ARTICLE ORIGINAL Progrès en Urologie (2000), 10, 1156-1160 Atteinte urétérale après chirurgie du carrefour aortique. A propos de 6 cas Luc CLEMENS, Stéphane BERNARDINI, Eric CHABANNES, François DEBIERE, Hugues BITTARD Service d’Urologie, CHR Saint-Jacques, Besançon, France RESUME But : Le but de cette étude est d’évaluer la prise en charge et les possibilités thérapeutiques actuelles des complications urétérales après chirurgie vasculaire; Patients et Méthode : 6 pati ents ont été pris en charge entre 1990 et 1998 (âge moyen: 64,7 ans) pour complication urétérale après chirurgi e du carrefour aortique. Le délai moyen entre la chirurgie vascul aire et la prise en charge urologique était de 11,6 ans (± 4,04). Tous les patients ont eu une urographie intraveineuse (UIV), et 4 patients une tomodensitométrie (TDM) abdominale. Ces complications étaient : 2 sténoses urétérales, 1 péri-urétérite inflammatoire, 2 péri-urétérites chroniques et une compression par un pseudo-anévrisme. Le siège était iliaque dans tous les cas. Résultats : le traitement a été une pose de sonde JJ provisoire (n=1), une urétérolyse (n=1), une endo-dilatation (n=1), une reconstruction par vessie psoïque (n=1) et une corticothérapie (n=2). Il y a eu 4 succès, un échec (corticothérapie), et un décès pour une autre cause. Conclusion : L’atteinte urétérale après chirurgie vasculaire est une affection rare de découverte souvent fortuite. L’atteinte iliaque est prédominante. L’UIV et la TDM sont les examens paracliniques de référence. Les possibilités thérapeutiques dépendent en premier lieu de l’état général du patient. Mots clés : Sténose urétérale, chirurgie vasculaire, complications, traitement. La chirurgie vasculaire est la 3ème cause de lésions urétérales après la chirurgie gynécologique et la chirurgie digestive, avec moins de 1,75% d’atteinte urétérale de toute la chirurgie pelvienne [3]. Ces lésions évoluent en trois stades après chirurgie vasculaire : aigu, subaigu et chronique. Seuls 30% des traumatismes urétéraux sont reconnus durant l’intervention, la majorité des cas évoluant sur un mode chronique [30]. dans les antécédents vasculaires 3 prothèses du carrefour aortique, un pontage iliaque et un patch iliaque d’agrandissement. Le matériel utilisé était du Dacron, dans tous les cas. Le but de ce travail à travers 6 observations a été d’étudier ces complications urétérales et les différentes possibilités thérapeutiques pouvant être appliquées. Une urographie intraveineuse (UIV) était réalisée dans tous les cas, le scanner abdominal (TDM) pour 4 cas, une urétéropyélographie rétrograde (UPR) pour 2 cas et une scintigraphie rénale pour 4 cas. La scintigraphie était demandée en cas d’insuffisance rénale avant la prise en charge urologique (n=3) et pour un cas, après 1 an de corticoïdes (patient n°4). MATERIEL ET METHODE Notre étude s’intéressait aux possibilités thérapeutiques en fonction du délai d’apparition de la sténose urétérale et de la chirurgie vasculaire, de sa longueur, et de l’état général du patient. 6 patients ont été pris en charge entre 1990 et 1998. La moyenne d’âge était de 64,6 ans ± 8,21 (extrêmes : 52 ans-75 ans). On notait Dans un cas, il s’agissait d’une péri-urétérite au stade subaigu. Pour les 5 autres patients, il s’agissait d’une évolution chronique. Le délai écoulé avant le diagnostic était de 11,6 ans ± 4,04. Manuscrit reçu : janvier 2000, accepté : juin 2000. 1156 Adresse pour correspondance : Dr. L. Clemens, Service d’Urologie, CHR SaintJacques, 2, place Saint-Jacques, 25030 Besançon Cedex. L. Clemens et coll., Progrès en Urologie (2000), 10, 1156-1160 Le succès thérapeutique a été défini sur plusieurs critères : évolution clinique, disparition de la sténose et de la dilatation sus-jacente. RESULTATS Les résultats sont résumés dans le Tableau 1. Les coliques néphrétiques étaient révélatrices pour 4 cas, une septicémie à E. coli pour un cas et une découverte fortuite dans le cadre d’un bilan de suivi d’un EOA buccal. L’examen clinique en dehors de la pathologie révélatrice était sans particularité. L’UIV mettait en évidence l’obstacle dans tous les cas. L’UPR était réalisée quand existait un doute sur sa longueur. L’aspect radiographique sténotique était commun aux sténoses, aux péri-urétérites (subaiguës ou