R E V U E D E P R E S S E Revue de presse RISQUE DE CANCER DU SEIN APRÈS CARCINOME LOBULAIRE IN SITU (CLIS) : ANALYSE DES DONNÉES DU REGISTRE AMÉRICAIN (SEER) Chuba P, Hamre M, Yap J et al. Bilateral risk for subsequent breast cancer after lobular carcinoma in situ: analysis of surveillance, epidemiology, and end results data. J Clin Oncol 2005;23:5534-41. sonnel ou familial de cancer du sein) en attendant que la biologie nous permettent de distinguer quels CLIS sont susceptibles de précéder le cancer invasif ou que n’apparaisse une chimioprévention réellement efficace et “sans risque”. ■ S. Giard, département de sénologie, Centre Oscar-Lambret, 3, rue Frédéric-Combemale, 59020 Lille Cedex . Résumé. À partir du registre épidémiologique américain sur la période de 1978 à 1998 (ce registre SEER “représente” 14% de la population américaine), 4 853 patientes porteuses de CLIS ont été diagnostiquées initialement, 350 d’entre elles ont ensuite eu un cancer invasif du sein. Le risque de développer un cancer du sein invasif chez les porteuses de CLIS est multiplié par 2,4 par rapport à la population sans cet antécédent, mais l’âge de survenue du cancer reste le même, la proportion de cancer lobulaire invasif est plus importante que dans les cancers invasifs sans antécédents (23,1 versus 6,5%). Le risque de cancer invasif après CLIS augmente avec le délai depuis le diagnostic (4,1 % à 5 ans, 11,3 % à 15 ans), avec l’âge lors du diagnostic (risque à 10 ans pour les patientes ≤ 40 ans : 5,6 %, entre 60 et 69 ans : 10,4 %, ≥ 70 ans : 13,9 %. Le risque varie avec la prise en charge initiale : à 10 ans, 5,5 % après simple biopsie percutanée ou chirurgicale (mais l’effectif est très petit), 8,8 % après mastectomie partielle, 5,7 % après mastectomie totale unilatérale. Le risque de cancer homolatéral après mastectomie partielle est de 14,2 % à 20 ans, le risque de cancer controlatéral de 12 %. Les cancers invasifs après CLIS sont de plus petite taille et avec une atteinte ganglionnaire moindre que les cancers d’emblée, ce qui peut témoigner, soit d’un bénéfice du dépistage ciblé chez ces patientes, soit d’une agressivité moindre des lésions invasives survenant dans ce contexte. Commentaires. Une mise au point très claire pour la prise en charge des CLIS portant sur une série très importante (près de 5000 alors que toutes les séries publiées jusque-là ne dépassaient pas quelques petites centaines) et avec un recul conséquent. Il est clair que, d’après ces chiffres, le CLIS apparaît comme un facteur de (petit) sur-risque de cancer du sein et non comme un précurseur direct de la lésion invasive : la prise en charge locale de la lésion suivant un shéma classique (partielle en berges saines, voire mastectomie totale homolatérale) ne change guère le risque. Seule la mastectomie bilatérale pourrait ramener le risque à moins de 1 %, ce geste semblant excessif quand près de 90 % des patientes n’auront pas de cancer du sein à 15 ans ! La solution “raisonnable” actuellement semble la surveillance (au même titre que les autres patientes présentant un sur-risque : antécédent perLa Lettre du Sénologue - n° 29 - juillet/août/septembre 2005 MASTOPATHIE BÉNIGNE ET RISQUE DE CANCER DU SEIN Hartmann LC, Sellers TA, Frost MH et al. Benign breast disease and the risk of breast cancer. N Engl J Med 2005; 353:229-37. Résumé. Les auteurs ont suivi 9 087 femmes pendant une durée médiane de 15 ans au cours de laquelle 707 cancers du sein ont été diagnostiqués. Les lésions histologiques mammaires étaient regroupées en trois catégories : les mastopathies non proliférantes (67 % des femmes), les mastopathies proliférantes sans atypie (30 % des femmes) et les hyperplasies atypiques (4 % des femmes). L’estimation des risques relatifs (RR) s’est faite par comparaison du nombre de cancers du sein observés au nombre de cancers du sein attendus sur la base de la fréquence du cancer du sein dans le registre de surveillance épidémiologique de l’Iowa (SEER). Le RR de cancer du sein pour la cohorte était de 1,56 (1,451,68) et cette augmentation de risque persistait pendant au moins 25 ans après la biopsie initiale. En cas d’hyperplasie atypique, le RR est de 4,24 (3,26-5,41), comparé à 1,88 (1,662,12) pour les mastopathies proliférantes sans atypie et 1,27 (1,15-1,41) pour les mastopathies non proliférantes. En cas d’hyperplasie atypique, le risque est inversement associé à l’âge lors de la biopsie, les femmes avant 45 ans ayant un risque de cancer du sein deux fois plus important (≤ 