« Nikephoros » par Bryaxis
Chapitre 1 : Note de l'auteur
Je souhaiterais dédier cet ouvrage à une grande dame, une femme brillante qui m'accompagne sans le savoir
depuis maintenant près de dix ans. Cette femme, c'est MmeJacqueline de Romilly, dont les écrits remarquables
sur l'Antiquité me furent utiles durant mes études et dont les ouvrages plus récents, réflexions sur notre société
ou sur la présence du savoir et de la culture dans notre vie quotidienne, sont le produit d'une dame à qui l'âge a
apporté une grande sagesse qu'elle partage généreusement et que je recueille avec gratitude.
Je l'ai découverte par le biais d'une biographie d'Alcibiade, sensible et sensée, puis par ses écrits sur la
démocratie Athénienne et sur la notre. Récemment j'achevais son opuscule consacré au trésor des savoirs
oubliés, réflexion sur la place de la mémoire dans la conduite de l'individu, sur les valeurs que la littérature
inscrit dans cette mémoire et sur l'importance qu'il y a à assurer un enseignement de qualité qui ait pour
objectif premier non d'enseigner des connaissances mais bien de former des citoyens.
Elle pour qui la sérénité du sage est une vertu cardinale a certainement atteint cette vertu, et c'est en pensant à
ses enseignements que j'ai rédigé le présent roman. En plaçant mes personnages dans un monde qu'elle connait
bien, celui de la première moitié du quatrième siècle, je souhaites rendre au lecteur la conscience de ces choses
apprises ( du moins je l'espère ) en secondaire sur la société grecque, et lui en faire découvrir de nouvelles.
Mais je souhaite aussi, par le caractère des personnages, parler de valeurs qui me semblent importantes,
rappeler que l'homme doit choisir comment se conduire et lui proposer des pistes, des modèles de vie qui me
semblent bons et selon lesquels je m'efforce moi-même de vivre, avec plus ou moins de succès.
Des valeurs comme le courage, le sens du bien commun, le goût de la découverte ou encore l'amour de la
culture sont celles que je souhaite illustrer dans ce roman. Des valeurs que ne renierais pas, je pense, Mmede
Romilly.
Aujourd'hui, à passé 95 ans, cette membre émérite de l'Académie Française continue l'œuvre d'éducation et de
partage qu'elle a entamé il y a bien des années de cela. Avec ce roman je souhaite l'accompagner dans cette
tâche et y apporter une bien modeste contribution. [/p]
Page 1
« Nikephoros » par Bryaxis
Chapitre 2 : Némée
Immobiles, ils contemplaient la plaine devant eux. Cette étendue herbeuse, à peine mille pas, qui les séparait
de leur destinée. mille pas, quelques instants, à peine le temps d'une prière. Une prière aux dieux immortels, à
peine plus utile que les années d'entrainements passées avec les camarades de l'enomotia, avec les amis de
pentekostis, avec les frères de la lochos, avec les concitoyens de la polis.
La polis. Sparte. La ville la plus glorieuse de toute la Grèce, celle dont le passé sans tâches est fait de
triomphes sur ses adversaires. Sur les barbares, comme à Platée où lors des campagnes qui suivirent la longue
guerre contre Athènes. Sur les Hellènes eux-même, leurs frères de sang: que ce soit sur les Mésseniens,
devenus ces serfs que l'on appelle hilote et qui assurent aux guerriers leur subsistance, ou sur les Athéniens, les
maîtres des mers vaincus au terme de plusieurs décennies de combats acharnés qui conduisirent la cité au bord
de la ruine avant que l'or barbare justement ne permette la victoire finale d'Aegos Potamos.
Mais aujourd'hui l'hégémonie de Sparte est menacée. Athènes, l'ennemie de toujours, et Corinthe, l'alliée aux
ambitions trop grandes, et Argos la voisine trop puissante, se sont révoltées. Thèbes la lointaine, autrefois
alliée de Sparte grâce à la haine qu'elle portait aux Athéniens, est aujourd'hui devenue hostile.
Ce sont quelques 18 000 hoplites et autant de peltastes qui se pressent en huit rangs sur un long front, l'aile
droite dominée par les 6000 lourds boucliers de bronze frappés du lambda de Lacédémone, ce symbole qui fait
trembler la Grèce depuis des décennies. Face à eux ce sont 24 000 hopplites coalisés appuyés par autant
d'infanterie légère et 1500 cavaliers qui s'apprêtent à attaquer l'armée venu du fond du Péloponnèse.
Chilon est fier d'appartenir à l'armée spartiate. 23 ans et déjà il était dans sa seconde campagne après celle
menée l'année précédente sous les ordres de Pausanias, le traître qui par son retard provoqua l'humiliante
défaite de Lysandre, tué par les thébains. Il n'a pas eu à combattre durant ces campagnes, juste à récupérer les
corps des spartiates et de leurs alliés vaincus sous les murs d'Haliartos. Cette année il espère bien venger cette
humiliation en écrasant les thébains et leurs alliés.
