DOSSIER Innovations en onco-gynécologie Les lymphadénectomies pelviennes et lomboaortiques modifient-elles la prise en charge thérapeutique des cancers du col évolués ? Does pelvic and para aortic lymphadenectomy induce a treatment modification of patients with locally advanced cervical carcinoma? F. Guyon*, M. Doublier*, E. Stoeckle*, L. Thomas*, F. Bonichon*, M. Kind*, A. Floquet* L * Département d’oncologie gynécologique, Institut Bergonié, Bordeaux. e traitement de référence des cancers du col utérin évolués (Ib2 à III) est la radiochimiothérapie concomitante (1). Ce protocole de soins est également le traitement de référence des cancers du col utérin de stade précoce avec atteinte ganglionnaire. Les facteurs pronostiques essentiels des cancers cervicaux sont le stade et le statut ganglionnaire (2). Ce dernier devrait être déterminé avant le traitement puisqu’il permet une adaptation des champs d’irradiation. L’irradiation est étendue à l’aire lomboaortique en cas d’atteinte ganglionnaire para-aortique ou iliaque commune. L’évaluation de ce statut ganglionnaire est donc un élément fondamental tant pronostique que pour la prise en charge thérapeutique. Elle peut être réalisée par l’association des différentes techniques d’imagerie (IRM, scanner thoracoabdominopelvien [TAP], tomographie par émission de positons [TEP]). La détection de l’atteinte ganglionnaire par scanner et/ ou IRM reste perfectible, notamment du fait d’une sensibilité variant, selon les données de la littérature, entre 30 et 60 % (3, 4). L’Institut national du cancer (INCa) recommande la réalisation d’une TEP au 18-fluoro-déoxyglucose (TEP-TDM au 18F-FDG) pour les cancers du col à partir du stade IB2. Cet examen est proposé en réunion de concertation pluridisciplinaire pour le bilan d’extension à distance, notamment pour améliorer l’évaluation de l’extension ganglionnaire (niveau de preuve B2 selon les SOR TEP 2003). Il existe une atteinte ganglionnaire lomboaortique dans 15 à 30 % des cancers du col de stade avancé, non détectée dans près de 10 % des cas par la TEP (8 à 13 % de faux négatif) [5]. La stadification ganglionnaire chirurgicale garde donc une place prépondérante dans la prise en charge de ces tumeurs. La lymphadénectomie lomboaortique par cœlioscopie, notamment par voie rétropéritonéale, s’impose progressivement comme un standard pour la prise en charge de ces patientes (3, 6). Son impact thérapeutique n’est cependant pas démontré à ce jour. Pour ces pathologies, la réalisation de curages pelviens ne fait pas l’objet d’un consensus. La majorité des auteurs souligne l’absence d’impact thérapeutique et la morbidité potentielle d’une telle prise en charge. Dans une série antérieure publiée, nous avons mis en avant l’intérêt des curages pelviens cœlioscopiques dans le bilan initial des cancers du col T1B1 à T2B (7). L’objectif de ce travail est de présenter des résultats préliminaires concernant l’impact sur le plan du traitement des lymphadénectomies laparoscopiques pelviennes et lomboaortiques pour les patientes prises en charge pour un cancer du col de stade avancé. Type d’étude Il s’agit d’une série consécutive rétrospective monocentrique de 63 patientes prises en charge dans le 12 | La Lettre du Gynécologue • n° 364 - septembre 2011 LG 2011-09.indd 12 12/09/11 11:26 Mots-clés Résumé »» Le traitement de référence des cancers du col évolués est la radiochimiothérapie concomitante. L’évaluation coelioscopique de l’atteinte ganglionnaire permet d’adapter au mieux les champs d’irradiation de chaque patiente. Si la réalisation des lymphadénectomies lomboaortiques est recommandée, la place des curages pelviens reste discutée. département d’oncologie gynécologique de l’institut Bergonié. L’objectif est l’étude de l’apport informatif des curages pelviens et lomboaortiques dans la décision thérapeutique. Pour cela, nous avons réalisé une comparaison du projet personnalisé de soins (PPS) de chaque patiente en tenant compte uniquement des résultats des examens radiologiques (PPSR) avec le PPS déterminé à partir des données des analyses anatomopathologiques des lymphadénectomies pelviennes et lymphadénectomie lomboaortique (PPSC). Il s’agit de données préliminaires et uniquement descriptives. Une étude est en cours, permettant notamment de comparer statistiquement la détection ganglionnaire par TAP, IRM ou TEP versus lymphadénectomies pelviennes et lomboaortiques. Cette étude en cours a également pour objectif d’analyser la morbidité postopératoire à court et moyen termes (non étudiée dans