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DOSSIER
Malformations
et morts fœtales in utero
chez les patientes diabétiques
Malformations and fetal deaths in diabetic women
J.F. Oury*
D
epuis l’avènement de l’insuline, la mortalité
maternelle chez les patientes diabétiques
lors de la grossesse, qui était très élevée, a
rapidement diminué, pour quasiment disparaître.
La mortalité et la morbidité périnatales ne se sont
réduites que lentement, passant de 60 % en 1982 à
4-12 % actuellement. En revanche, le taux de malformations congénitales ne s’est que peu modifié, et est
à l’origine, à l’heure actuelle, de la part la plus importante de la morbidité et de la mortalité néonatales.
Le risque malformatif
Chez les patientes diabétiques, le risque d’avortement spontané précoce est augmenté (1), évalué
à 30 % si l’hémoglobine glyquée est supérieure ou
égale à 7-8 % (6-9 déviations standard [DS]).
Le risque malformatif est multiplié par trois, pour
atteindre 6 à 10 % en cas de diabète préexistant de
type 1 et 2, et ces malformations sont responsables de la moitié de la mortalité périnatale observée
(2). Les taux de malformations fœtales associées au
diabète maternel de type 1 et 2 semblent être similaires, en revanche, le diabète gestationnel n’expose
pas à un risque malformatif supérieur à celui de la
population générale.
En termes de malformations fœtales, tous les appareils sont concernés : système nerveux central, cœur,
appareil urinaire, appareil digestif, squelette.
Dans le diabète, le système nerveux central est particulièrement exposé et le risque relatif de malformations serait de 8,8 par rapport à la population de
contrôle. Le syndrome de régression caudale, bien
que non spécifique du diabète, serait également
très élevé chez les patientes diabétiques (13 % des
cas de ce syndrome).
À partir des années 1970, plusieurs publications, en
particulier celles de Chung (3), Soler (4) et Drury (5),
avaient estimé le risque de malformations observé
dans la période néonatale chez les patientes diabétiques entre 6 et 13 %.
En 2000, Suhonen (6) a étudié 680 grossesses et
709 nouveau-nés chez 488 patientes diabétiques de
type 1, qu’il a comparés à 729 patientes non diabétiques et 735 nouveau-nés. Les diabètes de type 2
et les diabètes gestationnels insulinonécessitants
ont été éliminés et une hémoglobine glyquée avait
été pratiquée chez 93 % des patientes (normale si
< 5,6 %).
Cette étude avait noté que les patientes diabétiques
étaient plus souvent nullipares (50 % versus 42 %),
accouchaient plus tôt (à 37,3 semaines d’aménorrhée
[SA] versus 39,7 SA) du fait d’une politique active
de déclenchement, et avaient plus de grossesses
multiples (2,3 % versus 0,8 %). Le taux moyen
d’hémoglobine glyquée était de 7,5 ± 1,4 %. Chez
ces patientes diabétiques, le taux de malformations majeures et mineures était significativement
augmenté (10,3 %), multiplié par trois par rapport
à la population de contrôle.
L’analyse en régression logistique montre qu’une
valeur élevée de l’hémoglobine glyquée et la nulliparité augmentent le risque. Confronté au taux
d’hémoglobine glyquée, le risque relatif de malformations chez les patientes diabétiques de type 1
est de 3, même chez les patientes diabétiques dont
l’hémoglobine glyquée est modérément élevée ; le
risque reste en plateau jusqu’à des DS élevées (14),
puis augmente.
Seules les patientes avec une hémoglobine glyquée
normale avant 14 semaines (< 2 DS) présentaient un
risque malformatif identique à celui de la population
générale (tableau).
*Service de gynécologie obstétrique,
hôpital Robert-Debré, 48, bd Sérurier,
75019 Paris.
La Lettre du Gynécologue • n° 341-342 - avril-mai 2009 | 23
DOSSIER
Grossesse et diabète
Références
bibliographiques
1. Mills JL. Malformations in
infants of diabetic mothers. Teratology 1982;25(3):385-94.
2. Lepercq J, Timsis J. Diabète et
grossesse. In: Traité d’obstétrique.
Cabrol D, Pons JC, Goffinet F.
Médecine sciences, Flammarion, 2003.
3. Chung CS, Myrianthopoulos
NC. Factors affecting risks of
congenital malformations. II.
Effect of maternal diabetes on
congenital malformations. Birth
Defects Orig Artic Ser 1975;11
(10):23-38.
4. Soler NG, Walsh CH, Malins
JM. Congenital malformations in
infants of diabetic mothers. Q J Med
1976;45(178):303-13.
5. Drury MI, Greene AT, Stronge
JM. Pregnancy complicated
by clinical diabetes mellitus. A
study of 600 pregnancies. Obstet
Gynecol 1977;49(5):519-22.
6. Suhonen L, Hiilesmaa V,
Teramo K. Glycaemic control
during early pregnancy and fetal
malformations in women with
type I diabetes mellitus. Diabetologia 2000;43(1):79-82.
7. Reece EA, Coustan DR.
Diabetes mellitus in pregnancy.
Eds Churchill Livingstone, New
York 1988:105-22.
