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La Lettre du Gynécologue - n° 266 - novembre 2001
S’attaquant au cancer du sein, l’équipe de l’IPSO produit une
étude statistique prédictive par la seule investigation psycholo-
gique (1988) et poursuit ses recherches dans ce domaine.
QU’EN EST-IL DE LA GYNÉCOLOGIE PSYCHOSOMATIQUE ?
Hélène Michel-Wolfromm est la véritable pionnière de
l’approche psychosomatique en gynécologie. Il reste un
nombre désormais de plus en plus restreint de gynécologues à
l’avoir connue. Elle a été admirée, contestée, beaucoup l’ont
aimée. J’ai eu la chance d’assister à ses consultations. Elle
nous a appris l’écoute, la tolérance, l’implication personnelle,
la modestie. Sans être psychiatre, elle s’est intéressée à toutes
les névroses retentissant sur le corps des femmes et sur leur
sexualité. Elle a vite abandonné la catégorisation des patientes
(on parlerait aujourd’hui de “profils psychologiques”) pour
découvrir au cas par cas la vérité complexe et unique de cha-
cune, ce qui n’est guère quantifiable.
C’était dans les années 60, à Broca, le fief de la chirurgie
gynécologique, de la stérilité puis de la contraception. Des
femmes bien portantes, celles qui voulaient un enfant, celles
qui n’en voulaient plus, déboulaient dans les consultations de
gynécologie et nous faisaient sauter sans filet dans l’intimité
de leur vie sexuelle, leur souffrance ou leur simple demande de
les aider à mieux vivre. Nous étions écartelés entre le risque de
plonger avec elles derrière le miroir de l’identification et la
construction maladroite d’un espace pour nous protéger contre
nos émotions contradictoires. Les seuls moyens contraceptifs
étaient la courbe de température, que nous expliquions en
enseignant la physiologie hormonale, et l’utilisation d’un dia-
phragme vaginal, qui requérait des explications sur la morpho-
logie du vagin et du col. Nos études hospitalières ne nous
avaient pas préparés à ce type de contact physique et psycholo-
gique. Les résistances à une contraception réclamée, ses
échecs et les demandes d’interruption de grossesse, illégales à
l’époque, l’ambiguïté même du désir d’enfant mettaient à mal
l’idée de maîtrise médicale que nous avait enseignée la
Faculté. Cette spécialité de gynécologie médicale que nous
avions choisie nous propulsait au cœur même de la vie, de son
foisonnement, de son désordre, au cœur de la mort, souvent.
Comment gérer ses émotions et quelles motivations profondes
au choix de ce métier ? Comment, chez ses patientes, tenter de
découvrir le lien entre corps et psyché ?
Pour ce faire, beaucoup d’entre nous ont désiré se former à la
médecine psychosomatique, adhérant à la définition
d’Alexander, son père américain : “la médecine psychosoma-
tique est une science et un art. Cet art est la connaissance pro-
fonde, intuitive, c’est-à-dire non verbalisée, que le médecin
acquiert durant les longues années de son expérience clinique.”
Cet art médical n’est-il pas aussi la perception intuitive de la
personnalité du patient que l’on veut soulager, “les bonnes
paroles” pour inspirer confiance, pour sécuriser et réconforter ?
Est-ce à dire que tous ceux qui pratiquent la science et l’art de
la médecine font de la médecine psychosomatique comme
Monsieur Jourdain fait de la prose, sans le savoir ? Est-ce à
dire qu’il suffirait d’être explicatif, rassurant, attentif, en un
mot : gentil, pour être un gynécologue psychosomaticien ?
C’est une condition nécessaire, mais non suffisante.
La gynécologie psychosomatique n’est pas une spécialité dans
la spécialité de gynécologie. C’est une approche de la patiente.
Elle exige une formation personnelle.
QUELLE FORMATION ?
Une psychanalyse personnelle semble constituer une solution
de choix. Cependant, la psychanalyse n’est pas forcément utile
ni bénéfique à toutes les structures mentales, et ce n’est pas
toujours un “label de qualité”. Il y faut en plus un goût et un
talent dans la relation médicale ainsi qu’une remise en ques-
tion régulière. Une autre bonne façon de s’interroger sur la
relation que l’on a avec ses patients est de participer à un
groupe Balint. Balint, médecin anglais, reconsidère la relation
médecin-malade-maladie dès la fin des années 40. Il constitue
des groupes de travail. Douze à 15 médecins parlent de cas qui
les ont préoccupés non pas au plan médical mais psycholo-
gique : leur attitude personnelle, leurs émotions, leur rejet du
patient. Ils sont assistés par un ou deux psychanalystes qui les
aident à comprendre leur comportement et les causes de leur
malaise.
Des connaissances en psychiatrie et en sexologie sont égale-
ment nécessaires pour une bonne approche psychosomatique
en gynécologie.
QU’EST-CE QUE CETTE APPROCHE A DE PARTICULIER ?
C’est une disponibilité complète à chacune des étapes de la
consultation, qui prend en compte ce que la femme exprime,
consciemment ou non. Avant l’examen, une écoute attentive
permet de ne pas l’enfermer tout de suite dans les grilles
rigides de l’interrogatoire classique. Les cases se rempliront au
fur et à mesure, sans violence, et ce n’est pas pour cela
qu’échappent les indispensables informations médicales. Déjà,
la personnalité de la patiente se dessine, ainsi que le rôle du
symptôme dans son organisation mentale. Au cours de l’exa-
men, il nous faut capter ce qu’elle dit avec son comportement,
son corps et ses émotions. Il n’y a pas un temps pour l’écoute
et un temps pour l’examen : c’est un tout. Pour certaines, les
gestes techniques doivent être expliqués, l’examen commenté
en leur laissant toujours une place pour poser des questions,
pour s’exprimer : cela dédramatise.
De retour de la salle d’examen, rhabillée, la patiente est plus
détendue, et nous sommes plus avancés. Même si l’origine
psychologique du symptôme nous semble évidente, ce n’est
pas le moment d’en faire une interprétation sauvage. Il faut
parfois plusieurs consultations pour qu’avec notre aide la
femme admette que son symptôme n’est qu’un cache-misère.
Elle est alors prête à entendre nos propositions de consultation
psychiatrique, de psychothérapie ou d’analyse, en un mot :
d’aide psychologique.
D’aucuns me diront que je viens de décrire la consultation de
tout gynécologue attentif, rassurant ou simplement chaleureux
qui sait mettre sa patiente en confiance. C’est un bon médecin,
sa relation avec elle est bonne et il l’aide avec compétence à
traverser les moments difficiles de sa vie. C’est déjà beau-
coup : cela se nomme une psychothérapie de soutien. Mais,