La Lettre du Sénologue • n° 41 - juillet-août-septembre 2008 | 33
RUMEURS
merveilles gustatives et se repaître de solanacées
et de crucifères ; ostraciser l’herbe à Nicot ; être
orphelin le plus tôt possible (au besoin recourir à
des moyens radicaux et efficaces) ; et surtout mourir
avant 50 ans... (c’est fou ce que cela réglerait comme
problèmes !).
Bien sûr nous connaissons tous la “bipolarité” du
monde journalistique oscillant de l’euphorie totale
à goût d’éternité à une apocalypse imminente
foudroyante. Mais majoritairement, le traitement
routinier et institutionnel du cancer dans la presse
est plutôt à consonance passionnée porteuse d’es-
poir reposant sur une toute-puissance scientifique à
travers des articles “à dominante métadiscursive”…
(j’âââdooooore le vocable sociologique !). Et il est
certain que la promotion du dépistage avec une
conception directive et parfois culpabilisante est
nettement moins “fun” et surtout “bankable”.
Sans compter la distorsion de certains messages
publicitaires concernant les campagnes de dépistage
organisé (DO) censées s’adresser à des femmes de
plus de 50 ans, affichant des tendrons tout juste
postpubères (honnêtement, je doute que Mme
Sarfati d’Élie Kakou, excellente candidate au DO,
se sente concernée !).
Et pourtant, il est parfois des systèmes “publicitaires”
extrêmement actifs dans le domaine “préventif”.
L’annonce du cancer du sein d’une star peut
“booster” une campagne de dépistage au
point d’émouvoir la communauté scientifique
(Chapman S, McLeod K, Wakefield M, Holding S.
Impact of news of celebrity illness on breast cancer
screening: Kylie Minogue’s breast cancer diagnosis.
Med J Aust 2005;183[5]:247-50) et confirme peut-
être ces propos de P. Lamoureux, directeur de l’INPES,
responsable des campagnes de santé publique et
prévention : “Ces campagnes permettent de modifier
les représentations, mais ne tiennent pas lieu et ne
tiendront jamais lieu de politiques de santé publique.
Elles viennent en accompagnement d’un dispositif
beaucoup plus global.” Mais si l’on se penche sur les
subtilités linguistiques, on peut lire :
Prévention secondaire : consiste à dépister une
maladie grave et à la traiter précocement de façon
à la guérir ou à l’atténuer.
Et il est certain que cette nuance, bien connue du
monde médical (quoi que…), n’est probablement
pas bien assimilée par les cibles que représentent
les populations visées et qu’une rectification pour-
rait éviter de fâcheux malentendus comme : “Mais
docteur, c’est impossible… je fais ma mammo bien
régulièrement comme on m’a dit !” Que celui qui n’a
jamais entendu ça en consultation se lève !
Mais parfois la presse peut se faire l’avocat du diable
et certains échotiers, rêvant secrètement au journa-
list Award, tentent d’alerter ces grégaires patientes
soumises civilement à un dépistage organisé de l’inu-
tilité de la chose (X-ray vision in hindsight, Science.
Politics and the mammogram, New York Times, 2002.
Cancer, le dépistage précoce est-il si utile ? Science
et vie, 2004). On glisse, bien sûr, sur les réponses,
contre-réponses, surréponses engendrées et les
batailles d’éditoriaux ! Mais comme le soulignent
L. Azedinne, G. Blanchard et C. Ponchin du groupe
de recherche sur les enjeux de la communication :
“Le discours produit sur le cancer dans la presse
écrite… montre certains des conflits… donnant une
image différente de la sphère médicale et scienti-
fique, moins consensuelle, moins idéalisée et laissant
transparaître une dissonance.” (Merci de la précision,
il y a longtemps que la majorité d’entre nous le vit
quotidiennement !). Mais qu’en est-il de la préven-
tion primaire : s’attache à empêcher l’apparition
d’une maladie ?
Tout le monde se souvient de l’affaire tamoxifène,
le 6 avril 1998, où en quelques heures, au départ de
Philadelphie et circulant de Nunatami (Groenland)
à Punta Arena (Patagonie) en passant par Oulan
Bator (Mongolie) et jusqu’à Wellington (Nouvelle
Zélande), toute la planète était au courant qu’“un
médicament, le tamoxifène évitait les cancers du
sein” alors que le monde médical vaquait benoî-
tement à ses occupations. Le réveil en fanfare fut
douloureux et les interviews (en pyjama) périlleuses !
La communauté scientifique apprit à se méfier et
pourtant failli se faire surprendre en août 2003 avec
la “bombe WHI” où, au milieu d’une pluie de scuds,
à la lampe frontale, elle fut obligée de disséquer
toute la méthodologie largement discutable de cette
étude “à fragmentation”. Malgré de multiples propos
apaisants de la gent médicale, la presse continuait
à enfoncer le clou en “trompettant” la baisse du
nombre de cancers du sein un an après… l’arrêt du
THS par les femmes, doctement instruites par ses
soins… cela va sans dire (au poker cela s’appelle
une “continuation bet” ou mise régulière répétitive
visant à faire plier l’adversaire) !
Bien sûr, nous pouvons évoquer l’avalanche d’ar-
ticles de presse, évoquant les archives de Gaston
Lagaffe, sur la prévention primaire, l’alimentation
et le sport, ou le bandeau déculpabilisant défilant
sur nos écrans numériques rappelant les cinq fruits
et légumes, pendant un spot publicitaire vantant les
délices d’un quadruple “chizebeurgeur” (surtout pas
d’ennuis avec les States, ils sont un peu nerveux en
ce moment…).