L'herbe, sur les bords de la rivière Némée asséchée, est jaunie par le soleil. Bientôt elle sera couverte de sang.
Cela n'inquiète pas Chilon. Les moires ont tracé depuis longtemps son destin, il l'accomplira sans se rebeller,
tout comme il accomplit les ordres des anciens de sa cité. Sparte, l'austère Sparte, la ville dont l'écrivain
athénien dit qu'elle ne laisserait pas de traces dans le sol si elle venait à disparaître... Absurdité, comment
pourrait-elle disparaître? Sparte est éternelle, invincible. La défaite d'Haliartos ne fut pas une défaite spartiate,
même si un général de la cité commandait l'armée. Ce n'étaient que des alliés, presque des périèques ou des
hilotes, pas de véritables soldats entraînés depuis leur plus jeune âge aux rigueurs de la guerre.
Il fait chaud sous le soleil de Grèce. Très chaud. L'attente avant la bataille est toujours la phase la plus
éprouvante lui ont dit les anciens. Il veut bien le croire. Tournant la tête, il fait un signe à Théodoulos, son
hilote. Ce dernier s'approche et lui tend l'outre de vin qu'il porte pour parer à de tels besoins. Ce vin spartiate,
un vin rouge épais, pratiquement pas coupé. C'est bien, il n'en aura que plus de force pour la bataille.
La bataille. Cette marche au pas rapide vers l'ennemi, en formation, la ligne des boucliers maintenue pour
protéger ses amis, la lourde lance bien en main pour frapper l'ennemi par dessus le mur de boucliers. Il sera en
première ligne, pressé contre l'ennemi par ses camarades: il ne reculera pas, il ne cedera pas, il pressera jusqu'à
faire se rompre le mur de la phalange ennemie. Quand sa lance sera brisée il se saisira de son épée, la
redoutable épée spartiate à bord dentelé, terreur des ennemis de la cité depuis des siècles déjà.
Page 2
« Nikephoros » par Bryaxis
Quelle chaleur. Voilà qu'il a besoin d'uriner maintenant. Il n'est pas le seul d'ailleurs, partout autour de lui
s'élève l'odeur melée de la sueur et de la pisse. Bien sur on n'ôte pas son armure pour si peu, on se contente de
pisser sur place. Et tant pis si le sol devient boueux, ce n'est pas sur ce sol que l'on combattra. Et puis, de toute
façon, le sang de l'ennemi rendra aussi boueux le sol au point de contact.
Voilà Aristodemos, son manteau rouge et le plumet de son casque s'agitant fièrement à chacun de ses
mouvements. Il a une prestance, une allure incomparable cet hegemon. Va-t-il parler? Va-t-il faire un
discours? Sans doute pas. Ce n'est pas l'habitude des laconiques spartiates. Les discours sont la spécialité des
athéniens, pas des lacédémoniens.
Les athéniens. De bons adversaires. Mais là, sur le flanc gauche de la formation ennemie, face à l'élite de
Sparte, ils n'ont aucune chance. Surtout que les phalanges dérivent toujours vers la droite, les athéniens seront
donc débordés. Bien, ils ne pourront résister et leur défaite signifiera celle de la coalition: leur phalange se
désagrégera et il suffira ensuite de le poursuivre et de les abattre comme des chiens.
Que ce passe-t-il? Quel est ce frisson qui passe à travers de la masse compacte de la phalange? Le signal?
Déjà? Bien, marchons. Soyons dignes de notre patrie. Zeus protecteur, soit à mes côtés. Athena poliade,
protège ma cité, protège ses guerriers. Arès guerrier, donne moi ta force et ton courrage. Allons à la guerre.
Page 3
« Nikephoros » par Bryaxis
Chapitre 3 : Dans la plaine du lion
Le soleil tape dur au dessus du futur champ de bataille. Des heures déjà que les deux armées sont face à face.
Les spartiates sont en armure, bouclier posé contre leur lance, en formation de combat, prêts à en découdre.
Les coalisés ne sont pas aussi disciplinés, loin de là. Nombreux sont ceux qui ont ôté leur armure, voir même
ceux qui ont laissé leur bouclier glisser au sol. Peu nombreux sont ceux à avoir gardé leur casque de bronze.
Nikephoros est l'un de ceux là. Il sait bien que les dissensions au sein du haut commandement de la coalition
font que ce seront sans doute les spartiates qui attaqueront les premiers et qu'il sera important d'être
immédiatement prêt au combat. Nikephoros ne tient en effet pas à se retrouver à moitié équipé face à un
spartiate armé de son terrible xyphos, les tripes lui sortant du ventre, arrachées par la lame crantée de la
redoutable lame.