chroniques) et aux compressions extrinsèques. L’obstacle était iliaque court pour 4 cas et ilio-pelvien, supérieur à 2 cm pour les 2 autres. Le scanner abdominal était demandé pour étudier la position de l’uretère par rapport à la prothèse et/ou pour bilan étiologique. Il s’agissait d’une sténose pure (n=2), d’une péri-urétérite inflammatoire subaiguë (n=1), d’une péri-urétérite chronique ou fibrose engaînante (n=2) et d’une com- pression par un pseudo anévrisme (n=1) (Figure 1). Le traitement était médical par corticoïdes (n=2), endoscopique (n=2) et chirurgical (n=2). Le traitement endoscopique a consisté en une dérivation provisoire par sonde JJ et une dilatation endoscopique par ballonnet à haute pression. Le traitement chirurgical a été réalisé pour fibrose engaînante longue de l’uretère (n=2). Il consistait en une urétérolyse et une vessie psoïque. Les résultats de la corticothérapie se sont soldés par le décès d’un patient après un mois de prescription (évolution carcinologique de l’EOA buccal) et un échec. Au total , sur 6 patients, nous notons 4 succès, un échec et une évolution inconnue par le décès du patient d’une autre cause qu’urologique. Nous n’avons noté aucune altération de la fonction rénale après chirurgie. Le recul total était de 2,18 ans. DISCUSSION Les complications urétérales secondaires à la chirurgie vasculaire sont rares (0,5% à 5%) [26, 27, 29, 30]. Seulement 6 patients en ont présenté depuis la pose de prothèse vasculaire dans notre centre hospitalier. Toute découverte de lésion urétérale doit être prise en comp- Tableau 1. Patients présentant une complication urétérale après chirurgie du carrefour aortique. Données cliniques. Patients Age (ans) Chirurgie vasculaire Atteinte urétérale Intervalle (évolution) Lésion Clinique Localisation Traitement N° 1 75 1983 Patch 1995 12 ans (chronique) Compression par pseudoanévrisme Coliques néphrétiques Iliopelvienne Urétérolyse 1 an Succès N° 2 63 1988 prothèse aortobifémorale Dacron® 1995 7 ans Sténose (chronique) Coliques Iliaque néphrétiques Endodilatation 2 ans Succès N° 3 65 1985 prothèse aortobifémorale Dacron® 1996 11 ans (chronique) Sténose Découverte fortuite Iliaque C orticoïdes 1 mois N° 4 52 1985 prothèse aortobifémorale Dacron® 1995 10 ans (chronique) Péri-urétérite (fibrose engainante) Coliques néphrétiques Iliaque Corticoïdes 1 an Echec Perdu de vue N° 5 72 1990 Prothèse aortique Dacron® 1990 1 mois (sub-aigu) Péri-urétérite inflammatoire Septicémie à E. Coli Iliaque JJ provisoire 8 ans Succès N° 6 61 1980 Pontage iliaque Dacron® 1998 18 ans (chronique) Péri-urétérite (fibrose engainante) Coliques néphrétiques Iliopelvienne Vessie psoïque 1 an Succès 1157 Recul Résultat DCD autre cause L. Clemens et coll., Progrès en Urologie (2000), 10, 1156-1160 se engaînante ou de compression par un corps extrinsèque (bras de prothèse, pseudo-anévrisme). Au stade chronique, les fibroses engaînantes et sténoses ont la même prise en charge qui dépendra de la longueur de l’obstacle, de l’état fonctionnel du rein sus-jacent et de l’état général du patient. Pour faciliter la compréhension de ce travail, le mot sténose désignera ces 2 états. Le délai avant le diagnostic des lésions chroniques dans notre série est de 11 ans en moyenne. Elles sont souvent sous-estimées car asymptomatiques, avec une évolution de 10 à 15 ans après intervention vasculaire [21, 30)] La découverte est souvent fortuite et justifierait d’une surveillance à vie pour ces patients [21, 30]. Quand elle existe, la symptomatologie clinique est variée. La colique néphrétique en est le signe révélateur le plus fréquent (n=4) [27]. Il semblerait que le Dacron® soit un facteur péjoratif supplémentaire par la fibrose réactionnelle à son contact [18, 25, 30]. Figure 1. Volumineux pseudo-anévrisme révélé par une crise de colique néphrétique. L’uretère roule en avant sur la masse anévrismale : urétérolyse et cure du pseudo-anévrisme dans le même temps opératoire. te car l’incidence de la néphrectomie est de 32% en cas de diagnostic tardif contre 4,5% dans les cas précocement dépistés [3, 14)] L’âge moyen de notre groupe correspond à celui d’une population vasculaire [10, 21]. On distingue 3 types de lésions dans le temps qui entraînent des traitements différents : les atteintes