Embolies systémiques récidivantes C OBSERVATION

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Embolies systémiques récidivantes
● C. Adams, T. Bouzazoua, B. Gallet, M. Hiltgen*
OBSERVATION
Mme STE... Véra, âgée de 68 ans, a été hospitalisée en 1996 pour
une ischémie aiguë des membres inférieurs due à une embolie du
carrefour aortique. Elle a bénéficié d’une embolectomie iliaque
bilatérale par sonde de Fogarty après contrôle de l’aorte par laparotomie médiane, avec confirmation de matériel thrombocruorique à l’origine de l’ischémie. Un scanner abdominal mettait en
évidence des embolies splénique et rénale gauche contemporaines. L’étiologie des embolies systémiques a été rapportée
d’emblée à la pathologie cardiaque de la patiente : en effet,
l’auscultation cardiaque constatait un rythme cardiaque irrégulier associé à un souffle systolique 1/6e d’insuffisance mitrale, à
un claquement d’ouverture mitrale espacé du deuxième bruit, à
un roulement télédiastolique, et l’électrocardiogramme objectivait une arythmie complète par fibrillation auriculaire
(AC/FA). L’échocardiographie transthoracique confirmait une
maladie mitrale modérée associant un rétrécissement mitral
lâche (2 cm2 en planimétrie bidimensionnelle) non calcifié, et une
fuite mitrale de grade 1, sans hypertension artérielle pulmonaire.
L’échocardiographie transœsophagienne apportait cependant une
nouvelle orientation diagnostique : si elle retrouvait une maladie
mitrale non calcifiée modérément sténosante et peu fuyante, une
oreillette gauche dilatée sans thrombus ni échos de contraste spontané, un auricule gauche également libre en dépit de basses vélocités de vidange, elle diagnostiquait une masse dense homogène
arrondie et mobile de 7 mm de diamètre attachée par un court
pédoncule au versant aortique de la sigmoïde postérieure sans
fuite ou rétrécissement aortique associé (figures 1 et 2). Le diagnostic de fibroélastome aortique était retenu, et son implication dans les accidents emboliques suspectée en premier lieu. Une
intervention d’exérèse de la tumeur était proposée mais refusée
par la patiente, qui a poursuivi par la suite un traitement anticoagulant oral de manière aléatoire.
thoracique et transœsophagien) a été contrôlé avec des données
similaires à celles de 1996 : maladie mitrale modérée sans thrombus ni échos de contraste spontané au niveau de l’oreillette et de
l’auricule gauches, masse tumorale inchangée mobile et appendue à la sigmoïde aortique postérieure. À chaque fois, les accidents emboliques sont survenus sous traitement anticoagulant
oral inefficace.
Figure 1. Échocardiographie transœsophagienne multiplan 143°. Masse
arrondie dense et homogène de 7 mm de diamètre appendue par un
pédoncule au versant aortique de la sigmoïde postérieure.
Le suivi est marqué par plusieurs réhospitalisations : en 1997 pour
ischémie aiguë du membre inférieur droit avec authentification
d’un embole non occlusif de l’artère poplitée droite lors du
doppler artériel, et en 2001 pour hémiparésie gauche correspondant à un accident ischémique sylvien profond droit. Lors de
cette dernière hospitalisation, le bilan échocardiographique (trans* Service de cardiologie, CH Victor-Dupouy, 69, rue du Lt-Cl Prud’hon,
95107 Argenteuil.
La Lettre du Cardiologue - n° 354 - avril 2002
Figure 2. Échocardiographie transœsophagienne multiplan 0°. Visualisation de la masse en coupe transverse sur un orifice aortique tricuspide sans évidence de valvulopathie aortique associée.
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COMMENTAIRES
Nous avons retenu le diagnostic de fibroélastome aortique responsable d’accidents emboliques récidivants pour notre
patiente en dépit de deux objections : il existe une autre étiologie potentielle – l’AC/FA associée à une maladie mitrale rhumatismale de degré modéré –, et le diagnostic anatomopathologique
de la tumeur n’a pu être confirmé en l’absence d’exérèse chirurgicale. Cependant, il nous a paru moins probable que le trouble
du rythme auriculaire permanent sur valvulopathie mitrale modérée explique les embolies systémiques successives, les contrôles
contemporains d’échocardiographie transœsophagienne ne détectant ni thrombus ni échos de contraste spontané auriculaires
gauches. Quant au diagnostic présumé de la tumeur valvulaire, il
repose sur les critères morphologiques échocardiographiques
proposés par les équipes de la Mayo Clinic (1) et, plus récemment,
de la Cleveland Clinic Foundation (2) pour la définition de sousgroupes de patients sans confirmation histologique (respectivement 37 et 45 patients) : petite masse (habituellement < 20 mm
dans son plus grand axe), ronde ou ovale, parfois irrégulière,
homogène et bien délimitée, isolée ou multiple, souvent mobile
et alors appendue par un court pédoncule à l’endocarde.
