ONCOLOGIE TRANSLATIONNELLE Coordonné par S. Faivre (hôpital Beaujon, Clichy) C. Tournigand (hôpital Saint-Antoine, Paris) Mutations du gène KRAS : un facteur de risque de métastases pulmonaires dans les cancers colorectaux ? > Tie J, Lipton L, Desai J et al. KRAS mutation is associated with lung metastasis in patients with curatively resected colorectal cancer. Clin Cancer Res 2011;17(5):1122-30. L e pronostic des cancers colorectaux (CCR) est largement influencé par la présence ou non de métastases à distance. Entre 20 et 25 % des patients ayant un CCR présentent des métastases d’emblée au moment du diagnostic, auxquels s’ajoutent les 30 à 40 % de patients opérés à visée curative et qui vont développer des métastases métachrones au cours du suivi. Certaines caractéristiques clinicopathologiques tumorales (perforation, stade T4, moins de 12 ganglions examinés, emboles vasculaires) sont associées à un risque élevé de récidive après résection d’un CCR localisé. On sait que certaines mutations activatrices au niveau d’oncogènes sont impliquées dans la carcinogenèse colorectale. Les auteurs de cette étude publiée dans Clinical Cancer Research ont évalué l’impact potentiel du profil des mutations somatiques au niveau de la tumeur colorectale primitive sur le site de récidive. Pour cela, un panel de 238 mutations au niveau de 19 oncogènes ont été analysées sur 100 métastases de CCR grâce à l’OncoCarta™ Panel v1.0 de chez Sequenom®. Les mutations les plus fréquemment identifiées (situées au niveau des gènes KRAS, BRAF, NRAS et PIK3CA) ont ensuite été recherchées dans 61 métastases supplémentaires et dans 87 tumeurs colorectales correspondantes par séquençage direct. Les prévalences de ces mutations dans chacun des sites métastatiques (foie : n = 65 ; poumon : n = 50 ; cerveau : n = 46) ont alors été comparées entre elles. Au total, sur les 161 métastases analysées provenant de 148 patients (cohorte A), une mutation de KRAS, BRAF, NRAS et PIK3CA était présente dans 48 %, 3 %, 6 % et 16 % des cas respectivement. La prévalence des mutations de KRAS et de PIK3CA était significativement plus élevée dans les métastases pulmonaires et cérébrales que dans les métastases hépatiques (mutation de KRAS : 62 % dans le poumon, 56,5 % dans le cerveau et 32,3 % dans le foie [p = 0,003] ; mutation de PIK3CA : 20 %, 23,9 % et 7,7 % respectivement [p = 0,044]). En analyse multivariée, l’association entre les mutations de KRAS et les sites métastatiques pulmonaire (HR = 2,78 ; IC95 : 1,23-6,26 ; p = 0,014) et cérébral (HR = 2,67 ; IC95 : 1,13-6,31 ; p = 0,025) était confirmée, contrai- rement aux mutations de PIK3CA. L’analyse des paires métastase/tumeur colorectale correspondante a montré une concordance de 92 % concernant le statut mutationnel de KRAS dans cette première cohorte de patients. Dans un deuxième temps, J. Tie et al. ont comparé la prévalence des mutations de KRAS obtenues au niveau des métastases hépatiques, pulmonaires et cérébrales de la cohorte A avec la prévalence des mutations de KRAS au niveau des tumeurs primitives colorectales (stade I à IV) de 604 patients provenant d’une cohorte indépendante (cohorte B). Cette comparaison a permis d’observer une prévalence des mutations de KRAS identique dans les tumeurs primitives de la cohorte B (34,9 %) et dans les métastases hépatiques de la cohorte A (32,3 %), et de confirmer la prévalence significativement plus élevée de ces mutations dans les métastases pulmonaires (62 versus 34,9 % ; p < 0,001) et cérébrales (56,5 versus 34,9 % ; p < 0,004). Enfin, pour évaluer de manière plus formelle les mutations de KRAS comme facteur de risque de récidive métastatique site-spécifique, une analyse de 859 patients opérés pour un CCR de stade II ou III (cohorte C) a été réalisée. Ces patients étaient inclus dans l’essai contrôlé de phase III VICTOR, évaluant un inhibiteur de COX2 (le rofécoxib) en situation adjuvante. Après un suivi médian de 58,5 mois, parmi les 198 patients qui ont présenté une récidive tumorale, 68 ont récidivé au niveau hépatique, 55 au niveau pulmonaire et 12 au niveau de ces deux sites métastatiques. Une mutation de KRAS était présente dans 33,8 % des tumeurs primitives, et était significativement associée à une récidive pulmonaire (HR = 2,1 ; IC95 : 1,2-3,5 ; p = 0,007) mais pas à une récidive hépatique (HR = 0,9 ; IC95 : 0,6-1,6 ; p = 0,83). Ces résultats étaient confirmés en analyse multivariée, après ajustement sur l’âge, le sexe, le stade tumoral, la localisation tumorale (côlon versus rectum), le traitement adjuvant standard, le rofécoxib et le statut MSI (HR = 1,82 ; IC95 : 1,06-3,11 ; p = 0,029). Cette étude suggère donc que les mutations de KRAS seraient associées à un risque de récidive métastatique spécifique du site pulmonaire (mais aussi cérébral) dans les CCR. Ces données, qui nécessitent d’être confirmées, pourraient modifier les modalités de suivi, en particulier le rythme de surveillance pulmonaire des patients opérés d’un CCR à visée curative. // Clinical Cancer Research // Cancer