“ L Tuberculose : le point de vue du pneumologue

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Tuberculose : le point de vue
du pneumologue
“
L
a pneumologie est née après la dernière guerre de la phtisiologie.
Des 14 dispensaires antituberculeux qui existaient à Paris au début des années
1970, les 3/4 ont disparu. Parmi ceux encore en activité, la tuberculose
ne constitue plus qu’une activité parmi d’autres. Les sanatoriums qui
quadrillaient les collines françaises ont été convertis, bien souvent, en centres
de rééducation respiratoire, à l’exception notable de l’hôpital de Bligny,
en région parisienne, qui maintient la compétence et accueille en particulier
une importante proportion des cas de tuberculose multirésistante (MDR).
B. Dautzenberg
Service de pneumologie,
hôpital la Pitié-Salpêtrière, AP-HP,
université Pierre-et-Marie-Curie, Paris.
L’incidence de la tuberculose en France est maintenant très en dessous du seuil
de 10/100 000, mais la pathologie persiste. Il faut rester vigilant et continuer à innover.
Quand le président Ronald Reagan a supprimé aux États-Unis ce qui était l’équivalent
de notre aide médicale de l’État (AME), une épidémie de tuberculose a rapidement été
constatée à New York, avec son lot de bacilles multirésistants, et un taux qui a dépassé
50/100 000 cas dans le Bronx. De même, le démantèlement un peu rapide du système
de lutte antituberculeux à Paris il y a 15 ans avait conduit à une recrudescence
de la tuberculose, avec un taux dépassant 50/100 000 cas. La réaction rapide
de la mairie de Paris, de son Centre de lutte antituberculeuse (CLAT) et de l’AP-HP
a permis de sonner l’alerte promptement et de remettre en place un système efficace,
maintenant coordonné au niveau régional par l’Agence régionale de santé
d’Île-de-France. Ainsi, crier victoire devant la diminution des cas de tuberculose
et baisser la garde est un moyen universellement efficace de faire “repartir” l’épidémie.
La chose est également vraie pour la tuberculose animale : son taux avait réellement
baissé en France jusqu’en 2005 ; les moyens ont alors été diminués. Le résultat, 5 ans
après, est une croissance de la tuberculose dans le cheptel et la France. La France risque
de bientôt perdre son label de pays exempt de tuberculose animale, qui lui permet
d’exporter sa viande sur les 5 continents. L’incidence de la tuberculose chez l’animal
comme chez l’homme ne pourra diminuer qui si l’on s’en occupe. Il est aussi stupide
de supprimer tous les moyens de la lutte antituberculeuse dans une région
où la tuberculose a quasiment disparu que de cesser de traiter un diabétique
qui a normalisé sa glycémie sous insuline ou de supprimer l’oxygène à un insuffisant
respiratoire au motif que, sous traitement, sa PaO2 est normale. Il est bon que des revues
comme La Lettre remettent régulièrement la tuberculose à l’agenda plutôt que de la voir
apparaître à la une des médias à l’occasion d’un événement épidémique.
Au niveau mondial, on peut aussi être raisonnablement optimiste quant au contrôle
de la tuberculose. Les pneumologues avaient cultivé depuis longtemps l’idée d’une prise
en charge la plus économe possible, aussi bien en France que dans les pays
en développement. À côté des réseaux tuberculose, en particulier de l’Union
internationale contre la tuberculose et les maladies respiratoires (UICTMR),
dont le siège est à Paris, les réseaux sida ont développé, dans les pays en développement,
une philosophie différente, se démenant pour avoir les moyens financiers et matériels
d’atteindre les objectifs, et ne se contentant pas de ce qu’ils pouvaient obtenir
en première demande. La stabilisation de l’épidémie du sida puis sa régression laissent
plus de temps et de moyens pour observer, en Afrique par exemple, que les 2 épidémies
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sont très liées, et que la tuberculose est une cause importante de décès chez les patients
atteints par le VIH. Depuis 5 à 10 ans, des moyens considérables, par rapport à ceux
qui existaient auparavant, ont pu être dégagés pour la lutte contre la tuberculose,
et l’épidémie régresse dans le monde. Comme pour le sida, le fait de traiter les malades
les plus sévèrement affectés (positifs à l’examen microscopique) non seulement
les guérit, mais diminue leur contagiosité très rapidement. Le traitement d’un cas
est à la fois un acte curatif – pour le patient – et un acte de prévention – pour son
entourage. L’initiative Stop TB, financée en particulier par une taxe sur les billets d’avion,
a permis de lancer de nouveaux médicaments, que les laboratoires pharmaceutiques
n’auraient pas développés sans aide ; ce modèle économique leur permet de s’engager
dans le développement d’un antituberculeux avec une bonne sécurité financière.
Les pays en développement bénéficient maintenant des avancées de la science.
Ainsi, le test Xpert® MTB/RIF permet, en déposant un crachat dans une coupelle
et en l’introduisant dans son système, de détecter dans l’heure la présence du bacille
de Koch, ainsi qu’une éventuelle résistance à la rifampicine. Beaucoup de médecins
français n’ont pas cette réponse rapide alors que la technologie le permet.
L’antibiogramme moléculaire n’est pas encore totalement validé, mais le devient
pour des antibiotiques de plus en plus nombreux (voir article en ligne de Valérie
Lalande, www. edimark.fr). Il reste anormal que près de la moitié des patients chez qui
on isole en France des bacilles acido-alcoolorésistants ne bénéficient pas
de ces techniques ou de techniques équivalentes qui donnent immédiatement
la confirmation qu’il s’agit de bacilles de Koch, la résistance ou non à la rifampicine
et une bonne orientation thérapeutique. De nouveaux antituberculeux sont développés,
comme le prouve l’autorisation temporaire d’utilisation (ATU) que le TMC207,
une diarylquinoline, a obtenue en 2011, ou la généralisation de l’utilisation
des quinolones, en particulier en cas d’intolérance ou de résistance aux traitements
de première ligne (cf. l’article “Place des fluoroquinolones dans le traitement
des tuberculoses à bacilles résistants”, p. 12). Le traitement standard avec 4 antituberculeux pendant 2 mois et 2 pendant 4 mois est maintenant la norme pour toutes les formes
de tuberculose, comme le rappelle O. Fain dans ces pages. La démarche mondiale
des International Standards for Tuberculosis Care (ISTC), maintenant adaptée au niveau
européen (European Standards for Tuberculosis Care [ESTC]), permet d’unifier
la réflexion sur la prise en charge de la tuberculose en gardant les spécificités régionales
et nationales. Une adaptation française des ESTC s’impose cependant
pour certains points.
Dans la pratique clinique, l’infection tuberculose mobilise beaucoup plus de forces
et de temps de travail de la part des professionnels de santé que la tuberculose maladie.
De grands progrès ont été faits dans ce domaine avec la réorganisation des CLAT
et la mise à disposition de nouveaux outils : les tests IGRA (Interferon Gamma Release
Assay) ne nécessitent pas de lecture à 72 heures comme l’intradermoréaction (IDR),
et ils sont plus spécifiques et sensibles pour le diagnostic de l’infection. Cependant,
ces tests n’ont pas plus que l’IDR une place validée dans le diagnostic de la tuberculose
maladie. En effet, ces tests ne mesurent pas l’infection mais la façon dont l’organisme
se défend contre cette infection. Quand les défenses immunitaires sont bonnes,
la tuberculose reste le plus souvent au stade de l’infection, alors que, lorsqu’elles
diminuent, la tuberculose maladie s’installe. Expliquer que plus la maladie tuberculeuse
est grave, plus le risque d’avoir des tests IGRA négatifs est élevé, comme le développe
l’équipe de Montpellier dans ce numéro, montre la vitalité du combat pour le contrôle
de la tuberculose en France.
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