Les lymphadénectomies pelviennes et lomboaortiques modifient-elles la prise en charge thérapeutique

12 | La Lettre du Gynécologue 364 - septembre 2011
DOSSIER Innovations en onco-gynécologie
L
e traitement de référence des cancers du col
utérin évolués (Ib2 à III) est la radiochimio-
thérapie concomitante (1). Ce protocole de
soins est également le traitement de référence des
cancers du col utérin de stade précoce avec atteinte
ganglionnaire. Les facteurs pronostiques essentiels
des cancers cervicaux sont le stade et le statut
ganglionnaire (2). Ce dernier devrait être déterminé
avant le traitement puisqu’il permet une adaptation
des champs d’irradiation. L’irradiation est étendue à
l’aire lomboaortique en cas d’atteinte ganglionnaire
para-aortique ou iliaque commune.
Lévaluation de ce statut ganglionnaire est donc un
élément fondamental tant pronostique que pour la
prise en charge thérapeutique. Elle peut être réalisée
par l’association des différentes techniques d’ima-
gerie (IRM, scanner thoracoabdominopelvien [TAP],
tomographie par émission de positons [TEP]). La
détection de l’atteinte ganglionnaire par scanner et/
ou IRM reste perfectible, notamment du fait d’une
sensibilité variant, selon les données de la littéra-
ture, entre 30 et 60 % (3, 4). L’Institut national du
cancer (INCa) recommande la réalisation d’une TEP
au 18-fluoro-déoxyglucose (TEP-TDM au 18F-FDG)
pour les cancers du col à partir du stade IB2. Cet
examen est proposé en réunion de concertation
pluridisciplinaire pour le bilan d’extension à distance,
notamment pour améliorer l’évaluation de l’exten-
sion ganglionnaire (niveau de preuve B2 selon les
SOR TEP 2003). Il existe une atteinte ganglionnaire
lomboaortique dans 15 à 30 % des cancers du col de
stade avancé, non détectée dans près de 10 % des
cas par la TEP (8 à 13 % de faux négatif) [5].
La stadification ganglionnaire chirurgicale garde donc
une place prépondérante dans la prise en charge
de ces tumeurs. La lymphadénectomie lomboaor-
tique par cœlioscopie, notamment par voie rétro-
péritonéale, s’impose progressivement comme un
standard pour la prise en charge de ces patientes
(3, 6). Son impact thérapeutique n’est cependant
pas démontré à ce jour. Pour ces pathologies, la
réalisation de curages pelviens ne fait pas l’objet
d’un consensus. La majorité des auteurs souligne
l’absence d’impact thérapeutique et la morbidité
potentielle d’une telle prise en charge.
Dans une série antérieure publiée, nous avons mis
en avant l’intérêt des curages pelviens cœliosco-
piques dans le bilan initial des cancers du col T1B1 à
T2B (7). L’objectif de ce travail est de présenter des
résultats préliminaires concernant l’impact sur le
plan du traitement des lymphadénectomies lapa-
roscopiques pelviennes et lomboaortiques pour les
patientes prises en charge pour un cancer du col de
stade avancé.
Type d’étude
Il s’agit d’une série consécutive rétrospective mono-
centrique de 63 patientes prises en charge dans le
Les lymphadénectomies
pelviennes et lomboaortiques
modifient-elles la prise
en charge thérapeutique
des cancers du col évolués ?
Does pelvic and para aortic lymphadenectomy induce a
treatment modification of patients with locally advanced
cervical carcinoma?
F. Guyon*, M. Doublier*, E. Stoeckle*, L. Thomas*, F. Bonichon*, M. Kind*, A. Floquet*
* Département d’oncologie gynéco-
logique, Institut Bergonié, Bordeaux.
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La Lettre du Gynécologue n°364 - septembre 2011 | 13
Résumé
»
Le traitement de référence des cancers du col évolués est la radiochimiothérapie concomitante.
L’évaluation coelioscopique de l’atteinte ganglionnaire permet d’adapter au mieux les champs d’irra-
diation de chaque patiente. Si la réalisation des lymphadénectomies lomboaortiques est recommandée,
la place des curages pelviens reste discutée.
département d’oncologie gynécologique de l’institut
Bergonié. Lobjectif est l’étude de l’apport informatif
des curages pelviens et lomboaortiques dans la déci-
sion thérapeutique. Pour cela, nous avons réalisé une
comparaison du projet personnalisé de soins (PPS)
de chaque patiente en tenant compte uniquement
des résultats des examens radiologiques (PPSR) avec
le PPS déterminé à partir des données des analyses
anatomopathologiques des lymphadénectomies
pelviennes et lymphadénectomie lomboaortique
(PPSC). Il s’agit de données préliminaires et unique-
ment descriptives. Une étude est en cours, permet-
tant notamment de comparer statistiquement la
détection ganglionnaire par TAP, IRM ou TEP versus
lymphadénectomies pelviennes et lomboaortiques.
