MISE AU POINT Bicuspidie aortique en 2010 : diagnostic, histoire naturelle et prise en charge Bicuspid aortic valves: from diagnosis to management, 2010 update J.L. Monin* L * CHU Henri-Mondor, Créteil. a bicuspidie aortique affecte 0,5 à 1 % des naissances, avec une nette prédominance masculine (3 garçons pour 1 fille), ce qui en fait la malformation cardiaque la plus fréquemment détectée à l’âge adulte. Un certain nombre d’anomalies génétiques, biochimiques et histologiques ont été associées à la bicuspidie, qui touche non seulement la valve mais également l’ensemble de la racine aortique (1). Une transmission autosomique dominante à pénétrance variable pourrait affecter un ou plusieurs gènes non identifiés ayant un rôle dans la synthèse et le transport des protéines élastiques de la média (notamment fibrilline et NO-synthase). La majorité des sujets atteints de bicuspidie auront recours à la chirurgie cardiaque au cours de leur vie, essentiellement pour une valvulopathie aortique, plus rarement pour une pathologie de l’aorte ascendante. Le rôle du cardiologue est avant tout de diagnostiquer une bicuspidie, puis de surveiller l’évolutivité d’une possible valvulopathie aortique ou d’une dilatation de la racine aortique, pour une prise en charge globale des éventuelles complications valvulaires et artérielles. Diagnostic échocardiographique Figure 1. Forme rare de bicuspidie sans raphé : 2 sinus de Valsalva correspondant aux 2 sigmoïdes. Échographie transthoracique, incidence parasternale transverse. A. Diastole, B. Systole. A : sigmoïde antérieure ; P : sigmoïde postérieure ; OD : oreillette droite ; OG : oreillette gauche. La disposition antéro-postérieure des sigmoïdes associée à une insuffisance aortique minime donne un type 0/A-P/I de la classification de Sievers (2). 14 | La Lettre du Cardiologue Risque Cardiovasculaire • n° 436 - juin 2010 L’échocardiographie joue un rôle clé pour le diagnostic et le suivi des bicuspidies. Cependant, jusqu’à une période récente, un grand nombre de bicuspidies ont probablement été diagnostiquées tardivement, car nous étions focalisés sur la forme sans raphé, qui représente seulement 6 à 7 % des cas (2, 3). Cette forme rare représente une malformation sévère de la racine aortique, puisqu’elle comporte authentiquement 2 sigmoïdes aortiques et 2 sinus de Valsalva (figure 1). Deux articles fondamentaux de W.C. Roberts et al., publiés en 2005, ont réactualisé nos connaissances sur la bicuspidie (3, 4). Le message de ces études était double. Premièrement, si l’on exclut les cas de rhumatisme articulaire aigu, l’analyse consécutive de l’ensemble des valves aortiques opérées dans un grand centre américain révèle que plus de la moitié des patients sont porteurs d’une malformation congénitale aortique (bicuspidie dans 49 % des cas, valve unicuspide dans 5 % des cas). Deuxième- Résumé La bicuspidie aortique est la malformation cardiaque la plus fréquemment rencontrée chez l’adulte, avec une prévalence de 0,5 à 1 % dans la population générale et une nette prédominance masculine (3/1). La forme commune de bicuspidie est une symphyse entre les 2 sigmoïdes coronaires avec ouverture valvulaire “en V inversé”, qu’il ne faut pas confondre avec une valve à 3 sigmoïdes. Le principal risque d’une bicuspidie est l’évolutivité précoce d’une valvulopathie aortique. Les complications aiguës liées à la dilatation de l’aorte initiale sont beaucoup plus rares. En effet, le risque d’anévrisme ou de dissection aortique est significativement plus élevé en cas de bicuspidie, sans toutefois atteindre le niveau de risque de la maladie de Marfan. De ce fait, la surveillance d’une valvulopathie aortique et la mesure répétée des diamètres aortiques sont indispensables pour anticiper les complications valvulaires et artérielles de la bicuspidie. ment, la forme commune de bicuspidie comporte un raphé entre les 2 sigmoïdes coronaires (donc 3 sinus de Valsalva et la symphyse congénitale de 2 sigmoïdes). Ce raphé est souvent incomplet et donne une ouverture “en V inversé” qu’il est très facile de confondre avec une valve à 3 sigmoïdes (figure 2) [3]. À ce propos, le terme de “pseudobicuspidie” a