DOSSIER THÉMATIQUE Cancérologie et ORL La chirurgie robotique par voie transorale en cancérologie ORL : indications et perspectives Transoral robotic surgery in head and neck cancers: indications and prospects S. Morinière*, Y. Mallet** L * Service d’ORL, hôpital Bretonneau, Tours. ** Service d’ORL, centre OscarLambret, Lille. a chirurgie des cancers des voies aéro-digestives supérieures (VADS) a pour objectif de faire une exérèse tumorale de qualité tout en limitant les séquelles fonctionnelles et esthétiques. Le développement de la chirurgie partielle pour le traitement des tumeurs pharyngo-laryngées dans les années 1970 (1) puis la chirurgie minimale invasive par voie endoscopique au laser CO2 dans les années 1990 (2) se sont inscrits dans cette démarche d’efficacité thérapeutique s’associant à une amélioration des suites postopératoires. La chirurgie robot-assistée émergente a également pour objectif la réduction des morbidités associées. Le robot Da Vinci®, initialement conçu pour la chirurgie cœlioscopique, a été “détourné” de cette première indication pour Console du chirurgien Aide Bras du robot Instrumentiste Tête du patient Figure 1. Installation de la salle d’opération pour une chirurgie transorale robotisée d’un cancer du pharyngo-larynx. 122 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 2 - février 2011 être utilisé en chirurgie endoscopique au niveau du pharyngo-larynx par une équipe chirurgicale ORL de l’hôpital universitaire de Philadelphie (États-Unis) en 2005 (3). N.G. Hockstein et al. ont évalué les modalités d’utilisation de ce robot dans le pharynx et le larynx en termes de faisabilité et de sécurité. Ce sont I.K. McLeod et al. (4) qui ont publié la première intervention réalisée avec succès au robot pour l’exérèse d’un kyste valléculaire. En 2006, les trois premiers cas de cancers débutants de la base de la langue sont publiés par B.W. O’Maley Jr et al. Les premières séries chirurgicales apparaissent dès 2007 (5, 6). En France, la chirurgie transorale robotisée (TORS) a débuté en 2008 au centre hospitalier universitaire de Tours et au centre Oscar-Lambret de Lille (7). Actuellement une douzaine de centres réalisent cette chirurgie et plus de 100 patients ont été traités pour un cancer des VADS par cette technique innovante. Les grands principes de la chirurgie transorale robotisée Le robot Da Vinci® comporte 3 composantes : le robot, la console du chirurgien et la colonne technique avec les sources de lumière, la caméra 3D, les générateurs monopolaire et bipolaire et l’écran de contrôle (figure 1). L’utilisation d’un écarteur de bouche spécifique (FK société Olympus) permet de positionner, dans le pharynx, l’optique de 8 mm à 0 ou 30° ainsi que 2 bras porteurs d’instruments de 5 mm (une pince Points forts » La chirurgie endoscopique robot-assistée dans le traitement des cancers du pharyngo-larynx a pour objectif la réduction des morbidités associées. » Les premières séries chirurgicales sont apparues dès 2006 aux États-Unis ; en France, cette pratique remonte à 2008. » Les indications actuellement retenues sont les tumeurs T1-T2 de l’oropharynx, de la margelle laryngée et de l’hypopharynx haut. » En postopératoire, 90 % des patients n’ont pas de trachéotomie et 60 % d’entre eux peuvent s’alimenter avant le 7e jour. » Dans la majorité des études, les marges d’exérèse sont satisfaisantes. » Les résultats carcinologiques sont en cours d’évaluation du fait du manque de recul dont on dispose par rapport à cette nouvelle technique. et un bistouri électrique monopolaire). Ces bras sont commandés par le chirurgien qui travaille à côté du malade, sur une console avec la vision en 3D et un grossissement possible jusqu’à 10 fois. Le temps d’installation (aux alentours de 30 mn) de l’écarteur et des bras est essentiel pour permettre une chirurgie optimale. Un assistant est en permanence positionné à la tête du patient pour aspirer, vérifier la position des bras dans la bouche et prévenir des conflits éventuels. Un instrumentiste assure le chargement des instruments sur les bras du robot et leur nettoyage ainsi que la préparation des fils de suture. À la console, le chirurgien manipule, avec la pince pouce-index, 2 manettes qui transmettent les mouvements aux instruments avec un rapport de 5 (mains du chirurgien) pour 1 (instruments dans le larynx). Cela permet de conférer au geste une grande précision et supprime totalement les tremblements (figure 2). L’utilisation de ces