DOSSIER Recherche de nouveaux biomarqueurs sériques de dépistage précoce du cancer de l’ovaire en spectrométrie de masse Study of potential new markers in the screening of ovarian cancer A. Jacquet*, M. El Ayed**, P. Collinet*, J.P. Lucot*, I. Fournier**, M. Salzet**, D. Vinatier* L es biomarqueurs ou marqueurs tumoraux sont des indicateurs biologiques des changements moléculaires survenant lors d’un processus tumoral, leur expression variant selon l’état général, les traitements et l’évolution du processus au cours du temps. Ils correspondent généralement à des protéines sécrétées directement par les cellules cancéreuses dans un espace vasculaire de diffusion à proximité de la tumeur. Les nouvelles technologies, fondées sur l’étude du protéome, ouvrent actuellement des voies prometteuses pour la découverte de nouveaux biomarqueurs. On désigne par protéome l’ensemble des protéines sécrétées à un instant t par une cellule ou un tissu : le protéome reflète donc les changements génétiques et épigénétiques mais aussi les modifications posttraductionnelles (inaccessibles par l’étude du génome seul) survenant lors du processus tumoral, définissant une “signature protéique du cancer”. Or, si le génome humain comporte 30 000 gènes, le protéome exprime de 1,5 à 100 millions d’unités différentes : les techniques conventionnelles d’analyse des protéines ne sont pas adaptées à cet ordre de grandeur. Parmi les nouvelles technologies, la spectrométrie de masse est actuellement l’outil de référence de l’étude du protéome. Le principe de la spectrométrie de masse est d’établir un profil peptidique à partir d’échantillons biologiques, ce profil étant exprimé sous forme de spectre dans lequel chaque peptide est caractérisé par son rapport masse moléculaire/ charge électrique (m/z). Chaque pic du spectre est défini par le m/z du peptide correspondant en abscisse, l’intensité du pic en ordonnée étant proportionnel à la concentration du peptide dans l’échantillon biologique. Toute technique de spectrométrie de masse fait appel à plusieurs étapes : la séparation des peptides (sous forme d’ions en phase gazeuse) du reste de l’échantillon biologique par une source ; un analyseur qui sépare les peptides ainsi obtenus en fonction de leur m/z ; un détecteur et un traitement informatique du signal qui restituent les résultats sous forme de spectre. Il existe différents types de source et d’analyseur : dans cette étude, la principale méthode utilisée est le MALDI-TOF (source MALDI et analyseur TOF), avec une approche complémentaire selon une autre technique : la nanoLC-ITMS. Après obtention du spectre, les peptides de m/z d’intérêt sont fractionnés en mode lift afin de reconstituer leur séquence en acides aminés, permettant ainsi l’identification de la protéine d’origine grâce à l’interrogation de banques de données informatiques. La technique de MALDI-TOF est compatible avec une application en imagerie simple (permettant de localiser sur une coupe le m/z par un signal coloré), mais également en imagerie couplée à la technique * Clinique de gynécologie de l’hôpital Jeanne-de-Flandre, CHRU de Lille, avenue Eugène-Avinée, 59037 Lille. ** Groupe MALDI, CNRS de Lille. La Lettre du Gynécologue • n° 344 - septembre 2009 | 29 Mots-clés Cancer de l'ovaire Biomarqueurs Proteomique Dépistage Keywords Ovarian cancer Markers Proteomic Screening Références bibliographiques 1. Petricoin EF, Ardekani AM, Hitt BA. Use of proteomic patterns in serum to identify ovarian cancer. Lancet 2002;359(9306):572-7. 