pu être employé en cas de raphé unissant 2 sigmoïdes aortiques. Cette pseudoforme est en fait la forme commune de bicuspidie, retrouvée dans 9 cas sur 10 (2, 3). Ces patients ont donc une anomalie des protéines micro-fibrillaires de la média et un risque de dilatation de la racine aortique. Ainsi, le terme de pseudo-bicuspidie, qui pourrait suggérer une anomalie bénigne ne justifiant pas de suivi particulier, paraît totalement inapproprié et devrait être abandonné. Classification des bicuspidies Une équipe allemande a proposé, en 2007, une classification anatomique des bicuspidies (2). Sur 1 206 patients opérés d’une valvulopathie aortique à l’hôpital universitaire de Lübeck entre 1999 et 2003, 409 (34 %) avaient une malformation congénitale de la valve aortique. L’étude repose sur les 304 patients pour lesquels on dispose d’une description chirurgicale de la valve (2). La classification comporte un critère majeur (le nombre de raphés), définissant le type : types 0, 1 ou 2 en fonction de l’absence ou de la présence de 1 ou 2 raphés (figure 3, p. 16) ; et 2 critères mineurs : la position spatiale des valves ou des raphés par rapport aux valves et la fonction valvulaire (normale, sténose prédominante, insuffisance prédominante ou sténose + fuite [figure 3, p. 16]). Ainsi, la forme commune de bicuspidie comporte un seul raphé (type 1, 88 % des cas pour H.H. Sievers et C. Schmidtke [2] et 94 % pour W.C. Roberts et J.M. Ko [3]). Cet unique raphé est le plus souvent situé entre les sigmoïdes coronaires droite et gauche (Left-Right [L-R]) avec sténose prédominante : bicuspidie de type 1/L-R/S (figure 3, p. 16). Comme souligné précédemment, l’absence de raphé (type 0) [figure 1] ne représente que 6 à 7 % des cas (2, 3), pour lesquels l’ouverture valvu- laire ovalaire est plus facile à diagnostiquer que la forme commune. Le type 2, également appelé valve unicuspide (3), comporte 2 raphés avec ouverture excentrée des valves réduite des 2/3 (figure 4, p. 16), d’où une évolutivité hémodynamique plus précoce ; la majorité des patients sont opérés de sténose aortique avant l’âge de 50 ans (3). Impact de l’anatomie sur l’évolutivité Quel est l’intérêt d’un diagnostic anatomique précis en cas de bicuspidie ? Il semblerait qu’aux différentes formes anatomiques corresponde une évolutivité clinique plus ou moins rapide. Ce point est évident lorsqu’il s’agit d’une valve unicuspide, dont on a vu l’évolution précoce vers une sténose aortique chirurgicale. Plus récemment, une étude hispano-américaine a montré que l’évolutivité d’une valvulopathie aortique était plus rapide dans les bicuspidies de type 1 lorsque le raphé intéressait la sigmoïde non coronaire (5). Cette série comportait 310 patients ayant une bicuspidie de type 1 (âgés de 16 ans en moyenne lors du diagnostic, 71 % d’hommes). Les patients présentaient un raphé situé entre les 2 sigmoïdes coronaires (type 1/L-R, Mots-clés Bicuspidie aortique Valve aortique Échocardiographie Dissection aortique Summary Bicuspid aortic valve (BAV) is a common congenital abnormality affecting 0,5 to 1% of the general population, with a male/female ratio of 3/1. In the most frequent type of BAV, a single raphe is present between the two coronary cusps, giving an inversed V-shape opening of the valve, which may be misdiagnosed as a three-cuspid valve. Bicuspid valves are mainly prone to the development of early valve stenosis or insufficiency. The risk of acute aortic dissection or rupture is higher in BAV-patients than in the general population; however it is less frequent than in patients with Marfan disease. Thus patients with BAV should be monitored for the development of aortic valve complications and the progressive dilatation of the ascending aorta in order to prevent acute aortic complications. Keywords Bicuspid aortic valves Aortic valves Echocardiography Aortic dissection F i g u re 2 . F o r m e commune de bicusp i d i e ( 7 1 % d e s cas), incidence parasternale transverse. A. Diastole. B. Systole. Individualisation de 3 sinus de Valsalva correspondant aux 3 sigmoïdes ; un seul raphé (flèche) entre les sigmoïdes coronaires gauche (L) et droite (R), sans