congrès congrès Écho des congrès Compte-rendu de congrès : Memory, awarenesss and consciousness New York, 1-3 juin 2001 E Bacon* Conscience pendant l’anesthésie et risque de PTSD La conscience peropératoire est clairement mise en évidence pour au moins 0,2 % des patients ayant subi une anesthésie. En plus de la souffrance immédiate au cours de l’épisode d’éveil, des symptômes mentaux graves et de longue durée peuvent apparaître par la suite chez les patients. Par exemple, une étude suédoise a identifié 18 cas de conscience durant l’anesthésie, parmi une cohorte d’environ 11 800 patients. Aucun des 18 patients ne présentait de signe de troubles mentaux lors des 3 semaines précédant l’anesthésie ratée. Neuf d’entre eux ont pu être localisés 2 ans plus tard et ont accepté de se prêter à l’enquête. À cette époque, 4 sujets souffraient toujours de symptômes psychologiques et remplissaient les critères du L’ anesthésie est un état très particulier : on considère en général qu’elle est synonyme de suppression des réponses motrices et de perte de conscience. On sait à présent que l’anesthésie est une chose bien plus complexe. Pour les anesthésistes contemporains, “l’anesthésie n’endort pas, elle empêche de rester réveillé ”. Les nouvelles technologies ont permis de se rendre compte que, bien plus souvent qu’on ne le pensait jusqu’alors, les patients sous anesthésie pouvaient avoir des épisodes conscients. On constate des effets contradictoires de l’anesthésie sur la mémoire : les molécules anesthésiantes, ou utilisées comme inducteurs d’anesthésie, comme les benzodiazépines, entraînent des pertes de mémoire. Par ailleurs, certaines études démontrent que la situation chirurgicale facilite l’apprentissage. Les sujets ayant subi des anesthésies, qui sont par définition souvent reliées à des stress, seraient donc en fait souvent capables de se rappeler des événements désagréables liés à ces moments, contrairement à ce qu’on a longtemps pensé. Et cela peut aller jusqu’à provoquer des états dépressifs, voire des PTSD (post traumatic stress disorder) chez certains patients. Ces détresses psychologiques sont d’autant plus sérieuses que rarement prises en compte par les praticiens, et pas toujours confiées à leur médecin par les patients. Par ailleurs, le contexte de risque vital parfois extrêmement grave qui accompagne la chirurgie et l’anesthésie a permis aux psychologues et aux psychiatres présents au chevet des malades d’en savoir un peu plus sur ces phénomènes étranges vécus par les patients qui ont frôlé la mort de très près et en sont revenus. * INSERM, Strasbourg. Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 8, octobre 2001 PTSD, cependant que 3 autres présentaient des symptômes transitoires et moins sévères, qu’ils étaient capables de gérer seuls au quotidien. Deux sujets seulement 236 assuraient ne ressentir aucune séquelle de leur épisode conscient. L’absence de plainte de la part des patients concernant d’éventuels symptômes mentaux survenant peu de temps après l’anesthésie ne permet pas de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour prévenir la survenue ultérieure d’un PTSD. Une évaluation psychiatrique, un suivi des patients et la mise en œuvre d’une thérapie le cas échéant devraient être instaurées et constituer des pratiques incontournables après la mise en évidence chez un patient d’un épisode de conscience peropératoire. Le risque de PTSD doit-il remettre en cause le principe de l’utilisation de molécules amnésiantes pendant l’anesthésie ? La mise en évidence d’un risque non négligeable de survenue d’un PTSD consécutif à un épisode de conscience peropératoire amène à se poser cette question d’une importance éthique considérable. Pendant longtemps, l’admi- congrès congrès Écho des congrès nistration de molécules amnésiantes, comme les benzodiazépines, a été considérée comme utile, voire indispensable : le but affiché de cette pratique était d’empêcher le patient de se souvenir des expériences désagréables ou des épisodes de conscience qui auraient pu survenir pendant l’opération. Les cliniciens supposaient que bloquer la remémoration d’une expérience traumatique était bénéfique au patient. Toutefois, les recherches en psychologie expérimentale suggèrent que les choses se passent différemment. La mémoire, l’amnésie et le traumatisme psychologique présentent divers aspects qui doivent tous être pris en compte, pour vérifier qu’une telle procédure est vraiment bénéfique au patient. L’encodage d’une expérience traumatique est une opération complexe, qui fait, par exemple, intervenir diverses fonctions cérébrales et des vitesses de traitement différentes. En outre, en plus de la mémoire cognitive ellemême, le corps a une mémoire physiologique et émotive, et la mémoire sensorielle peut permettre des liens et l’accès à certains souvenirs, alors même que les autres formes d’accès à la mémoire ont échoué. Le fait que de nombreux patients, ayant vécu un épisode conscient pendant la chirurgie, souffrent de PTSD mais ne sont pas capables de se souvenir de l’incident constitue un exemple de ce type de mémoire émotionnelle qui ne s’accompagne pas de souvenir explicite. La question qui se pose dès lors est de savoir si un médicament amnésiant administré pour la chirurgie peut affecter différemment