protocoles. Les mouvements de retrait qui pré-
sident à l’utilisation de ces items semblent,
dans l’un et l’autre groupe, dictés par un
important désinvestissement objectal. Les
items de l’échelle S qu’emploient la plupart
des sujets, à savoir les items S4 et S6, renvoient
aux mouvements scissionnels qui sont la
marque de défenses psychotiques. L’emploi
des items de l’échelle L recouvre là aussi cer-
taines similitudes entre les deux groupes de
sujets. Une majorité d’entre eux recourt en
effet aux items L2, L4 et L5. La thématique et
l’éprouvé subjectif perceptibles au travers de
ce type de réponses sont généralement conno-
tés négativement et renvoient à des relations
d’objet recherchées ou redoutées mais
toujours empreintes de dysphorie.
On retiendra donc, à l’issue de cette approche
différentielle, que les éléments dépressifs que
présentent une majorité de sujets relèvent
effectivement de registres dissociatifs.
Discussion
Nous n’évoquerons pas ici les hypothèses
psychopharmacologiques et génétiques
concernant la fréquence élevée de la comorbi-
dité entre troubles psychopathologiques.
Celles-ci ont fait l’objet d’études aussi nom-
breuses qu’attentives qui pourront être retrou-
vées ailleurs.
L’analyse statistique de l’association entre les
différentes variables étudiées montre que la
dépression est corrélée avec l’anxiété (r = 0,69
p < 0,01), ce qui est cohérent avec la plupart
des données dont nous disposons (5, 9).
L’anxiété est, quant à elle, corrélée, dans une
moindre mesure et de façon négative, avec la
durée de la prise en charge. Cette dernière
donnée souligne l’importance d’une prise en
charge durable, qui permette aux sujets l’inté-
gration progressive de capacités à utiliser le
cadre institutionnel comme système contenant
et pare-excitant. Les troubles liés à l’utilisation
de substances apparaissent comme étant prin-
cipalement liés à la dépression. Ceux-ci sont
toutefois significativement plus importants
lorsque la dépression est présente conjointe-
ment avec l’anxiété (t = 2,92 p < 0,05). Le fait
que la dépression, l’anxiété et les conduites
addictives apparaissent, sur le plan statistique,
comme des variables explicatives les unes des
autres indique la possibilité d’une tentative
d’automédication des angoisses psychotiques
et/ou de l’humeur dépressive. La massivité du
recours à l’alcool et au cannabis va d’ailleurs
dans le sens de cette hypothèse, les effets
anxiolytiques et subeuphoriques de ces deux
types de substances étant bien connus. Si ces
trois variables entretiennent des relations,
celles-ci semblent toutefois difficilement
réductibles à une relation linéaire de causalité,
de nombreuses autres variables (l’intensité de
la symptomatologie psychotique, l’utilisation
ponctuelle d’autres substances, etc.) pouvant
jouer un rôle déterminant dans l’apparition ou
le maintien de ces manifestations comorbides.
Le fait que l’alcool et les dérivés du cannabis
soient les substances les plus fréquemment
utilisées tend à confirmer l’importance, dans
le choix du produit, du coût et de la disponibi-
lité de celui-ci dans l’environnement du sujet.
L’ hypothèse selon laquelle le choix des sub-
stances utilisées par les patients psychotiques
serait lié à une appétence préférentielle pour
les psychostimulants – appétence probable-
ment sous-tendue par une tentative d’auto-
médication de la symptomatologie négative –
n’est pas confirmée ici. La place importante
qu’occupent le cannabis et l’alcool dans les
conduites addictives auxquelles nous sommes
confrontés semble en outre témoigner de la
non-pertinence de la dichotomie entre drogues
“douces” et “dures” ou entre substances licites
et illicites lorsque l’on aborde la question de
leur utilisation par des sujets présentant des
troubles psychopathologiques.
On constate que les conduites de dépendance
précèdent le plus souvent l’apparition des
troubles psychotiques ou thymiques. Cette
chronologie tend à confirmer une série
d’hypothèses que nous rappellerons briève-
ment. Selon la première de ces hypothèses, les
substances psychoactives joueraient le rôle de
facteur précipitant de la première décompen-
sation psychotique ou thymique chez des
sujets pouvant présenter des failles identitaires
sous-jacentes. Selon la deuxième hypothèse,
non exclusive de la précédente, l’utilisation
régulière de substances modifierait la présen-
tation clinique de la symptomatologie débu-
tante, au point d’entraîner parfois des erre-
ments diagnostiques.
Nous appuyant sur l’ensemble des données
qualitatives, nous tâcherons maintenant de
livrer une lecture processuelle (considérant
un processus psychopathologique où sur-
viennent divers éléments symptomatiques)
plutôt que catégorielle (considérant la psy-
chose et les manifestations qui lui sont asso-
ciées comme des pathologies distinctes) des
phénomènes comorbides qui constituent
l’objet de ce travail.
L’ e xamen des protocoles de Rorschach
témoigne du fait que les sujets que nous avons
rencontrés présentent tous un fonctionnement
psychique relevant de registres psychotiques
plus ou moins profondément organisés. Il
apparaît également que les procédés d’inves-
tissement narcissiques mis en jeu, s’ils sont
sensiblement les mêmes dans les deux
groupes, le sont toutefois en proportion
variable selon que les sujets font partie de l’un
ou l’autre groupe. Ces différences quant à la
nature et au degré des mouvements d’investis-
sement et de désinvestissement indiquent la
possibilité de dénis, de clivages et de projec-
tions plus limités, moins radicalement coupés
de la réalité chez les sujets du groupe A que
chez ceux du groupe B. Il semble que les pre-
miers disposent ainsi de ressources plus
importantes que les seconds pour tenter de
répondre aux difficultés qu’ils rencontrent.
Ces différences peuvent être liées, en partie du
moins, au fait que les sujets du groupe A pré-
sentent des troubles d’apparition plus récente
que les autres sujets. Il se peut que ces diffé-
rences tiennent aussi aux contradictions, inhé-
rentes à la psychopathologie de l’adolescence,
entre des modes d’organisation psychotique
mobilisables et d’autres qui, bien qu’apparem-
ment semblables, sont déjà fixés.
Les protocoles de Rorschach des deux
groupes de sujets sont majoritairement por-
teurs des indices classiques de l’inhibition
dépressive : restriction du nombre de répon-
ses, pauvreté kinesthésique, sensibilité spéci-
fique au noir et/ou au blanc, etc. Au-delà de
ces critères, ces protocoles sont révélateurs de
la difficulté qu’ont certains sujets à associer
l’affect de souffrance et une ou des représen-
tations de perte. Sur ce dernier point, les
modalités diffèrent parfois au sein d’un même
groupe, car elles portent, soit la marque du
lien maintenu à l’objet soit celle de son anéan-
tissement. L’articulation entre dépression et
organisation psychotique semble donc varier
selon que la menace de désorganisation
identitaire est circonscrite ou envahissante
et selon que dominent les aspects fusionnels
ou scissionnels.
Les fonctions que peuvent revêtir les
conduites de dépendance d’un point de vue
psychique leur confèrent, comme l’ont souli-
gné certains auteurs (4, 18), un caractère de
solution aspécifique. Celles-ci peuvent en
effet être utilisées par les patients afin de sup-
porter les angoisses et les affects dépressifs ou
d’abandon – réels ou fantasmatiques – qu’ils
éprouvent, pour tenter de déplacer leur dépen-
dance aux objets parentaux, pour tenir les