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C. Denis et Coll.
642 Rev Med Liège 2013; 68 : 12 : 638-643
ont libéré Emilia d’un grand poids. La dépres-
sion parentale diffusant sur l’enfant peut entre-
tenir une situation de non-séparation dont le
mutisme est l’expression.
Le travail avec certains enfants mutiques peut
réveiller de l’insécurité chez le thérapeute, qui
avance un peu à l’aveugle et qui peut craindre
ou l’immobilisme, ou d’être trop intrusif. Le
travail est difficile car le silence renvoie à une
sorte de sidération des forces pulsionnelles et
vitales. Ce sentiment se double de l’inquiétude
d’intervenir avec justesse, dans cette relation
où l’on n’a pas de réponse à ses interventions.
Dans le non-verbal, le corps parle. Emilia
nous parlait avec son corps voûté, ses vête-
ments sans forme, d’une autre époque, son
regard triste, en demande : elle nous parlait de
pauvreté, d’un monde rétréci, fermé et à travers
ses bricolages minutieux, nous disait quelque
chose du rapport à un temps emprisonné,
infini… et de la tristesse et du désir d’un autre
avenir.
Aussi (et, c’est ce que nous avons développé)
l’approche de ces troubles nécessite un long tra-
vail, d’abord émotionnel et relationnel, où la
communication passe par divers canaux, sans
que le thérapeute renonce à sa parole person-
nelle.
Le lien se noue, selon notre expérience,
quand le thérapeute ose faire le pari, à partir
de son contre-transfert, de dire ce qu’il imagine
et ressent - en mots, en images et, si l’enfant
prend peu à peu le risque de s’exprimer, par des
médias divers, tels des écrits, des productions
ludiques et artistiques, ceux-ci ouvrent une voie
vers la communication.
Aussi, le travail thérapeutique est-il long et
fastidieux : pour le thérapeute, longtemps ren-
voyé à la résistance du silence et, pour l’enfant,
qui doit peu à peu réapprivoiser l’espace et la
relation : seuls, un temps et un mode de com-
munication nouveaux permettent son évolution.
Lorsque les enfants atteints de mutisme
entrent dans un début de communication, on
est parfois face à des éléments ou récits for-
mels, sortes de «rébus» dénués de sens, comme
des «schèmes opératoires» non investis d’émo-
tion (20) (ex : Emilia qui coloriait des carreaux
de couleur, Thibault qui s’exprimait dans des
récits factuels). On constate donc qu’il y a une
atteinte psychique dans la capacité de reliance
à leur propre mode interne et émotionnel, paral-
lèlement à l’atteinte du langage.
Le langage nécessite un espace transition-
nel d’échange et de liberté où la rencontre
- les troubles envahissants du développement
(selon le DSM IV);
- les troubles de personnalité «prépsychotiques»
ou troubles limites de la personnalité (selon les
classifications françaises) etc;
- le mutisme sélectif.
L’interférence de ce symptôme avec les
troubles du langage et, notamment, avec les
dysphasies est à considérer également. Il est
important de prendre en compte l’anamnèse,
d’évaluer les éléments neurologiques et médi-
caux, notamment les pathologies de la sphère
ORL.
Il faut considérer de façon spécifique les cas
de mutisme dans les situations d’immigration
où l’on rencontre fréquemment des pathologies
psychiques graves. L’immigration a un impact
sur plusieurs facteurs de développement par le
biais langagier, culturel, et, souvent, par une
histoire traumatique qui laisse des traces.
Quant au mutisme sélectif, les études amé-
ricaines et anglo-saxonnes récentes le relient
à une phobie anxieuse. Pour notre part, dans
les cas cliniques que nous avons relatés, nous
avons observé, chaque fois, en plus du trouble
mutique et/ou de langage, des troubles psy-
chiques d’individuation et des troubles de la
pensée.
Rappelons la phrase clé de Lacan : «L’incons-
cient est structuré comme un langage». Aussi
n’est-on pas étonné de trouver, associée aux
troubles graves du langage, une perturbation
du rapport de l’enfant à l’autre et à l’environ-
nement sous forme de retraits des investisse-
ments, de la communication, du contact ainsi
que des troubles de la pensée et des organisa-
tions psychiques très archaïques.
Le contrôle (conscient ou inconscient)
qu’exercent ces enfants sur le langage («motus
et bouche cousue») n’a parfois d’équivalent que
le contrôle dans lequel eux-mêmes semblent
pris et où le langage est comme mort, incapable
de médiatiser les pulsions. Le silence serait
alors une première défense marquant un début
de différenciation et une lutte contre l’empiè-
tement.
Le silence qu’opposent ces enfants oblige à
s’adapter à eux, à les deviner et à leur répondre
alors qu’ils n’ont rien dit. Davantage que dans
d’autres troubles, on a le sentiment que ce
silence couvre un secret, qui, une fois levé,
donnerait libre cours à la parole. Dans le cas d’
Emilia, on peut penser que la levée du «secret»
de la dépression maternelle, l’acceptation de la
mère de ne pas faire peser cela sur les enfants