DOSSIER Contraception Contraception et mastopathies bénignes Contraception and benign breast disease A.S. Hamy* L’ incidence du cancer du sein est en constante augmentation. Parmi les facteurs de risque identifiés figure l’exposition aux hormones endogènes ou exogènes. Leur rôle est indiscutable dans la croissance et le développement de la glande mammaire, mais les effets sur l’initiation ou la promotion de la carcinogenèse sont plus débattus. La contraception hormonale étant la méthode la plus prescrite en France, il est licite de s’interroger sur ses relations avec les mastopathies bénignes. La première question est donc l’effet de la contraception hormonale sur l’incidence des mastopathies. La seconde question porte sur le risque d’évolution d’une mastopathie vers un cancer du sein ultérieur pour les femmes sous contraceptif. Définition des mastopathies bénignes * Chef de clinique Assistant, Centre des maladies du sein, hôpital Saint Louis, Paris. Le terme "mastopathie bénigne" recouvre un large spectre de modifications mammaires histologiques et désigne en fait l’ensemble des pathologies mammaires non cancéreuses. On distingue : ➤➤ les lésions non associées à une augmentation du risque de cancer : dystrophie fibrokystique, adénose, adénofibrome, galactophorite ectasiante et mastite inflammatoire, kyste simple, adénofibrome, tumeur phyllode, lipome, hamartome et cytostéatonécrose ; ➤➤ les lésions associées à une faible augmentation du risque de cancer du sein (RR de 1,5 à 2) : la mastopathie complexe, le centre prolifératif d’Aschoff et le papillome, ainsi que l’hyperplasie épithéliale canalaire ou lobulaire sans atypie ; ➤➤ les lésions associées à une augmentation modérée du risque ultérieur de cancer (RR de 4 à 5) : hyperplasie épithéliale canalaire ou lobulaire avec atypie. Ce risque varie en fonction d’autres facteurs, notamment la présence d’antécédents familiaux, et selon l’âge au diagnostic (le risque est supérieur si elle est découverte à un âge jeune). Le diagnostic de mastopathie bénigne est variable et souvent imprécis dans les études, particulièrement les plus anciennes. Plusieurs classifications se sont succédé, la plus utilisée actuellement étant celle de Dupont et Page. Dans les séries de la littérature, le diagnostic est tantôt fonctionnel (mastodynie isolée), tantôt clinique (masse mammaire sans autre précision), tantôt histologique. Par ailleurs, les difficultés diagnostiques importantes et la subjectivité de l’analyse histologique rendent primordiaux le rôle et l’expertise de l’anatomopathologiste. En effet, la variabilité élevée interobservateur montre des taux de discordance pouvant atteindre 50 % (1). L’analyse des données de la littérature est donc à la fois complexe et aléatoire. Contraception et risque de cancer du sein Le rôle des contraceptifs oraux dans l’épidémiologie du cancer du sein est débattu. La méta-analyse de 1996 (2) sur l’incidence du cancer du sein après prise de contraceptifs oraux a été très controversée. Les auteurs retrouvaient un risque ultérieur de cancer du sein semblant majoré en cours d’utilisation (RR = 1,24 ; IC 95 : 1,15-1,33) dans les 10 ans qui suivaient la prise de pilule ; cette augmentation n’était plus retrouvée après 10 ans d’arrêt. Cette étude pouvait suggérer un éventuel phénomène promoteur de la contraception orale sur des tumeurs déjà initiées. En plus des critiques liées à la méthodologie des études, des biais de surveillance accrue ont également été invoqués. 