Cell A. Lièvre Hôpital Ambroise-Paré, Boulogne-Billancourt La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 5 - mai 2011 | 315 ONCOLOGIE TRANSLATIONNELLE Inhibition de l’axe angiopoïétine 2-TIE2 : l’autre façon de bloquer l’angiogenèse > Mazzieri R, Pucci F, Moi D et al. Targeting the ANG2/TIE2 axis inhibits tumor growth and metastasis by imparing angiogenesis and disabling rebounds of proangiogenic myeloid cells. Cancer Cell 2011;19(4):512-26. > Lewis C, Ferrara N. Multiple effects of angiopoietin-2 blockade on tumors. Cancer Cell 2011;19(4):431-2. A lors que le développement des traitements antiangiogéniques se poursuit en clinique, que ce soit par le biais d’inhibiteurs du facteur de croissance de l’endothélium vasculaire (Vascular Endothelial Growth Factor [VEGF]) ou de leur récepteur, de nombreuses questions restent posées : quels sont les biomarqueurs prédictifs de leur efficacité ? Quels sont les principaux mécanismes de résistance aux inhibiteurs de l’angiogenèse, et comment les contourner ? L’un de ces mécanismes de résistance est constitué par le recrutement de cellules myéloïdes dérivées de la moelle osseuse. En effet, l’altération de la vascularisation tumorale par les antiangiogéniques augmente l’hypoxie tumorale, induisant l’expression de plusieurs facteurs (SDF1) responsables du recrutement de ces cellules myéloïdes. À leur tour, ces cellules stimulent l’angiogenèse par l’intermédiaire de facteurs angiogéniques, mais également l’intravasation des cellules tumorales, ainsi que la dissémination et le développement de métastases. Les angiopoïétines sont une classe importante de molécules angiogéniques. L’angiopoïétine 2 (ANG2) se fixe sur son récepteur TIE2, situé sur les cellules endothéliales. L’axe ANG2-TIE2 est donc une voie importante de l’angiogenèse, tout comme celle du VEGF. Les cellules appelées TEM (TIE2Expressing Monocytes/macrophages) infiltrent la tumeur et sont essentielles pour le développement de l’angiogenèse et la progression tumorale. Leur rôle dans le développement des résistances aux anti-VEGF est encore inconnu. L’angiopoïétine 2 stimule également les fonctions pro-angiogéniques des TEM. R. Mazzieri et al. a utilisé un anticorps anti-ANG2 (l’anticorps 3-19-3) afin de bloquer l’axe ANG2TIE2. L’administration de cet anticorps induit une inhibition de la croissance tumorale non seulement chez des souris transgéniques développant spontanément des cancers mammaires agressifs et invasifs, mais également dans des modèles de greffes orthotopiques (inhibition de 70 à 80 %). Même après un traitement prolongé de 9 semaines, 316 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 5 - mai 2011 la tumeur paraît nécrotique et fibreuse. L’analyse de la vascularisation tumorale montre que l’anticorps a une activité antiangiogénique importante et qu’il est responsable d’une diminution de la perfusion tumorale et d’une augmentation de l’hypoxie et de la nécrose tumorales. Les auteurs ont ensuite testé l’anticorps 3-19-3 dans un modèle de tumeur spontanée du pancréas, le modèle murin Rip1-Tag2. Sur ce modèle, les tumeurs deviennent des carcinomes invasifs à 12 semaines, avec, en particulier, une résistance à un traitement prolongé par les inhibiteurs du VEGF. Après administration de l’anticorps 3-19-3 à partir de 12 semaines, on observe une diminution significative de la taille tumorale à 15 semaines par rapport au contrôle, sans augmentation du potentiel invasif, comme cela avait pu être observé avec certains antiangiogéniques ; l’anticorps réduit de façon importante la vascularisation. Par ailleurs, contrairement à ce que l’on pourrait attendre, le blocage d’ANG2 par l’anticorps n’inhibe pas l’infiltration tumorale par les TEM mais, au contraire, recrute ces cellules. En revanche, leur association aux vaisseaux sanguins est entravée. Cela est expliqué par une inhibition de l’augmentation de la transcription de TIE2, indispensable à l’activité proangiogénique des TEM. Le mécanisme est encore à élucider : effet direct ou indirect ? Cette étude montre également que le blocage d’ANG2 inhibe de façon importante le développement des métastases sur le modèle de cancer du sein et sur celui de cancer du pancréas, aussi bien après un traitement court qu’après un traitement long, à la différence des autres antiangiogéniques. Le blocage par l’anticorps 3-19-3 réduit l’angiogenèse et augmente le tapissage des vaisseaux sanguins restants par les péricytes, ce qui réduit l’intravasation et la dissémination métastatique. L’ensemble de ces données indiquent que le récepteur TIE2 exprimé par les TEM est un puissant régulateur de l’angiogenèse liée à ANG2. Les inhibiteurs de l’angiopoïétine 2 sont donc une voie de recherche importante, et les essais chez l’homme ont déjà commencé. C’est le cas, par exemple, de l’anticorps AMG 386, qui cible ANG2 et ANG1, testé actuellement en phases II et III, de l’AMG 780, inhibiteur d’ANG1 et ANG2, en phase I, et du MEDI3617, inhibiteur d’ANG2 uniquement, en phase I. C. Tournigand Hôpital Saint-Antoine, Paris