TRIBUNE Et l’AIT ? Mais que font nos instances représentatives ? “ U Pierre Amarenco n peu partout dans le monde, les cliniques d’AIT (accident ischémique transitoire) poussent comme des champignons. La raison ? Les recommandations publiées par le NICE, en 2008, et l’ESO, la même année, puis par l’AHA/­ASA en 2009 et en 2011 (1-3) : les patients qui ont un AIT doivent être évalués sans délai (c’est-à-dire dans les quelques heures qui suivent la première consultation ­médicale), dans un lieu où l’on peut réaliser tous les examens complémentaires nécessaires à ce stade. Il s’agit d’examens cliniques neurologique et vasculaire : IRM cérébrale comprenant une IRM de diffusion − ou à défaut un scanner cérébral −, une é­ chographie-Doppler cervicale et transcrânienne − ou un angioscanner des artères cérébrales −, une exploration cardiaque avec au minimum un examen clinique et un ECG, souvent suivis d’un holter ECG et d’une échographie cardiaque, qui, selon les circonstances cliniques, peuvent être repoussés dans les jours suivants. L’enjeu, démontré par 2 études publiées en 2007 et confirmé depuis lors par d’autres, est que cette prise en charge rapide et dédiée du patient atteint d’un AIT réduit le risque d’AVC (accident vasculaire cérébral) constitué à 3 mois de 80 % (4, 5). Service de neurologie, hôpital Bichat, Paris. Cet intérêt pour l’AIT, renouvelé par ces prises en charge innovantes et efficaces, s’est traduit par de très nombreux papiers publiés par les journaux de neurologie vasculaire, et par un regain d’intérêt pour les essais thérapeutiques dans ce domaine qui avaient été délaissés depuis le DUTCH-TIA Trial, le SALT Trial et le UK-TIA Trial. Voici que le CHANCE Trial vient d’être rapporté à l’International Stroke Conference de l’American Stroke Association (6). Réalisé en Chine, pays dans lequel le concept de clinique d’AIT s’est répandu comme une traînée de poudre, cet essai a randomisé en 18 mois plus de 5 000 patients ayant eu un AIT depuis moins de 24 heures, soit sous clopidogrel-aspirine, soit sous aspirine seule pendant 21 jours suivi de clopidogrel HR = 0,68 (IC95 : 0,57-0,81) ; p < 0,001 versus aspirine pendant le reste des 90 jours. Après 3 mois, 1,00 le risque d’AVC est diminué de 32 % (HR = 0,68 ; IC95 : 0,95 0,57-0,81 [p < 0,001]), sans augmentation du risque d’héClopidogrel-aspirine morragie cérébrale ou d’hémorragie systémique (figure). 1,0 0,8 0,6 0,4 0,90 Aspirine 0,2 0,0 0,85 0 2 586 2 584 0 30 60 90 30 60 Jours depuis la randomisation 90 2 307 2 376 1 906 1 989 2 287 2 361 L’essai POINT, mené aux États-Unis et dans quelques autres pays, devrait répondre à la même question : il inclut une population principalement caucasienne dans les 12 heures qui suivent les premiers symptômes d’un AIT. Enfin, l’essai SOCRATES va prochainement randomiser 9 800 patients qui ont eu des symptômes d’AIT depuis moins de 24 heures entre aspirine-clopidogrel et La Lettre du Neurologue • Vol. XVII - n° 5-6 - mai-juin 2013 | 155 TRIBUNE aspirine-ticagrelor, le nouvel i­nhibiteur P2Y12, antagoniste de l’adénosine diphosphate (ADP), qui s’est montré supérieur au clopidogrel dans le syndrome coronaire aigu (étude PLATO). Un peu partout dans le monde, sauf… en France, où nos instances sont restées inertes sur ce problème. Avez-vous lu des recommandations françaises sur le développement de cliniques d’AIT comme l’a fait le NICE au Royaume-Uni ? Des groupes de travail ont-ils été mis en place par grands thèmes de prise en charge de l’AIT ou de l’AVC ? Une élaboration de critères de bon fonctionnement des unités neurovasculaires (UNV) a-t-elle été proposée pour ne pas se faire imposer les critères affligeants de pauvreté de la HAS, ni faits ni à faire ? Rien… le vide ! 