retentissement hémodynamique : type 1/L-R/No de la classification de Sievers (2). N : sigmoïde non coronaire. OD : oreillette droite ; OG : oreillette gauche. La Lettre du Cardiologue Risque Cardiovasculaire • n° 436 - juin 2010 | 15 MISE AU POINT Critère majeur : Nombre de raphés (%) Bicuspidie aortique en 2010 : diagnostic, histoire naturelle et prise en charge 0 raphé/type 0 1 raphé/type 1 (7) 2 raphés/type 2 (88) (5) Sous-catégorie 1 : Position des cuspides (type 0) ou des raphés (types 1 et 2) (%) Latéral Ant-post. L-R N-R N-L N-L/L-R (4) (3) (71) (15) (3) (5) SousI catégorie 2 : S fonction valvulaire B (I + S) (%) No (2) (0,3) (26) (7) (1) (2) (2) (39) (5) (5) (1) (1) (2) (5) (1) (0,3) (2) (0,3) (2) Figure 3. Classification des bicuspidies selon un critère majeur (nombre de raphés) et 2 sous-catégories. L’orientation des schémas est celle d’une vue échographique transthoracique parasternale transverse. I : insuffisance ; S : Sténose ; No : fonction valvulaire normale. B (Balanced) pour maladie aortique. Les chiffres entre parenthèses représentent les pourcentages de fréquence pour chaque catégorie. Adapté d’après (2). Figure 4. Forme rare de bicuspidie (5 % des cas), avec 2 raphés (valve unicuspide). Incidence parasternale transverse (A) ; même incidence zoomée (B). La disposition des raphés associée à une insuffisance aortique modérée donne un type 2/N-R/L-R/I de la classification de Sievers (2). n = 202) ou entre la sigmoïde coronaire droite et la sigmoïde non coronaire (type 1/N-R, n = 108). Les résultats montrent que, à l’âge de 20 ans, le taux 16 | La Lettre du Cardiologue Risque Cardiovasculaire • n° 436 - juin 2010 de chirurgie valvulaire aortique est de 1 patient sur 10 en cas de type 1/­L-R contre 4 patients sur 10 dans le type 1/­N-R. Une des hypothèses pour expliquer cette évolutivité précoce serait la surface plus large de la sigmoïde non coronaire en cas de bicuspidie, d’où une limitation d’ouverture plus importante et une forte contrainte mécanique entraînant une altération valvulaire plus rapide. La même équipe avait publié auparavant une série de 1 135 enfants et adolescents (67 % de garçons) ayant une valve bicuspide (6). Il en ressortait que la forme commune de bicuspidie (type 1/L-R, 70 % des cas) était volontiers associée à une coarctation avec une évolutivité valvulaire plus lente. À l’opposé, le type 1/N-R évoluait plus vite vers une valvulopathie significative, sans être associée à une coarctation (6). Bicuspidie : maladie de la racine aortique La bicuspidie s’accompagne, dans la plupart des cas, d’une dilatation de la racine aortique. Plusieurs études sont en faveur d’une déficience des protéines micro-fibrillaires de la média, sans qu’il y ait de mutation du gène FBN1 de synthèse de la fibrilline, à la différence de la maladie de Marfan (7). L’hypothèse actuellement retenue par certains auteurs serait une anomalie de l’ARN transcripteur contrôlant le transport extracellulaire de la fibrilline et/ou de la NO-synthase (7). Une étude italienne portant sur 20 000 conscrits (âge moyen : 18 ans) a permis de diagnostiquer 167 cas de bicuspidie à l’échocardiographie (0,8 % de la cohorte), dont 50 % présentaient déjà une insuffisance aortique minime à modérée, et 12 %, une fuite moyenne à sévère (8). En cas de bicuspidie, l’ensemble de la racine aortique est dilaté par rapport aux sujets contrôle du même âge, d’autant plus qu’il existe une fuite aortique (figure 5, tableau). Dans ce cas, l’insuffisance aortique est souvent liée à un certain degré de prolapsus valvulaire et aggravée par la dilatation du culot aortique. L’insuffisance valvulaire est donc à la fois cause et conséquence de la dilatation aortique (1, 8). Histoire naturelle des bicuspidies Le risque évolutif d’une bicuspidie est avant tout valvulaire, les complications aortiques étant plus MISE AU POINT rares. Par ordre de fréquence, la survenue d’une sténose aortique est le premier risque. La bicuspidie représente actuellement entre 30 et 50 % des cas de rétrécissement aortique opérés dans les pays occidentaux (2, 3), l’âge moyen à l’intervention étant de 67 ± 11 ans en cas de bicuspidie contre 74 ± 8 ans en cas de