La Lettre du Cancérologue Vol. XX - n° 5 - mai 2011 | 315
ONCOLOGIE
TRANSLATIONNELLE
Coordonné par S. Faivre
(hôpital Beaujon, Clichy)
C. Tournigand
(hôpital Saint-Antoine, Paris)
// Clinical Cancer Research
// Cancer Cell
Mutations du gène KRAS :
un facteur de risque
de métastases pulmonaires
dans les cancers colorectaux ?
> Tie J, Lipton L, Desai J et al. KRAS mutation is associated with
lung metastasis in patients with curatively resected colorectal
cancer. Clin Cancer Res 2011;17(5):1122-30.
L
e pronostic des cancers colorectaux (CCR) est
largement infl uenpar la présence ou non de
tastases à distance. Entre 20 et 25 % des patients
ayant un CCR présentent des tastases d’emblée
au moment du diagnostic, auxquels s’ajoutent les
30 à 40 % de patients opérés à visée curative et qui
vont développer des métastases métachrones au
cours du suivi. Certaines caractéristiques clinico-
pathologiques tumorales (perforation, stade T4,
moins de 12 ganglions examinés, emboles vascu-
laires) sont associées à un risque élevé de récidive
après résection d’un CCR localisé. On sait que
certaines mutations activatrices au niveau d’onco-
nes sont impliquées dans la carcinogenèse colorec-
tale. Les auteurs de cette étude puble dans
Clinical
Cancer Research
ont évalué l’impact potentiel du
profi l des mutations somatiques au niveau de la
tumeur colorectale primitive sur le site de cidive.
Pour cela, un panel de 238 mutations au niveau de
19 oncogènes ont éanalysées sur 100 métastases
de CCR grâce à l’OncoCarta
Panel v1.0 de chez
Sequenom®. Les mutations les plus fréquemment
identifi ées (situées au niveau des gènes KRAS,
BRAF, NRAS et PIK3CA) ont ensuite été recher-
chées dans 61 métastases supplémentaires et
dans 87 tumeurs colorectales correspondantes
par séquençage direct. Les prévalences de ces
mutations dans chacun des sites métastatiques
(foie : n = 65 ; poumon : n = 50 ; cerveau : n = 46) ont
alors été comparées entre elles. Au total, sur les
161 tastases analysées provenant de 148 patients
(cohorte A), une mutation de KRAS, BRAF, NRAS
et PIK3CA était présente dans 48 %, 3 %, 6 % et
16 % des cas respectivement. La prévalence des
mutations de KRAS et de PIK3CA était signifi cative-
ment plus élevée dans les métastases pulmonaires
et cérébrales que dans les métastases hépatiques
(mutation de KRAS : 62 % dans le poumon, 56,5 %
dans le cerveau et 32,3 % dans le foie [p = 0,003] ;
mutation de PIK3CA : 20 %, 23,9 % et 7,7 %
respectivement [p = 0,044]). En analyse multi-
variée, l’association entre les mutations de KRAS
et les sites métastatiques pulmonaire (HR = 2,78 ;
IC95 : 1,23-6,26 ; p = 0,014) et cérébral (HR = 2,67 ;
IC95 : 1,13-6,31 ; p = 0,025) était confi rmée, contrai-
rement aux mutations de PIK3CA. L’analyse des
paires métastase/tumeur colorectale correspon-
dante a montré une concordance de 92 % concer-
nant le statut mutationnel de KRAS dans cette
première cohorte de patients.
Dans un deuxième temps, J. Tie et al. ont comparé
la prévalence des mutations de KRAS obtenues au
niveau des métastases hépatiques, pulmonaires et
cérébrales de la cohorte A avec la prévalence des
mutations de KRAS au niveau des tumeurs primi-
tives colorectales (stade I à IV) de 604 patients
provenant d’une cohorte indépendante (cohorte B).