6,99) qu’après 55 ans (≤ 3,37). Pour le sous-groupe des 4 808 femmes analysables pour cet item, un antécédent familial de cancer du sein était un facteur de risque indépendant des constatations histologiques. Aucune augmentation de risque n’a été observée chez les patientes présentant une mastopathie non proliférante et sans antécédent familial de cancer du sein. Commentaires. Les résultats de cette étude confortent le niveau de risque qui avait déjà été décrit par Dupont et Page en 1985 (1) concernant le risque relatif de cancer du sein des femmes avec une hyperplasie atypique (RR : 4,4 ; IC 95 % : 27 R E V U E D E 3,1-6,3) ou une mastopathie proliférante sans atypie (RR : 1,6 ; IC 95 % : 1,3-2). Ils y ajoutent une augmentation du risque relatif pour les mastopathies non proliférantes, rejoignant les conclusions du NSABP BCPT P-1 (RR : 1,41 ; IC 95 % : 1,031,94) (2), à l’inverse de Dupont et Page (1) qui retrouvaient dans ce cas un RR : 0,89 (IC 95 % : 0,62-1,3) non significatif. Cette étude de Hartmann voit ses résultats limités par son caractère rétrospectif, en particulier en ce qui concerne l’histoire familiale qui n’a pu être documentée que chez 52 % des femmes, et l’absence de données sur les autres facteurs de risque connus, en particulier les facteurs hormonaux et la densité mammographique. L’analyse de la reproductibilité dans la cohorte de la classification histologique retenue n’est pas non plus rapportée. Au total, ce travail conforte des données connues et renvoie le clinicien aux modalités de présentation du risque lors de l’information des patientes. Reprenons la démonstration d’Elmore (3) dans l’éditorial associé : selon Hartmann, dans la population générale et en risque absolu, 5 femmes sur 100 présenteront un cancer du sein au bout de 15 ans de suivi. Chez les femmes ayant eu une biopsie mammaire et présentant une mastopathie non proliférante, le risque relatif est de + 27 %, le risque absolu autour de 6 sur 100 ; en cas de mastopathie proliférante sans atypie, le risque relatif est de + 88 %, le risque absolu autour de 10 sur 100 ; en cas d’hyperplasie atypique, le risque relatif est de + 424 %, le risque absolu autour de 19 sur 100. Présenté autrement, et toujours selon cette étude, 95 femmes de la population générale sur 100 ne présenteront pas de cancer du sein dans les 15 ans. Pour 100 patientes ayant eu une biopsie, 94 de celles avec mastopathie non proliférante, 90 de celles avec mastopathie proliférante sans atypie et 81 de celles ayant une hyperplasie atypique échapperont au diagnostic de cancer du sein dans les 15 ans. La puissance du “risque perçu” ne dépend donc pas que de la pertinence du “risque statistique” ! Ces remarques sont d’autant plus importantes que le nombre de femmes exposées au diagnostic de mastopathie bénigne ne peut que croître avec la généralisation du dépistage et l’augmentation du nombre des prélèvements micro ou macrobiopsiques. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Dupont WD, Page DL. Risk factors for breast cancer in women with proliferative breast disease. N Engl J Med 1985;312:146-51. 2. Wang J, Costantino JP et al. Lower-category benign breast disease and the risk of invasive breast cancer. J Natl Cancer Inst 2004;96:616-20. 3. Elmore JG, Gigerenzer G. Benign breast disease – The risks of communicating risk. N Engl J Med 2005;353:297-9. ■ G. Boutet, 28, rue de Norvège, 17000 La Rochelle LES TECHNIQUES DE DESTRUCTION NON CHIRURGICALES DANS LE TRAITEMENT DES CANCERS DU SEIN Huston TL, Simmons RM. Ablative therapies for the treatment of malignant diseases of the breast. Am J Surg 2005;189:694-701. Résumé. Il s’agit d’une revue des cinq techniques actuellement existantes qui permettent une destruction non chirurgicale radioguidée des tissus ; ces techniques sont ici étudiées dans leurs 28 P R E S S E applications pour le traitement des cancers primaires du sein. Les progrès du dépistage nous conduisent à traiter des tumeurs de plus en plus petites, d’où l’émergence de ces techniques dans un organe facile d’accès comme le sein. Elles présentent l’avantage d’être mini-invasives, pouvant être réalisées sous anesthésie locale avec une cicatrice minimale. Elles ont aussi pour objectif d’améliorer les résultats esthétiques et, toutes en commun, d’agir par effet thermique (chaleur ou froid), mais sont assez différentes : • La radiofréquence (RF). Le courant alternatif délivré au bout d’une électrode entraîne un déplacement des ions d’où un échauffement. Les résultats publiés sont