Cette étude en cours a également pour objectif
d’analyser la morbidité postopératoire à court et
moyen termes (non étudiée dans ce travail).
Patientes et méthodes
Soixante-trois patientes ont été traitées pour des
cancers du col utérin avancés (stades IB2 à III) entre
janvier 2008 et août 2010. Le bilan réalisé comprenait
un TAP, une IRM abdominopelvienne et la TEP couplée
au scanner. Une exploration chirurgicale a systéma-
tiquement été réalisée par cœlioscopie comprenant
une exploration complète de la cavité abdominale,
une lymphadénectomie pelvienne et lomboaortique
par voie transpéritonéale. Nous avons exclu toutes les
patientes ayant des localisations ganglionnaires para-
aortiques avérées et ayant d’importants facteurs de
comorbidité. Nous avons également exclu les formes
anatomopathologiques rares (tumeur neuroendo-
crine, notamment). La comparaison des différents PPS
établis, tenant compte ou non des résultats anato-
mopathologiques, nous a permis d’évaluer l’impact
thérapeutique des lymphadénectomies.
Nous avons colligé les résultats des examens radio-
logiques (IRM, TAP, TEP) à partir du compte-rendu
et des cédéroms sans relecture. Une patiente était
considérée N+ si 1 ou plusieurs examens révélai(en)t
une atteinte ganglionnaire. Pour définir une atteinte
ganglionnaire radiologique, nous avons tenu compte
uniquement des ganglions supracentimétriques et/
ou jugés comme significatifs par le radiologue. Les
patientes N0 radiologiques n’avaient pas d’atteinte
ganglionnaire visualisée sur l’ensemble des examens
radiologiques.
Résultats
L’âge moyen des patientes au moment du diagnostic
est de 52 ans (extrêmes : 32-78). Pour 57 patientes
(91 %), l’analyse anatomopathologique est de type
carcinome épidermoïde infiltrant. L’indice de masse
corporelle (IMC) moyen est de 29 (extrêmes : 16,16-
40,88). Onze patientes sont obèses (IMC > 30)
dont 5 souffrent d’une obésité morbide (IMC > 35),
soit respectivement 17 et 7,9 % des effectifs. Pour
1 patiente (1,6 %), une laparoconversion a été réalisée
en raison d’une plaie vasculaire (plaie de la veine cave
inférieure au ras d’une veine lombaire après exérèse
d’une adénopathie métastatique). La réalisation des
curages pelviens et lymphadénectomies lomboaor-
tiques permet de distinguer 3 groupes de patientes :
– treize patientes (21 %) n’ont ni atteinte ganglion-
naire pelvienne ni lymphadénectomie lomboaortique
et sont N0 ;
– mise en évidence de ganglion(s) métastatique(s)
uniquement au niveau pelvien sans atteinte lombo-
aortique (N1 à l’étage pelvien) chez 28 patientes
(44 %) : 10 curages avec atteinte unilatérale et 18
avec atteinte bilatérale ;
– 22 patientes (35 %) ont une atteinte à la fois
pelvienne et lomboaortique. Aucune patiente n’a
d’atteinte lomboaortique isolée dans cette série.
La localisation des métastases ganglionnaires
lomboaortiques est la suivante :
– 3 patientes ont une atteinte uniquement iliaque
primitive droite ou latéro-cave isolée (13 % des cas
avec envahissement lomboaortique) ;
– 2 patientes ont une atteinte isolée latéroaortique
sous-mésentérique et iliaque primitif gauche (10 %) ;
– 4 patientes (18 %) ont une atteinte ganglionnaire
latéroaortique sus-mésentérique isolée ;
– il existe une atteinte diffuse pour les autres
patientes (13 cas, soit 59 % des patientes avec
atteinte lomboaortique).
Les résultats de l’estimation de l’atteinte ganglion-
naire après examen radiologique et après curage
sont représentés dans le tableau.
Mots-clés
Cancer du col utérin
Lymphadénectomie
pelvienne
Lymphadénectomie
lomboaortique
Stadification
cœlioscopique
Radiochimiothérapie
concomittante
Highlights
Primary therapy of patients
with locally advanced cervical
cancer is chemoradiation. Lapa-
rocopic staging of lymph node
involvement allow an adapta-
tion of the radiotherapy fields.
If the para aortic lymphade-
nectomy becomes a standard,
the laparoscopic pelvic nodes
staging remains controversial.
Keywords
Cervical cancer
Pelvic lymphadenectomy
Para aortic lymphadenectomy
Laparoscopic staging
Primary chemoradiation
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DOSSIER Innovations en onco-gynécologie
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Tableau. Résultats après examen radiologique et curage.