8. Fuhrmann K, Reiher H,
Semmler K, Fischer F, Fischer M,
Glöckner E. Prevention of congenital malformations in infants
of insulin-dependent diabetic
mothers. Diabetes Care 1983;6
(3):219-23.
9. Allen VM, Armson BA, Wilson
RD et al. Teratogenicity associated with pre-existing and
gestational diabetes. J Obstet
Gynaecol Can 2007;29(11):
927-44.
Tableau. Risque de malformations en fonction du taux
d’HbA1c précoce chez les patients diabétiques type 1 (résultats de l’étude de Suhonen et al.).
HbA1c
< 14 SA (%)
Inconnu
DS
Malformations
Risque
n/population relatif (IC95)
Inconnu
4/49
6 (2-17,1)
≥ 14
4/61
4,8
(1,6-13,9)
10-13,9
6/133
3,3 (1,3-8,6)
6,9-8
6-9,9
8/252
2,3 (1-5,7)
5,6-6,8
2-5,9
7/170
3 (1,2-7,5)
≥ 9,4
8,1-9,3
1/47
1,6 (0,3-9,5)
Total nouveau-nés
mère diabétique
< 5,6
<2
30/709
3,1 (1,6-6,2)
Population
contrôle
10/735
1
Chez les patientes diabétiques, le risque malformatif
est maximal de la conception jusqu’à 6-7 semaines
d’aménorrhée, au moment de la période d’organogenèse. Il n’existe pas de prédisposition génétique à
la survenue de malformations, en effet les hommes
diabétiques n’ont pas d’augmentation du risque
malformatif dans leur descendance.
La pathogénie des malformations associées au
diabète préexistant reste inconnue. Elle est possiblement multifactorielle, liée à des carences nutritives
ou à des métabolites toxiques.
L’hypoglycémie n’est pas tératogène dans l’espèce
humaine, contrairement à l’animal (malformations
cardiaques) ; les agents tératogènes principaux sont
probablement le d-glucose et l’hyperglycémie.
Les travaux de Reece (7) sur des cultures d’embryons
de rats à J9-J11 (soit l’équivalent de 3 à 6 semaines
de gestation chez l’homme) ont montré qu’un milieu
hyperglycémique entraîne un retard de croissance
et des anomalies anatomiques multiples, dont la
fréquence est proportionnelle au taux du glucose
circulant.
Les altérations vasculaires liées à l’hyperglycémie se
produisent à une période où la nutrition passe d’un
mode histotrophique à un mode hématotrophique au
niveau de la vésicule vitelline, et cette hypoperfusion
générerait une hypoxie, source d’acidose (production
d’acide lactique) et d’altérations cellulaires.
Dès 1983, Fuhrmann (8) avait montré que le contrôle
de la glycémie, avant la conception, réduisait de 7,5
à 0,8 % le taux des malformations néonatales.
24 | La Lettre du Gynécologue • n° 341-342 - avril-mai 2009 Cela montre l’importance de la consultation préconceptionnelle chez les femmes diabétiques
désirant une grossesse, menée par une équipe multidisciplinaire, afin de tendre vers une optimisation
de la maîtrise glycémique avant la conception. Les
dosages de l’hémoglobine glyquée et des glycémies
peuvent être utilisés pour sensibiliser les patientes
au sujet des anomalies congénitales.
L’Association canadienne du diabète et la Société des
gynécologues obstétriciens du Canada recommandent aux femmes qui présentent un diabète de type
1 ou 2, et qui envisagent une grossesse, d’obtenir un
taux préconceptionnel d’hémoglobine glyquée inférieur ou égal à 7 %, afin de réduire de façon significative le risque de malformations congénitales (9).
Le risque de mort fœtale
in utero
Les morts fœtales in utero (MFIU) sont liées au
diabète préexistant de type 1 et 2 et non au diabète
gestationnel. Elles sont plus fréquentes en cas de
diabète déséquilibré et d’acidocétose, parfois en
relation avec certaines situations associées (prescription de β-mimétiques, cure de corticoïdes, infections
intercurrentes). Le risque de MFIU est augmenté
si la glycémie à jeun est supérieure à 1,05 g/l. La
prévalence des MFIU est estimée à 3,5 % chez les
patientes diabétiques, selon les données de l’Alfediam en 2000.
La physiopathologie exacte de l’accident est
inconnue : hypoxie tissulaire, hyperlactacidémie
par glycogénolyse anaérobie, influence de la cardiomyopathie et de l’hypertrophie septale avec troubles
du rythme cardiaque. Les MFIU surviennent de façon
totalement inopinée.
Dans les diabètes du type 1 et 2, ce risque de MFIU
fait qu’il est conseillé de renforcer la surveillance
fœtale en fin de grossesse, à partir de 35 SA, mais
une surveillance permanente reste illusoire. Un
déclenchement ou une césarienne, en fonction des
conditions locales, seront envisagés à partir de 39 SA
(en intégrant le retard de maturation pulmonaire
potentielle).
Le risque de MFIU dans le diabète gestationnel n’est
pas différent de celui de la population générale ; le
déclenchement à partir de 38-39 SA en fonction
des conditions obstétricales pourra être envisagé
en cas de suspicion de macrosomie fœtale.
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