CP septembre MAQ.ok 31/10/01 09:22 Page 96 D o s s i e r t h é m a t i q u e Traitement chirurgical par voie transanale des polypes malins du rectum ● C. Denet* Critères morphologiques Points forts Points Points forts forts ◆ Une tumeur de plus de 3 cm, ulcérée, n’est pas une contre-indication formelle à une résection locale. ◆ L’écho-endoscopie est l’examen préopératoire qui évalue le mieux l’envahissement pariétal. ◆ L’exérèse transanale isolée peut être e traitement par voie transanale des polypes malins du rectum est une L alternative possible au traitement de référence des cancers du rectum, qui associe une exérèse du rectum et de ses relais ganglionnaires (mésorectum et axe mésentérique inférieur). L’exérèse transanale (ETA) a comme avantage d’être moins mutilante qu’une exérèse radicale (ER) et moins morbide, tant pour les complications postopératoires que pour les séquelles fonctionnelles digestives, sexuelles et urinaires. En revanche, si le cancer est invasif, ce traitement, purement local, méconnaît la possibilité d’un envahissement ganglionnaire (EG). L’indication d’une ETA est donc fondée sur un faisceau de critères cliniques, morphologiques et histologiques précis. Points forts Points Points forts forts * Institut mutualiste Montsouris, département médico-chirurgical de pathologie digestive, Paris. proposée pour des cancers au plus T1 ; la profondeur de l’envahissement de la sousmuqueuse restant un critère décisionnel essentiel. ◆ Pour une tumeur T1 bien différenciée, la survie à 5 ans après traitement local varie de 90 à 100 %. AVANT LE TRAITEMENT CHIRURGICAL Il faut réunir l’ensemble des critères de sélection, en sachant que le bien-fondé du choix thérapeutique n’est parfois acquis qu’à la lecture histologique de la totalité de la pièce d’exérèse. Critères cliniques et endoscopiques Au toucher rectal, une tumeur fixée ou occupant plus du tiers de la circonférence du rectum n’est a priori pas accessible à une ETA. La palpation d’une adénopathie suspecte nécessite une confirmation morphologique avant de contre-indiquer une ETA. L’endoscopie permet d’apprécier la taille et l’aspect macroscopique de la tumeur. Classiquement, la taille du cancer ne doit pas excéder 3 cm : ce critère est de plus en plus controversé et ne semble influencer ni le risque d’EG (1), ni le risque de récidive locale (2) ; une tumeur de plus de 3 cm ne contre-indique pas a priori une ETA. 96 L’écho-endoscopie (EE) évalue correctement l’envahissement pariétal dans 67 à 93 % des cas ; ces résultats semblent moins précis si la tumeur est localisée dans le bas rectum (4). Elle est aussi moins performante dans la détection des métastases ganglionnaires (MG) (62 à 88 % des cas) pour deux raisons : – la possibilité de micro-métastases au sein d’un ganglion ; – la taille et le nombre de ganglions envahis dans les tumeurs T1 ou T2, inférieurs à ceux observés dans les tumeurs plus avancées. Si l’un des critères retenus pour le diagnostic de MG est un diamètre d’au moins 5 mm, le diagnostic est correct dans 89 % des cas avec une spécificité de 94 % mais une sensibilité faible de 38 %, puisque, dans environ 20 % des cas, la MG est inférieure à 4 mm (4, 5). Si le critère de taille est fixé à 3 mm (5) pour les tumeurs T1 et T2, l’EG est surestimé (sensibilité 75 %, spécificité 49 %). Certaines équipes proposent, afin d’améliorer les performances de l’EE, de réaliser des biopsies des ganglions suspects sous EE (5, 6). Le scanner et l’imagerie par résonance magnétique nucléaire sont moins performants que l’EE pour les cancers dits “superficiels” (tant pour le degré d’envahissement pariétal que pour la détection de MG) (4). Critères histologiques Avant l’intervention, les biopsies perendoscopiques permettent d’exclure des cancers invasifs sans permettre de poser formellement le diagnostic de cancer superficiel. L’intérêt de la chirurgie transanale est alors de proposer une exérèse complète de la lésion et de déterminer si Le Courrier de colo-proctologie (II) - n° 3 - septembre 2001 CP septembre MAQ.ok 31/10/01 09:22 Page 97 D o s s i e r un traitement plus mutilant est nécessaire ou non. La présence d’un cancer invasif peu différencié ou indifférencié sur la biopsie préopératoire est une indication pour de nombreux auteurs à une ER. L’INTERVENTION Techniques d’exérèse chirurgicale Une préparation colique et une antibioprophylaxie sont recommandées pour ce type de chirurgie. Les ETA se font sous anesthésie générale ou loco-régionale. Le malade est installé en fonction de la localisation de la tumeur : position de la taille pour les lésions postérieures ou latérales, en