sont successivement présentées. Si elles sont absentes des récits relatifs aux événements de
la quatrième croisade et de la conquête de Constantinople, les femmes apparaissent dans la
Chronique de Morée, surtout à partir des événements de la seconde moitié du XIIIe siècle.
Cependant, bien qu’elle constitue une des sources principales de l’histoire de la principauté
d’Achaïe, la chronique reste une relation de faits d’armes et d’accords politiques ; les
références aux femmes de l’élite latine de Morée servent avant tout à la reconstitution des
lignages et de quelques personnalités féminines. Par ailleurs, parmi les sources de la
Romanie latine, les chroniqueurs Ramon Muntaner et Marino Sanudo Torsello
mentionnent plusieurs noms de dames, principalement dans le cadre d’unions
matrimoniales et de liens familiaux, et apportent parfois un témoignage détaillé de
personnage féminin, tandis que seules quelques références, notamment aux filles grecques
épouses de chevaliers moréotes, se trouvent parmi les auteurs byzantins. Les sources
normatives, telles que les Assises de Romanie, constituent également une importante
documentation utile à l’étude de la condition juridique des dames de Morée. Leur analyse
doit se faire conjointement à celle des actes de la pratique, présents dans les archives
angevines de Naples ou des archives du Hainaut, où les femmes apparaissent dans des
situations plus concrètes. Enfin, si peu de vestiges archéologiques se rapportent aux
femmes, quelques éléments tels que la pierre tombale d’Anne Comnène Doukas, épouse du
prince Guillaume de Villehardouin, participent à éclairer la question des mariages mixtes ou
la place des dames grecques au sein de la domination latine. L’analyse de ces sources, bien
qu’il s’agisse d’une production essentiellement masculine, a permis de mettre au jour
127 femmes que nous avons classées dans une prosopographie analytique, retraçant leurs
parcours et procédant parfois à quelques révisions. L’exploitation de ces données
prosopographiques (dénomination, origine familiale, unions matrimoniales, descendance,
niveau économique, vie publique, vie privée, etc.) a alors servi de base à l’étude de la place,
du rôle et du pouvoir des dames de la Morée franque.
Chapitre 2
DÉSIGNER LES FEMMES
L’étude des dénominations et des désignations met en évidence l’origine occidentale
des dames de la Morée franque, d’abord issues du royaume de France et de ses régions
alentours au XIIIe siècle, puis de la péninsule italienne à partir du XIVe siècle. Leurs noms
évoquent ceux des femmes de leur famille, des princesses de Morée ou se réfèrent à la
tradition chrétienne. Certaines portent également des surnoms patronymiques qui les
rattachent à un lignage paternel ou marital, tandis que d’autres possèdent des surnoms
faisant référence aux toponymes moréotes, révélant ainsi leurs liens et ceux de leurs
familles avec la péninsule grecque. Ce phénomène de dénomination locale, déjà connu
pour les hommes, illustre l’assimilation et l’attachement des dames aux territoires d’Achaïe.
Il reflète leur volonté d’être identifiées, au sein du Péloponnèse mais également au-delà des
frontières de la péninsule, en tant que feudataire de la principauté. Par ailleurs, lorsque ces
dames sont désignées dans les sources, c’est le plus souvent par rapport à un homme : leur
père, leur époux, leur frère, etc. Cette désignation par la parenté masculine (consanguine ou
affine) souligne qu’au Moyen Âge les femmes sont d’abord considérées comme des
mineures et qu’elles doivent être placées sous tutelle masculine. Cependant, certaines
comme la princesse Isabelle de Villehardouin, jouissent d’une plus grande autonomie et