Éditorial
Correspondances en Onco-Urologie - Vol. III - no 1 - janvier-février-mars 2012
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Le cancer de la vessie du sujet âgé :
un modèle pour l’oncogériatrie
Bladder cancer in the elderly patients: a model for geriatric oncology
J.P. Droz*
L’
oncogériatrie est un concept relativement
récent : il a été forgé à la fin des années
1980 par 2 précurseurs, l’un aux États-Unis,
L. Balducci de l’université de Tampa en Floride, et l’autre
en Italie, S. Monfardini, actuellement à l’université de
Milan. Loncogériatrie se définit comme la prise en
charge globale de la personne âgée atteinte d’un cancer.
Elle comporte 2 approches simultanées, égales et
interactives : l’une oncologique (en fait cancérologique,
incluant l’hématologie maligne, car on entend par là
le rôle de l’oncologue médical, de l’hématologue, du
radiothérapeute, du chirurgien, du spécialiste d’organe
cancérologue) et l’autre gériatrique.
Enjeux
L’augmentation du nombre de personnes âgées
dans la population générale ainsi que de l’incidence
des cancers avec l’âge a impliqué la nécessité de
développer une politique active de soins spécialisés
pour les patients âgés atteints d’un cancer. En 2020,
60 % des cancers seront diagnostiqués après 70 ans.
Il existait un retard dans la prise en charge du cancer
chez les personnes âgées ; le diagnostic était par
conséquent réalisé à un stade plus tardif que chez les
patients plus jeunes et était de moins bon pronostic.
Par ailleurs, les plus nombreuses des populations de
patients atteints d’un cancer sont encore trop souvent
exclues du champ d’investigation de la recherche
clinique, la plupart des protocoles de recherche
clinique imposant une limite d’âge de 65 ans.
Les bénéfi ces d’une prise en charge et d’un suivi géria-
triques spécialisés pour les personnes âgées ont été
clairement établis dans plusieurs études. Cependant,
un certain nombre de diffi cultés de rationalisation de
cette prise en charge existaient. On doit envisager
le développement de l’oncogériatrie sous l’angle
de la prise en charge clinique (“case management”),
de la formation des personnels de santé, de l’infor-
mation des professionnels de santé et du public,
de la recherche clinique (et fondamentale). L’Institut
national du cancer (INCa) a été le promoteur en France
de l’oncogériatrie (1).
Appels d’off re de l’Institut national
ducancer
En 2003, le rapport de la commission d’orientation
sur le cancer préconisait la création de 5 à 10 centres
pilotes en oncogériatrie pour traiter de façon pluri-
disciplinaire spécifiquement des personnes âgées,
intégrer la dimension gériatrique dans la prise en
charge onco logique et la dimension oncologique
dans la prise en charge gériatrique. Le plan Cancer
prévoyait, dans sa mesure 38, un eff ort spécifi que pour
les personnes âgées : il s’agissait de mieux adapter les
modes de prise en charge et les traitements à leurs
spécifi cités, d’identifi er au sein de l’INCa une mission
d’onco gériatrie chargée de la promotion et de la coordi-
nation de travaux en épidémiologie, de la prévention et
de l’adaptation des traitements et des essais cliniques
sur la population âgée. La spécifi cité des problèmes
posés par la prise en charge des personnes âgées devait
faire l’objet de référentiels particuliers.
Unités pilotes en oncogériatrie (2005-2006)
Pour implémenter l’oncogériatrie sur l’ensemble du
territoire et notamment obtenir une meilleure coordi-
nation des soins entre oncologues et gériatres, l’INCa
a lancé en 2005 puis en 2006, un appel à projets afi n
de faire émerger des unités pilotes de coordination en
oncogériatrie (UPCOG). Leur domaine d’action était :
l’organisation de la prise en charge coordonnée
des soins ;
l’organisation de sessions d’information et de sen-
sibilisation pour les acteurs (professionnels, patients,
proches, bénévoles, grand public, etc.) ;
la mise en place de programmes de formation, en
particulier la formation médicale continue, la formation
des soignants, etc. ;
la recherche en oncogériatrie quel que soit le
domaine (évaluation gériatrique, recherche clinique,
épidémiologie, etc.).