manettes est très naturelle, ce qui donne une dextérité très appréciable à l’opérateur, qui travaille de plus en position assise, avec les bras sur un support et donc dans une position très confortable. Il faut régulièrement repositionner l’écarteur ou les bras au fur et à mesure que la résection tumorale progresse. Ce rôle revient à l’assistant. Les indications Comme le précise l’équipe de G.S. Weinstein (8), c’est la réalisation d’une endoscopie préopératoire qui permet de sélectionner les patients candidats à une chirurgie endoscopique robotisée. Elle doit être faite par le chirurgien qui réalisera la chirurgie robotique. Les principaux critères étudiés sont la situation anatomique de la lésion, sa taille, la qualité de l’ouverture buccale, le caractère denté ou non du patient et la morphologie maxillo-mandibulaire. Une petite ouverture de bouche, une dent sur pivot ou un rétrognatisme et/ou une grosse base de langue sont des contre-indications relatives que seul le chirurgien robotique peut évaluer. Ainsi, grâce à cette présélection, un nombre très faible de patients sont exclus du fait d’une mauvaise exposition. Seuls 3 patients sur 150 étaient inexposables dans la série de G.S. Weinstein et al. (8). Les indications actuellement retenues sont les tumeurs T1-T2 de l’oropharynx, de la margelle Mots-clés Chirurgie transorale robot-assistée Chirurgie endoscopique robotassistée Cancer des voies aérodigestives supérieures Highlights Figure 2. Position du chirurgien à la console lors de la réalisation d’une chirurgie transorale robotisée d’un cancer du pharyngo-larynx. laryngée et de l’hypopharynx haut (9). L’absence de retour de force à la console rend la palpation des tissus impossible avec les instruments, donc les tumeurs très infiltrantes en profondeur sont, dans notre expérience, des contre-indications. La taille des instruments (5 mm) permet difficilement de travailler dans l’endolarynx, et la chirurgie endoscopique au laser CO2 a notre préférence dans ces localisations. Les suites postopératoires et les résultats fonctionnels (tableau, p. 124) Même si cette chirurgie est moins invasive, elle est réalisée dans une zone étroite richement vascularisée avec la fonction essentielle qu’est la coordination respiration-déglutition. Dans la majorité des procédures de chirurgie télérobotisée endoscopique, l’estimation de la perte sanguine est très faible (< 200 ml) [8]. Cependant, des complications hémorragiques ont été rapportées. Sur 27 patients opérés pour un cancer des amygdales, G.S. Weinstein et al. ont observé 1 cas de saignement justifiant d’un contrôle d’hémostase au bloc opératoire (6). T.A. Iseli et al. (10) ont observé 3 cas de saignement, tous contrôlés, dans une série de 54 patients, essentiellement des T1 ou des T2 (80 %) de l’oropharynx (61 %). » Robotic assisted surgery is a new field of developing program in head and neck oncology. This new procedure potentially offers alternatives to conventional surgery with decreased morbidity. The aim of this article was a description of the state of the art via a review of the literature. We emphasize limits and future prospects on this topic. T1 and T2 squamous-cell carcinomas of the pharyngolarynx are nowadays the main indications for this procedure. » Transoral robotic surgery (TORS) prospects are the development of new associated functions like an image guidance system or a force feedback control. The expanding of this new tool will also depend on the quality of clinical works and research programs. Such are the goals the French ENT robotic group pursue. Keywords Transoral robotic surgery (TORS) Endoscopic head and neck surgery Robot-assisted endoscopic surgery Head and neck cancer Minimally invasive surgery La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 2 - février 2011 | 123 DOSSIER THÉMATIQUE La chirurgie robotique par voie transorale en cancérologie ORL : indications et perspectives Cancérologie et ORL Tableau. Durée de la sonde naso-gastrique, pourcentage de trachéotomies, de saignements et de sorties avant la première semaine en postopératoire d’une chirurgie transorale robotisée pour un cancer du pharyngo-larynx dans les séries de la littérature. SNG < 7 j Trachéotomies (%) (%) Saignements (%) Sortie < J7 (%) T.A. Iseli et al., 2009 (10), n = 54 70 10 6 62 B.A. Boudreaux et al., 2009 (11), n = 35 62 3 14 % réanimation 6 80 E.J. Moore et al., 2009 (12), n = 45 53 31 0 75 SNG : sonde naso-gastrique. Cette chirurgie robotique endoscopique a pour objectif une reprise de l’alimentation précoce et une diminution du nombre de trachéotomies dites “de sécurité”. Dans la publication de l’équipe de B.A. Boudreaux (11), 13 patients sur 29 justifièrent d’une sonde naso-gastrique à l’issue de leur hospitalisation (médiane : 2,9 jours ; extrêmes : 1-13 jours). Les facteurs associés à la dépendance à l’égard d’une sonde naso-gastrique étaient l’âge avancé (p = 0,02), une localisation laryngée (p < 0,001) et la taille de la tumeur (p = 0,02). La réalisation ou pas d’une trachéotomie et sa durée est régulièrement rapportée par les principales équipes. E.M. Genden et al. (9) n’ont rapporté aucun cas de trachéotomie pour les 18 patients opérés d’un T1-T2 de l’oropharynx ou de la margelle laryngée. Certaines équipes réalisent une intubation prolongée de 48 h pour passer la phase critique postopératoire (11). Dans la série de E.J. Moore et al. (12), une trachéotomie a été réalisée pour 14 des 45 patients. Tous les patients ont été décanulés à l’issue du traitement. La durée d’hospitalisation Lors de la réalisation d’une chirurgie partielle supraglottique par voie cervicale, les durées d’hospitalisation dépendent du sevrage de la trachéotomie et de la reprise de l’alimentation orale. Ainsi, pour L. Laccourreye et al., la durée moyenne de la trachéotomie est de 5 jours avec une alimentation par sonde pendant 15 à 20 jours en moyenne (13). En chirurgie endoscopique au laser, ces chiffres diminuent car la plupart des patients n’ont pas de trachéotomie et reprennent l’alimentation vers le 7e jour ; la durée moyenne d’hospitalisation est de 10 à 13 jours (14). Après TORS, les différentes série de la littérature rapportent des durées d’hospitalisation moyennes de 2 jours (9), 3 jours (11) et 7 jours (8), essentiellement du fait du faible pourcentage de trachéotomies (inférieur à 10 %) et d’une reprise alimentaire précoce (moins de 7 jours). 124 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 2 - février 2011 Les résultats carcinologiques précoces Compte tenu du caractère récent de la mise en place de cette nouvelle technique, il n’est pas encore possible d’évaluer les résultats oncologiques à long terme. Cependant, la qualité des marges d’exérèse est un facteur pronostique important dans le contrôle local. Les principaux auteurs rapportent des marges négatives dans la quasitotalité des cas de leurs séries respectives (8, 9, 11). Les résultats carcinologiques se sont révélés très satisfaisants (marge in sano : 27 patients sur 29, soit 96 %) dans la série de patients opérés d’un carcinome de l’amygdale (6). Pour les 29 patients opérés de la série de B.A. Boudreaux et al. (11), les marges étaient négatives dans la totalité des cas. G.S. Weinstein et al. ont observé, avec un recul moyen de 26 mois (8), 47 patients traités pour un cancer de l’oropharynx de stade III ou IV. Ils ne déplorent qu’une seule marge positive (2,1 %). Les patients ont tous bénéficié d’un évidement cervical et d’un traitement complémentaire conformément aux recommandations. Le contrôle local, le contrôle régional et le contrôle à distance étaient de 46 (97,9 %), 45 (95,7 %) et 43 (91,5 %) patients sur 47. La survie globale à 1 et à 2 ans était de 95,7 % (45 patients sur 47) et de 81,8 % (27 patients sur 33). Les survies spécifiques à 1 et à 2 ans étaient respectivement de 97,8 % (45 patients sur 46) et de 90,0 % (27 patients sur 30). Ces très bons résultats, en particulier pour un nombre non négligeable de tumeurs évoluées, ouvrent la voie à des indications plus larges portant sur des tumeurs avancées localement. Les perspectives Ce nouvel outil appliqué à la chirurgie endoscopique se révèle très prometteur. L’ensemble des équipes précitées confirment l’intérêt de cette nouvelle technologie en application chirurgicale ORL par voie endoscopique. Le couplage récent au système robotisé Da Vinci® du laser CO 2 , instrument maintenant routinier en chirurgie ORL endoscopique, élargit plus encore l’offre chirurgicale de ce système, notamment pour l’endolarynx (9, 15). L’absence de palpation en chirurgie robotique rend actuellement très difficile l’exérèse de lésions infiltrantes de la base de la langue ou de la loge amygdalienne et plus encore de l’hypopharynx. Le couplage du robot avec un système de guidance par l’image serait susceptible de lever cette difficulté balistique, essentielle dans l’essor de cette technique en chirurgie DOSSIER THÉMATIQUE oncologique. Il