Conscience pendant
l’anesthésie
et risque de PTSD
La conscience per-
opératoire est clairement
mise en évidence pour au
moins 0,2 % des patients
ayant subi une anesthésie.
En plus de la souffrance
immédiate au cours de
l’épisode d’éveil, des
symptômes mentaux
graves et de longue durée
peuvent apparaître par la
suite chez les patients. Par
exemple, une étude sué-
doise a identif18 cas de
conscience durant l’anes-
thésie, parmi une cohorte
d’environ 11 800 patients.
Aucun des 18 patients ne
présentait de signe de
troubles mentaux lors des 3
semaines précédant l’anes-
thésie ratée. Neuf d’entre
eux ont pu être localisés 2
ans plus tard et ont accepté
de se prêter à l’enquête. À
cette époque, 4 sujets souf-
fraient toujours de symp-
tômes psychologiques et
remplissaient les critères du
PTSD, cependant que 3 autres présentaient
des symptômes transitoires et moins
sévères, qu’ils étaient capables de gérer
seuls au quotidien. Deux sujets seulement
assuraient ne ressentir
aucune séquelle de leur épi-
sode conscient. L’absence
de plainte de la part des
patients concernant d’éven-
tuels symptômes mentaux
survenant peu de temps
après l’anesthésie ne per-
met pas de mettre en œuvre
les moyens nécessaires
pour prévenir la survenue
ultérieure d’un PTSD. Une
évaluation psychiatrique,
un suivi des patients et la
mise en œuvre d’une thé-
rapie le cas échéant
devraient être instaurées et
constituer des pratiques
incontournables après la
mise en évidence chez un
patient d’un épisode
de conscience peropé-
ratoire.
Le risque de PTSD
doit-il remettre
en cause le principe
de l’utilisation
de molécules
amnésiantes pendant
l’anesthésie ?
La mise en évidence d’un
risque non négligeable
de survenue d’un PTSD
consécutif à un épisode de
conscience peropératoire amène à se poser
cette question d’une importance éthique
considérable. Pendant longtemps, l’admi-
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Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 8, octobre 2001
Compte-rendu de congrès :
Memory, awarenesss and consciousness
New York, 1-3 juin 2001
E Bacon*
L’anesthésie est un état très particulier : on considère en
général qu’elle est synonyme de suppression des réponses
motrices et de perte de conscience. On sait à présent que
l’anesthésie est une chose bien plus complexe. Pour les anes-
thésistes contemporains, “l’anesthésie n’endort pas, elle
empêche de rester réveillé ”. Les nouvelles technologies ont per-
mis de se rendre compte que, bien plus souvent qu’on ne le
pensait jusqu’alors, les patients sous anesthésie pouvaient avoir
des épisodes conscients. On constate des effets contradictoires
de l’anesthésie sur la mémoire : les molécules anesthésiantes,
ou utilisées comme inducteurs d’anesthésie, comme les benzo-
diazépines, entraînent des pertes de mémoire. Par ailleurs, cer-
taines études démontrent que la situation chirurgicale facilite
l’apprentissage. Les sujets ayant subi des anesthésies, qui sont
par définition souvent reliées à des stress, seraient donc en fait
souvent capables de se rappeler des événements désagréables
liés à ces moments, contrairement à ce qu’on a longtemps
pensé. Et cela peut aller jusqu’à provoquer des états dépressifs,
voire des PTSD (post traumatic stress disorder) chez certains
patients. Ces détresses psychologiques sont d’autant plus
sérieuses que rarement prises en compte par les praticiens, et
pas toujours confiées à leur médecin par les patients. Par
ailleurs, le contexte de risque vital parfois extrêmement grave
qui accompagne la chirurgie et l’anesthésie a permis aux psy-
chologues et aux psychiatres présents au chevet des malades
d’en savoir un peu plus sur ces phénomènes étranges vécus par
les patients qui ont frôlé la mort de très près et en sont revenus.
* INSERM, Strasbourg.
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Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 8, octobre 2001
nistration de molécules amnésiantes,
comme les benzodiazépines, a été considé-
rée comme utile, voire indispensable : le but
affiché de cette pratique était d’empêcher le
patient de se souvenir des expériences désa-
gréables ou des épisodes de conscience qui
auraient pu survenir pendant l’opération.