Voici ving-six ans qu'il a vu le jour dans le dème de Cholarges, le dème dans lequel le grand Périclès était lui
aussi né. Un secteur assez insalubre, réputé pour la maladie qui le ronge depuis toujours et que les médecins
appellent choléra. Troisième fils de Agenor et de Electra, Nikephoros était citoyen athénien de plein droit, ses
parents étant eux-mêmes issus de citoyens athéniens même si l'un de ses ancêtres était originaire de Phlionte
dans le Péloponnèse et que sa mère était née à Platée, recevant la citoyenneté athénienne lors de la destruction
de cette ville un peu plus de trente ans plus tôt.
Nikephoros croque dans son oignon, appuyé pensivement sur sa lance. Quoique un peu sec, l'oignon le change
du gruau de blé servi au camp. Les fourriers ont encore acheté des produits de mauvaise qualité revendus par
des profiteurs de guerre à un prix exagéré. Mais au moins n'a-t-il pas à payer lui même plus que ses trois jours
de vivres légales, contrairement à ce qui s'est passé dans nombre d'autres campagnes. Avec un peu de chance il
rentrera à Athènes sans avoir dépensé toute sa bourse. La guerre est une bien salle affaire tout de même, une
activité humaine qui aura dominé sa vie depuis sa naissance.
Il devait son nom à l'espoir que ses parents avaient de voir la terrible guerre du Péloponnèse prendre fin
rapidement avec l'élection d'Alcibiade dans le conseil des 10 stratèges d'Athènes. Porteur de victoire, tel était
le nom qu'ils lui avaient donné, un nom qui lui avait valu les quolibets de la garnison spartiate imposée à
Athènes suite à la défaite de la cité. Mais un nom qui lui avait valu un bon accueil l'année suivante au sein des
forces démocratiques rassemblées au Pirée pour chasser les spartiates, un combat acharné qui avait conduit à
la restauration de la démocratie.
Il n'est pas guerrier de nature, mais il est le fruit de son époque. Il sait manier les armes comme tout honnête
citoyen, s'étant entraîné avec les jeunes de son âge durant toute son adolescence. Il a fait preuve de son
courage lors de la bataille du Pirée et a failli s'engager comme mercenaire aux côtés de son ami Xénophon
lorsque ce dernier l'a invité à le rejoindre en Asie Mineure dans l'armée levée par Cyrus le jeune, cette armée
qui avait terriblement souffert lors de son long voyage de retour.
Cependant son père l'avait convaincu de rester en Attique pour l'aider à gérer le commerce familial qui avait
fort souffert de la guerre et de la tyrannie oligarchique des Trente. Il souhaitait aussi passer plus de temps à
écouter Socrate, le grand sophiste qu'une cabale politique devait conduire à la mort, il y avait déjà cinq ans. Il
souhaitait surtout rester près de Ismene, sa jeune épouse qui ne partageait sa couche que depuis un an et
l'emplissait de bonheur.
Un bruit tira Nikephoros de sa rêverie. Les hommes s'agitaient, les esclaves et les écuyers aidant leurs maîtres
Page 4
« Nikephoros » par Bryaxis
à remettre leur armure en place. Les officiers discutent entre eux une dernière fois avant de regagner leur place
dans les rangs, mécontents. Les béotiens n'ont pas respecté le plan et se sont rangés sur une double profondeur,
16 rangs de guerriers, raccourcissant le front de la phalange et la mettant en danger de se faire contourner par
la droite lacédémonienne emmenée par les spartiates.
La plaine où Hercule avait affronté le célèbre lion serait-elle son tombeau? Il n'en savait rien. Mais il ferait son
devoir de citoyen, comme tant d'autres après lui. Si il devait périr c'est que telle était la volonté des dieux, et
qui était-il pour s'y opposer? Certes il aimerait revoir son petit domaine d'Acharnie,serrer une nouvelle fois sa
femme dans ses bras. Il ferait tout son possible pour rentrer. Mais il n'irait pas contre la volonté divine, il ne
commettrait pas le péché d'hybris: après tout n'avait-il pas déjà eu une belle vie, n'avait-il pas déjà atteint l'âge
de 26 ans quand tant d'autres n'avaient pas connu leur vingtième année? Après tout, ses deux frères
n'étaient-ils pas décédés au combat, l'un à Aegos Potamos et l'autre lors de la bataille du Pirée? Son seul regret
était de n'avoir pas eu de fils pour poursuivre la lignée, mais peut-être son petit-frère Astianax aurait-il cet
honneur...
Les trompettes et les cris des soldats le firent revenir une nouvelle fois à la réalité. Le combat avait commencé.
[/p]
Page 5
1 / 17 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !