Supplément au n° 290 mars 2003 dossier patients La spondylarthrite ankylosante Ankylosing spondylitis C. Bailly a spondylarthrite ankylosante est une maladie chronique inflammatoire qui touche avec prédilection la colonne vertébrale et les articulations du bassin (sacro-iliaques). Elle fait partie des spondylarthropathies, terme général qui englobe d’autres maladies comme le rhumatisme psoriasique, les arthrites réactionnelles, les maladies intestinales inflammatoires chroniques (maladie de Crohn, rectocolite hémorragique) et certaines arthrites juvéniles chroniques. Deuxième rhumatisme en fréquence après la polyarthrite rhumatoïde, elle affecte de 0,2 à 1 % de la population, avec une prédominance masculine importante. Il existe un terrain génétique prédisposant marqué par la présence de l’antigène HLA B27 chez 90 % des sujets atteints par la maladie. L’évolution est émaillée de poussées douloureuses et inflammatoires de la colonne vertébrale et d’une limitation progressive de la mobilité du rachis et du thorax. L Directeur de la publication Claudie Damour-Terrasson ALJAC SA Locataire-gérant d’Edimark SA © mai 1983 CPPAP n° 0207 T 81251 - ISSN 0761- 5027 Imprimé en France Differdange S.A. - 95110 Sannois Dépôt légal à parution Cette édition est diffusée avec le soutien de D O S S I E R P A T I E N T S COMMENT SE RÉVÈLE LA SPONDYLARTHRITE ? La maladie débute le plus souvent entre 20 et 40 ans. Elle est trois à dix fois plus fréquente chez l’homme que chez la femme. Les symptômes révélateurs dans la forme classique avec atteinte axiale sont souvent des douleurs nocturnes et matinales et une gêne à la mobilisation de la colonne vertébrale. Les douleurs adoptent un rythme particulier, de type inflammatoire, qui les distingue de banales douleurs du dos ou de douleurs articulaires d’arthrose. Elles apparaissent dans la deuxième moitié de la nuit et peuvent entraîner des réveils nocturnes à heures fixes. Elles persistent au lever et s’accompagnent d’une sensation de raideur qui cède après un temps variable (dérouillage matinal). Au cours de la journée, les douleurs s’estompent et peuvent réapparaître vers le soir, avec la fatigue. Contrairement aux lombalgies liées à un surmenage de la colonne, elles ne s’améliorent pas avec le repos. En revanche, elles sont bien calmées par les anti-inflammatoires non stéroïdiens. Atteinte de la colonne L’atteinte peut concerner les différents étages de la colonne : – Il peut s’agir de douleurs dorsales en ceinture, intercostales ou thoraciques antérieures. Une sensation de gêne à l’inspiration peut être associée en cas d’atteinte des articulations situées entre les côtes et les vertèbres (costovertébrales) et/ou des articulations entre le sternum et les côtes (figure 1). – Les douleurs sont souvent situées dans la région lom- baire basse (en bas des reins) et dans les fesses. Elles peuvent descendre vers l’arrière des cuisses, rarement jusqu’au mollet simulant une sciatique. Elles s’en différencient par leur caractère nocturne, volontiers bilatéral. – Les douleurs sont parfois cervicales ; elle peuvent aussi être diffuses à l’ensemble de la colonne vertébrale. Atteinte des articulations des membres Les articulations des membres (dites périphériques) peuvent être touchées. L’atteinte est généralement asymétrique, les douleurs sont exacerbées par les mouvements. L’articulation enflammée est volontiers tuméfiée et chaude. Elle peut être le siège d’un épanchement de synovie. Les genoux et les chevilles, les hanches, plus rarement les épaules, sont concernés. Les articulations des extrémités peuvent aussi être enflammées et gonflées. Dans les formes associées au psoriasis (rhumatisme psoriasique), on observe assez souvent une inflammation des articulations des doigts (situées entre phalanges et métacarpe ou entre les phalanges) en particulier des 2e et 3e doigts, avec une tuméfaction en forme de radis. Les articulations des pieds peuvent être affectées. Les orteils peuvent être gonflés et prendre un aspect en saucisse qui est évocateur. Inflammation des enthèses (zones d’attache des tendons sur les os) Des douleurs inflammatoires du talon (talalgies) en arrière du pied, là où s’attache le tendon d’Achille sur le calcanéum ou sur la zone d’appui du talon (où s’insère l’aponévrose plantaire) sont fréquentes (figure 2). Elles sont dues à une inflammation des enthèses (zones d’insertion des tendons, des ligaments, des capsules sur l’os). Ces enthésopathies, qui sont une des particularités de la maladie, peuvent