Les cliniciens supposaient que bloquer la
remémoration d’une expérience trauma-
tique était bénéfique au patient. Toutefois,
les recherches en psychologie expérimen-
tale suggèrent que les choses se passent dif-
féremment. La mémoire, l’amnésie et le
traumatisme psychologique présentent
divers aspects qui doivent tous être pris en
compte, pour vérifier qu’une telle procédure
est vraiment bénéfique au patient. L’enco-
dage d’une expérience traumatique est une
opération complexe, qui fait, par exemple,
intervenir diverses fonctions cérébrales et
des vitesses de traitement différentes. En
outre, en plus de la mémoire cognitive elle-
même, le corps a une mémoire physiolo-
gique et émotive, et la mémoire sensorielle
peut permettre des liens et l’accès à certains
souvenirs, alors même que les autres formes
d’accès à la mémoire ont échoué. Le fait que
de nombreux patients, ayant vécu un épi-
sode conscient pendant la chirurgie, souf-
frent de PTSD mais ne sont pas capables de
se souvenir de l’incident constitue un
exemple de ce type de mémoire émotion-
nelle qui ne s’accompagne pas de souvenir
explicite. La question qui se pose dès lors
est de savoir si un médicament amnésiant
administré pour la chirurgie peut affecter
différemment les divers systèmes mné-
siques. Vaut-il mieux ne pas se souvenir
explicitement d’un événement trauma-
tique ? Faut-il informer les patients que les
médicaments qui leur ont été administrés
peuvent affecter leur mémoire ? Une
mémoire intacte peut-elle au contraire aider
le patient à récupérer ? Les effets d’un trau-
matisme sur la mémoire posent également
la question de la validité des études menées
jusqu’à présent sur l’effet d’une anesthésie
sur la mémoire. En effet, la plupart des
études visant à explorer la mémoire pendant
l’anesthésie ont porté sur des périodes de
temps relativement courtes. Par ailleurs,
oublier quelque chose ne signifie pas que
cette chose n’a pas de signification médi-
cale. Les anesthésistes sont également de
plus en plus nombreux à considérer que la
fatigue postopératoire doit être envisagée en
termes de mécanismes émotionnels, et non
physiologiques. Des travaux complémen-
taires sont indispensables pour débrouiller
les fils enchevêtrés de la mémoire et de la
conscience pendant l’acte chirurgical. De
toute façon, le contrôle de la conscience des
patients durant l’anesthésie semble doréna-
vant s’imposer.
Apprentissage pendant la chirurgie
et l’anesthésie
Les études concernant l’apprentissage au
cours de l’anesthésie sont contradictoires :
certaines démontrent l’existence de troubles
amnésiques, alors que nombre d’autres
démontrent à l’inverse la préservation des
capacités d’apprentissage au cours de
l’anesthésie. Des travaux plus récents,
publiés à partir de 1999, ont mis en évidence
une corrélation entre l’apprentissage et la
profondeur de l’anesthésie lors d’une inter-
vention chirurgicale. Par opposition aux
observations cliniques, les recherches en
psychologie expérimentale menées récem-
ment par le Dr Andrade, de Sheffield, mon-
trent qu’une sédation, même légère, inhibe
l’apprentissage chez des volontaires sains.
La situation chirurgicale, quant à elle, faci-
lite l’apprentissage, et à des profondeurs
d’anesthésie qui devraient en fait empêcher
tout apprentissage. Cette situation para-
doxale trouve sans doute son explication
dans le fait que la chirurgie influencerait
l’apprentissage par l’intermédiaire d’une
augmentation de la libération des catécho-
lamines. Deux molécules importantes de
cette famille, l’adrénaline et la noradréna-
line, sont bien connues pour leur rôle dans
la formation de la trace mnésique. On sait
également qu’elles contribuent aux souve-
nirs extrêmement intenses laissés par les
expériences traumatiques, et que les événe-
ments à forte charge émotionnelle sont bien
retenus. Par ailleurs, l’amygdale module la
consolidation de la trace mnésique dans les
autres zones du cerveau et cette modulation
dépend des taux de catécholamines. Or, la
chirurgie augmente le taux de catéchola-
mines circulantes, ce qui expliquerait l’amé-
lioration de l’apprentissage lors de la chi-
rurgie. Par exemple, les travaux de Merikle
et Daneman montrent une amélioration de
l’apprentissage, si les tests ont lieu dans les
12 heures suivant le début de l’anesthésie.
