n° 101 fiche technique E. Ellie* Sous la responsabilité de son auteur Accident ischémique transitoire U n accident ischémique transitoire (AIT) précède, le plus souvent dans les 48 heures, la survenue d’un accident vasculaire cérébral (AVC) dans 20 % des cas. Il représente donc une urgence, diagnostique et thérapeutique, qui offre une chance unique de mettre en place les traitements qui permettront de réduire le risque de survenue d’un AVC constitué. Pour autant, l’AIT demeure une pathologie de diagnostic difficile, d’apparence bénigne, qui demeure mal connue du public et de nombre de médecins. Tableau I. Clinique. Symptômes évocateurs d’un AVC en territoire carotidien Cécité monoculaire Trouble du langage (aphasie) Troubles moteurs et/ou sensitifs unilatéraux touchant la face et/ou les membres Symptômes évocateurs d’un AVC en territoire vertébrobasilaire Perte de vision dans un hémichamp visuel homonyme ou les 2 (cécité corticale) Qu’est-ce qu’un AIT ? L’AIT est désormais défini comme “un épisode bref de dysfonction neurologique dû à une ischémie focale cérébrale ou rétinienne, dont les symptômes cliniques durent typiquement moins de 1 heure, sans preuve d’infarctus aigu” (1). Ce qui a changé : ▸ ▸ la durée des symptômes a été réduite à moins de 1 heure ; ▸ ▸ une imagerie cérébrale est nécessaire pour éliminer un infarctus constitué récent. La fréquence de l’AIT reste difficile à évaluer : elle dépend des critères cliniques (modifiés au fil des ans), des modalités d’exploration radiologique, des populations de patients, des investigateurs, etc. En France, on estime l’incidence des AIT de 0,5 à 1/1 000 habitants/an, soit 30 à 60 000 cas chaque année, les trois quarts des sujets ayant plus de 75 ans, et la population touchée étant plus souvent masculine. Quels sont les éléments du diagnostic clinique ? Par définition, l’examen neurologique sera normal, et seul l’interrogatoire du patient et/ou de l’entourage sera informatif (tableau I). D’autres symptômes sont compatibles avec un AIT, en particulier s’ils sont associés entre eux, généralement pas s’ils sont isolés (vertiges, diplopie, dysarthrie, troubles de la déglutition, perte de l’équilibre, troubles sensitifs ne touchant qu’une partie d’un membre) [1]. Certaines caractéristiques orientent vers un (véritable) AIT : ▸ ▸ l’installation soudaine (moins de 1 minute) ; ▸ ▸ l’absence d’antécédents similaires ; ▸ ▸ l’absence de signes aspécifiques (lipothymie, confusion ou malaise) [2]. Dans la réalité, c’est encore un diagnostic subjectif et opérateurdépendant. Ainsi, pour des patients présentant des signes focaux transitoires, considérés comme des AIT en médecine générale ou aux urgences, le neurologue ne retiendra un mécanisme vasculaire que moins de 1 fois sur 2 (2), et même parmi des neurologues entraînés, la concordance diagnostique reste médiocre (3). Quels sont les diagnostics différentiels ? Certains sont fréquents et plus spécifiquement neurologiques comme la migraine avec aura, les crises focales, l’amnésie globale transitoire ou le vertige positionnel paroxystique. D’autres sont plus rares, comme une atteinte du système nerveux périphérique, une myasthénie, une narcolepsie ou l’exceptionnelle paralysie périodique. * Service de neurologie, centre hospitalier de la Côte Basque, Bayonne. F I C H E À D É T A C H E R Quelle est la fréquence de l’AIT ? Troubles moteurs/sensitifs bilatéraux ou à bascule touchant la face/les membres La Lettre du Neurologue • Vol. XIV - n° 11 - décembre 2010 | 371 Quel est le risque de survenue d’un AVC ? Le risque augmente avec le temps (il est globalement de 3 % à 2 jours, de 5 % à 7 jours, de 8 % à 30 jours et de 10 % à 3 mois), mais la majorité des AVC survient tôt, dans les 72 premières heures (5). Ce risque, très hétérogène, a conduit à évaluer le poids respectif de différents facteurs. Le score le plus utilisé est l’ABCD2, qui peut varier de 0 à 7 (tableau II). Quel bilan réaliser devant une suspicion d’AIT ? Il doit être axé sur le dépistage urgent d’étiologies accessibles à un traitement, au premier rang desquelles la sténose carotidienne et la fibrillation atriale. Il comportera un bilan biologique usuel, un ECG (au mieux une télémétrie), une imagerie cérébrale et l’évaluation des vaisseaux cervicaux et intracrâniens. Si le scanner cérébral associé à l’écho-Doppler des vaisseaux cervicaux (et parfois au Doppler TC) est encore le plus souvent réalisé, c’est l’IRM (associée à une ARM des vaisseaux cervicaux et intracrâniens) qu’il faut privilégier (1). Elle montre, dans 40 % des cas, des hypersignaux (HS) en diffusion qui correspondent à de petits infarctus récents ou ministrokes. Cela les distingue de fait des AIT, mais leur présence valide l’origine vasculaire des symptômes et justifie un bilan étiologique et un traitement comparables. Deux éléments ont une importante valeur pronostique : ▸ ▸ la présence d’HS en diffusion multiplie par 8 le risque d’un nouvel AVC à J90 (9) ; ▸ ▸ parmi les multiples causes d’AIT, c’est la présence d’une sténose artérielle athéromateuse (notamment carotide) qui comporte le risque le plus élevé d’AVC précoce, corrélé à la sévérité de cette sténose, ce qui impose une exploration vasculaire immédiate (figure). Tableau II. Le score ABCD2. A (âge) – > 60 ans : 1 point B (pression artérielle) – PAS > 140 mmHg et/ou PAD > 90 mmHg : 1 point C (clinique) – Déficit moteur unilatéral : 2 points Trouble du langage sans déficit moteur : 1 point Autres symptômes : 0 point D (durée) – Plus de 60 minutes : 2 points De 10 à 60 minutes : 1 point Moins de 10 minutes : 0 point D (diabète) : 1 point – De 0 à 3, le risque d’AVC s’établit à 1 % à J2, 1,2 % à J7, 3,1 % à J90 – Pour un score de 4 à 5, il est de 4,1 % à J2, 5,9 % à J7 et 9,8 % à J90 – Pour un score de 6 à 7, il atteint 8,1 % à J2, 11,7 % à J7 et 17,8 % à J90 (6) R E H C A T É E H Une exploration immédiate est proposée pour les patients vus dans les 72 heures qui suivent l’AIT si le score ABCD 2 est supérieur à 2 (États-Unis) ou à 3 (Royaume-Uni). Pour les autres, une évaluation C Dans quel délai ? À D La réalisation d’une échocardiographie par voie transthoracique ou transœsophagienne sera envisagée secondairement (ou fonction du contexte), avec le nécessaire bilan de la maladie athéromateuse, dont l’AIT est un excellent marqueur. I Ce score est simple, reproductible et validé dans des populations diverses, mais pas forcément à l’échelon individuel. Il a une relative valeur diagnostique (les scores les plus élevés s’observent surtout pour les “vrais” AIT) et pronostique, en stratifiant le risque d’un éventuel AVC, dont la sévérité sera aussi corrélée au score ABCD2, comme la durée d’hospitalisation et son coût global. La valeur prédictive est bonne pour les scores élevés et lorsque les patients sont examinés par des non-spécialistes. Elle l’est beaucoup moins lorsque le diagnostic d’AIT a été évoqué par un neurologue, et pour les scores moins élevés, qui ne doivent pas rassurer à tort. Ainsi, 25 % des patients qui présenteront un AVC avant J90 peuvent avoir un score initial inférieur à 4 (7). Pour ce même score (0-3), une cause qui nécessite un traitement urgent a été objectivée chez 20 % des patients de SOS-AIT (8). Dès lors, il semble indispensable de compléter ce score ABCD2 par le résultat des investigations paracliniques. Figure. Déficit moteur hémicorporel droit très modéré, prédominant à la jambe, ayant duré 20 minutes chez un homme de 73 ans. Découverte d’hypersignaux compatibles avec un AVC en territoire jonctionnel sur la séquence en diffusion et d’une sténose serrée d’origine athéromateuse de la carotide G. F fiche technique n° 101 D’autres erreurs diagnostiques surviennent parfois avec une syncope d’origine cardiaque, une hypoglycémie, une confusion d’origine métabolique, un malaise d’origine psychogène, etc. Certains déficits transitoires bénéficieront particulièrement de la pratique d’une imagerie cérébrale car ils peuvent révéler des pathologies aussi diverses qu’une sclérose en plaques, une tumeur, une malformation vasculaire, un hématome sous-dural ou une hémorragie méningée (4). En matière de chute de l’acuité visuelle, il faudra écarter un glaucome aigu, un œdème papillaire, une névrite optique, une thrombose veineuse rétinienne, une hypertension artérielle maligne, etc. 372 | La Lettre du Neurologue • Vol. XIV - n° 11 - décembre 2010 Dans quelle structure ? Quel que soit le lieu où sera effectué le bilan (clinique d’AIT, hospitalisation de jour, unité de soins intensifs neurovasculaires [USINV]), il doit être immédiatement disponible et permettre : ▸ ▸ l’accès à une expertise de neurologie vasculaire ; ▸ ▸ la réalisation des explorations (cérébrovasculaires et cardiologiques) ; ▸ ▸ la mise en place des traitements ; ▸ ▸ le transfert immédiat en USINV pour thrombolyse si un AVC survient précocement. Un temps d’explication des symptômes et d’éducation thérapeutique sera indispensable pour une bonne observance, seule garante de l’efficacité d’un traitement de prévention secondaire. La durée totale