également se voir au niveau du bassin (crêtes iliaques), de la rotule et de la cage thoracique. articulation sterno-claviculaire tendon d’Achille articulation chondro-sternale sternum articulation costo-vertébrale cartilages costaux enthésopathie Figure 1. L’atteinte des articulations du thorax gêne la respiration. II Figure 2. Les talalgies sont dues à l’inflammation des enthèses. La Lettre du Rhumatologue - Supplément au n° 290 - mars 2003 D Signes extra-articulaires Ils peuvent précéder les signes articulaires ou les accompagner. Un épisode infectieux peut survenir quelques semaines avant qu’apparaissent des douleurs articulaires. Il peut s’agir de conjonctivite, d’infection génitale, d’urétrite (infection urinaire) ou de diarrhée, qui orientent le diagnostic vers certaines formes de spondylarthropathies. Parfois, le rhumatisme apparaît chez un sujet qui présente depuis plusieurs années des lésions cutanées de psoriasis ou qui est suivi pour une maladie inflammatoire intestinale (entérocolite chronique). Une inflammation de l’œil (iridocyclite ou uvéite antérieure) se manifestant par un œil rouge et douloureux non larmoyant est une complication. Il faut également rechercher une atteinte cardiaque ou pulmonaire. COMMENT FAIT-ON LE DIAGNOSTIC ? C’est l’association d’arguments biologiques, cliniques et radiographiques qui confirme le diagnostic. L’existence d’un syndrome inflammatoire biologique (augmentation de la vitesse de sédimentation et de la créatine réactive protéine ou CRP) différencie ces douleurs d’une pathologie non inflammatoire liée à une arthrose ou à une sciatique discale, par exemple. La mise en évidence de l’antigène HLA B27 apporte un argument de forte présomption en faveur du diagnostic de spondylarthropathie. Cette prédisposition génétique est retrouvée chez environ 85 % des patients. Toutefois, cela signifie que 15 % des malades ne présentent pas ce caractère génétique mais aussi que l’on peut être HLA B27 positif (ce qui est le cas d’environ 10 % de la population) sans développer la maladie. L’association de ces signes biologiques à certains signes articulaires caractéristiques permet d’asseoir le diagnostic. Les manifestations cliniques les plus évocatrices sont les douleurs du rachis et du bassin (articulations sacroiliaques), les inflammations des enthèses (talalgies, douleurs thoraciques), les déformations des orteils en saucisse, l’atteinte asymétrique des articulations des membres inférieurs, la limitation des mouvements de la colonne vertébrale (ankylose) et de la cage thoracique Les signes radiologiques des spondylarthropathies sont très évocateurs mais ils sont rarement présents au début de la maladie, lorsque le diagnostic est suspecté. Les lésions sont peu destructrices. Les radiographies peuvent montrer des lésions discrètes au niveau de la colonne vertébrale : un début d’ossification des ligaments intervertébraux à peine visible doit être La Lettre du Rhumatologue - Supplément au n° 290 - mars 2003 O S S I E R P A T I E N T S recherché sous forme d’une fine ligne dense verticale qui part de l’angle de la vertèbre et tend à syndesmophyte rejoindre la vertèbre adjacente. Ce syndesmophyte (enthésopathie), qui débute souvent à la jonction de la colonne dorsale et lombaire, ne peut être confondu avec Figure 3. Ossification du ligament vertébral antérieur. un ostéophyte (bec de perroquet) : ossification horizontale d’aspect plus grossier, qui est un signe d’arthrose vertébrale (figure 3). D’autres aspects peuvent être observés : un aspect carré des vertèbres (spondylite érosive antérieure), une fusion des articulations vertébrales postérieures et une ossification des ligaments situés entre les apophyses épineuses. L’inflammation des articulations sacro-iliaques du bassin, situées entre le sacrum et les ailes iliaques (sacroiliite), est typique. Elle se traduit sur les radiographies par un aspect irrégulier des berges articulaires (comme grignotées), un élargissement de l’interligne (espace) articulaire entre le sacrum et les ailes iliaques. Cette destruction due à l’inflammation évolue progressivement vers la fusion osseuse des articulations sacro-iliaques (figure 4). apophyse épineuse interligne élargi et irrégulier fusion articulation sacro-iliaque Figure 4. Sacro-iliite : de la destruction des berges à la soudure articulaire. Les arthrites des membres, contrairement à la polyarthrite rhumatoïde, entraînent peu de lésions destructrices en dehors de l’atteinte de la hanche (coxite). III D O S S I E R P A T I