procubitus ventral pour les lésions antérieures. La section muqueuse est réalisée à au moins 1 cm des berges de la lésion. L’exérèse emporte toute la paroi rectale et si possible la graisse périrectale. Pour les lésions antérieures du rectum sousdouglassien, l’exérèse est plus limitée, de façon à éviter les fistules recto-vaginales chez la femme ou recto-urétrales chez l’homme. Le risque pour les lésions antérieures du rectum sus-douglassien est une perforation rectale en péritoine libre. ETA classique La technique du parachute est indiquée pour les tumeurs situées à moins de 10 cm de la ligne pectinée. Après dilatation anale, l’exposition de la tumeur se fait habituellement avec deux valves vaginales étroites. Des fils sont placés sur le pourtour de la tumeur, au moins à un centimètre des berges. La traction de ces fils donne un aspect de parachute, d’où l’appellation de la technique. Cette manœuvre permet une bonne exposition de la zone à sectionner et garantit une marge de sécurité de 1 cm entre les berges de la tumeur et la zone de section. Les berges peuvent être refermées par des points séparés de fil résorbable. De principe, ou en cas de traction excessive, la plaie peut être laissée ouverte, la cicatrisation se faisant par réépithalisation. L’alternative à cette technique est la technique du lambeau tracteur, lambeau débuté t h é m a t i q u e au-dessus de la ligne pectinée et qui permet l’exérèse de la lésion en l’abaissant progressivement hors de l’anus. Microchirurgie endoscopique (ME) Cette technique, peu développée en France, est particulièrement adaptée pour les tumeurs du moyen et du haut rectum (2). Le matériel utilisé comprend un rectoscope, muni d’un système d’insufflation permettant de distendre le rectum, et par lequel peuvent être introduits plusieurs instruments chirurgicaux. L’exérèse est réalisée selon les mêmes principes qu’une ETA classique : section à 1 cm des berges de la tumeur et exérèse de la totalité de la paroi rectale. Les berges sont rapprochées par un surjet de fil résorbable. Résultats de l’ETA pour les polypes malins du rectum Complications postopératoires La mortalité postopératoire après ETA est quasiment nulle (2, 7, 8). La morbidité après ETA est faible et globalement inférieure à 5 % (8, 9). Elle est d’environ 20 % après ME (9, 10). Aucune séquelle sur la fonction intestinale n’a été décrite après ETA. Analyse histologique L’objectif de l’étude histologique est double : confirmer le caractère complet de l’exérèse et déterminer les caractéristiques de la tumeur augmentant le risque d’EG. En cas de carcinome in situ, le risque d’EG est nul, et l’ETA, si l’exérèse est complète, reste le traitement de choix. Si le cancer est invasif, le risque d’EG augmente proportionnellement au degré d’infiltration pariétale : T1 (envahissement de la sous-muqueuse) 3 à 17 % d’EG, T2 (envahissement de la musculeuse) 15 à 30 %, T3 (envahissement de la sousséreuse) 50 à 65 % (1, 3, 5, 11, 12). D’autres facteurs histologiques augmentent la fréquence des métastases ganglionnaires : le caractère peu différenciée, voire indifférencié, de la tumeur, (1, 8, 11, 13), la présence d’un envahissement vasculaire ou lymphatique (1, 8, 11, 13), la présence d’un contingent colloïde muqueux (13). Ce dernier critère est Le Courrier de colo-proctologie (II) - n° 3 - septembre 2001 97 actuellement débattu : plusieurs études ont montré qu’il n’influençait ni le risque d’EG (1), ni celui de récidive locale (8, 9). Le risque d’EG pour une tumeur T1 bien différenciée sans envahissement vasculaire ou lymphatique est évalué par Blumberg et al. (1) à 7 %. Ce risque est nul dans l’étude de Brodsky et al. pour les tumeurs T1 sans envahissement lymphatique, mais l’effectif des malades est faible, puisque inférieur à 20 (1). Des études japonaises ont proposé, comme autre critère corrélé au risque d’EG, le degré d’infiltration de la tumeur dans la sous-muqueuse (SM) : sm1 (1/3 superficiel de la SM), sm2 (1/3 moyen de la SM), sm3 (1/3 profond de la SM) : le risque d’EG est plus faible pour les tumeurs sm1 et sm2 que pour les tumeurs sm3 (11). Sur la pièce d’exérèse après ETA, les critères habituellement requis sont (a) un carcinome invasif ne dépassant pas la SM, (b) un carcinome bien différencié ; (c) des marges latérales et profondes saines ; (d) l’absence d’envahissement vasculaire ou lymphatique ; (e) selon les auteurs, l’absence de contingent colloïde muqueux (7, 9, 14, 15). Si l’un de ces critères n’est pas respecté, une ER ou, si elle n’est pas envisageable, une radiochimiothérapie doit être proposée au malade (7, 9, 14, 15). Résultats