Au total, 15 UPCOG réparties dans 12 Régions ont été
retenues : 12 centres hospitaliers universitaires, 12 centres
de lutte contre le cancer, 10 centres hospitaliers et
8 établissements privés sont impliqués dans ces projets.
* Professeur émérite
d’oncologie médicale,
université Claude-Bernard
Lyon 1 ;
mission oncologie,
centre hospitalier Andrée-
Rosemon, Cayenne.
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Parmi les objectifs de soins, les principaux axes étaient :
de réunir les conditions d’une action concertée entre
cancérologues et gériatres en vue d’une prise en charge
optimale des personnes âgées atteintes d’un cancer
aux diff érentes étapes de leur maladie ;
d’obtenir que tous les patients âgés de plus de
70 ans, atteints d’un cancer, bénéfi cient d’une éva-
luation gériatrique préalable à la prise de décision
thérapeutique, prise en compte lors de la réunion de
concertation pluridisciplinaire (RCP) permettant l’éla-
boration d’un programme personnalisé de soins (PPS)
adapté (faciliter l’accès aux personnes âgées atteintes
d’un cancer à un parcours de soins lisible et cohérent).
Rapport national sur l’oncogériatrie (2009)
L’INCa a publié en 2009 un rapport sur loncogériatrie
qui a permis de faire l’inventaire des données dans ce
domaine en France et de servir de base à une nouvelle
étape de développement.
Unités de coordination en oncogériatrie
(2011)
Afin de poursuivre le développement de l’onco-
gériatrie, l’INCa a lancé, en mars 2011, un appel à projets
mettant fi n à cette phase pilote et visant à soutenir
le déploiement national d’unités de coordination en
oncogériatrie (UCOG), leur territoire, défi ni en concor-
dance avec les agences régionales de santé, étant le
plus souvent régional, y compris dans les départements
et les territoires d’outre-mer. Au terme du processus
d’évaluation, 15 UCOG, couvrant ainsi dès à présent
11 Régions, ont été soutenues : Alsace, Aquitaine,
Bourgogne, Île-de-France, Languedoc-Roussillon,
Midi-Pyrénées, Nord-Pas-de-Calais, Poitou-Charentes,
Provence-Alpes-Côte d’Azur, Corse, Rhône-Alpes.
Quelques aspects du développement
del’oncogériatrie en France
Lenseignement et la formation en oncogériatrie sont
le sujet de 4 diplômes universitaires (DU) ou inter-
universitaires (DIU) : “Gériatrie appliquée à la cancéro-
logie (université Claude-Bernard, Lyon 1, en association
avec d’autres universités : Clermont-Ferrand, Dijon,
Genève, Montpellier, Saint-Étienne, Limoges, Bordeaux
et Grenoble) ; “Hématologie et cancérologie du sujet âgé”
(université René-Descartes - Paris V) ; “DU d’oncogériatrie”
(université de Nantes) ; “DU d’oncogériatrie” (université de
Provence-Côte d’Azur). Ces formations conjuguent ensei-
gnement théorique et pratique aussi bien en gériatrie
qu’en oncologie. Depuis 2004, l’École de formation
européenne en cancérologie (EFEC) a également intégré
dans son catalogue une session intitulée oncogériatrie
pratique” qui s’adresse aux médecins souhaitant sinitier
à cette nouvelle approche cancérologique. Par ailleurs,
elle a également organisé, à partir de l’automne 2006,
une session sur le même thème destinée au personnel
soignant des services de cancérologie.
En France, la Société française d’oncogériatrie (SoFOG)
tient son congrès chaque année à l’automne (2).
Le journal offi ciel de la société est le Journal d’onco-
gériatrie (JOG).
Diff érentes spécialités développent des symposiums
ou des documents spécifi ques à l’oncogériatrie : cest
par exemple le cas de l’Association française d’urologie
(AFU) qui a publié un numéro spécial sur le sujet.
