Œsophage : comment rompre ?
●E. Yilmaz, H. Fermaud, G. Bommelaer*
* Service d’hépato-gastroentérologie, CHU de Clermont-Ferrand.
N
ous rapportons un cas de rupture intramurale spon-
tanée de l’œsophage chez un patient de 83 ans, décou-
vert lors d’une fibroscopie gastrique réalisée pour des
vomissements suivis de douleurs thoraciques avec hématémèse sans
déglobulisation. Au cours de l’examen endoscopique, il était constaté
un aspect de dilacération longitudinale du tiers moyen de l’œso-
phage, mettant la musculeuse à nu, avec, par ailleurs, des berges très
œdématiées. Un syndrome de Bœrhaave était évoqué, hypothèse
diagnostique écartée par le transit œsophagien à la gastrograffine.
Un traitement symptomatique par mise à jeun, hydratation et anti-
sécrétoires gastriques était institué et une fibroscopie gastrique à
huit semaines montrait une complète cicatrisation de la lésion. A
posteriori, le diagnostic de rupture intramurale spontanée de l’œso-
phage paraissait le plus vraisemblable, au vu des données anam-
nestiques, cliniques et endoscopiques.
Le terme de dissection spontanée de l’œsophage a également été
employé dans la littérature médicale, tant francophone qu’anglo-
saxonne, pour désigner cette entité clinique. Toutefois, l’aspect
endoscopique classique de dissection de l’œsophage, faux chenal,
lambeau muqueux et lumière œsophagienne n’a pas de similitude
avec l’aspect de dilacération de l’œsophage tel que présenté ici.
Cet aspect de dilacération de l’œsophage mérite à notre sens d’être
connu et doit faire systématiquement demander un transit œsopha-
gien aux hydrosolubles pour éliminer une perforation complète
de l’œsophage.
OBSERVATION
Un patient de 83 ans était adressé au service des urgences du CHU de
Clermont-Ferrand en raison de la survenue brutale d’un syndrome
douloureux abdominal à prédominance épigastrique apparu après
des efforts de vomissement avec une hématémèse peu abondante.
Dans les antécédents de ce patient, on retrouvait une hypothyroï-
die, une goutte, des troubles du rythme cardiaque, une cataracte de
l’œil gauche, ainsi qu’une hernie inguinale droite opérée. Il existait
également un éthylisme chiffré à 90 g d’alcool par jour sous forme
de vin sans tabagisme. Le traitement habituel comportait allopu-
rinol,l-thyroxine,furosémide,amiodarone,acéprométazine-clora-
zépate et cyamémazine.
À l’arrivée aux urgences, le patient était apyrétique, disait avoir vomi
à domicile et se plaignait d’une douleur abdominale épigastrique
irradiant à la mâchoire et au membre supérieur gauche. À l’inter-
rogatoire, il décrivait également un épisode d’hématémèse de
faible abondance dont il était impossible de savoir s’il avait précédé
ou suivi le vomissement. Il n’était pas mis en évidence de prise
d’anti-inflammatoires non stéroïdiens ou d’antivitaminiques K.
L’hémodynamique était stable sans anisotensie et il n’y avait pas
de détresse cardiorespiratoire. L’abdomen était pléthorique, sans
masse palpable, avec une douleur modérée à la palpation de l’épi-
gastre, sans défense ni contracture. Il n’y avait pas de signe de
Murphy. On ne retrouvait ni météorisme abdominal ni arrêt des
matières et des gaz. Le toucher rectal était indolore. Un électro-
cardiogramme, ainsi que le bilan enzymatique cardiaque éliminaient
un éventuel infarctus. Sur le plan biologique, on retrouvait une élé-
vation isolée des gamma-glutamyl transpeptidases témoignant de
l’éthylisme chronique. La radiographie pulmonaire était normale et
ne montrait pas d’élargissement du médiastin supérieur qui fasse
évoquer une dissection aortique. Un abdomen sans préparation nor-
mal allait contre le diagnostic de syndrome occlusif. Au final, un
syndrome de Mallory-Weiss était évoqué et le patient était adressé
dans le service d’hépato-gastroentérologie pour la réalisation d’une
exploration endoscopique haute et la poursuite de la prise en charge.
La fibroscopie gastrique a permis de voir une gastrite en mosaïque
à prédominance fundique, mais surtout un aspect de dilacération
de l’œsophage, linéaire, aux berges œdématiées, avec une muscu-
leuse à nue, suspendue, localisée au niveau du tiers moyen, très
au-dessus de la ligne Z (figure 1). Des biopsies étaient réalisées
à titre systématique.
Cet aspect n’était pas évocateur d’un syndrome de Mallory-Weiss.
Un syndrome de Bœrhaave était évoqué, aussi un transit œsophagien
aux hydrosolubles était réalisé en urgence. Celui-ci était normal,
ne montrant pas de solution de continuité et excluant cette hypo-
thèse. Une mise à jeun était instituée, associée à une hydratation
adéquate et un antisécrétoire gastrique par voie intraveineuse était
administré. Devant l’absence de symptomatologie inquiétante
notamment l’absence de douleur et l’absence de déglobulisation,
la réalimentation était décidée au cinquième jour d’hospitalisation
avec administration du traitement per os. Le patient rentrait à domi-
cile au bout d’une semaine et les antisécrétoires gastriques étaient
poursuivis per os huit semaines. Le patient restait totalement asymp-
OBSERVATION DIALOGUÉE
La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 1 - vol. VIII - janvier-février 2005
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