aiguës, subaiguës et chroniques. Les lésions aiguës apparaissent dans le mois post-opératoire. Il s’agit des sections ou microtraumatismes. La plupart sont méconnues pour 30% des cas et évoluent sur le mode chronique. La résection/suture est le traitement le plus adapté [3, 34] Le risque de blessure peut être diminué par la mise en place de sondes urétérales en préopératoire dans les cas difficiles [30]. Pour BENNANI et ROBERT, ce cathétérisme augmenterait la rigidité urétérale et les risques de traumatisme par l’opérateur [3, 29]. L’alternative est proposée par FRY avec une injection de bleu indigo carmin en per-opératoire [14]. Les lésions subaiguës sont des péri-urétérites secondaires à une inflammation rétropéritonéale et urétérale. Ell es apparaissent après le mois post -opératoire. L’abstention thérapeutique est la règle, les lésions disparaissant dans l’année [5, 16, 30]. Seules les complications infectieuses, comme a présenté le patient n°5, ou algique doivent être traitées par une dérivation provisoire. Les lésions chroniques se développent après la première année. Il s’agit de sténose, de péri-urétérite par fibro- L’échographie est un examen incontournable objectivant l’urétéro-hydronéphrose, permettant un suivi peu agressif. L’UIV (n=6) et la TDM abdominale (n=4) sont essentielles au diagnostic. L’UIV objective dans 90% des cas l’obstacle urétéral [3, 5, 13]. La TDM précise son siège et sa nature [8, 13]. Elle peut étudier la position de la prothèse vasculaire par rapport à l’uretère, et toute autre cause d’obstruction extrinsèque [30]. L’UPR (n=2) situe l’obstacle, son niveau, sa longueur et l’état de l’uretère en aval de la lésion en complément de l’UIV [3, 10, 14]. L’atteinte iliaque est particulière à la chirurgie vasculaire [3, 29]. Ces examens morphologiques permettent l’évaluation approximative de la valeur fonctionnelle rénale [22, 24]. Ils seront probablement dépassés par l’angio-IRM couplée à l’uroIRM (URM) qui ne nécessite ni irradiation ni d’injection de produit de contraste [28]. Des coupes en reconstruction 2D et 3D, plus performantes, permettent en séquence T1 l’analyse du carrefour aortique et de ses branches. La sensibilité est supérieure ou au moins égale à l’artériographie [19, 28]. Le même examen en séquence T2 étudie le tractus urinaire, détecte l’obstruction, analyse l’uretère et le milieu péri-urétéral avec une sensibilité de 88% à 100% [7, 23]. Cet examen est particulièrement utile pour les étiologies inflammatoires péri-urétérales [17]. L’IRM permettrait d’évaluer dans le même temps la fonction rénale [32]. Les corticoïdes représentent le traitement médical (n=2). Si FELDBERG les défend en alternative à la chirurgie, la plupart des auteurs les rejettent face aux risques de fistules secondaires ou de sepsis grave et leur inefficacité au stade chronique [5, 12, 16, 30]. Au vu de la littérature et de notre série, nous pensons que la corticothérapie demeure utile dans 2 cas : en préopératoire afin de réduire la gangue inflammatoire périurétérale, et en période subaiguë. Elle est alors surtout efficace au premier semestre et pourraient prévenir les risques de fibroses secondaires [5, 12, 16]. Leur 1158 L. Clemens et coll., Progrès en Urologie (2000), 10, 1156-1160 meilleure place nous semble être une aide à la préparation de l’intervention comme HUBEN le préconise [16]. Nous n’avons pas choisi le drainage à demeure par sonde JJ devant les risques de drainage à long terme [2, 11, 33]. L’indication de maintenir une sonde JJ en traitement définitif doit être posée devant l’impossibilité d’appliquer d’autres moyens thérapeutiques [29, 33]. Le meilleur traitement des sténoses courtes en première intention est la dilatation au ballonnet à haute pression. Elle est indiquée pour les sténoses inférieures à 2 cm (n=1). Cette technique cumule les avantages d’un coût d’utilisation modéré, une courte durée d’hospitalisation, une faible morbidité ne gênant pas une chirurgie de rattrapage [26]. Il n’y a pas de limite dans le nombre de séances [9]. Il semblerait que le paramètre le plus prédictif de succès soit la longueur de l’obstacle. Le succès est estimé à 100% à 5 ans par FLAM si il est inférieur à 1,5 cm [13]. L’importance du rétrécissement est le second critère de succès [33, 34]. Les autres