Une dynamique s’est créée depuis quelques années pour
mener des essais cliniques plus spécifi quement dédiés
aux patients de plus de 65 ans. Ainsi, le programme
d’action concertée GERICO, créé par la Fédération des
centres de lutte contre le cancer (UNICANCER), a déjà
réalisé des études cliniques dans cette population
âgée. D’autres groupes français ont également conduit
des essais thérapeutiques, dans les cancers digestifs
(Fédération française de cancérologie digestive [FFCD]),
ou gynécologiques (Groupe coopérateur multidiscipli-
naire en oncologie [GERCOR], Groupe des investigateurs
nationaux pour l’étude des cancers de l’ovaire [GINECO]),
dans les lymphomes non hodgkiniens (Groupe d’étude des
lymphomes de l’adulte [GELA]) ou les cancers bronchiques
(Groupe français de pneumocancérologie [GFPC]).
Développement international
Des eff orts conséquents ont été entrepris à l’échelon
international, comme en témoigne le nombre croissant
d’articles publiés dans les revues médicales depuis ces
10 dernières années. La Société internationale d’onco-
logie gériatrique (SIOG) a été créée en 2000 et organise
annuellement une conférence (3). La SIOG a disposé
d’un premier journal offi ciel de diff usion Critical Reviews
in Oncology and Hematology, puis un journal spécifi que
a été créé, le Journal of Geriatric Oncology (JGO). La SIOG
a également mis en place des groupes de réfl exion
(Task Forces) qui travaillent sur des domaines spéci-
ques : chirurgie, radiothérapie, pharmacologie des
cytotoxiques, éthique. Des recommandations spéci-
ques ont fait l’objet de publications (4).
Il existe au sein de l’European Organization for Research
and Treatment of Cancer (EORTC), un groupe de travail
dédié à la promotion d’essais thérapeutiques chez le
sujet âgé atteint d’un cancer (“EORTC Cancer in the
Elderly Task Force”). Par ailleurs, les sociétés européennes
comme l’European Society of Medical Oncology (ESMO)
ou la Federation of European Cancer Society (FECS),
et américaines comme l’American Society of Clinical
Le cancer de la vessie du sujet âgé : un modèle pour l’oncogériatrie
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Oncology (ASCO®) ou l’American Association for Cancer
Research (AACR), ont ouvert des sessions dédiées à
l’oncologie gériatrique dans leur congrès, participant
ainsi à la diffusion des progrès dans ce domaine.
Enfi n, des conférences internationales sur le thème de
l’oncologie gériatrique ont eu lieu ces dernières années
en Amérique du Sud, au Moyen-Orient et en Asie.
Réfl exions sur l’oncogériatrie appliquée
enurologie
Chez un adulte âgé de moins de 70 ans, la survenue d’un
cancer est un événement majeur qui met en danger
sa vie ou plus simplement sa santé. Chez le sujet âgé,
beaucoup d’autres problèmes peuvent être observés
et sont parfois plus graves que le cancer : comorbidité,
présence d’un syndrome gériatrique (démence, incon-
tinence, etc.), dépendance, absence d’aidant naturel
ou de ressources. Il faut donc avoir une vision globale
de l’état de santé” du malade. On analyse cet état de
santé par l’évaluation gériatrique multidimensionnelle
(EGM) et par l’évaluation gériatrique approfondie
(Comprehensive Geriatric Assessment [EGA]) [5].
Arbres décisionnels et sujet âgé
Les arbres décisionnels ne sont pas suivis chez le
sujet âgé. Une étude a révélé que l’implantation
d’arbres décisionnels ne modifi e pas la pratique pour
les sujets âgés. Il fallait donc aller plus loin.
Méthode d’adaptation des arbres décisionnels.
Il existe peu de recommandations concernant spécifi -
quement le sujet âgé. Néanmoins, les diff érents types
de cancer sont envisagés dans des recommandations
obtenues par un consensus d’experts dans le cadre de
la SIOG. Elles sont accessibles sur son site (3).
Question pratique : comment traiter
unsujet âgé atteint d’un cancer ?
Le premier point est que les personnes âgées souhaitent
les mêmes traitements que les plus jeunes (6). Ils sont
prêts à accepter des traitements ayant parfois des incon-
vénients. Il est bien entendu que la décision dépendra
avant tout de l’appréciation de l’état de santé du patient.
En ce qui concerne la chirurgie, la première consi-
dération est relative à l’anesthésie. On devra donc
discuter les possibilités d’anesthésie générale ou
d’anesthésie régionale, en particulier, la rachianesthésie.