irréguliers avec toujours une bonne efficacité, mais des problèmes de ciblage de la zone traitée. L’IRM semble le meilleur examen pour évaluer la réponse tumorale après RF. Quelques essais débutent sans exérèse chirurgicale de la zone traitée. • La cryoablation (CA). Ici c’est le froid qui entraîne la destruction tissulaire. Il n’y a même plus besoin d’anesthésie locale ; il se constitue une sphère congelée très visible et palpable. Les résultats indiquent une bonne efficacité pour détruire les lésions infiltrantes, mais non pour les lésions in situ. • La destruction intersticielle par laser ou laser-ablation (LA). Une fibre optique délivre un rayon laser qui détruit par échauffement. Les résultats publiés ici encore montrent une bonne efficacité à condition de bien traiter l’ensemble du volume cible. En revanche, la procédure dure une heure pour une lésion de 1 cm. • La destruction par micro-ondes (MO) utilise le principe bien connu du four à micro-ondes. Le sein est serré entre deux plaques qui délivrent l’energie à l’ensemble de la glande ; comme les cellules cancéreuses contiennent plus d’eau que les cellules normales, elles sont cuites en premier (heureusement !). Les résultats très préliminaires montrent une bonne efficacité avec parfois des nécroses cutanées lors de la mastectomie qui a suivi la procédure, donc une toxicité cutanée sérieuse… • La destruction par ultrasons localisés (UL) où une sonde apporte localement un faisceau ultrasonore qui détruit par échauffement. Les résultats indiquent une bonne efficacité avec une aisance à suivre en temps réel la destruction et, éventuellement, à déplacer la sonde en cours de traitement. Les auteurs concluent en indiquant que, à l’avenir, certaines de ces techniques seront utilisées en routine dans des cas sélectionnés. Les défis étant de bien sélectionner les indications et de s’assurer du traitement effectif de tout le volume cible. Commentaires. Il s’agit d’un bon article, clair et objectif qui fait bien le point sur des techniques émergeantes mal connues des non-spécialistes. Certaines, comme la radiofréquence, ont déjà acquis leurs lettres de noblesse dans d’autres organes ; mais toutes ont encore été trop peu évaluées dans le cancer du sein. Nous manquons donc de séries étoffées et d’essais comparatifs avec la chirurgie. Cependant, il n’est pas difficile de comprendre que pour les lésions infracliniques, de plus en plus fréquentes, ces techniques radioguidées pourraient faire mieux que le chirurgien qui manque de guidage peropératoire précis. Mais il restera à démontrer qu’un meilleur traitement en imagerie du volume cible aboutira à un meilleur contrôle local que la chirurgie, qui reste tout de même excellente avec moins de 1 % de La Lettre du Sénologue - n° 29 - juillet/août/septembre 2005 récidives locales par an. Par ailleurs, ces techniques devraient supprimer les réinterventions, non exceptionnelles, et désengorger les blocs opératoires en étant réalisables sous anesthésie locale (le ganglion sentinelle aussi est réalisable sous anesthésie locale dans la quasi-totalité des cas). En revanche, sur le plan esthétique (visuel et palpable), rien ne permet d’affirmer qu’un bloc scléreux et ultra-cuit fera mieux que la chirurgie, sans oublier les joies de la surveillance de ce type de “lésion”. La taille tumorale sera un critère majeur de succès. Si l’on revient au détail des techniques, la radiofréquence et les ultrasons commencent à montrer leur supériorité, mais la cryothérapie a aussi des atouts. Le développement de ces techniques repose sur un réel partenariat radio-chirurgical. L’imagerie est cruciale à toutes les étapes : dès le début pour assurer une bonne visibilité et délimitation de la tumeur, pendant la procédure pour contrôler le volume traité, en fin de traitement pour indiquer l’existence ou non d’un reliquat viable et, naturellement, pour la surveillance. L’IRM et l’échographie moderne avec produits de contraste se disputent ce rôle. Les très petites tumeurs, uniques et bien limitées, situées à distance de la peau et de la plaque aréolo-mamelonnaire vont peutêtre échapper au chirurgien et être traitées par le radiologue dans quelques années. ■ J.R. Garbay, département de chirurgie, Institut Gustave-Roussy, Villejuif. RISQUE DE CANCER ENDOMÉTRIAL DANS LA “MILLION WOMEN STUDY” Beral V, Bull D, Reeves G. Million Women Study Collaborators. Endometrial cancer and hormone-replacement therapy in the Million Women Study. Lancet 2005;365(9470):1543-51. Résumé. La Million Women