les divers systèmes mnésiques. Vaut-il mieux ne pas se souvenir explicitement d’un événement traumatique ? Faut-il informer les patients que les médicaments qui leur ont été administrés peuvent affecter leur mémoire ? Une mémoire intacte peut-elle au contraire aider le patient à récupérer ? Les effets d’un traumatisme sur la mémoire posent également la question de la validité des études menées jusqu’à présent sur l’effet d’une anesthésie sur la mémoire. En effet, la plupart des études visant à explorer la mémoire pendant Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 8, octobre 2001 l’anesthésie ont porté sur des périodes de temps relativement courtes. Par ailleurs, oublier quelque chose ne signifie pas que cette chose n’a pas de signification médicale. Les anesthésistes sont également de plus en plus nombreux à considérer que la fatigue postopératoire doit être envisagée en termes de mécanismes émotionnels, et non physiologiques. Des travaux complémentaires sont indispensables pour débrouiller les fils enchevêtrés de la mémoire et de la conscience pendant l’acte chirurgical. De toute façon, le contrôle de la conscience des patients durant l’anesthésie semble dorénavant s’imposer. Apprentissage pendant la chirurgie et l’anesthésie Les études concernant l’apprentissage au cours de l’anesthésie sont contradictoires : certaines démontrent l’existence de troubles amnésiques, alors que nombre d’autres démontrent à l’inverse la préservation des capacités d’apprentissage au cours de l’anesthésie. Des travaux plus récents, publiés à partir de 1999, ont mis en évidence une corrélation entre l’apprentissage et la profondeur de l’anesthésie lors d’une intervention chirurgicale. Par opposition aux observations cliniques, les recherches en psychologie expérimentale menées récemment par le Dr Andrade, de Sheffield, montrent qu’une sédation, même légère, inhibe l’apprentissage chez des volontaires sains. La situation chirurgicale, quant à elle, facilite l’apprentissage, et à des profondeurs d’anesthésie qui devraient en fait empêcher tout apprentissage. Cette situation paradoxale trouve sans doute son explication dans le fait que la chirurgie influencerait l’apprentissage par l’intermédiaire d’une augmentation de la libération des catécholamines. Deux molécules importantes de cette famille, l’adrénaline et la noradrénaline, sont bien connues pour leur rôle dans la formation de la trace mnésique. On sait également qu’elles contribuent aux souvenirs extrêmement intenses laissés par les 237 expériences traumatiques, et que les événements à forte charge émotionnelle sont bien retenus. Par ailleurs, l’amygdale module la consolidation de la trace mnésique dans les autres zones du cerveau et cette modulation dépend des taux de catécholamines. Or, la chirurgie augmente le taux de catécholamines circulantes, ce qui expliquerait l’amélioration de l’apprentissage lors de la chirurgie. Par exemple, les travaux de Merikle et Daneman montrent une amélioration de l’apprentissage, si les tests ont lieu dans les 12 heures suivant le début de l’anesthésie. Il a été observé aussi que, chez les patients ayant subi une chirurgie cardiaque, la mémoire implicite persiste, cependant que la mémoire explicite est abolie. Pour le Dr Andrade, l’augmentation de la libération de catécholamines pendant la chirurgie peut permettre un apprentissage inconscient, malgré l’état d’anesthésie générale. Des travaux complémentaires sont cependant nécessaires, afin de mieux connaître les conditions permettant l’apprentissage, la façon dont cet apprentissage se fait au fur et à mesure du déroulement de la chirurgie, et les effets sur la mémorisation des modifications physiologiques qui se déroulent pendant la chirurgie et l’anesthésie. Amélioration de la récupération postopératoire par la préparation psychologique avant l’anesthésie Un certain nombre de travaux ont démontré l’efficacité de la préparation psychologique des patients préalablement à la chirurgie. Un groupe de chercheurs américains s’est intéressé à l’efficacité d’un type de préparation particulier, la méthode de préparation de Freeman (FPM), qui est un traitement cognitivo-comportemental destiné à réduire au minimum l’agitation physique pendant la période critique précédant la chirurgie. L’intervention comprend l’entraînement à la relaxation, la respiration profonde et des exercices d’imagerie mentale. La méthode est appliquée bien avant le début de l’anesthésie et les instructions continuent congrès congrès Écho des congrès à être données pendant l’opération chirurgicale. Les chercheurs ont réparti en trois groupes 42 patients ayant à subir une chirurgie de type orthopédique. Le premier groupe de 15 patients suivait la FMP. De la musique relaxante était proposée aux 14 sujets du 2e groupe, qui constituaient le groupe de contrôle attentionnel, cependant que les 13 autres patients ne recevaient que le soin préopératoire de routine. La procédure hospitalière de routine incluait une vidéo d’information sur la chirurgie et était présentée aux trois groupes de patients. Les préparations spécifiques des groupes 1 et 2 ont été commencées quelques jours avant l’opération. Les patients de ces deux groupes ont également reçu des cassettes audio contenant les instructions leur permettant de pratiquer