ne devrait pas excéder 48 heures. Quel traitement mettre en œuvre ? Une évaluation rapide et précoce de l’AIT, qui permet de commencer un traitement adapté, réduit le risque (théorique) d’AVC à 3 mois de 80 % (10). Il reste à démontrer cependant que ce bénéfice se maintient à plus long terme. Cette approche est également rentable en termes de santé publique, puisqu’elle réduit considérablement la durée d’hospitalisation, mais le choix des patients à hospitaliser reste délicat en raison des limites du score ABCD2 et de la nécessité de le compléter par des données IRM et étiologiques, dont on ne dispose pas avant d’avoir réalisé les investigations… Quel peut être l’avenir ? ✓ La validation au sein de différentes populations, et entre les mains de divers spécialistes, de nouveaux scores prédictifs très récemment élaborés qui intègrent notamment les données radiologiques (11, 12) : ainsi ABCD3 (qui rajoute 2 points si le patient a présenté un autre AIT dans les 7 jours qui précèdent l’événement diagnostiqué), ABCD2-I (en cas d’infarctus objectivé au scanner ou à l’IRM), ou ABCD3-I (où la présence d’une sténose carotide de plus de 50 % et celle d’hypersignaux en diffusion rajoutent chacune 2 points, pour un score maximum qui passe alors à 13 !). ✓ La démonstration de l’efficacité, à court et moyen terme, de stratégies thérapeutiques fondées sur l’utilisation de ce score. ✓ Le développement de structures d’évaluation rapide, permettant un accès facile, mais régulé conjointement par les neurologues et les radiologues, aux indispensables explorations complémentaires. ■ Références bibliographiques 1. Recommandations pour la pratique clinique. Prise en charge diagnostique et traitement immédiat de l’accident ischémique transitoire de l’adulte. ANAES, mai 2004. 2. Prabhakaran S, Silver AJ, Warrior L et al. Misdiagnosis of transient ischemic attacks in the emergency room. Cerebrovasc Dis 2008;26:630-5. 3. Castle J, Mlynash M, Lee K et al. Agreement regarding diagnosis of transient ischemic attack fairly low among stroke-trained neurologists. Stroke 2010; 41:1367-10. 4. Izenberg A, Aviv RI, Demaerschalk BM et al. Crescendo transient aura attacks: a transient ischemic attack mimic caused by focal subarachnoid hemorrhage. Stroke 2009; 40:3725-9. 5. Giles MF, Rothwell PM. Risk of stroke early after transient ischaemic attack: a systematic review and metaanalysis. Lancet Neurol 2007;6:1063-72. 6. Johnston SC, Rothwell PM, Nguyen-Huynh MN et al. Validation and refinement of scores to predict very early stroke risk after transient ischaemic attack. Lancet 2007; 369:283-92. 7. Sheehan OC, Kyne L, Kelly LA et al. Populationbased study of ABCD2 score, carotid stenosis, and atrial fibrillation for early stroke prediction after transient ischemic attack: the North Dublin TIA study. Stroke 2010;41:44-50. 8. Amarenco P, Labreuche J, Lavallée PC et al. Does ABCD2 score below 4 allow more time to evaluate patients with a transient ischemic attack? Stroke 2009;40:3091-5. 9. Calvet D, Touzé E, Oppenheim C et al. DWI lesions and TIA etiology improve the prediction of stroke after TIA. Stroke 2009;40:187-92. 10. Lavallée PC, Meseguer E, Abboud H et al. A transient ischaemic attack clinic with round-the-clock access (SOSTIA): feasibility and effects. Lancet Neurol 2007;6:953-60. 11. Giles MF, Albers GW, Amarenco P et al. Addition of brain infarction to the ABCD2 score (ABCD2-I): a collaborative analysis of unpublished data on 4574 patients. Stroke 2010;41:1907-13. 12. Merwick A, Albers GW, Amarenco P et al. Addition of brain and carotid imaging to the ABCD2 score to identify patients at early risk of stroke after transient ischaemic attack: a multicentre observational study. Lancet Neurol 2010;9:1060-9. F I C H E À D É T A C H E R Il sera adapté aux résultats du bilan étiologique, en privilégiant le traitement chirurgical urgent d’une sténose carotidienne d’origine athéromateuse (dont le bénéfice est moindre au-delà de 2 semaines), la mise sous anticoagulants en cas de fibrillation atriale, et l’association chez une majorité de patients d’antiplaquettaires, d’antihypertenseurs et de statines. Quel bénéfice en attendre ? La Lettre du Neurologue • Vol. XIV - n° 11 - décembre 2010 | 373 fiche technique n° 101 moins urgente, sur la base de rendez-vous externes (de 2 à 7 jours) serait envisageable. Pour autant, un score ABCD2 moins élevé peut être faussement rassurant, et si le diagnostic d’AIT a bien été confirmé par un neurologue, des investigations rapides sont indispensables.