serait ainsi plus aisé de s’affranchir d’une voie d’abord cervicale plus ou moins associée à une mandibulotomie et à une section de lèvre, étape espérée dans le cadre du développement de la chirurgie minimale invasive à l’aide d’un robot. Le développement d’un monoport permettant d’introduire les instruments et la caméra par un même orifice serait susceptible d’améliorer l’accès au pharynx. L’avènement d’optiques souples et d’une plus grande miniaturisation des instruments irait dans le même sens. L’utilisation du robot peut être couplée à une chirurgie de reconstruction soit par des lambeaux locaux, soit par des lambeaux libres microanastomosés. E.M. Genden et al. (9) ont décrit différents lambeaux de voisinage réalisables par une intervention robotisée pour combler des défects après exérèse tumorale : lambeaux d’avancement muqueux de pharyngoplastie, aux niveaux du sinus piriforme ou du mur pharyngé postérieur. J.C. Selber et al. ont publié récemment une série de 8 reconstructions robotassistées comprenant 5 lambeaux libres dont les microanastomoses ont été réalisées à l’aide du robot, sans échec ni reprise pour thrombose (16). Tous les patients ont justifié d’une trachéotomie compte tenu de l’étendue de l’exérèse, mais aucun n’a justifié d’un abord translabial ou transmandibulaire. Les auteurs n’ont pas observé de fistule et chaque patient a été décanulé et a repris une alimentation per os. Les difficultés Il est nécessaire d’évaluer le service médical rendu par cet outil très récemment mis en place dans nos hôpitaux et cliniques. Dans notre spécialité, une coordination nationale des utilisateurs de ce robot, soutenu par le Groupe d’étude des tumeurs tête et cou (GETTEC), a permis la création d’un observatoire et d’un programme cohérent de recherche clinique et de qualité et gestion des risques (7). Le robot est souvent partagé entre plusieurs spécialités et, parfois, il est même utilisé par plusieurs établissements de soins. Cela peut générer des difficultés d’organisation, de programmation, et conduire à des délais de prise en charge allongés. Ces données doivent être maîtrisées lors de la mise en place d’une chirurgie robotisée. Enfin, une évaluation médico-économique doit être réalisée puisque à ce jour aucune étude n’a été publiée sur ce sujet. À l’achat, le robot coûte plus de 2 millions d’euros et, pour chaque intervention, 800 euros de consommables sont utilisés. Il faut donc évaluer si ce surcoût est compensé par des durées d’hospitalisation plus courtes qu’avec une chirurgie classique et une radio-chimiothérapie. Un projet de soutien aux technologies innovantes et coûteuses (STIC) est en cours pour réaliser cette étude. Conclusion Le développement de la télérobotique en chirurgie des VADS est, sans nul doute, une étape importante dans l’essor de la spécialité dans les années à venir. La grande maniabilité des instruments, l’excellente exposition des tumeurs, le confort opératoire pour le chirurgien et l’amélioration des suites opératoires expliquent le succès mondial de cette nouvelle approche chirurgicale depuis 4 ans. De nombreuses équipes françaises envisagent de pratiquer à leur tour cette chirurgie dans les prochaines années. La constitution d’un groupe français de chirurgie télérobotisée en ORL, dès ses débuts, a permis de réunir toutes les équipes qui le souhaitaient (actuellement au nombre de 8). Ce groupe propose des formations et peut aussi aider les équipes qui veulent débuter. Il a également pour but de colliger le maximum de données cliniques relatives aux patients traités pour pouvoir publier et présenter les résultats fonctionnels et carcinologiques sur un grand nombre d’interventions dans les prochaines années. ■ Références bibliographiques 1. Piquet JJ. Functional laryngectomy (cricohyoidopexy). Clin Otolaryngol Allied Sci 1976;1(1):7-16. 2. Ambrosch P, Kron M, Steiner W. Carbon dioxide laser microsurgery for early supraglottic carcinoma. Ann Otol Rhinol Laryngol 1998;107(8):680-8. 3. Hockstein NG, O’Malley BW Jr, Weinstein GS. Assessment of intraoperative safety in transoral robotic surgery. Laryngoscope 2006;116(2):165-8. 4. McLeod IK, Melder PC. Da Vinci robot-assisted excision of a vallecular cyst: a case report. Ear Nose Throat J 2005;84(3):170-2. 5. O’Malley BW Jr, Weinstein GS, Snyder W, Hockstein NG. Transoral robotic surgery (TORS) for base of tongue neoplasms. Laryngoscope 116(8):1465-72. 6. 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