leurs préparations respectives. La cassette était passée aux sujets au moins une heure avant le début de l’opération, ainsi que tout au long de la procédure chirurgicale. Le temps d’induction de l’anesthésie a ensuite été mesuré pour chacun, ainsi qu’un certain nombre de données psychologiques, comme la satisfaction du patient par rapport à l’intervention qu’il avait subie. L’analyse des résultats montre une diminution significative de la durée de l’induction pour le groupe FPM par rapport aux deux autres. Quatre-vingt pour cent des patients du groupe ayant suivi FMP s’estimaient satisfaits de l’intervention et considéraient que cette préparation devrait être proposée systématiquement en préparation à la chirurgie, pour seulement 7 % dans le groupe ayant écouté de la musique, et 0 % dans le groupe contrôle. En outre, un changement d’attitude global a également été observé dans le groupe préparé par la FMP, puisqu’ils considéraient avoir amélioré leur capacité et leur manière de prendre en charge des situations médicales difficiles. Aspects biologiques des expériences de mort proche Les expériences vécues dans des états proches de la mort (near-death experiences, ou NDE) sont des événements psycholo- Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 8, octobre 2001 giques intenses, souvent accompagnés d’éléments mystiques et transcendantaux, et qui surviennent chez des personnes proches de la mort ou en situation de danger physique ou émotionnel intense. La réalité objective de ces expériences, dont on trouve quelques descriptions dès 1893, n’est plus contestée aujourd’hui, comme l’explique le Dr Reinsel. Elles semblent même beaucoup plus communes qu’on ne le pense, car beaucoup de personnes ayant vécu ce type d’expérience répugnent à s’en confier à leur médecin. Pis encore, nombre de médecins, au chevet de leur malade, ne savent rien de ce qui vient de se passer sous leurs yeux ! Plusieurs composantes se dégagent de ces expériences : la composante cognitive se manifeste par des phénomènes comme une distorsion du temps. Dans la composante affective, on retrouve des sentiments de paix, de joie, d’unité cosmique, d’ineffabilité. La composante paranormale s’exprime par la sensation d’être en dehors de son propre corps. L’aspect transcendantal est présent aussi, avec la sensation d’être dans un autre monde, de transcender son ego , d’être en union avec un principe divin ou un principe supérieur. Une sensation de vive lumière est aussi toujours ressentie. Des études rétrospectives démontrent que ces expériences peuvent être vécues par des sujets psychologiquement sains et à tout âge. Le Dr Greyson a passé en revue les diverses hypothèses psychologiques et/ou physiologiques susceptibles d’expliquer ce phénomène. Parmi les modèles psychologiques, citons la dissociation, l’absorption, l’imagination, le comportement de défense face à la peur de la mort et le souvenir de l’expérience de la naissance. Des modèles physiologiques, comme l’hypoxie, les hallucination induites métaboliquement, et des hypothèses neurochimiques (impliquant notamment le récepteur au NMDA et à la kétamine) et neuroanatomiques se proposent aussi d’expliquer les NDE. Toutefois, quoique la plupart des mécanismes proposés soient plausibles, il n’est pas encore véritablement démontré que ces phénomènes ont bien lieu dans des états proches de la mort. Et, de toute façon, même 238 s’il existe certains arguments en faveur de ces modèles physiologiques, ils nous laissent dans une situation philosophiquement ambiguë, dans la mesure où le fait de corréler un état cérébral avec une expérience donnée n’implique pas nécessairement que cet état cérébral ait provoqué la survenue de cette expérience subjective. Alternativement, l’état cérébral pourrait simplement refléter l’expérience ou permettre à cette expérience d’avoir lieu. Dans l’état actuel de nos connaissances, ce fossé explicatif ne peut pas être franchi. Ces expériences modifient profondément le vécu ultérieur des patients, leurs croyances et leurs valeurs. En particulier, la mort n’est plus considérée par eux désormais comme une fin, mais comme une transition qui ne leur fait plus peur, et les sujets déclarent n’avoir désormais plus d’intérêt pour la compétition ni le goût du pouvoir. Il est donc important pour le praticien d’être sensible à ces situations et de traiter avec respect l’expérience de ces sujets . Pour en savoir plus ✓ Ancelin ML, De Roquefeuil G, Ledesert B et al. Exposure to anaesthetic agents, cognitive functioning and depressive symptomatology in the elderly. Br J Psychiatry 2001 ; 178 : 360-66. Cette étude, réalisée à Montpellier, démontre que l’anesthésie peut provoquer des altérations à long terme de certaines fonctions cognitives chez les personnes âgées. Les sujets le plus à risque sont les plus âgés et ceux présentant des perturbations cognitives ou une dépression préopératoire. Voir aussi dans nos colonnes ✓ Cottraux J. Développements et recherches récentes dans les traitements psychologiques du stress post-traumatique. Act Med Int Psychiatrie 2001 ; 6 : 162-67. Aux divers types d’événements susceptibles de déclencher un PTSD répertoriés par le Dr Cottraux, il convient désormais d’ajouter les cas d’anesthésie au cours desquelles le patient a vécu un épisode conscient.