Study est une étude d’observation qui inclut plus d’un million de femmes anglaises convoquées pour un dépistage mammographique. Avant ce dépistage, elles ont été invitées à remplir un questionnaire sur leurs antécédents médicaux et, en particulier, l’utilisation d’un traitement hormonal substitutif précisant ce qu’elles utilisaient lors du recrutement dans l’étude. Ce recrutement a eu lieu entre 1996 et 2001 et les femmes ont été suivies jusqu’en décembre 2002. La première étude a été publiée en 2004 (réf. 1 du Lancet) et a rapporté une augmentation de l’incidence du cancer du sein au cours des différents traitements substitutifs. Une étude récente vient d’être publiée qui a concerné la population ayant un utérus parmi ces femmes. Cette étude a concerné 716 738 femmes d’âge moyen 57 ans, chez qui a été étudié l’incidence du cancer endométrial. Ainsi, 1 320 cas de cancers endométriaux ont été observés et les résultats analysés ont regardé l’incidence de ces cancers endométriaux en fonction des traitements pris pendant une moyenne de 5 ans. Le risque relatif de cancer de l’endomètre était : • RR : 0,71 (0,56-0,90) avec un traitement hormonal substitutif La Lettre du Sénologue - n° 29 - juillet/août/septembre 2005 (THS) continu combiné représentant un nombre total de 763 cancers pour 395 000 femmes. Les femmes sous traitement continu combiné représentaient 22 % de la population. • RR : 1,05 (0,91-1,22) avec le traitement séquentiel combiné représentant un total de 232 cancers pour 145 500 femmes. Ces traitements concernaient 45 % des femmes traitées • RR : 1,79 (1,43-2,25) avec la tibolone, nombre total de 86 cancers pour 28 000 femmes. Ce traitement représentait 9 % des traitements substitutifs. Seulement 48 % des femmes sous tibolone avaient utilisé exclusivement ce traitement. Dans ce cas, le RR : 2,57 (1,81-3,66) après 3 ans d’utilisation. • RR : 1,45 (0,91-1,22) avec les estrogènes seuls représentant 33 cas pour 14 200 femmes qui constituaient donc 4 % des traitements substitutifs. • 19 % des femmes, soit 63 658, avaient un traitement inconnu ou un autre type de traitement ce qui est loin d’être négligeable. Les traitements ont été réévalués entre deux et trois ans après le recrutement d’une sous-population, soit 111 201 femmes. Pour les traitements continus combinés, 82 % des femmes le prenaient encore, le traitement séquentiel 70 %, pour la tibolone 84 % et pour les estrogènes, 43 % au moment de la réévaluation. Les résultats analysés pour chaque traitement montraient que le risque variait en fonction de l’obésité. L’incidence de cancer de l’endomètre est de 1,6/1 000 femmes sur 5 ans chez les femmes de poids normal (IMC < 25 kg/m2), et de 6,4/1 000 sur 5 ans chez les femmes obèses (IMC > 30 kg/m2). Un des résultats des plus importants est que le traitement combiné continu diminue significativement le risque chez les femmes obèses le ramenant au même risque que celui des femmes de poids normal. De plus, c’est le seul type de traitement qui n’augmente pas le risque chez les femmes minces, l’incidence de cancer est le même chez les femmes qui n’ont pas utilisé le traitement et chez les femmes traitées par THS combiné continu. Le traitement séquentiel diminue le risque de cancer endométrial seulement chez les femmes obèses et l’augmente un peu chez les femmes dont l’IMC est < 25kg/m2. La tibolone a été le seul traitement à augmenter le risque chez les femmes minces (taux > 4/1 000 femmes sur 5 ans) et en surcharge pondérale (taux idem pour un IMC entre 25 et 30). Commentaires. Un des problèmes principaux de la Million Women Study (2) est le fait qu’on ne dispose pas d’informations détaillées sur le traitement pris par les patientes. Seuls les traitements au moment de l’inclusion sont détaillés mais pas ce qui s’est passé sur le plan thérapeutique pendant les années précédant l’inclusion. La réévaluation des traitements entre deux et trois ans n’a porté que sur une sous-population de femmes. Cet inconvénient est particulièrement important pour évaluer le risque de cancer de l’endomètre. En effet, il apparaît dans cette étude que seulement 45 % des femmes sont des utilisatrices exclusives de la tibolone, or, si l’on en croit une étude publiée dans Climateric l’année dernière (3), qui a évalué les habitudes de prescriptions à partir de base de données de 500 généralistes anglais (MediPlus), il apparaît que les femmes qui ont reçu la tibolone ont très souvent été traitées par des estrogènes seuls auparavant. ■ A. Gompel, Hôtel-Dieu, Paris. 29