Surpoids, obésité et gynécologie Cnit Paris-La Défense, 6 décembre 2012 DOSSIER THÉMATIQUE

10 | La Lettre du Gynécologue 380-381 - mars-avril 2013
DOSSIER THÉMATIQUE
Poids, cultures et sociétés
D'après la communication de S. Epelboin (Paris)
Dans notre exercice médical, le surpoids est une
préoccupation constante. L’obésité modérée (IMC
compris entre 30 et 40 kg/m
2
) est fréquente et
l’obésité morbide (IMC supérieur à 40 kg/m2), loin
d’être exceptionnelle. Les symboliques du poids sont
contradictoires dans chaque âge, chaque époque et
chaque société. Le poids a longtemps été le symbole
du pouvoir social, un signe extérieur de richesse. Au
l des époques, les critères de beauté se sont modi-
és, avec une dévalorisation du “gros”. Aujourd’hui,
le poids n’est plus synonyme de prospérité mais de
contexte socio-économique défavorisé. Cependant,
parler de l’alimentation peut être considéré comme
une intrusion dans l’intimité de l’autre.
Il est donc indispensable, en consultation, d’intégrer
l’argument de la culture de l’autre, de la variable
des normes de la beauté et de la santé afi n de faire
passer des messages audibles.
Épidémiologie
et physiopathologie
D'après la communication de A. Basdevant (Paris)
La prévalence de l’obésité augmente, avec une
progression importante dans les pays émergents.
La France se situe parmi les pays européens les
moins affectés par l’obésité. Létude ObÉpi (1) nous
montre qu’elle est plus fréquente dans la popula-
tion féminine, principalement dans la tranche d’âge
25-45 ans, avec notamment une majoration des
obésités morbides. On note de plus un gradient
nord-sud et un impact social important.
Lobésité est une situation complexe, hétérogène et
Surpoids, obésité
et gynécologie
Cnit Paris-La Défense, 6 décembre 2012
Overweight, obesity and gynecology
M. Lambert*, B. Raccah-Tebeka**
* Maternité de Port-Royal, Paris.
** Service de gynécologie obsté-
trique, hôpital Robert-Debré, Paris.
évolutive, ayant de nombreuses conséquences sur la
santé : impact cardiométabolique majeur, complica-
tions mécaniques, infl ammatoires, carcinologiques
et psychologiques.
Elle débute par une phase préclinique, où l’individu
ne présente pas d’excès de masse grasse. Puis s’ins-
talle la phase de surpoids et d’obésité, avec l’appari-
tion ultérieure des complications, du handicap et un
échec de plus en plus marqué des thérapeutiques.
Lobésité nous a été présentée comme une inter-
action complexe entre divers déterminants. Les
déterminants génétiques sont des facteurs de pré-
disposition qui n’expliquent que 4 % des obésités.
Lobésité résulte d’un déséquilibre de la balance
énergétique sous la pression de l’environnement,
avec des déterminants non caloriques de l’obésité
(perturbateurs endocriniens, stress, infections, rôle
majeur de la fl ore intestinale, etc.). En histologie,
une infl ammation et une brose du tissu adipeux
sont observées, avec le développement d’une néo-
vascularisation.
A. Basdevant a insisté sur la non-pertinence de la
classifi cation par l’indice de masse corporelle sur
le plan individuel et, au contraire, sur l’importance
de la composition corporelle avec le pourcentage
de masse grasse.
Conséquences endocriniennes
D'après la communication de P. Lefebvre (Mont-
pellier)
Le poids et l’appétit sont régulés par 3 systèmes dis-
tincts : le tissu adipeux, le tube digestif et le système
neuroendocrinien.
Pour le gynécologue, l’obésité module la fonction
de reproduction. Les adipokines, en particulier la
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DOSSIER THÉMATIQUE
leptine, jouent un rôle lors de la maturation puber-
taire, de l’ovulation et de l’implantation embryon-
naire. Les mécanismes impliqués dans l’infertilité
sont multiples : hyperinsulinisme, augmentation de
la production des androgènes, anomalies de sécré-
tion des gonadotrophines, rôle de l’adiponectine.