ce travail). Patientes et méthodes Soixante-trois patientes ont été traitées pour des cancers du col utérin avancés (stades IB2 à III) entre janvier 2008 et août 2010. Le bilan réalisé comprenait un TAP, une IRM abdominopelvienne et la TEP couplée au scanner. Une exploration chirurgicale a systématiquement été réalisée par cœlioscopie comprenant une exploration complète de la cavité abdominale, une lymphadénectomie pelvienne et lomboaortique par voie transpéritonéale. Nous avons exclu toutes les patientes ayant des localisations ganglionnaires paraaortiques avérées et ayant d’importants facteurs de comorbidité. Nous avons également exclu les formes anatomopathologiques rares (tumeur neuroendocrine, notamment). La comparaison des différents PPS établis, tenant compte ou non des résultats anatomopathologiques, nous a permis d’évaluer l’impact thérapeutique des lymphadénectomies. Nous avons colligé les résultats des examens radiologiques (IRM, TAP, TEP) à partir du compte-rendu et des cédéroms sans relecture. Une patiente était considérée N+ si 1 ou plusieurs examens révélai(en)t une atteinte ganglionnaire. Pour définir une atteinte ganglionnaire radiologique, nous avons tenu compte uniquement des ganglions supracentimétriques et/ ou jugés comme significatifs par le radiologue. Les patientes N0 radiologiques n’avaient pas d’atteinte ganglionnaire visualisée sur l’ensemble des examens radiologiques. Résultats L’âge moyen des patientes au moment du diagnostic est de 52 ans (extrêmes : 32-78). Pour 57 patientes (91 %), l’analyse anatomopathologique est de type carcinome épidermoïde infiltrant. L’indice de masse corporelle (IMC) moyen est de 29 (extrêmes : 16,1640,88). Onze patientes sont obèses (IMC > 30) dont 5 souffrent d’une obésité morbide (IMC > 35), soit respectivement 17 et 7,9 % des effectifs. Pour 1 patiente (1,6 %), une laparoconversion a été réalisée en raison d’une plaie vasculaire (plaie de la veine cave inférieure au ras d’une veine lombaire après exérèse d’une adénopathie métastatique). La réalisation des curages pelviens et lymphadénectomies lomboaortiques permet de distinguer 3 groupes de patientes : – treize patientes (21 %) n’ont ni atteinte ganglionnaire pelvienne ni lymphadénectomie lomboaortique et sont N0 ; – mise en évidence de ganglion(s) métastatique(s) uniquement au niveau pelvien sans atteinte lomboaortique (N1 à l’étage pelvien) chez 28 patientes (44 %) : 10 curages avec atteinte unilatérale et 18 avec atteinte bilatérale ; – 22 patientes (35 %) ont une atteinte à la fois pelvienne et lomboaortique. Aucune patiente n’a d’atteinte lomboaortique isolée dans cette série. La localisation des métastases ganglionnaires lomboaortiques est la suivante : – 3 patientes ont une atteinte uniquement iliaque primitive droite ou latéro-cave isolée (13 % des cas avec envahissement lomboaortique) ; – 2 patientes ont une atteinte isolée latéroaortique sous-mésentérique et iliaque primitif gauche (10 %) ; – 4 patientes (18 %) ont une atteinte ganglionnaire latéroaortique sus-mésentérique isolée ; – il existe une atteinte diffuse pour les autres patientes (13 cas, soit 59 % des patientes avec atteinte lomboaortique). Les résultats de l’estimation de l’atteinte ganglionnaire après examen radiologique et après curage sont représentés dans le tableau. Cancer du col utérin Lymphadénectomie pelvienne Lymphadénectomie lomboaortique Stadification cœlioscopique Radiochimiothérapie concomittante Highlights Primary therapy of patients with locally advanced cervical cancer is chemoradiation. Laparocopic staging of lymph node involvement allow an adaptation of the radiotherapy fields. If the para aortic lymphadenectomy becomes a standard, the laparoscopic pelvic nodes staging remains controversial. Keywords Cervical cancer Pelvic lymphadenectomy Para aortic lymphadenectomy Laparoscopic staging Primary chemoradiation La Lettre du Gynécologue • n°364 - septembre 2011 | 13 LG 2011-09.indd 13 12/09/11 11:26 DOSSIER Innovations en onco-gynécologie Références bibliographiques 1. Chemoradiotherapy for Cervical Cancer Meta-Analysis Collaboration. Reducing uncertainties about the effects of chemoradiotherapy for cervical cancer: a systematic review and meta-analysis of individual patient data from 18 randomized trials. J Clin Oncol 2008;26:5802-12. 2. Delpech Y, Haie-Meder C, Rey A et al. Para-aortic involvement and interest of para-aortic lymphadenectomy after chemoradiation therapy in patients with stage IB2 and II cervical carcinoma radiologically confined to the pelvic cavity. 