Cette comparaison a permis d’observer une préva-
lence des mutations de KRAS identique dans les
tumeurs primitives de la cohorte B (34,9 %) et dans
les métastases hépatiques de la cohorte A (32,3 %),
et de confi rmer la prévalence signifi cativement
plus élevée de ces mutations dans les métastases
pulmonaires (62 versus 34,9 % ; p < 0,001) et céré-
brales (56,5 versus 34,9 % ; p < 0,004).
Enfi n, pour évaluer de manière plus formelle les
mutations de KRAS comme facteur de risque de
récidive métastatique site-spécifi que, une analyse
de 859 patients os pour un CCR de stade II ou III
(cohorte C) a été réalisée. Ces patients étaient inclus
dans l’essai contrôde phase III VICTOR, évaluant
un inhibiteur de COX2 (le rofécoxib) en situation
adjuvante. Après un suivi médian de 58,5 mois,
parmi les 198 patients qui ont présen une récidive
tumorale, 68 ont récidivé au niveau hépatique,
55 au niveau pulmonaire et 12 au niveau de ces
deux sites métastatiques. Une mutation de KRAS
était présente dans 33,8 % des tumeurs primitives,
et était signifi cativement associée à une récidive
pulmonaire (HR = 2,1 ; IC95 : 1,2-3,5 ; p = 0,007)
mais pas à une récidive hépatique (HR = 0,9 ; IC95 :
0,6-1,6 ; p = 0,83). Ces résultats étaient confi rmés
en analyse multivariée, après ajustement sur l’âge,
le sexe, le stade tumoral, la localisation tumorale
(côlon versus rectum), le traitement adjuvant stan-
dard, le rofécoxib et le statut MSI (HR = 1,82 ; IC95 :
1,06-3,11 ; p = 0,029).
Cette étude suggère donc que les mutations de KRAS
seraient associées à un risque de récidive métasta-
tique spéci que du site pulmonaire (mais aussi céré-
bral) dans les CCR. Ces données, qui cessitent dêtre
confi rmées, pourraient modifi er les modalités de
suivi, en particulier le rythme de surveillance pulmo-
naire des patients opérés d’un CCR à vie curative.
A. Lièvre
Hôpital Ambroise-Paré,
Boulogne-Billancourt
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ONCOLOGIE
TRANSLATIONNELLE
Inhibition de l’axe
angiopoïétine 2-TIE2 : l’autre
façon de bloquer l’angiogenèse
> Mazzieri R, Pucci F, Moi D et al. Targeting the ANG2/TIE2 axis
inhibits tumor growth and metastasis by imparing angiogenesis
and disabling rebounds of proangiogenic myeloid cells. Cancer
Cell 2011;19(4):512-26.
> Lewis C, Ferrara N. Multiple effects of angiopoietin-2 blockade
on tumors. Cancer Cell 2011;19(4):431-2.
A
lors que le développement des traitements
antiangiogéniques se poursuit en clinique,
que ce soit par le biais d’inhibiteurs du facteur de
croissance de l’endothélium vasculaire (
Vascular
Endothelial Growth Factor
[VEGF]) ou de leur
récepteur, de nombreuses questions restent
posées : quels sont les biomarqueurs prédictifs de
leur effi cacité ? Quels sont les principaux méca-
nismes de résistance aux inhibiteurs de l’angio-
genèse, et comment les contourner ? L’un de
ces mécanismes de résistance est constitué par
le
recrutement de cellules myéloïdes dérivées
de la moelle osseuse
. En effet, l’altération de la
vascularisation tumorale par les antiangio géniques
augmente l’hypoxie tumorale, induisant l’expres-
sion de plusieurs facteurs (SDF1) responsables du
recrutement de ces cellules myéloïdes. À leur tour,
ces cellules stimulent l’angiogenèse par l’intermé-
diaire de facteurs angiogéniques, mais également
l’intravasation des cellules tumorales, ainsi que la
dissémination et le développement de tastases.