Il a été observé aussi que, chez les patients
ayant subi une chirurgie cardiaque, la
mémoire implicite persiste, cependant que
la mémoire explicite est abolie. Pour le
Dr Andrade, l’augmentation de la libération
de catécholamines pendant la chirurgie peut
permettre un apprentissage inconscient,
malgré l’état d’anesthésie générale. Des tra-
vaux complémentaires sont cependant
nécessaires, afin de mieux connaître les
conditions permettant l’apprentissage, la
façon dont cet apprentissage se fait au fur
et à mesure du déroulement de la chirurgie,
et les effets sur la mémorisation des modi-
fications physiologiques qui se déroulent
pendant la chirurgie et l’anesthésie.
Amélioration de la récupération
postopératoire par la préparation
psychologique avant l’anesthésie
Un certain nombre de travaux ont démon-
tré l’efficacité de la préparation psycho-
logique des patients préalablement à la chi-
rurgie. Un groupe de chercheurs américains
s’est intéressé à l’efficacité d’un type de pré-
paration particulier, la méthode de prépara-
tion de Freeman (FPM), qui est un traite-
ment cognitivo-comportemental destiné à
réduire au minimum l’agitation physique
pendant la période critique précédant la chi-
rurgie. L’intervention comprend l’entraîne-
ment à la relaxation, la respiration profonde
et des exercices d’imagerie mentale. La
méthode est appliquée bien avant le début
de l’anesthésie et les instructions continuent
congrès congrès
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Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 8, octobre 2001
à être données pendant l’opération chirur-
gicale. Les chercheurs ont réparti en trois
groupes 42 patients ayant à subir une
chirurgie de type orthopédique. Le premier
groupe de 15 patients suivait la FMP. De la
musique relaxante était proposée aux 14
sujets du 2egroupe, qui constituaient le
groupe de contrôle attentionnel, cependant
que les 13 autres patients ne recevaient que
le soin préopératoire de routine. La procé-
dure hospitalière de routine incluait une
vidéo d’information sur la chirurgie et était
présentée aux trois groupes de patients. Les
préparations spécifiques des groupes 1 et 2
ont été commencées quelques jours avant
l’opération. Les patients de ces deux
groupes ont également reçu des cassettes
audio contenant les instructions leur per-
mettant de pratiquer leurs préparations res-
pectives. La cassette était passée aux sujets
au moins une heure avant le début de l’opé-
ration, ainsi que tout au long de la procé-
dure chirurgicale. Le temps d’induction de
l’anesthésie a ensuite été mesuré pour cha-
cun, ainsi qu’un certain nombre de données
psychologiques, comme la satisfaction du
patient par rapport à l’intervention qu’il
avait subie. L’analyse des résultats montre
une diminution significative de la durée de
l’induction pour le groupe FPM par rapport
aux deux autres. Quatre-vingt pour cent des
patients du groupe ayant suivi FMP s’esti-
maient satisfaits de l’intervention et consi-
déraient que cette préparation devrait être
proposée systématiquement en préparation
à la chirurgie, pour seulement 7 % dans le
groupe ayant écouté de la musique, et 0 %
dans le groupe contrôle. En outre, un chan-
gement d’attitude global a également été
observé dans le groupe préparé par la FMP,
puisqu’ils considéraient avoir amélioré leur
capacité et leur manière de prendre en
charge des situations médicales difficiles.
Aspects biologiques des expériences
de mort proche
Les expériences vécues dans des états
proches de la mort (near-death experiences,
ou NDE) sont des événements psycholo-
giques intenses, souvent accompagnés d’élé-
ments mystiques et transcendantaux, et qui
surviennent chez des personnes proches de
la mort ou en situation de danger physique
ou émotionnel intense. La réalité objective
de ces expériences, dont on trouve quelques
descriptions dès 1893, n’est plus contestée
aujourd’hui, comme l’explique le Dr Reinsel.