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NO (%) N1 pelvien (%) N1 lomboaortique (%) Imagerie 39 36 25 Anatomopathologie 21 44 35 Pour 31 patientes (49 %), le plan de traitement n’est pas modifié par la réalisation d’un curage chirurgical, qui permet une extension des champs d’irradiation par rapport au PPSR pour 21 patientes : – extension des champs d’irradiation à l’aire lomboaortique chez les patientes N0 ou N+ à l’étage pelvien, mais N0 lomboaortique au bilan radiologique et N1 lomboaortique à la lypmphadénectomie (12 patientes) ; – extension des champs d’irradiation aux aires ganglionnaires pelviennes ou surimpression chez des patientes initialement N0 à l’imagerie et N1 aux curages pelviens pour 9 patientes. Les curages permettent une réduction des champs d’irradiation pour 11 patientes : – 6 patientes N+ à l’étage pelvien radiologique et finalement N0 après curage ; – 2 patientes N+ à l’étage pelvien et lomboaortique radiologique et N0 après curage ; – 1 patiente N+ lomboaortique radiologique et N0 lomboaortique après curage. Au final, l’apport des lymphadénectomies pour la prise en charge de ces patientes modifie le schéma thérapeutique dans 51 % des cas (32 patientes). Discussion Les limites de ce travail sont avant tout méthodologiques. Il s’agit d’une étude rétrospective avec un parti pris : toutes les patientes ont eu un curage pelvien et lomboaortique complet par voie cœlioscopique transpéritonéale, mais celles ayant des facteurs de morbidité importants ont été exclues. Par rapport à l’imagerie, la réalisation d’une stadification ganglionnaire laparoscopique permet une plus grande adaptation des champs d’irradiation et modifie le plan de traitement pour un peu plus de 1 patiente sur 2. Notre série confirme l’intérêt des curages lomboaortiques puisque sa réalisation permet une adaptation des champs d’irradiation pour 15 patientes corroborant les conclusions d’autres séries (3). L’apport des curages pelviens ne fait pas l’objet de consensus. La majorité des auteurs concluent en son absence d’impact sur le schéma thérapeutique (3, 6). Dans notre série, 9 patientes sont N0 radiologiques et N0 au curage lomboaortique mais N1 aux curages pelviens. Inversement, 6 patientes sont N+ radiologiques à l’étage pelvien, N0 radiologiques à l’étage lomboaortique et N0 aux curages pelviens et lomboaortiques. Au final, les curages pelviens apportent une information spécifique pour 15 patientes (24 %). Il semble donc exister une discordance entre les plans de traitement issus de l’évaluation radiologique associée à une lymphadénectomie lomboaortique et après curages pelviens et lomboaortiques avec un risque de sous-traitement des aires pelviennes atteintes ou de surimpression non justifiée. La réalisation de curages pelviens semble permettre un ajustement plus performant des champs d’irradiation pelviens. Cependant, l’impact thérapeutique de cette stratégie n’a pas été démontré. Le taux de rechutes ganglionnaires pelviennes isolées ne semble pas être augmenté dans les séries publiées où seuls les curages lomboaortiques sont réalisés (6). L’impact de notre stratégie en termes de survie sans récidive est en cours d’évaluation. Par ailleurs, par rapport aux équipes qui ne réalisent que le curage lomboaortique, nous nous interrogeons sur l’attitude à adopter vis-à-vis d’une adénopathie pelvienne très suspecte à l’imagerie de plus de 2 cm (8, 9). Dans le même ordre d’idée, se pose la question de la difficulté et de la morbidité des curages pelviens réalisés après radiochimiothérapie concomitante (10). Ce geste réalisé par certaines équipes semble associé à une morbidité importante à mettre en balance par rapport aux effets indésirables des curages pelviens suivis d’une radiochimiothérapie concomitante. Nous n’avons pas de données dans cette étude sur le taux de complications inhérentes au geste chirurgical premier suivi d’une radiochimiothérapie concomitante à court et à moyen terme, mais ce travail est en cours de réalisation. Conclusion Les lymphadénectomies semblent optimiser la prise en charge thérapeutique des patientes suivies pour un cancer du col utérin évolué. Ils permettent en effet de rationnaliser le PPS et de réaliser un plan de traitement “sur mesure” pour chaque patiente. Si la réalisation des lymphadénectomies lomboaortiques est recommandée, celle des curages pelviens associés est discutée par la majorité des auteurs et ne fait pas l’objet d’un consensus. ■ 14 | La Lettre du Gynécologue • n° 364 - septembre 2011 LG 2011-09.indd 14 12/09/11 11:26