E N T S Au niveau des enthèses, l’inflammation se traduit par une ossification grossière et épaisse des tendons à l’endroit où ils s’ancrent sur l’os. Les différentes formes de spondylarthropathies La spondylarthrite ankylosante fait partie des spondylarthropathies qui regroupent des affections inflammatoires chroniques caractérisées par une atteinte vertébrale et des symptômes cliniques radiologiques et biologiques communs survenant sur un terrain génétique prédisposant (antigène HLA B27). Il peut s’agir : – d’arthrites réactionnelles à une infection intestinale (salmonelles, shigelles, etc.) ou uro-génitale (syndrome de Fiessinger-Leroy Reiter). Ce syndrome débute par une diarrhée, suivie d’une conjonctivite, d’une inflammation de l’urètre puis d’une arthrite touchant surtout la colonne vertébrale et les articulations sacro-iliaques. Des lésions cutanées peuvent apparaître sur la paume des mains ou la plante des pieds ; – d’un rhumatisme psoriasique. Il complique 7 à 8 % des psoriasis. Cette maladie de la peau favorisée par un terrain génétique particulier est caractérisée par la formation d’une peau sèche recouverte de squames qui se reproduisent rapidement et donnent des plaques plus ou moins larges, rouges et enflammées. Les lésions sont volontiers situées au niveau des coudes, des genoux, du pli fessier, du cuir chevelu. Les ongles prennent un aspect évocateur (ils sont percés de petits trous comme un dé à coudre) ; – de maladies intestinales chroniques inflammatoires. Ces entérocolopathies se caractérisent par une inflammation du tube digestif, évoluant par poussées et entraînant des ulcérations et une destruction progressive de la muqueuse intestinale. La recto-colite hémorragique atteint la muqueuse du rectum et s’étend vers le côlon. Elle évolue par poussées au cours desquelles surviennent des émissions de glaires et de sang dans les selles. Une diarrhée et des douleurs abdominales peuvent également s’observer. La maladie de Crohn se révèle par des douleurs abdominales localisées à la fosse iliaque droite, de la diarrhée, un amaigrissement, de la fièvre ou une malabsorption ; – d’arthrite chronique juvénile ; – de formes indifférenciées qui sont les plus fréquentes. UNE ÉVOLUTION LENTE VERS L’ANKYLOSE L’évolution est habituellement lente et très variable d’un sujet à l’autre. Elle se fait par poussées inflammatoires subaiguës. Au cours des années, les lésions s’étendent souvent IV de la colonne lombaire vers le rachis dorsal et le cou. La colonne se raidit progressivement. Des ponts osseux (syndesmophytes) se forment entre les vertèbres donnant dans les formes très évoluées un aspect caractéristique, en colonne de bambou, sur les radiographies. L’ankylose de la colonne vertébrale, si elle n’est pas suivie et traitée, peut évoluer en cyphose dorsolombaire (dos rond) (figure 5). Les articulations du bassin Figure 5. Évolution vers la cyphose dorso(sacro-iliaques) finislombaire. sent par fusionner. La capacité respiratoire (mesurée par des épreuves fonctionnelles) peut être réduite par l’ankylose des articulations du thorax. L’atteinte des membres conduit quelquefois à une ankylose articulaire en flexion (genoux, hanches), à une destruction (hanche, épaule, rarement les doigts). L’évolution est souvent bénigne. Elle peut se cantonner à une sacro-iliite, à des douleurs et à une limitation modérée de la mobilité du rachis prédominant dans la région lombaire. La respiration est peu gênée. Certaines manifestations extra-articulaires (en dehors des formes avec entérocolopathies chroniques) peuvent compliquer la maladie : l’uvéite antérieure (risque de baisse d’acuité visuelle) qui nécessite d’être traitée en urgence, des troubles du rythme cardiaque ou une lésion de la valve cardiaque aortique, mais ces atteintes sont plus rares. La prise en charge précoce de la maladie, le traitement des poussées inflammatoires par les anti-inflammatoires non stéroïdiens, le recours aux anti-TNFα (nouveaux médicaments anti-inflammatoires très puissants) dans certaines formes de spondylarthropathies sévères, la kinésithérapie et les traitements orthopédiques ont modifié le visage de la spondylarthrite ankylosante. Bien que ce terme soit encore le plus employé, celui de pelvispondylite, qui réfère à une inflammation du pelvis et des ligaments entourant les vertèbres (spondylos), doit être privilégié : il reflète de manière plus fidèle l’évolution de cette maladie rhumatismale aujourd’hui. ! La Lettre du Rhumatologue - Supplément au n° 290 - mars 2003