Lobésité participe également à la modulation de
la cancérogenèse.
Grossesse
D'après la communication de P. Marès (Nîmes)
La grossesse chez la femme obèse présente un risque
à la fois pour l’enfant et pour la mère. Le risque de
fausse couche et de mort fœtale in utero est majoré.
Les conséquences obstétricales sont multiples, avec
un risque accru de diabète gestationnel, d’hyper-
tension artérielle gravidique, de prééclampsie, de
complications thromboemboliques, d’infections et
d’apnée du sommeil. Une prise de poids excessive
durant la grossesse augmente les risques de com-
plications. La prise de poids d’une patiente ayant
un IMC supérieur à 30 kg/m2 ne doit pas dépasser
5 à 9 kg pendant la grossesse.
Au niveau fœtal, il est observé une augmentation
des macrosomies et des malformations. La morbidité
néonatale est plus élevée. Sur le long terme, l’enfant
est exposé à un risque majeur de diabète et d’obésité.
Concernant l’accouchement, il est montré une aug-
mentation des taux de dépassement du terme, d’échecs
de déclenchement, d’extractions instrumentales, de
dystocies des épaules, de césariennes, d’hémorragies
de la délivrance. Le travail paraît plus long malgré des
contractions utérines régulières et effi caces.
Lobésité chez les femmes enceintes est une réalité. Il
est nécessaire d’informer les patientes sur les risques
encourus lors d’une consultation préconception-
nelle. Cette dernière permet également de fi xer des
objectifs de poids réalistes et réalisables (perte de
5 à 10 % du poids avant la grossesse via un régime
ou la chirurgie bariatrique). Cette prise en charge
nécessite une équipe pluridisciplinaire formée à
l’éducation thérapeutique.
Ménopause
D'après la communication de F. Trémollières (Tou-
louse)
Les signes climatériques et les complications de
la ménopause sont-ils modifi és chez les femmes
obèses ?
Sur le plan des troubles fonctionnels, des bouffées
de chaleur plus fréquentes en début de ménopause
ont été montrées. L’obésité gynoïde est plus souvent
liée aux signes vasomoteurs. L’augmentation de la
masse grasse à la ménopause majore la fréquence
des bouffées de chaleur. À distance de la ménopause,
les bouffées vasomotrices liées à l’obésité diminuent.
Lobésité aggrave le risque cardiovasculaire présent
à la ménopause, avec une insulinorésistance plus
marquée en cas d’adiposité abdominale. Le syndrome
métabolique, l’hypertension artérielle et le diabète
de type 2 sont plus fréquents chez ces patientes dont
la mortalité cardiovasculaire est augmentée. Une
majoration de 5 kg/m2 de l'IMC à la ménopause est
associée à une augmentation de 30 % de l’incidence
des pathologies cardiovasculaires.
Sur le plan osseux, il est retrouvé une corrélation
positive entre l’IMC et la densité minérale osseuse en
postménopause. Les fractures postménopausiques
sont observées chez des femmes obèses dans 22 %
des cas et concernent principalement les os péri-
phériques (chevilles, poignets).
Sur le plan carcinologique, les cancers du sein et de
l’endomètre sont plus fréquents chez les patientes
obèses.
Concernant le traitement hormonal de la ménopause
(THM), aucune étude spécifi que n'a été menée chez les
patientes obèses. Ce traitement est associé à une amé-
lioration de l’insulinorésistance lorsqu'il comprend de
la progestérone naturelle et un estrogène par voie non
orale. Il permet une diminution du risque d’apparition
d’un éventuel diabète. Il n’y a pas d’augmentation du
surrisque de pathologies thromboemboliques ou de
cancers gynécologiques en cas de prise de THM avec
un estrogène par voie percutanée.
Cancer du sein
D'après la communication de M. Espié (Paris)
Avant la ménopause, l’obésité est associée à une
diminution du risque du cancer du sein, avec un
risque relatif compris entre 0,7 et 0,8.