Après le myxome et le lipome, le fibroélastome papillaire (FEP)
représente la troisième tumeur cardiaque primitive bénigne par
ordre de fréquence. Grâce aux performances actuelles de l’échocardiographie, le diagnostic de FEP est plus souvent soupçonné,
parfois fortuitement, en dehors de toute complication associée à
sa présence, ce qui n’est pas sans poser des problèmes de décision thérapeutique. Pour l’équipe de la Cleveland Clinic Foundation, qui a récemment colligé les dossiers de 162 patients avec
preuve anatomopathologique (2), l’échocardiographie transthoracique a une précision diagnostique de 88 % pour détecter des
FEP 2 mm (sensibilité 89 % et spécificité 88 %) ; si on inclut
dans l’analyse les FEP < 2 mm, la sensibilité diagnostique de
l’échocardiographie transthoracique chute à 62 %, contre 77 %
pour l’examen transœsophagien. Pour l’étude multicentrique française (46 patients recrutés à partir des données échocardiographiques, dont 35 patients opérés) (3), l’échocardiographie transthoracique n’a pas été “contributive” dans 37 % des cas, alors que
par définition, compte tenu des critères d’inclusion, l’échocardiographie transœsophagienne l’a toujours été.
Tumeur développée à partir de l’endocarde, le FEP siège le plus
souvent sur les valves [82 % (1), 83 % (2), et 86 % (3) des cas],
et en premier lieu sur la valve aortique, en privilégiant son versant aortique. L’association à d’autres lésions valvulaires a été
signalée : pour la Cleveland Clinic Foundation (2), 70 % des
patients explorés par échocardiographie et ayant un FEP affirmé
histologiquement avaient une valvulopathie concomitante (rhumatismale : 38 %, ou dégénérative avec fibrose et/ou calcification : 62 %).
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Le risque évolutif des FEP est essentiellement représenté par les
embolies dont la nature peut être tumorale ou thrombocruorique,
des thrombus pouvant adhérer à la surface irrégulière de la tumeur
classiquement semblable à celle d’une anémone de mer (4). Pour
notre observation, ce dernier mécanisme a été retenu en raison
de l’authentification de matériel thrombocruorique et de la stabilité de taille de la tumeur malgré de nouvelles embolies. Sur un
suivi de 552 ± 706 jours, l’incidence des complications emboliques est proche de 7 % (3 accidents emboliques) pour un groupe
de 45 patients présumés porteurs d’un FEP sur les données échocardiographiques (2), et l’étude de la Mayo Clinic (1) mentionne
9 accidents neurologiques dont une embolie rétinienne, une
embolie fémorale et un infarctus du myocarde pendant le suivi
sur 31 mois de 37 patients ayant un FEP suspecté en échocardiographie.
Cela pose le problème de l’attitude thérapeutique : l’orientation vers la chirurgie d’exérèse le plus souvent conservatrice, le
FEP ne provoquant habituellement pas de dysfonction valvulaire,
est actuellement recommandée après un accident embolique, dont
elle prévient efficacement la récidive (1, 2). Plus complexe est la
décision d’intervention lors de la découverte fortuite d’un FEP :
pour les auteurs de la Cleveland Clinic Foundation (2), la chirurgie est envisageable pour les FEP du cœur gauche asymptomatiques si la tumeur est 10 mm et mobile, d’autant plus si le
patient est jeune avec un faible risque opératoire, et l’exérèse est
bien entendu logique au cours d’une intervention cardiaque programmée pour un autre motif.
Il faut cependant remarquer que l’on ne dispose actuellement
d’aucune étude évaluant l’efficacité d’un traitement médical anticoagulant ou antiagrégant sur le risque embolique des FEP. ■
Bibliographie
1. Klarich KW, Enriquez-Sarano M, Gura GM, Edwards WD, Tajik AJ, Seward
JB. Papillary fibroelastoma : echocardiographic characteristics for diagnosis and
pathologic correlation. J Am Coll Cardiol 1997 ; 30 : 784-90.
2. Sun JP, Asher CR, Yang XS et al. Clinical and echocardiographic characteristics of papillary fibroelastomas. A retrospective and prospective study in
162 patients. Circulation 2001 ; 103 : 2687-93.
3. Lorillard R, Roudaut R, pour la Filiale d’Échocardiographie de la SFC. Étude
multicentrique nationale rétrospective sur les fibro-élastomes papillaires cardiaques. XIV e Congrès international d’échocardiographie de Paris. Arch Mal
Cœur 2001 ; 94 - III - : 122 (abstract).
4. Fowles RE, Miller DC, Egbert BM, Fitzgerald JW, Popp RL. Systemic embolization from a mitral valve papillary endocardial fibroma detected by two dimensional echocardiography. Am Heart J 1981 ; 102 : 128-30.
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