2. Wang Z, Xie Y, Wang H. Changes in survivin messenger RNA level during chemotherapy treatment in ovarian cancer cells. Cancer Biol Ther 2005;4(7):716-9. Résumé »» Bien que peu fréquent avec une prévalence de 40 cas pour 100 000 femmes, le cancer de l’ovaire est responsable d’une importante mortalité, au point d’être la première cause de décès par cancer gynécologique en France. Cela s’explique essentiellement par l’absence de moyens de dépistage précoce, tels qu’il en existe pour d’autres cancers (notamment sein ou côlon), alors que le pronostic est conditionné par la précocité du diagnostic (90 % de survie à 5 ans en cas de diagnostic au stade I contre seulement 10 à 15 % au stade IV). En effet, les signes cliniques sont tardifs et très peu spécifiques, et l’échographie est peu performante en raison du faible volume ovarien à un stade précoce chez les femmes ménopausées, population le plus exposée à ce type de cancer. Le biomarqueur actuellement utilisé, le CA 125, présente une sensibilité et une spécificité trop faibles pour son utilisation en dépistage de masse, alors que sa valeur prédictive le rend très intéressant en évaluation de la réponse au traitement ou dans le dépistage de récidives. L’enjeu dans le dépistage du cancer de l’ovaire à un stade précoce repose donc sur la découverte de nouveaux biomarqueurs, facilement accessibles par test sérique. du tag-mass. Cette dernière utilise le principe de l’immunohistochimie : l’imagerie détecte alors un m/z très spécifique, correspondant à un peptide de synthèse lié par un groupe photoclivable à un anticorps secondaire qui reconnaît un anticorps primaire complémentaire de la protéine d’intérêt. Cela permet non seulement la localisation sur la coupe de la protéine, mais également la validation de sa présence, avec une sensibilité supérieure aux techniques d’immunohistochimie classiques. Dans cette étude, nous avons réalisé une analyse différentielle (par outil statistique informatique de type PCA) des spectres obtenus à partir d’échantillons de tumeurs ovariennes épithéliales, en comparant les profils peptidiques des tumeurs bénignes à ceux des tumeurs malignes. Chaque tumeur ovarienne épithéliale opérée au CHRU de Lille a fait ainsi l’objet, après information et consentement des patientes, d’une analyse MALDI-TOF, soit directement à partir de coupes tissulaires de la tumeur ovarienne, soit après extraction chimique et digestion trypsique des protéines présentes sur ces coupes. L’analyse de chaque coupe ou liquide d’extraction a été couplée à une vérification sur les coupes immédiatement adjacentes de la présence de cellules tumorales en coloration HES. Le choix de travailler directement sur tissu tumoral et non à partir du sérum des patientes a été retenu pour deux raisons : d’une part, limiter la présence de protéines majoritaires telles que l’hémoglobine (pour démasquer les pics beaucoup plus faibles des biomarqueurs potentiels), d’autre part, favoriser l’approche tissulaire permettant d’espérer la découverte de marqueurs plus précoces, la sécrétion initiale des marqueurs tumoraux se faisant dans le micro-environnement tumoral. Cette étude se poursuit depuis 2005 avec une évolution technologique importante, en particulier en ce qui concerne la sensibilité des outils de spectrométrie, la performance de fragmentation pour la reconstitution des séquences en acides aminés et la performance de l’imagerie, désormais spécifique par association à la technique de tag-mass. La technique de digestion in silico permet également de simuler la digestion trypsique d’une protéine connue pour en rechercher les peptides sur un spectre. Un premier biomarqueur candidat avait été proposé après profiling en MALDI-TOF dès 2005 : le m/z 9744, correspondant au fragment C-terminal de la protéine REG-alpha, laquelle participe, via le protéasome, à la présentation par le complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) de classe I des antigènes du soi. Sa présence sous forme tronquée 30 | La Lettre du Gynécologue • n° 344 - septembre 2009 dans les cancers ovariens épithéliaux avait fait évoquer l’hypothèse d’une tolérance immunologique du cancer. Les travaux réalisés en 2007-2008 sur un échantillon de 30 tumeurs bénignes et 30 tumeurs malignes ont en effet retrouvé la présence du m/z 9744 