carcinologiques Les résultats de l’ETA dans la littérature sont d’interprétation difficile parce que (a) les critères de sélection ne sont pas toujours précisés ou varient d’une étude à l’autre, (b) les populations de malades sont hétérogènes dans une même série, (c) certaines études incluent des cancers de stade et de différenciation différents ; (d) la majorité des études sont rétrospectives ; (e) dans une même série, les traitements sont parfois différents, tant par la technique utilisée (ETA, exérèse par voie transsacrée, destruction par fulguration ou électrocoagulation…) que par leur caractère curatif ou palliatif ; (f) le suivi des malades est souvent inférieur à 5 ans. Après ETA pour un cancer T1 bien différencié, le taux de récidive locale varie de 0 à 13 % et la survie à 5 ans de 90 à 100 % CP septembre MAQ.ok 31/10/01 09:22 Page 98 D o s s i e r (3, 5, 8, 14). Une étude randomisée comparant l’ETA par ME et une ER pour des cancers T1 bien ou moyennement différenciés n’a montré aucune différence significative en termes de récidive locale et de survie à 5 ans entre les deux groupes. Mais les effectifs de ces deux groupes sont faibles (26 malades pour le groupe ER, 24 pour le groupe ME), et le suivi dans les deux groupes est inférieur à 4 ans. Néanmoins, Garcia-Aguilar et al. (7) rapportent un taux de récidive à 54 mois de 18 % pour des cancers classés T1 traités par ETM et répondant aux critères histologiques requis, ce qui ne correspond pas aux résultats attendus après ER. Certains proposent même un traitement adjuvant après ETA pour des cancers classés T1 (7, 15). Surveillance Une surveillance postopératoire régulière, comprenant au minimum un examen physique, une rectoscopie et une écho-endoscopie, est indispensable. Le choix d’une ETA doit être remis en question si cette surveillance ne peut être assurée. CONCLUSION Actuellement, en cas de cancer invasif, aucun critère clinique, morphologique ou histologique ne permet d’éliminer formellement un EG associé ; par conséquent, une ETA expose le malade à un risque de récidive le plus souvent accessible à une chirurgie de rattrapage, mais dont les résultats sur le plan carcinologique semblent inférieurs à ceux d’une ER de première intention (16). t h é m a t i q u e D’après les résultats publiés dans la littérature, l’ETA peut être proposée pour les cancers T1, idéalement sm1 ou sm2, bien différenciés, sans envahissement lymphatique ou vasculaire, avec des marges de section saine ; mais ce traitement, en l’état actuel de nos connaissances, ne peut être considéré comme le traitement de référence. Pour les autres cancers T1 ne répondant pas à ces critères, et a fortiori pour les cancers T2, l’ETA ne peut être considérée comme un traitement curatif, et une ER doit être proposée au malade. En cas de refus par le malade, ou si l’état général du malade ne permet pas une ER, l’ETA doit être complétée par un traitement adjuvant. ■ Mots clés. Cancer du rectum – Chirurgie transanale – Polype malin. R É F É R E N C E S 1. Brodsky JT, Richard GK, Cohen AM, Minsky BD. Variables correlated with the risk of lymph node metastasis in early rectal cancer. Cancer 1992 ; 69 (2) : 322-6. 2. Benoist S, Taffinder N, Gould S et al. Transanal endoscopic microsurgery : a forgotten minimally invasive technique. Gastroenterol Clin Biol 2001 ; 25 (4) : 369-74. 3. Lasser P, Goharin A. Local treatment of rectal cancer. Ann Chir 2000 ; 125(3) : 213-21. 4. Heriot AG, Grundy A, Kumar D. Preoperative staging of rectal carcinoma. Br J Surg 1999 ; 86 (1) : 17-28. 5. Akasu T, Kondo H, Moriya Y et al. Endorectal ultrasonography and treatment of early stage rectal cancer. World J Surg 2000 ; 24(9) : 1061-8. 98 6. Milsom JW, Czyrko C, Hull TL et al. Preoperative biopsy of pararectal lymph nodes in rectal cancer using endoluminal ultrasonography. Dis Colon Rectum 1994 ; 37 (4) : 364-8. 7. Garcia-Aguilar J, Mellgren A, Sirivongs P et al. Local excision of rectal cancer without adjuvant therapy : a word of caution. Ann Surg 2000 ; 231 (3) : 345-51. 8. Bleday R, Breen E, Jessup JM et al. Prospective evaluation of local excision for small rectal cancers. Dis Colon Rectum 1997 ; 40 (4) : 388-92. 9. Benoist S, Panis Y, Martella L et al. Local excision of rectal cancer for cure : should we always regard rigid pathologic criteria ? Hepatogastroenterology 1998 ; 45 (23) : 1546-51. 10. Winde G, Nottberg H, Keller R et al. Surgical cure for early rectal carcinomas (T1). Transanal endoscopic microsurgery vs anterior resection. Dis Colon Rectum 1996 ; 39 (9) : 969-76. 11. Nivatvongs S. 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