Après la ménopause, un surrisque de 18 % par 5 kg/m
2
d’élévation de l’IMC est retrouvé. La probabilité de
cancer du sein augmente en cas de répartition abdo-
minale des graisses. Cela pourrait être lié à la durée
de l’imprégnation hormonale qui est plus marquée
en cas d’obésité. Une accélération de la prolifération
cellulaire sous l’action des estrogènes, de l’insuline
et de la leptine est observée. Lobésité est associée
à des taux bas de la sex hormone-binding globulin,
ce qui accroîtrait la biodisponibilité des estrogènes.
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Surpoids, obésité et gynécologie
DOSSIER THÉMATIQUE
Le diagnostic de cancer du sein est plus diffi cile et
plus tardif, l’envahissement ganglionnaire plus fré-
quent. Il existe une association signifi cative entre
obésité et cancer triple négatif (OR = 1,2).
La prise en charge thérapeutique est plus compli-
quée tant sur le plan de la chirurgie que sur celui de
la radio-chimiothérapie (sous dosage des agents).
Leffi cacité d’une éventuelle hormonothérapie n’est
a priori pas modifi ée.
Le pronostic du cancer du sein semble plus mauvais
dans ce contexte d’obésité mais cet excès de morta-
lité peut être lié à d’autres pathologies, en particulier
cardiovasculaires. Il est néanmoins signalé un excès
de mortalité par cancer du sein chez les femmes
présentant une obésité abdominale.
Contraception hormonale
D'après la communication de A. Bachelot (Paris)
La prévention des grossesses non désirées est
indispensable chez les femmes obèses, car les
complications de la grossesse sont nombreuses.
Pourtant, il a été montré que ces femmes utili-
saient 8 fois moins de méthodes contraceptives
efficaces. Peu d’études portent sur l’obésité et
la contraception, les résultats sont hétérogènes
avec une exclusion fréquente des patientes ayant
un IMC supérieur à 35 kg/m2. La diminution de
l’efficacité de la contraception estroprogestative
reste très discutée. Une suppression incomplète
de l’axe gonadotrope est mise en cause, due à des
taux circulants des composés de la contraception
plus faibles. Concernant l’implant, la concentra-
tion en étonogestrel diminue plus vite en cas de
poids supérieur à 70 kg. Il doit donc être remplacé
tous les 2 ans en cas d’obésité.
Une majoration du risque thromboembolique
veineux est associée à l’obésité en cas d’utili-
sation de contraception estroprogestative. En
revanche, aucun surrisque d’accident artériel
n’a été observé. Elle peut donc être prescrite en
l’absence d’autres facteurs de risque associés,
en particulier cardiovasculaires (Organisation
mondiale de la santé [OMS] classe 2). On pré-
férera néanmoins l’utilisation de progestatifs
(OMS classe 1) qui ne majorent pas le risque
thromboembolique.
Après une chirurgie bariatrique, la contraception
par voie orale est à éviter en cas de procédure
malabsorptive (bypass). La contraception estro-
progestative est contre-indiquée durant la période
périopératoire.
Infertilité et assistance
médicale à la procréation
D'après les communications de C. Avril (Rouen) et
de I. Streuli (Paris)
Lobésité diminue la fécondabilité de 18 %. Quel que
soit le poids, il est indispensable de faire un bilan
complet de l’infertilité et de la réserve ovarienne
avant de proposer une attitude thérapeutique qui
tiendra compte du type d’ovaire, du type d’obésité
et du risque obstétrical.
Chez la femme obèse normo-ovulante, il est décrit
un risque accru de fausse couche sans que celle-ci
soit liée à une aneuploïdie.
Lobésité est fréquemment associée à un trouble
de l’ovulation dans le syndrome des ovaires micro-
polykystiques. Il est donc proposé en premier lieu
une perte de poids de 10 % en préconceptionnel qui,
associée à l’exercice physique, permet une augmen-
tation du taux d’ovulation spontanée.
Dans le secteur de l'assistance médicale à la pro-
création (AMP), les résultats en termes de naissances
vivantes sont nettement inférieurs en présence
d’obésité. Aucun protocole nest à privilégier. La
pharmacocinétique des produits est différente chez
les patientes obèses et la voie d’administration i.m.
serait peut-être meilleure.