valve à 3 sigmoïdes (3). Deux séries récentes donnent une idée assez précise des risques encourus en cas de bicuspidie aortique. Une première série canadienne regroupe 642 patients consécutifs examinés dans un grand centre de cardiopathies congénitales adultes entre 1994 et 2001 (9). À l’entrée dans l’étude, l’âge moyen était de 35 ± 16 ans et 68 % étaient des hommes. Une coarctation était associée dans 25 % des cas, le plus souvent traitée par voie chirurgicale ou endovasculaire (150/159) ou sans retentissement hémodynamique. L’ensemble de la cohorte a été suivi pendant 9 ± 5 ans, 40 % des patients ayant été suivis plus de 10 ans (9). Le premier résultat est que le taux de mortalité de cause cardiaque est de 0,3 % par an, sans différence significative par rapport à un groupe contrôle apparié sur le sexe et l’âge (p = 0,71). Après 9 ans de suivi moyen, une complication aortique est survenue chez 11 patients (2 %) dont 5 dissections aortiques (taux annuel de dissection : 0,1 %). À l’opposé, le taux de complications valvulaires est plus important : 84 patients opérés d’un rétrécissement aortique (13 %), 37 opérés pour insuffisance aortique (6 %) et 10 pour endocardite aortique, dont la prévalence annuelle était de 0,3 % (9). La survie à 9 ans de cette cohorte n’était pas significativement altérée par rapport à la population contrôle, l’essentiel des complications étant valvulaires, avec un taux d’accidents aortiques aigus nettement inférieur à celui observé dans la maladie de Marfan (9). Ces résultats concordent avec ceux d’une cohorte de 212 patients diagnostiqués à la Mayo Clinic entre 1980 et 1999 (10). Comme l’étude précédente, il s’agissait de jeunes adultes (32 ± 20 ans), majoritairement de sexe masculin (65 %). À l’entrée dans l’étude, tous les patients étaient asymptomatiques et indemnes de valvulopathie significative ou d’atteinte de la fonction ventriculaire gauche (fraction d’éjection moyenne : 63 ± 5 %, diamètre télédiastolique : 48 ± 9 mm). Après 20 ans de suivi, les taux de chirurgie valvulaire aortique ou de chirurgie de l’aorte ascendante étaient respectivement de 24 ± 4 % et 5 ± 2%, sans pour autant que la survie globale soit diminuée par rapport à la population contrôle (p = 0,72). Aucune dissection aortique n’est survenue dans cette série. Figure 5. Différents sites de mesure du culot aortique : échographie transthoracique en incidence parasternale longitudinale et schéma correspondant. L’effacement de la jonction sino-tubulaire est fréquemment retrouvé en cas de bicuspidie. A : anneau ; 1 : sinus de Valsalva ; 2 : jonction sino-tubulaire ; 3 : portion ascendante. Tableau. Diamètres des différents segments de la racine aortique chez 167 cas de bicuspidie (Tous), avec et sans insuffisance aortique (I Ao), comparés à 87 sujets contrôles. Toutes comparaisons versus groupe contrôle et intergroupes avec et sans I Ao : p < 0,001. Adapté d’après (8). Contrôle (n = 87) Bicuspidie Tous (n = 167) Bicuspidie sans I Ao (n = 48) Bicuspidie avec I Ao (n = 110) Anneau 22 ± 2 25 ± 3 23 ± 2 26 ± 3 Sinus de Valsalva 27 ± 3 33 ± 4 32 ± 3 34 ± 4 Jonction sino-tubulaire 25 ± 2 30 ± 4 28 ± 3 31 ± 4 Portion ascendante 25 ± 2 30 ± 4 28 ± 3 31 ± 4 Diamètre (mm) Chirurgie prophylactique de l’aorte ascendante : le problème des 50 mm En cas de bicuspidie, le risque de dissection aortique est réel. Il serait 9 fois plus élevé que dans la population générale, de l’ordre de 5 à 6 % au cours d’une vie. Cependant, ce risque est encore plus élevé dans la maladie de Marfan, où il est estimé à 40 % au cours d’une vie (1). Étant donné que la bicuspidie est 50 à 100 fois plus fréquente que la maladie de Marfan, ces deux pathologies sont présentes en proportions égales (5 % des cas) dans les grands registres de syndromes aortiques aigus tel l’IRAD (International Registry of acute Aortic Dissection) [11]. De ce fait, les recommandations américaines et européennes insistent particulièrement sur les modalités de surveillance de la racine aortique en cas de bicuspidie : une échocardiographie (voire un scanner ou une IRM en cas de La Lettre du Cardiologue Risque Cardiovasculaire • n° 436 - juin 2010 | 17 MISE AU POINT