32 | La Lettre du Gynécologue • n° 357 - décembre 2010 LG-déc10.indd 32 13/12/10 08:15 Points forts »» Il est couramment admis que la contraception orale diminue le risque de survenue d'adénofibromes et de lésions de mastose fibrokystique (lésions n’augmentant pas le risque de cancer du sein). »» Les données concernant les mastopathies bénignes à risque de cancer (mastopathies proliférantes avec ou sans atypies) sont plus rares et parfois contradictoires, mais ne semblent pas mettre en évidence d’effet délétère. »» Un antécédent de mastopathie ne doit pas constituer une contre-indication à une pilule estroprogestative. En revanche, cela doit mener à une adaptation personnalisée de la surveillance mammaire, en fonction du type histologique de la mastopathie et des antécédents familiaux. »» Des études complémentaires sont nécessaires pour confirmer l’innocuité des contraceptions modernes sur l’incidence des mastopathies bénignes, particulièrement celles augmentant le risque de cancer, et sur leur évolution sous contraception. Effet de la contraception sur le risque de mastopathie bénigne Les données concernant l’influence de la contraception hormonale sur les mastopathies bénignes sont également floues. Les pathologies bénignes les mieux étudiées sont l’adénofibrome et la mastopathie fibrokystique. Plusieurs études ont montré un effet protecteur de la contraception sur le risque d’adénofibrome (3-5) quel que soit le degré d’atypie (6), ce qui n’a pas été retrouvé par d’autres auteurs (7). Cette tendance s’observait chez les utilisatrices de pilule en cours, et de manière d’autant plus marquée que la durée de prise était longue. La mastose fibrokystique est une entité complexe, plus difficile à définir, certains auteurs incluant dans leurs études l’ensemble des pathologies mammaires bénignes, qu’elles soient ou non proliférantes et qu’elles comportent ou non des atypies. La majorité des études cas-témoins retrouvent un effet protecteur de la contraception orale sur la mastopathie fibrokystique (8-10). Certains auteurs retrouvent une diminution du risque limitée aux lésions sans atypie (9, 10), d’autres, une diminution constante quel que soit le degré d’atypie (8). Enfin, quelques études ont identifié cet effet protecteur en cas de mastopathie non proliférante mais non sur les lésions proliférantes (11, 12). A contrario, Rohan et Miller ont publié en 1999 une étude cas-témoins sur une cohorte de femmes âgées de 40 à 59 ans participant à l’essai canadien de dépistage du cancer du sein (National Breast Screening Study) [13] : 2 116 patientes ayant une mastopathie bénigne (non proliférante, n = 1 425 ; proliférante, n = 691, dont atypies, n = 69) ont été comparées à 5 338 témoins. Il n’existait pas d’association entre la prise de pilule et les mastopathies non proliférantes. Une diminution était retrouvée uniquement avec les mastopathies proliférantes sans atypie (RR = 0,64 ; IC95 : 0,470,87) après 7 ans de prise, tandis qu’une tendance non significative à l’association inverse était retrouvée avec les mastopathies proliférantes avec atypies (RR = 1,43 ; IC95 : 0,68-3,1). Récemment, l’équipe de l’hôpital Saint-Louis (14) a rapporté des antécédents de contraception orale sur une série de 1 329 patientes ayant eu une pathologie mammaire infraclinique documentée par histologie ou cytologie. Il n’existait pas de différence sur les durées de contraception des patientes atteintes de mastopathies bénignes non proliférantes (n = 819) ou proliférantes avec atypies (n = 104) et le groupe de patientes atteintes d’un cancer du sein (n = 406). Concernant les diverses contraceptions étudiées, la grande majorité de ces séries souffre d’un manque notable de précision sur le type de pilule, ainsi que sur le statut (utilisation en cours ou ancienne). Kelsey retrouvait une diminution du risque de mastopathie uniquement avec les pilules séquentielles (15). L’étude française de Sitruk Ware et al. (16) retrouvait cet effet protecteur pour les contraceptions contenant 50 µg d’éthynilestradiol. Enfin, les travaux de Vessey et Yeates apportant des données sur les pilules moins dosées en estrogènes montraient une diminution du taux de patientes adressées à l’hôpital pour fibroadénome ou mastopathie fibrokystique lorsque la durée de contraception orale augmentait, y compris pour des pilules estroprogestatives microdosées (17). Certains auteurs ont remis en question cette tendance