Un programme de prévention des complications doit
être mis en place : kinésithérapie respiratoire pré- et
post opératoire, prévention des accidents thrombo-
emboliques, de la dénutrition, des complications
cutanées, de la constipation et des infections (en parti-
culier urinaires). On peut discuter le rôle de la chirurgie
assistée sous vidéoscopie : elle permet une mobilisation
plus rapide et une hospitalisation plus courte, mais l’inter-
vention a une durée allongée. Néanmoins, la chirurgie
reste le traitement curatif le plus universellement effi cace.
En ce qui concerne la radiothérapie, il n’y a pas de
grande spécifi cité sur le plan technique. En revanche,
on sera confronté de manière amplifi ée aux compli-
cations. Les plus importantes sont les complications
digestives avec anorexie, mucites dans les irradiations
sus-diaphragmatiques ainsi que vomissements et
diarrhée dans le cas des irradiations sous-diaphrag-
matiques. Des mesures préventives doivent être prises
pour en minimiser les conséquences.
En ce qui concerne les traitements médicaux, il y a, en
général, une minorité de sujets âgés dans les essais de
phase I, voire de phases II et III. Il existe néanmoins des
études spécifi ques de la chimiothérapie chez le sujet âgé
dans le traitement des lymphomes non hodgkiniens et
dans celui des cancers bronchiques non à petites cellules.
Les autres données disponibles concernent des sous-
groupes de patients âgés de plus de 65 ans. La conclusion
est que la chimiothérapie est faisable (mais il s’agit en
général de patients “non fragiles”) et effi cace. Il est en
général proposé de réduire la toxicité de la chimio-
thérapie par l’utilisation de facteurs de croissance (G-CSF,
érythropoïétine) ou de protecteurs (du rein ou du cœur).
Conclusion
Loncologie gériatrique nest pas une sous-spécialité en
soi (7). Néanmoins, cest un concept qui devient une
pratique. En fait, il s’agit de la réunion de compétences en
cancérologie de diff érentes spécialités thérapeutiques,
de gériatres et de spécialistes d’organes qui centrent
leur activité autour du patient âgé atteint d’un cancer.
Ils doivent mettre en commun leurs bases de connais-
sances médicales afi n d’améliorer l’état de santé des
personnes âgées atteintes d’un cancer. Il est nécessaire
que le maximum de personnes âgées puisse bénéfi cier
de l’inclusion dans des essais thérapeutiques, car il est
démontré que la proportion d’entre elles qui en bénéfi cie
est faible. Nous devons accroître nos connaissances sur la
thérapeutique des sujets âgés. Pour actualiser nos acquis
dans ces domaines, des publications comme ce dossier
permettent d’avoir une source d’informations appli-
cables dans le domaine. Les cancers de la vessie sont
fréquents chez le sujet âgé et sont rapidement mortels
quand ils sont infi ltrants. Par ailleurs, les patients qui en
sont atteints ont souvent des comorbidités importantes
(entre autres liées au tabagisme). Ainsi, les cancers de la
vessie du sujet âgé sont un modèle pédagogique pour
aborder l’oncogériatrie.
1. Institut National du Cancer
(INCa) : www.e-cancer.fr/soins/
prises-en-charge-specifi ques/
oncogeriatrie/
2. Société francophone d’onco-
gériatrie (SoFOG) : www.sofog.fr
3. Société internationale d’onco-
logie gériatrique (International
Society of Geriatric Oncology) :
www.siog.org
4. Droz JP, Balducci L, Bolla M
et al. Background for the
proposal of SIOG guidelines for
the management of prostate
cancer in senior adults. Crit Rev
Oncol Hematol 2010;73(1):68-91.
5. Extermann M, Aapro M,
Bernabei R et al. Use of compre-
hensive geriatric assessment in
older cancer patients: recom-
mendations from the task force
on CGA of the International
Society of Geriatric Oncology
(SIOG). Crit Rev Oncol Hematol
2005;55(3):241-52.
6. Extermann M, Albrand G,
Chen H et al. Are older French
patients as willing as older
American patients to undertake
chemotherapy? J Clin Oncol
2003;21(17):3214-9.
7.
Terret C, Droz JP. Editorial. The
perception and dissemination
of geriatric oncology. Crit Rev
Oncol Hematol 2010;75(1):43-6.
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