Bicuspidie aortique en 2010 : diagnostic, histoire naturelle et prise en charge mauvaise échogénicité) doit être répétée annuellement en cas de diamètre aortique supérieur à 40 mm (ou > 21 mm/m2). D’après les mêmes recommandations, un remplacement chirurgical prophylactique de l’aorte ascendante est indiqué si le diamètre aortique dépasse 50 mm, ou en cas de progression annuelle supérieure à 5 mm (12, 13). Le problème de ces recommandations est qu’il n’existe actuellement aucune étude d’envergure prouvant le bien-fondé de ces valeurs seuil, largement extrapolées d’après les statistiques de la maladie de Marfan (14). De plus, une large étude du registre IRAD a bien démontré que le diamètre aortique, à lui seul, était un mauvais facteur prédictif de dissection (11). En effet, sur une série de 591 dissections touchant l’aorte ascendante, le diamètre aortique mesuré à l’admission était inférieur à 55 mm dans 60 % des cas et inférieur à 50 mm dans 40 % des cas. En outre, dans cette série, le diamètre aortique n’était pas corrélé à la mortalité hospitalière (11). Faut-il indexer les diamètres aortiques ? L’application stricte de la règle des 50 mm, entraînant de facto l’indication opératoire chez un patient asymptomatique sans valvulopathie chirurgicale, pose donc problème à un certain nombre de praticiens (11, 14). Cependant, on ne peut pas nier que le risque de dissection/rupture aortique augmente significativement en cas de dilatation extrême de l’aorte (> 60 mm) [15]. Le groupe de Yale a proposé d’indexer les diamètres aortiques à la surface corporelle afin de mieux prédire le risque de complication aiguë (16). Sur une cohorte de 805 patients suivis pour anévrisme aortique, le taux annuel cumulé de dissection, rupture aortique ou décès augmentait assez brutalement (de 4 à 10 %) lorsque le diamètre aortique indexé dépassait 27 mm/­m2 (16). Ces données s’appliquent essentiellement à une population non Marfan, comportant peu de bicuspidies, puisque les coarctations ont été exclues de cette étude. À titre d’exemple, le seuil des 27 mm/­m2 est franchi à 55 mm de diamètre aortique pour un homme ayant une surface corporelle de 2,0 m2 et pour un diamètre aortique de 45 mm chez une femme ayant une surface corporelle de 1,6 m2. Ces valeurs montrent bien la difficulté d’appliquer globalement la règle des 50 mm, mal adaptée aux différents gabarits individuels, notamment chez les femmes. Conclusion Une prise en charge globale des patients ayant une bicuspidie passe par un diagnostic précis reposant quasi exclusivement sur l’échocardiographie transthoracique. La redécouverte récente des différentes formes anatomiques et la classification de Sievers éclairent cette pathologie d’un jour nouveau. Le risque évolutif d’une bicuspidie est avant tout valvulaire, et il n’y a pas de spécificité dans le management et la décision thérapeutique d’une valvulopathie aortique sur bicuspidie par rapport aux autres étiologies. Les complications aortiques aiguës sont beaucoup plus rares. S’il est vrai que le risque de dissection aortique est plus élevé en cas de bicuspidie par rapport à la population générale, il est cependant très nettement inférieur au risque de la maladie de Marfan. D’après les recommandations internationales, la surveillance annuelle des diamètres de la racine aortique par échocardiographie, scanner ou IRM est indiquée en cas de dilatation supérieure à 40 mm (ou > 20 mm/m2). D’après ces mêmes recommandations, la chirurgie prophylactique de l’aorte ascendante est indiquée en cas de dilatation supérieure à 50 mm, y compris chez un patient asymptomatique sans valvulopathie significative. Cette valeur seuil de 50 mm ne repose malheureusement sur aucune preuve scientifique solide. En pratique, le diamètre aortique indexé à la surface corporelle pourrait être une aide à la décision thérapeutique dans les cas difficiles, avec une valeur seuil de 25 à 27 mm/m2 ne figurant pas explicitement dans les recommandations actuelles. ■ Références bibliographiques 1. Tadros TM, Klein MD, Shapira OM. Ascending aortic dilatation 6. Fernandes SM, Sanders SP, Khairy P, et al. 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