1. National Institute for Health and Clinical Excellence. Stroke: diagnosis and initial management of acute stroke and transient ischaemic attack (TIA). NICE clinical guideline 68, 23 July 2008 www.nice.org.uk/nicemedia/live/12018/41331/41331.pdf 2. Easton JD, Saver JL, Albers GW et al. Definition and evaluation of transient ischemic attack: a scientific statement for healthcare professionals from the American Heart Association/American Stroke Association Stroke Council; Council on Cardiovascular Surgery and Anesthesia; Council on Cardiovascular Radiology and Intervention; Council on Cardiovascular Nursing; and the Interdisciplinary Council on Peripheral Vascular Disease. The American Academy of Neurology affirms the value of this statement as an educational tool for neurologists. Stroke 2009;40(6):2276-93. 3. Furie KL, Kasner SE, Adams RJ et al. Guidelines for the prevention of stroke in patients with stroke or transient ischemic attack: a guideline for healthcare professionals from the american heart association/ american stroke association. Stroke 2011;42(1):227-76. 4. Lavallée PC, Meseguer E, Abboud H et al. A transient ischaemic attack clinic with round-the-clock access (SOS-TIA): feasibility and effects. Lancet Neurol 2007;6(11):953-60. 5. Rothwell PM, Giles MF, Chandratheva A et al. Effect of urgent treatment of transient ischaemic attack and minor stroke on early recurrent stroke (EXPRESS study): a prospective population-based sequential comparison. Lancet 2007;370(9596):1432-42. 6. Wang Y et al. Chance trial. Presented at the International Stroke Conference, February 8th, 2013. Honolulu, Hawaï, United-States. Qu’entend-on en France sur le concept de clinique d’AIT ? “Est-ce vraiment utile ?”, “Les patients avec un AIT ne sont-ils pas déjà pris en charge par les UNV ?”, “On les prend déjà en charge tous les jours en consultation”… Cette “cécité” n’est malheureusement pas transitoire. Depuis 2008, aucune clinique d’AIT dédiée n’a vu le jour en France dans les UNV. Et les patients continuent de “galérer” dans les services d’urgences qui ne sont pas organisés pour recevoir ces malades, par définition ambulatoires, ou bien ces patients sont pris en charge par des circuits ambulatoires qui repoussent les examens complémentaires urgents de plusieurs jours en moyenne, au risque de les exposer à un AVC entre-temps (les premières 48 heures et les premiers 8 jours comportent le risque le plus élevé, comme l’essai CHANCE vient encore de le montrer). Pourquoi ? Parce que lorsqu’un médecin généraliste, un ophtalmologiste ou un cardiologue qui voit un patient souffrant d’AIT dans son cabinet veut l’adresser à une structure spécialisée, celle-ci ne peut le recevoir que plusieurs jours plus tard en consultation, ou doit les programmer pour une hospitalisation, ou n’a pas de lit pour les accueillir, ou parce que c’est après 17 heures et que les médecins neurologues ne sont plus disponibles… Bref, l’AIT n’est pas considéré, dans la réalité de tous les jours par les UNV, comme des urgences prioritaires que l’on ne peut pas refuser ! Oh bien sûr, on en admet sans doute beaucoup en urgence. Oui mais pas 100 %, et même très loin de là. La durée moyenne de séjour est de 6 jours selon le PMSI, alors qu’elle est de moins de 1 jour dans une clinique d’AIT dédiée. La France a été l’un des derniers pays à mettre en place des unités de soins intensifs neurovasculaires un peu partout sur le territoire (on considérait à l’époque que ces patients étaient déjà pris en charge dans les services de neurologie ou de médecine interne et que, de toutes les façons, il n’y avaient pas grand-chose à faire pour eux), quand les pays anglo-saxons et nordiques l’avaient fait avec une décennie d’avance. Les recommandations anglosaxonnes récentes reconnaissent que la création de cliniques d’AIT dédiées, à côté ou au sein des UNV, est efficace. En France, rien ne change, rien ne bouge : les patients continuent de faire des infarctus cérébraux après des AIT alors que s’ils avaient été pris en charge immédiatement après la première consultation dans une clinique d’AIT dédiée, ces accidents auraient pu être évités. 156 | La Lettre du Neurologue • Vol. XVII - n° 5-6 - mai-juin 2013 ”