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Transversal n° 38 septembre-octobre dossier
dossier par Victoire N’Sondé
une personne naïve de tout traitement est diagnostiquée comme
tuberculeuse et séropositive. « L’urgence est alors de traiter la
tuberculose», indique le DrFrançois-Xavier Blanc, pneumologue
à l’hôpital Bicêtre (Kremlin-Bicêtre). Le traitement contre la tuber-
culose est aujourd’hui bien codifié. Il est globalement le même
quelles que soient la forme de tuberculose rencontrée et la séro-
logie au VIH. Mais le schéma se complique quand il doit être
associé à des ARV. Tout d’abord, le traitement contre la tubercu-
lose est long (six mois minimum) et nécessite, comme pour la
prise en charge du VIH, la combinaison de plusieurs molécules. Ce
qui peut perturber l’observance. Ensuite, il existe des interactions
médicamenteuses entre ARV et antituberculeux. Par exemple,
l’association rifampicine (antituberculeux le plus puissant avec
l’isoniazide) et antiprotéases peut être à l’origine d’effets secon-
daires. Dans les pays en développement qui ont peu accès à cette
classe d’ARV, les praticiens ont davantage à gérer des interac-
tions avec des inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase
inverse. Enfin, la prise d’ARV par une personne traitée pour une
tuberculose active conduit parfois à une réaction immunitaire
«paradoxale», dénommée «syndrome de restauration immuni-
taire» (SRI)
1
. Cette réaction est observée dans les premiers mois
qui suivent la mise sous ARV. Le PrAutran étudie ce syndrome qui
surviendrait dans un cas sur deux. « En restaurant le taux de
CD4, on redonne au patient la capacité de se défendre contre le
BK, d’où un conflit immunologique. Le système immunitaire
redevient en mesure de créer des cavernes contre le BK, c’est
pourquoi on constate une exacerbation des lésions. C’est très
impressionnant, mais pas nécessairement grave. Le plus pro-
blématique est quand la tuberculose touche le cerveau, le péri-
toine ou d’autres organes fragiles avec un risque de rupture des
abcès. En tout cas, le SRI ne doit jamais être considéré comme
une rechute de la tuberculose. » Il est donc indispensable de
n’interrompre aucun traitement, ni contre le VIH ni contre le BK.
À noter que le SRI n’est pas spécifique de l’infection par le BK. On
l’observe également dans d’autres maladies opportunistes.
À quel moment introduire les ARV ? Face aux spécificités du
cotraitement tuberculose/VIH, la grande question est donc de
savoir quel est le moment le plus propice à l’introduction des
ARV. « Au-delà de 350 CD4 par mm3de sang, il faut d’abord
traiter la tuberculose. Vous avez tout le temps d’inclure les
ARV, répond François-Xavier Blanc. Entre 200 et 350 CD4,
c’est une zone un peu incertaine. Il faut considérer la prise
d’ARV, mais probablement attendre pour cela que soient pas-
sés les deux premiers mois du traitement antituberculeux ou
phase d’attaque.» En dessous de 200 CD4, la situation est cri-
tique. Et, actuellement, les recommandations internationales
officielles sont relativement floues. « Elles préconisent de com-
mencer les ARV entre deux semaines et huit semaines après
le début du traitement contre la tuberculose. Nous menons
l’un des rares essais qui tentera de répondre plus précisé-
ment à cette question, informe François-Xavier Blanc, inves-
tigateur principal de l’étude. Il s’agit de l’essai Camelia (ANRS
1295-CIPRA KH001) au Cambodge, qui est l’un des pays
comptant le plus de personnes atteintes par la tuberculose au
monde. » Seront inclus 660 patients positifs à l’examen direct
pour la tuberculose (tous modes de prélèvements confondus) et
séropositifs au VIH avec moins de 200 CD4. Les participants
devront également être naïfs de tout traitement contre les deux
infections. « Il s’agit d’un essai randomisé en deux bras, com-
plète le pneumologue. Tous les patients reçoivent le même
traitement antituberculeux et la même combinaison antiré-
trovirale. Une seule différence : dans le premier bras, les
ARV sont introduits deux semaines après le début du traite-
ment contre la tuberculose ; et seulement à huit semaines
dans le second bras, c’est-à-dire à la fin de la phase d’at-
taque contre la tuberculose. » Les résultats de l’essai Camelia,
élaboré en partenariat avec les National Institutes of Health
américains, devraient être disponibles vers la fin de 2009.
Le visage de la tuberculose associée au VIH est atypique et
rend d’autant plus délicate la prise en charge des personnes
victimes de cette coïnfection. Malgré une prise de conscience
internationale de la nécessité de coupler les efforts pour venir
à bout de ces deux fléaux, les recherches doivent être pour-
suivies et accentuées, afin notamment d’élaborer des outils de
diagnostic performants, articuler le plus efficacement pos-
sible les traitements contre les deux pathogènes et cerner
davantage l’impact des thérapeutiques sur le système immu-
nitaire. Ces progrès amélioreraient la compréhension et l’ad-
hésion des personnes concernées et de leur entourage,
comme ils faciliteraient le travail des équipes soignantes sur
le terrain. Conclusion de Nelson Mandela, lors de la clôture
de la conférence mondiale sur le sida de Bangkok en 2004 :
«Nous ne gagnerons pas la bataille contre le sida sans com-
battre davantage la tuberculose. »
1
Sur ce syndrome de restauration immunitaire, lire Transversal
n° 27, p. 10.
GLOSSAIRE
Culture cellulaire
Technique consistant à cultiver des prélèvements
contenant des cellules vivantes, comme des bactéries,
qui se multiplient suffisamment pour former des colonies
et deviennent ainsi visibles au microscope.
Essai randomisé
Essai au cours duquel une stratégie thérapeutique ou
un médicament est évalué en comparant plusieurs
groupes de personnes (ou bras). Chaque participant est
inclus dans l’un des bras par tirage au sort.