Elles semblent même beaucoup plus com-
munes qu’on ne le pense, car beaucoup de
personnes ayant vécu ce type d’expérience
répugnent à s’en confier à leur médecin. Pis
encore, nombre de médecins, au chevet de
leur malade, ne savent rien de ce qui vient
de se passer sous leurs yeux ! Plusieurs com-
posantes se dégagent de ces expériences : la
composante cognitive se manifeste par des
phénomènes comme une distorsion du
temps. Dans la composante affective, on
retrouve des sentiments de paix, de joie,
d’unité cosmique, d’ineffabilité. La compo-
sante paranormale s’exprime par la sensa-
tion d’être en dehors de son propre corps.
L’aspect transcendantal est présent aussi,
avec la sensation d’être dans un autre monde,
de transcender son ego , d’être en union avec
un principe divin ou un principe supérieur.
Une sensation de vive lumière est aussi tou-
jours ressentie. Des études rétrospectives
démontrent que ces expériences peuvent être
vécues par des sujets psychologiquement
sains et à tout âge. Le Dr Greyson a passé en
revue les diverses hypothèses psycholo-
giques et/ou physiologiques susceptibles
d’expliquer ce phénomène. Parmi les
modèles psychologiques, citons la dissocia-
tion, l’absorption, l’imagination, le com-
portement de défense face à la peur de la
mort et le souvenir de l’expérience de la nais-
sance. Des modèles physiologiques, comme
l’hypoxie, les hallucination induites méta-
boliquement, et des hypothèses neurochi-
miques (impliquant notamment le récepteur
au NMDA et à la kétamine) et neuroanato-
miques se proposent aussi d’expliquer les
NDE. Toutefois, quoique la plupart des
mécanismes proposés soient plausibles, il
n’est pas encore véritablement démontré que
ces phénomènes ont bien lieu dans des états
proches de la mort. Et, de toute façon, même
s’il existe certains arguments en faveur de
ces modèles physiologiques, ils nous lais-
sent dans une situation philosophiquement
ambiguë, dans la mesure où le fait de corré-
ler un état cérébral avec une expérience don-
née n’implique pas nécessairement que cet
état cérébral ait provoqué la survenue de
cette expérience subjective. Alternative-
ment, l’état cérébral pourrait simplement
refléter l’expérience ou permettre à cette
expérience d’avoir lieu. Dans l’état actuel de
nos connaissances, ce fossé explicatif ne
peut pas être franchi. Ces expériences modi-
fient profondément le vécu ultérieur des
patients, leurs croyances et leurs valeurs. En
particulier, la mort n’est plus considérée par
eux désormais comme une fin, mais comme
une transition qui ne leur fait plus peur, et
les sujets déclarent n’avoir désormais plus
d’intérêt pour la compétition ni le goût du
pouvoir. Il est donc important pour le prati-
cien d’être sensible à ces situations et de trai-
ter avec respect l’expérience de ces sujets .
Pour en savoir plus
Ancelin ML, De Roquefeuil G,
Ledesert B et al. Exposure to anaesthetic
agents, cognitive functioning and depres-
sive symptomatology in the elderly. Br J
Psychiatry 2001 ; 178 : 360-66.
Cette étude, réalisée à Montpellier,
démontre que l’anesthésie peut provoquer
des altérations à long terme de certaines
fonctions cognitives chez les personnes
âgées. Les sujets le plus à risque sont les
plus âgés et ceux présentant des perturba-
tions cognitives ou une dépression préopé-
ratoire.
Vo ir aussi dans nos colonnes
Cottraux J. Développements et
recherches récentes dans les traitements
psychologiques du stress post-traumatique.
Act Med Int Psychiatrie 2001 ; 6 : 162-67.
Aux divers types d’événements susceptibles
de déclencher un PTSD répertoriés par le
Dr Cottraux, il convient désormais d’ajou-
ter les cas d’anesthésie au cours desquelles
le patient a vécu un épisode conscient.
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