protectrice de la contraception (18). Les arguments avancés étaient la discordance des études et l’hétérogénéité des contenus des contraceptifs. D’autres ont également invoqué une diminution des symptômes mammaires sous pilule, diminuant artificiellement les explorations radiologiques, et donc la détection des mastopathies. Mots-clés Contraception Mastopathie Mastose fibrokystique Keywords Contraception Benign breast disease Fibrocyst mastosis Effet de la contraception hormonale chez les femmes porteuses de mastopathie bénigne Les données de la littérature sur l’effet de la contraception après diagnostic d’une mastopathie bénigne sont rares. La cohorte de patientes suivies à l’institut Gustave-Roussy de Villejuif La Lettre du Gynécologue • n° 357 - décembre 2010 | 33 LG-déc10.indd 33 13/12/10 08:15 DOSSIER Contraception et à l’hôpital Necker à Paris (19) a inclus 1 150 femmes non ménopausées ayant un diagnostic de mastopathie bénigne (hyperplasie nodulaire, fibroadénome, dystrophie fibrokystique, kyste isolé, mastodynie). Un traitement progestatif norstéroïde était prescrit pour une durée de 15 à 20 jours par mois. Avec un suivi médian de 10 ans, les auteurs observaient une diminution très significative du risque de cancer du sein (RR = 0,48 ; IC 95 : 0,25-0,90), cet effet augmentait avec la durée du traitement (p = 0,02). Worsham et al. (20) ont construit un modèle multivarié permettant, à partir de 34 facteurs de risque individuels, de définir les facteurs de risque d’évolution vers un cancer du sein, sur une cohorte de patientes ayant eu un diagnostic de mastopathie bénigne. En analyse univariée, la contraception était un facteur protecteur (RR = 0,57 ; IC95 : 0,36-0,90), mais ce résultat n’était pas significatif en analyse multivariée. De même, une étude cas-témoins récente, sur 1 357 patientes ayant une mastopathie bénigne documentée histologiquement, a évalué de multiples facteurs potentiellement associés à une élévation du risque de cancer du sein. En analyse univariée, l’utilisation d’une contraception orale était associée à une diminution du risque de cancer du sein ; mais, après ajustement sur les covariables, cette association n’était plus statistiquement significative (21). Conclusion Ces résultats laissent entrevoir la complexité des interactions entre les hormones exogènes et le sein normal ou comportant des lésions bénignes, à risque, voire malignes.. En pathologie mammaire, il semble essentiel de rappeler l’importance d’un bilan initial rigoureux, tant clinique que radiologique, et histologique si indiqué. Il s’agit particulièrement de ne pas méconnaître une authentique pathologie cancéreuse, et, en cas de découverte d’une mastopathie bénigne à risque, d’adapter le rythme et les modalités de la surveillance mammaire. Les mastopathies bénignes, quel que soit leur type, ne constituent pas une contre-indication à une contraception hormonale (22) [recommandations, HAS 2005]. Les études de la littérature, bien que parfois discordantes, ont plutôt mis en évidence un effet protecteur de la contraception orale sur l’incidence des mastopathies bénignes. Une fois la mastopathie bénigne diagnostiquée, aucune étude n’a mis en évidence que la contraception était un facteur de risque d’évolution vers un cancer, celui-ci étant avant tout lié au type histologique de la maladie mammaire, particulièrement en cas d’atypies. Enfin, les contraceptions modernes sont globalement différentes de celles étudiées dans les années 1970 et 1980. On ne peut donc qu’encourager la réalisation de travaux collaboratifs afin de pouvoir obtenir un niveau de preuve plus robuste pour des recommandations à grande échelle. ■ Références bibliographiques 1. Dupont WD, Parl FF, Hartmann WH et al. Breast cancer risk associated with proliferative breast disease and atypical hyperplasia. Cancer 1993;71:1258-65. 2. Collaborative Group on Hormonal Factors in Breast Cancer. 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