La prise en charge en AMP paraît plus complexe chez
les femmes obèses (diffi cultés anesthésiques, lors du
monitorage échographique et de la ponction, aug-
mentation des complications thromboemboliques
et infectieuses, etc.).
Leffet de la perte de poids modérée est peu étudié.
En revanche, la diminution de la circonférence abdo-
minale augmente le taux de grossesses.
Avant toute AMP, il est indispensable de déterminer
les comorbidités cardiovasculaires et les carences. La
période préconceptionnelle est propice à l’éducation
thérapeutique.
Prise en charge
Le point de vue d’un médecin
nutritionniste et d’un endocrinologue
D'après les communications de J.M. Lecerf (Lille), et
de N. Chabbert-Buffet (Paris)
La prise en charge de la personne obèse nécessite
une bonne connaissance de la pathologie. Il est indis-
pensable de déterminer individuellement la forme
d’obésité du patient, les facteurs prédisposants
(génétiques et épigénétiques), les facteurs favori-
La Lettre du Gynécologue 380-381 - mars-avril 2013 | 13
DOSSIER THÉMATIQUE
sants (mode de vie), les facteurs déclenchants (évé-
nements de vie) et les facteurs d’entretien (régimes
restrictifs, sédentarité). Perdre du poids n’est pas
anodin. Le régime constitue un danger. Il est néces-
saire de défi nir des objectifs adaptés qui ne sont pas,
en premier lieu, de perdre du poids mais d’apprendre
à gérer son alimentation, de reprendre une activité
physique, de ne plus grossir. Un des objectifs est
aussi de traiter les complications de l’obésité et de
réduire les facteurs de risque associés. Les outils à
disposition des patientes sont le temps, les conseils
diététiques, l’activité physique, le partage d’expé-
rience en réseaux, le soutien psychologique et, en
dernière intention, la chirurgie bariatrique. Un suivi
au long cours est indispensable et nécessite une
équipe pluridisciplinaire.
Le point de vue d’un chirurgien spécialisé
en obésité
D'après la communication de J.L. Bouillot
(Boulogne-Billancourt)
La chirurgie bariatrique représente un traitement
effi cace pour perdre du poids et contrôler les comor-
bidités. Elle améliore la qualité de vie et augmente
l’espérance de vie. Néanmoins, elle n’est indiquée
que pour les obésités très sévères (IMC supérieur à
40 ou à 35 en présence de complications) chez des
patients âgés de 18 à 65 ans. Cette décision doit être
prise en réunion de concertation pluridisciplinaire,
avec le patient, après un suivi préopératoire de 6
à 12 mois.
Les techniques se divisent en 3 catégories : les
méthodes restrictives (anneau gastrique, sleeve gas-
trectomy), malabsorptives et mixtes (bypass gastrique).
L’anneau est une intervention simple, réversible,
autorisant une perte de poids modérée mais avec
un taux important de complications et d’échecs à
long terme.
Le bypass présente le meilleur rapport bénéfi ces/
risques avec une perte de poids signifi cative, une
correction des comorbidités, notamment du diabète,
mais il s’agit d’une chirurgie complexe avec des
risques de carences. Elle nécessite la prise au long
cours de suppléments vitaminiques.
La sleeve gastrectomie est une technique plus
récente, avec des résultats pour le moment intéres-
sants sur le poids et les comorbidités sans entraîner
de malabsorption.
Une grossesse ne sera envisagée qu’après 12 à 18 mois
avec une stabilisation du poids. La recherche et le trai-
tement d’éventuelles carences sont indispensables.
Le point de vue d’une psychologue
D'après la communication de D. Machaux-Tholliez
(Boulogne-Billancourt)
Lobésité s’inscrit dans un système complexe fondé
sur des déterminants multiples, ne pouvant se réduire
aux simples désordres alimentaires. Chaque personne
a sa propre histoire de vie et de poids, son propre
fonctionnement psychique. Cela nécessite donc une
prise en charge individualisée axée sur l’écoute, la
compréhension et la déculpabilisation.
1. Charles MA, Eschwège E,
Basdevant A. Monitoring the
obesity epidemc in France:
the Obepi surveys 1997-
2006. Obesity (Silver Spring)
2008;16:2182-6.
Référence
bibliographique
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