CAS CLINIQUE Mots-clés Syndrome coronarien aigu – Hémophilie – Arrêt cardiaque récupéré Keywords Acute coronary syndrome – Hemophilia – Sudden cardiac death Thrombose coronaire chez un hémophile Coronary thrombosis in an hemophilia patient L. Christiaen*, C. Le Feuvre* N ous présentons ici le cas d’un patient de 48 ans dont les antécédents se résument à un tabagisme actif à 30 paquets-années. Observation Son histoire commence en septembre 2009 par un accident de travail : une chute d’un échafaudage d’environ 4 mètres de hauteur. Cet échafaudage était situé dans la cour intérieure d’une caserne de pompiers. Les pompiers présents sur place et ayant assisté à la chute constatent immédiatement que le patient est en arrêt cardiorespiratoire et mettent en place un défibrillateur semi-automatique qui diagnostique une fibrillation ventriculaire (FV), réduite au deuxième choc électrique. Après intubation et stabilisation hémodynamique, le patient bénéficie d’un scanner corporel total, qui retrouve un épanchement périhépatique en rapport avec un saignement actif au niveau du segment 3 du foie. Une artério-embolisation de l’artère hépatique irriguant les segments 2 et 3 a été réalisée avant que le patient soit transféré en salle de coronarographie. Elle a révélé un athérome diffus, une plaque à 40 % du tronc commun distal et une subocclusion thrombotique du genu inferius TIMI 3 d’une CD dominante (figure 1). Après évaluation du risque hémorragique hépatique et thrombotique coronaire, une angioplastie de la coronaire droite au ballon seul (figure 2) a été décidée pour éviter d’administrer à ce patient une double antiagrégation plaquettaire. L’évolution en réanimation a été marquée par un choc septique sur une pneumopathie hypoxémiante de la base droite à Citrobacter freundii et Haemophilus influenzae, traitée par *Institut de cardiologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris. 30 | La Lettre du Cardiologue • n° 442 - février 2011 ▲ Figure 1. Lésion thrombotique du genu inferius de la coronaire droite. CAS CLINIQUE bi-antibiothérapie. Le patient a été sevré de catécholamines à J6 et extubé à J8. Il a reçu une transfusion de 2 culots globulaires. Du point de vue cardiologique, le pic de troponine a été à 1,01 UI, et l’échocardiographie cardiaque a retrouvé une FEVG conservée avec hypokinésie inférieure. Devant la persistance d’un syndrome confusionnel avec hallucinations, un scanner cérébral a été réalisé et a retrouvé un hématome frontal bilatéral sous-dural, qui a évolué favorablement sans intervention chirurgicale. Le patient a quitté l’hôpital à J15, sans aucune séquelle neurologique ni cardiaque, avec une ordonnance comportant aspirine, IEC, bêtabloquant et statine. Le suivi en consultation ne retrouve aucune manifestation angineuse ni aucun signe d’insuffisance cardiaque droite ou gauche. En mars 2010, une coronarographie de réévaluation par voie radiale droite a été programmée en raison d’une scintigraphie myocardique d’effort litigieuse en territoire inférieur du cœur. Le résultat de l’angioplastie de la CD sans resténose était bon et la plaque du tronc commun distal était stable, à 40 % (figure 3). Après la procédure, un hématome superficiel et extensif est apparu au niveau du point de ponction, mais sans signe compressif. Le bilan d’hémostase était le suivant : TP = 100 % ; TCA = 43,5 pour un témoin à 34 sec, le facteur 8 était dosé à 23 %. Il s’agissait donc d’une hémophilie A mineure. À la reprise de l’interrogatoire, le patient a signalé de multiples épisodes d’hématomes post-traumatiques des membres inférieurs dans sa jeunesse. ▲ Figure 2. Résultat de l’angioplastie au ballon seul. Discussion Cette observation est atypique à plusieurs égards, et est en faveur d’un ange gardien veillant sur ce patient : fibrillation ventriculaire dans la cour d’une caserne de pompiers, réanimation immédiate, aucune séquelle neurologique ou cardiaque, évolution favorable de l’hémorragie hépatique et de l’hématome frontal bilatéral sans perfusion de facteur 8 et absence de resténose coronaire droite après angioplastie au ballon. On peut aussi s’interroger sur la chronologie des événements : la thrombose coronaire est-elle la cause du trouble du rythme ventriculaire et de la chute, ou bien est-ce la chute qui a entraîné la FV ? La première hypothèse semble la plus probable. La littérature indique que l’incidence des lésions coronaires est inférieure de 30 % chez les patients hémophiles par rapport à la population générale (1) ; de plus, la mortalité due aux cardiopathies ischémiques est inférieure de 36 % chez les patients hémophiles par rapport à la population générale (2). Enfin, la perfusion de facteur 7 ou 8 entraînerait un surrisque de thrombose coronaire (3). La déficience en facteur de la coagulation aurait-elle donc un effet protecteur ? ▲ Figure 3. Sept mois après l’angioplastie au ballon seul : pas de resténose. La Lettre du Cardiologue • n° 442 - février 2011 | 31 CAS CLINIQUE Comment gérer médicalement un syndrome coronarien aigu chez un hémophile (4) ? La base de la prise en charge consiste en une perfusion du facteur déficitaire afin d’obtenir un taux de 60 % environ. La voie d’abord radiale sera préférée à la voie fémorale et l’implantation d’un stent nu à celle d’un stent actif. L’utilisation de deux antiagrégants plaquettaires (5) est souvent possible, mais la perfusion d’anti-GP2b3a est plus discutée. La prise en charge d’un patient coronarien hémophile est un défi à la recherche d’un difficile équilibre entre risque thrombotique et hémorragique. Une étroite collaboration entre hématologistes et cardiologues est indispensable. Nous espérons que des études randomisées seront menées dans ce domaine. ■ Références bibliographiques 1. Kulkarni R, Soucie JM, Evatt BL; Hemophilia Surveillance System Project Investigators. Prevalence and risk factors for heart disease among males with hemophilia. Am J Hematol 2005;79(1):36-42. 2. Srámek A, Kriek M, Rosendaal FR. Decreased mortality of ischaemic heart disease among carriers of haemophilia. Lancet 2003;362(9381):351-4. 3. Girolami A, Ruzzon E, Fabris F, Varvarikis C, Sartori R, Girolami B. Myocardial infarction and other arterial occlusions in hemophilia a patients. A cardiological evaluation of all 42 cases reported in the literature. Acta Haematol 2006;116(2):120-5. 4. Coppola A, De Simone C, Di Capua M et al. Acute coronary syndrome and severe haemophilia: an unusual association with challenging treatment. Thromb Haemost 2010;103(6):1270-2. 5. Quintero D, Biria M, Meyers DG. Percutaneous coronary intervention in a patient with acute ST-elevation myocardial infarction and hemophilia A. J Invasive Cardiol 2008;20(5):240-1. Conclusion Depuis l’introduction des facteurs de la coagulation dans la prise en charge des patients hémophiles, leur espérance de vie est passée de 30 à plus de 70 ans et, bien que ces patients semblent être moins touchés par la maladie coronaire que la population générale, nous serons probablement de plus en plus souvent confrontés à de telles situations. Découvrez très prochainement le dossier : Prévention du diabète de type 2 Coordonné : par le Pr Emmanuel Cosson dans le numéro de janvier-février 2011 de 32 | La Lettre du Cardiologue • n° 442 - février 2011