NO
(%)
N1 pelvien
(%)
N1 lomboaortique
(%)
Imagerie 39 36 25
Anatomo-
pathologie 21 44 35
Pour 31 patientes (49 %), le plan de traitement n’est
pas modifié par la réalisation d’un curage chirurgical,
qui permet une extension des champs d’irradiation
par rapport au PPSR pour 21 patientes :
– extension des champs d’irradiation à l’aire lombo-
aortique chez les patientes N0 ou N+ à l’étage
pelvien, mais N0 lomboaortique au bilan radiolo-
gique et N1 lomboaortique à la lypmphadénectomie
(12 patientes) ;
– extension des champs d’irradiation aux aires
ganglionnaires pelviennes ou surimpression chez
des patientes initialement N0 à l’imagerie et N1
aux curages pelviens pour 9 patientes.
Les curages permettent une réduction des champs
d’irradiation pour 11 patientes :
– 6 patientes N+ à l’étage pelvien radiologique et
finalement N0 après curage ;
– 2 patientes N+ à l’étage pelvien et lomboaortique
radiologique et N0 après curage ;
– 1 patiente N+ lomboaortique radiologique et N0
lomboaortique après curage.
Au final, l’apport des lymphadénectomies pour la
prise en charge de ces patientes modifie le schéma
thérapeutique dans 51 % des cas (32 patientes).
Discussion
Les limites de ce travail sont avant tout méthodolo-
giques. Il s’agit d’une étude rétrospective avec un parti
pris : toutes les patientes ont eu un curage pelvien
et lomboaortique complet par voie cœlioscopique
transpéritonéale, mais celles ayant des facteurs de
morbidité importants ont été exclues. Par rapport à
l’imagerie, la réalisation d’une stadification ganglion-
naire laparoscopique permet une plus grande adap-
tation des champs d’irradiation et modifie le plan de
traitement pour un peu plus de 1 patiente sur 2. Notre
série confirme l’intérêt des curages lomboaortiques
puisque sa réalisation permet une adaptation des
champs d’irradiation pour 15 patientes corroborant
les conclusions d’autres séries (3).
L’apport des curages pelviens ne fait pas l’objet de
consensus. La majorité des auteurs concluent en son
absence d’impact sur le schéma thérapeutique (3,
6). Dans notre série, 9 patientes sont N0 radiolo-
giques et N0 au curage lomboaortique mais N1 aux
curages pelviens. Inversement, 6 patientes sont N+
radiologiques à l’étage pelvien, N0 radiologiques à
l’étage lomboaortique et N0 aux curages pelviens
et lomboaortiques.
Au final, les curages pelviens apportent une informa-
tion spécifique pour 15 patientes (24 %). Il semble
donc exister une discordance entre les plans de trai-
tement issus de l’évaluation radiologique associée
à une lymphadénectomie lomboaortique et après
curages pelviens et lomboaortiques avec un risque
de sous-traitement des aires pelviennes atteintes
ou de surimpression non justifiée. La réalisation de
curages pelviens semble permettre un ajustement
plus performant des champs d’irradiation pelviens.
Cependant, l’impact thérapeutique de cette stra-
tégie n’a pas été démontré. Le taux de rechutes
ganglionnaires pelviennes isolées ne semble pas
être augmenté dans les séries publiées où seuls les
curages lomboaortiques sont réalisés (6). L’impact
de notre stratégie en termes de survie sans récidive
est en cours d’évaluation.
Par ailleurs, par rapport aux équipes qui ne réalisent
que le curage lomboaortique, nous nous interro-
geons sur l’attitude à adopter vis-à-vis d’une adéno-
pathie pelvienne très suspecte à l’imagerie de plus
de 2 cm (8, 9). Dans le même ordre d’idée, se pose
la question de la difficulté et de la morbidité des
curages pelviens réalisés après radiochimiothérapie
concomitante (10). Ce geste réalisé par certaines
équipes semble associé à une morbidité importante à
mettre en balance par rapport aux effets indésirables
des curages pelviens suivis d’une radiochimiothérapie
concomitante. Nous n’avons pas de données dans
cette étude sur le taux de complications inhérentes
au geste chirurgical premier suivi d’une radiochimio-
thérapie concomitante à court et à moyen terme,
mais ce travail est en cours de réalisation.
Conclusion
Les lymphadénectomies semblent optimiser la prise
en charge thérapeutique des patientes suivies pour
un cancer du col utérin évolué. Ils permettent en
effet de rationnaliser le PPS et de réaliser un plan
de traitement “sur mesure” pour chaque patiente.
Si la réalisation des lymphadénectomies lomboaor-
tiques est recommandée, celle des curages pelviens
associés est discutée par la majorité des auteurs et
ne fait pas l’objet d’un consensus.
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