dans 72 % des tumeurs malignes et dans aucune des tumeurs bénignes, ce m/z ayant été systématiquement identifié comme fragment de REG-alpha (différence statistiquement significative). Ces mêmes travaux ont mis en évidence la présence d’un pic de m/z 1 160 présent dans 72 % des tumeurs malignes et 12 % des tumeurs bénignes : ce peptide a été identifié dans chacun des échantillons concernés comme un fragment C-terminal de la protéine alpha-1-acide glycoprotéine ou orosomucoïde (différence statistiquement significative). Cette protéine de la phase aiguë est synthétisée par les hépatocytes en réponse à certaines situations, en particulier les réactions inflammatoires et les néoplasies, avec une concentration sérique multipliée par un facteur de 1,6 chez les femmes atteintes de néoplasie ovarienne, ce résultat étant également statistiquement significatif. Son rôle immunomodulateur est connu, avec en particulier une inhibition de la prolifération lymphocytaire, ce qui est cohérent avec l’hypothèse de tolérance immunitaire du cancer formulée à propos de REG-alpha. L’analyse des échantillons malins en nanoLC-ITMS a confirmé la présence de l’orosomucoïde et retrouvé d’autres biomarqueurs potentiels, certains étant déjà connus comme biomarqueurs cancéreux (vimentine), d’autres étant totalement inédits. Ces dernières années, d’autres auteurs (1, 2) qui ont proposé des tests de dépistage sérique du cancer de l’ovaire par la recherche de biomarqueurs issus du profiling en spectrométrie de masse se sont heurtés à d’importants problèmes de reproductibilité : il est désormais admis qu’avant toute application clinique, les biomarqueurs candidats proposés par l’analyse protéomique doivent être validés par des méthodes classiques. Ainsi, depuis 2005, la protéine REG-alpha a fait l’objet d’une recherche en immuno-histochimie, montrant un marquage de toutes les tumeurs épithéliales ovariennes analysées en MALDI-TOF avec une différence de localisation cellulaire selon la nature de la tumeur : le marquage est cytoplasmique (parfois associé à un marquage nucléaire) dans les tumeurs malignes et strictement nucléaire dans les tumeurs bénignes. Ces travaux de validation se poursuivent avec des résultats identiques, DOSSIER parallèlement au profiling protéomique pour REG-alpha ; le même protocole d’immunohistochimie n’a pu être mis au point à ce jour pour l’orosomucoïde, en raison de la difficulté du choix de l’isoforme glycosylé. Les deux biomarqueurs candidats ont été retrouvés par RT-PCR sur des lignées de cultures cellulaires d’adénocarcinome ovarien (cellules SKOV3). Les premiers travaux d’imagerie MALDI non spécifique menés en 2006 avaient montré une localisation du m/z 9744 sur les coupes de tumeurs malignes, localisation superposable à la zone tumorale. Les travaux réalisés en 2007-2008 grâce à la technique du tag-mass ont permis de valider la présence des deux protéines sur les coupes d’échantillons cancéreux, avec des localisations qui ne sont pas tout à fait superposables entre elles : on obtient ainsi en mode multiplexe une bonne couverture de la totalité de la zone tumorale par les deux biomarqueurs conjugués, ce qui appuie la nécessité du caractère multiprotéique d’un test de dépistage. En conclusion, deux biomarqueurs sont actuellement validés, d’autres (notamment issus de la nanoLCITMS) devant faire l’objet des mêmes travaux de validation. En vue d’un test multiprotéique, l’étape de profiling doit néanmoins se poursuivre parallèlement à ces travaux de validation. La protéine REG-alpha fait désormais l’objet d’une recherche systématique en immunohistochimie par le service d’anatomopathologie du CHRU de Dijon pour toutes les tumeurs ovariennes analysées par ce service. Après obtention en profiling d’un nombre suffisant de biomarqueurs et après validation, ces biomarqueurs seront recherchés dans le sérum des patientes incluses dans l’étude, avant de proposer une