facteurs sont l’absence de péri-urétérite et sa découverte récente depuis la chirurgie vasculaire [3, 20, 26, 27]. Les échecs surviennent pour 80% des cas dans les 3 premiers mois [18]. Le taux de succès à long terme diminue avec le recul. NETTO publie un taux de succès stable de 57% avec un recul moyen de 2 ans [26]. La récidive précoce est prédictive d’échec d’une nouvelle tentative [26, 27]. La dilatation peut être suivie d’une urétérotomie interne à lame froide ou thermique en dehors des zones au contact de prothèse vasculaire ou digestive [35]. YAMADA obtient des résultats satisfaisants avec 85% de succès avec un recul de 18 mois [35]. En cas d’échec, la chirurgie demeure la référence [13, 20, 27]. L’alternative est la résection/anastomose avec des résultats oscillants de 50% à 70% de succès à long terme [3, 14, 27]. Dans certains cas, une des branches de la prothèse vasculaire peut être placée en avant de l’uretère, réalisant une pince constrictive [5, 18]. La tactique opératoire est question d’école. L’intervention consiste soit en une reconstruction urétérale, soit vasculaire. Pour CUSSENOT, SCHEIN et WALJIN, la prothèse doit être sectionnée et placée en arrière de l’uretère en raison des risques infectieux, toujours possible dans un geste urinaire [24, 30, 31]. Pour BLASCO et K AUFMANN, le traitement est une résection/anastomose de l’uretère avec intrapéritonisation [9, 18]. Ce choix repose sur le risque septique et thrombotique de la prothèse par les manipulations chirurgicales, avec un contrôle et un clampage malaisés. CONCLUSION Les complications urétérales après chirurgie vasculaire sont une affection rare, de découverte souvent fortuite. Les formes chroniques asymptomatiques sont les plus fréquentes. Le bilan lésionnel comprend une UIV et une TDM abdominale et bientôt l’angio-IRM couplée à l’uro-IRM (URM). L’atteinte iliaque courte est la plus fréquente et doit être traitée, ou au moins suivie. Nous pensons que le traitement est chirurgical. Il repose en premier sur une endo-dilatation, peu agressive, qui n’empêche pas une chirurgie en cas d’échec dans un 2ème temps. L’exérèse/anastomose est la chirurgie des obstacles courts, la vessie psoïque, celle des obstacles longs. L’iléoplastie demeure excepti onnelle. L’utilisation de la sonde JJ à demeure doit se faire chez une population sélectionnée. Par notre expérience, nous réservons les corticoïdes à des cas biens définis et uniquement en vue d’une intervention. Souvent l’état général du patient limite les possibilités thérapeutiques. L’exérèse/réimplantation est proposée pour l’atteinte distale de l’uretère au niveau de la jonction urétérovésicale [3]. REFERENCES La réimplantation sur vessie psoïque est indiquée pour les atteintes distales et longues de l’uretère ilio-pelvien (n=1). Nous préférons cette technique au lambeau de Boari devant sa facilité de réalisation et le peu de complication (moins de 10% de complications contre 30%) [4, 20]. La technique de réimplantation n’est pas importante. Pour WITTERS , seule compte la création d’un trajet sous muqueux d’au moins 2 cm [34]. 1. ABOUTAIEB R., EL MOUSSAMI A., BENNANI S., MRINI M., BENJELLOUN S. Les urétéro-plasties. J. Urol. (Paris), 1996, 102, 57-59. 2. 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All patients were assessed by intravenous urography (IVU), and 4 patients were assessed by abdominal computed tomography (CT). These complications consisted of: 2 cases of ureteric ste nosis, 1 case of inflammatory peri-ureteritis, 2 cases of chronic peri-ureteritis and 1 case of compression by a false aneurysm. The lesion was situated in the iliac ureter in every case. Results: Treatment consisted of temporary double J stenting (n=1), ureter release (n=1), endoscopic dilatation (n=1), psoas bladder reconstruction (n=1) and corticosteroid therapy (n=2), with 4 successes, 1 failure (corticosteroid therapy), and 1 death from another cause. Conclusion: Ureteric lesion after vascular surgery is a rare complication, often discovered incidentally. The iliac ureter is predominantly affected. IVU and CT are the reference examina tions. Treatment options primarily depend on the patient's gene ral state. Key-words: Ureteric stenosis, vascular surgery, complications, treatment. ____________________ 1160