Les angiopoïétines sont une classe importante
de molécules angiogéniques.
L’angiopoïétine 2
(ANG2) se xe sur son récepteur TIE2
, situé sur les
cellules endothéliales. L’axe ANG2-TIE2 est donc
une voie importante de l’angiogenèse, tout comme
celle du VEGF.
Les cellules appelées TEM
(TIE2-
Expressing Monocytes/macrophages)
infi ltrent la
tumeur et sont essentielles pour le développement
de l’angiogenèse et la progression tumorale
. Leur
rôle dans le développement des résistances aux
anti-VEGF est encore inconnu. L’angiopoïétine 2
stimule également les fonctions pro-angiogéniques
des TEM.
R. Mazzieri et al. a utilisé
un anticorps anti-ANG2
(l’anticorps 3-19-3)
afi n de bloquer l’axe ANG2-
TIE2. L’administration de cet anticorps induit une
inhibition de la croissance tumorale
non seule-
ment chez des souris transgéniques développant
spontanément des cancers mammaires agressifs
et invasifs, mais également dans des modèles de
greffes orthotopiques (inhibition de 70 à 80 %).
me aps un traitement prolon de 9 semaines,
la tumeur paraît nécrotique et breuse. L’analyse
de la vascularisation tumorale montre que l’anti-
corps a une activité antiangiogénique importante
et qu’il est responsable d’une
diminution de la
perfusion tumorale et d’une augmentation de
l’hypoxie et de la nécrose tumorales
.
Les auteurs ont ensuite testé l’anticorps 3-19-3 dans
un modèle de tumeur spontanée du pancréas, le
modèle murin Rip1-Tag2. Sur ce modèle, les
tumeurs deviennent des carcinomes invasifs à
12 semaines, avec, en particulier, une résistance
à un traitement prolongé par les inhibiteurs du
VEGF. Après administration de l’anticorps 3-19-3 à
partir de 12 semaines, on observe une
diminution
signifi cative de la taille tumorale
à 15 semaines
par rapport au contrôle, sans augmentation du
potentiel invasif, comme cela avait pu être obser
avec certains antiangiogéniques ; l’anticorps réduit
de façon importante la vascularisation.
Par ailleurs, contrairement à ce que l’on pourrait
attendre, le blocage d’ANG2 par l’anticorps
n’inhibe
pas l’infi ltration tumorale par les TEM
mais, au
contraire, recrute ces cellules. En revanche,
leur
association aux vaisseaux sanguins est entravée
.
Cela est expliqué par une inhibition de l’augmen-
tation de la transcription de TIE2, indispensable à
l’activiproangiogénique des TEM. Le mécanisme
est encore à élucider : effet direct ou indirect ?
Cette étude montre également que
le blocage
d’ANG2 inhibe de façon importante le veloppe-
ment des métastases
sur le modèle de cancer du
sein et sur celui de cancer du pancréas, aussi bien
après un traitement court qu’après un traitement
long, à la différence des autres antiangiogéniques.
Le blocage par l’anticorps 3-19-3 réduit l’angio-
genèse et
augmente le tapissage des vaisseaux
sanguins restants par les péricytes, ce qui réduit
l’intravasation et la dissémination métastatique
.
L’ensemble de ces données indiquent que le récep-
teur TIE2 expripar les TEM est un puissant régu-
lateur de l’angiogenèse liée à ANG2.
Les inhibiteurs de l’angiopoïétine 2 sont donc
une voie de recherche importante, et les essais
chez l’homme ont déjà commencé. C’est le cas,
par exemple, de l’anticorps AMG 386, qui cible
ANG2 et ANG1, testé actuellement en phases II
et III, de l’AMG 780, inhibiteur d’ANG1 et ANG2,
en phase I, et du MEDI3617, inhibiteur d’ANG2
uniquement, en phase I.
C. Tournigand
Hôpital Saint-Antoine, Paris
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