application clinique en dépistage sérique de masse organisé. ■ Communiqués des conférences de presse, symposiums, manifestations organisés par l’industrie pharmaceutique Lutte contre le cancer du col de l’utérus : Qiagen fait don d’un million de tests HPV aux pays émergents partenariat avec les institutions de santé publique leaders et les bien leur rôle d’information sur ONG travaillant dans le domaine de la santé, Qiagen développe la contraception et les infections également les prochaines générations de test HPV, incluant le test sexuellement transmissibles. care HPV, conçu spécifiquement pour les pays à faibles ressources, Cependant, la contraception d’ur- test qui peut-être réalisé sans électricité ni eau courante et donne gence reste largement sous-utilisée Les résultats d’une étude de huit ans sur 130 000 femmes dans un résultat en quelques heures seulement. De plus, le laboratoire en France et dans les autres pays. La l’État de Maharashtra en Inde, financée par la Fondation Bill et pratique une politique de prix adaptés aux pays émergents. méconnaissance de son existence Melinda Gates et parue dans le New England Journal of Medicine Enfin, sur le terrain, Qiagen s’investit dans des projets pilotes et l’absence de prise de conscience démontre que dans un contexte de ressources réduites, un seul comme une clinique mobile de dépistage du cancer cervical en du risque de grossesse lors d’un test HPV réduit significativement le nombre de cancers du col de Inde ou son partenariat avec la Fondation chinoise du cancer rapport non ou mal protégé en l’utérus (y compris à un stade avancé) et de décès, par rapport dans le cadre de leur campagne nationale. sont les principales causes. au frottis cervico-utérin ou au dépistage par l’inspection visuelle Pour plus d’information sur QIAGENcares et le programme de En effet, chaque année, une à l’aide de l’acide acétique (VIA). L’étude a été réalisée avec le donation : [email protected] femme sur trois est potentielle- test HPV digene du laboratoire Qiagen qui détecte les types de papillomavirus humain à haut risque impliqués dans le cancer du col de l’utérus. C.P. La contraception d’urgence : 10 ans de mise en vente libre Le cancer du col de l’utérus est donc une maladie que l’on peut ment exposée au risque d’une grossesse non prévue, mais seules 11 % d'entre elles ont recours à la contraception d’urgence. On facilement éviter et guérir lorsque les femmes ont accès à des Après 10 ans de mise en vente libre de la contraception d’ur- estime également à 24 millions par programmes de prévention. gence, le laboratoire HRA Pharma dresse un premier bilan qui an le nombre de rapports à risque Cependant, l’Organisation mondiale de la santé estime que seules confirme des retombées positives. de grossesse suite à un oubli de cinq pour cent des femmes vivant dans les pays en voie de déve- La mise en vente libre de cette contraception favorise le recours pilule ou à un accident de préser- loppement ont été dépistées au cours des cinq dernières années, à celle-ci. Les utilisatrices l’emploient de façon responsable ; elles vatif, alors que les ventes de contra- contre 40 à 50 % dans les pays développés. ont recours à la contraception d’urgence de façon ponctuelle ception d’urgence ne dépassent C’est pourquoi Qiagen s’engage dans l’élargissement de l’accès et cela n’entraîne pas de modification des pratiques contra- pas 1,2 million d’unités en 2008. au dépistage HPV aux femmes du monde entier par le biais d’un ceptives habituelles. L’information demeure donc la don d’un million de tests HPV s’inscrivant dans un programme Par ailleurs, les pharmaciens, qui sont en première ligne lors clé de voûte de l’accès libre à la de responsabilité sociale de l’entreprise baptisé QIAGENcares. En d’une demande de contraception d’urgence, jouent plutôt contraception d’urgence. C.P. La Lettre du Gynécologue • n° 344 - septembre 2009 | 31