupe A que chez ceux du groupe B. Il semble que les premiers disposent ainsi de ressources plus importantes que les seconds pour tenter de répondre aux difficultés qu’ils rencontrent. Ces différences peuvent être liées, en partie du moins, au fait que les sujets du groupe A présentent des troubles d’apparition plus récente que les autres sujets. Il se peut que ces différences tiennent aussi aux contradictions, inhérentes à la psychopathologie de l’adolescence, entre des modes d’organisation psychotique mobilisables et d’autres qui, bien qu’apparemment semblables, sont déjà fixés. Les protocoles de Rorschach des deux groupes de sujets sont majoritairement porteurs des indices classiques de l’inhibition dépressive : restriction du nombre de réponses, pauvreté kinesthésique, sensibilité spécifique au noir et/ou au blanc, etc. Au-delà de ces critères, ces protocoles sont révélateurs de la difficulté qu’ont certains sujets à associer l’affect de souffrance et une ou des représentations de perte. Sur ce dernier point, les modalités diffèrent parfois au sein d’un même groupe, car elles portent, soit la marque du lien maintenu à l’objet soit celle de son anéantissement. L’articulation entre dépression et organisation psychotique semble donc varier selon que la menace de désorganisation identitaire est circonscrite ou envahissante et selon que dominent les aspects fusionnels ou scissionnels. Les fonctions que peuvent revêtir les conduites de dépendance d’un point de vue psychique leur confèrent, comme l’ont souligné certains auteurs (4, 18), un caractère de solution aspécifique. Celles-ci peuvent en effet être utilisées par les patients afin de supporter les angoisses et les affects dépressifs ou d’abandon – réels ou fantasmatiques – qu’ils éprouvent, pour tenter de déplacer leur dépendance aux objets parentaux, pour tenir les r er r er oD sie sDioessi DDososssiie os r D autres – les soignants notamment – en échec ou pour éprouver des sensations substituts aux affects désorganisants suscités. L’étude des processus communs aux sujets du groupe A nous amène, en outre, à considérer ces conduites comme un aménagement défensif, certes extrême et illusoire, mis en œuvre pour tenter de se dégager du processus dissociatif qui les a menacés ou les menace encore. Il apparaît que ce système défensif tende néanmoins à s’auto-renforcer et à se vider de son sens, du fait de la compulsion de répétition, d’une part, en raison de la pression qu’exerce le risque d’un nouvel effondrement narcissique, d’autre part. Conclusion Il nous semble intéressant de rappeler, après D. Widlöcher, que le terme comorbidité peut être utilisé “dans le sens de risque de pathologies associées (…) mais aussi dans celui, plus clinique que statistique, de pathologie générale” (1999, p. 29). Cette double approche – statistique et clinique – de la comorbidité entre anxiété, dépression, conduites de dépendance et troubles psychotiques nous conduit, logiquement, à faire deux constats. Le premier tient à l’existence, sur le plan statistique, d’un lien de comorbidité entre les catégories de troubles évoquées au sein de notre population. Si on laisse de côté l’hypothèse neurobiologique d’une étiologie commune entre anxiété, dépression et addiction, ces trois types de manifestations nous paraissent être des phénomènes qui tendent, dans ce contexte précis, à s’entretenir mutuellement. Les résultats de cette étude soulignent par ailleurs le fait que les conduites de dépendance à une ou plusieurs substances psychoactives participent, par leurs effets, à l’aggravation des troubles psychotiques, d’une part en retardant le repérage diagnostique, d’autre part en favorisant la survenue de rechutes. Le second tient à la nécessité et à la complémentarité d’une investigation clinique s’interrogeant sur le fonctionnement intrapsychique des sujets rencontrés. Cette investigation, qui repose sur le diagnostic différentiel établi à partir des protocoles de Rorschach, nous renseigne en premier lieu sur le fait que les adolescents présentent tous des modalités d’organisation psychotiques. Ce qui signifie que les affects anxieux et dépressifs, quantifiés par ailleurs, participent à une économie tout à fait particulière visant notamment au maintien d’un semblant de cohésion identitaire. Les conduites d’abus et/ou de dépendance sont généralement considérées – à juste titre – comme désorganisatrices. L’un des apports de l’analyse processuelle réside précisément dans le fait qu’elle laisse entrevoir dans ces conduites un aménagement économique pouvant remplir des fonctions positives pour les sujets qui en sont les auteurs. Revenons un instant, à la lumière des ces éléments psychodynamiques, à l’exemple de Camille. Les affects dépressifs, la dépendance aux dérivés du cannabis, les tentatives de suicide et les autres conduites de risque mis en œuvre par cette adolescente n’apparaissent qu’en tant que symptômes isolés, sans constituer une explication du désordre psychique profond. Il semble en effet que ce soit, au contraire, l’organisation structurelle sousjacente qui s’exprime ici ou là, à tel moment ou à tel autre, sous la forme des comportements observés. Références bibliographiques 1. Addington J, Addington D. Effects of substance misuse in early psychosis. Brit J Psychiatry 1998 ; 172, 33 : 134-6. 2. Boekholt M. Modalités narcissiques et registres dépressifs au Rorschach. Bulletin de la Société du Rorschach et des Méthodes Projectives de Langue Française 1992 ; 36 : 51-65. 3. Brunette MF, Mueser KT, Xie H et al. Relationships between symptoms of schizophrenia and substance abuse. J Nerv and Ment Disease 1997 ; 185 : 13-20. 4. Corcos M, Jeammet P. 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