Correspondances en Onco-urologie - Vol. I - n° 3 - octobre-novembre-décembre 2010
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Figure 1. Carcinome urothélial papillaire non infiltrant de bas grade de malignité.
Une tumeur de vessie bien inhabituelle
P. Camparo*
* Service de pathologie,
hôpital Foch, Suresnes.
C
ertaines formes histologiques rares de tumeurs
urothéliales présentent des évolutions cliniques
déroutantes ou nécessitant une prise en charge
spécifique. Lobservation que nous présentons ici sou-
ligne l’importance de la connaissance, et de la recon-
naissance, de ces formes atypiques.
Observation
Monsieur M., âgé de 53 ans, consulte en février 2010
pour un premier épisode d’hématurie dans un contexte
de rétention aiguë d’urines. Dans ses antécédents, on
note une consommation tabagique à 20 paquets-année,
interrompue il y a 15 ans, un surpoids modéré, ainsi
qu’une hypertension artérielle et un diabète non insu-
lino-dépendant tous deux traités.
Le bilan sanguin réalisé à l’admission montre un taux
d’hémoglobine à 13 g/ l, avec un hématocrite à 41,9 %,
7 260 globules blancs/mm3 avec formule conservée
(neutrophiles : 68,1 %, lymphocytes : 22,7 %), des fonc-
tions rénale, hépatique et un ionogramme sanguin
normaux (créatininémie à 100 µmol/ l). La glycémie est
de 12,5 mmol/ l (non à jeun).
Le bilan urinaire confirme l’hématurie macroscopique
et l’absence d’infection urinaire concomitante. Devant
le syndrome rétentionnel, un examen endoscopique
vésical est réalisé.
Celui-ci met en évidence une volumineuse formation
intravésicale de 10 cm faisant l’objet d’une première
résection incomplète.
Le diagnostic histologique initial est celui de carcinome
urothélial papillaire non infiltrant de bas grade de mali-
gnité (OMS 2004 ; pTaG2, OMS 1973) [figure 1]. Une
résection complémentaire est réalisée en avril (M + 2).
Sur ces copeaux, il persiste une tumeur urothéliale,
désormais de haut grade, non infiltrante, soulignée au
niveau du chorion par une population mononucléée
et de nombreuses cellules géantes multinucléées. Le
diagnostic retenu est celui de carcinome urothélial papil-
laire non infiltrant de haut grade (OMS 2004), muscle vu
(pTaG3, OMS 1973) à cellules géantes de type ostéoclas-
tique (figure 2). Une troisième résection est réalisée en
juin (M + 4), qui montre, outre la récidive du carcinome
urothélial au niveau de la vessie avec persistance des
aspects de métaplasie ostéoclastique, une lésion de
l’urètre bulbaire non infiltrante de bas grade.
Une quatrième résection est effectuée en juillet (M + 5),
montrant une volumineuse tumeur de haut grade avec
composante indifférenciée, de type sarcomatoïde, infil-
trant le chorion sans atteindre le muscle (pT1HG) et
d’importants remaniements nécrotiques. La décision
est prise de réaliser une cystoprostatectomie, mais le
patient est revu fin juillet pour une insuffisance rénale
par obstruction (créatinine à 560 µmol/ l) imposant
une néphrostomie bilatérale le 10 août. Dans le même
temps, il développe une embolie pulmonaire en rapport
avec des caillots iliaques bilatéraux, puis un iléus para-
lytique le 16 août, et une pneumopathie d’inhalation
nécessitant une intubation. La fonction rénale continue
de se dégrader malgré la néphrostomie bilatérale. Une
première dialyse est réalisée le 18 août. Létat du patient
se dégrade rapidement et il décède le 30 août (M + 6).
Discussion
Les tumeurs à cellules géantes sont classiquement
décrites dans les tissus mous (tumeurs à cellules
géantes des gaines et des tendons). Il sagit de tumeurs
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Figure 3. Carcinome urothélial de haut grade souligné par un stroma mononucléé pseudosarcomateux.
Figure 2. Stroma à cellules ostéoclastiques : cellules de grande taille multinucléées avec noyaux en position
centrale.
de croissance lente et de comportement peu agressif
dans ces localisations. Des tumeurs d’histo logie similaire
ont été décrites dans certains viscères (foie, vésicule
biliaire, pancréas, glandes salivaires, intestins, sein,
tractus génital féminin, etc.) sous le terme de “tumeurs
à cellulesantes de type ostéoclastique ou “tumeurs à
cellules géantes”. Un peu moins d’une trentaine d’obser-
vations de ce type ont été décrites dans des localisations
vésicales ou du tractus urinaire.
La très grande majorité des cas survient chez des
hommes ( 24/ 28 cas), le plus souvent vers l’âge de 70 ans
(seuls 2 cas ont été rapportés avant 40 ans) [1, 2].
Les manifestations cliniques sont sans particularité. Elles
associent variablement hématurie, volontiers macro-
scopique, dysurie, douleurs, pesanteurs…
Les localisations sont essentiellement vésicales, les
atteintes du tractus urinaire étant exceptionnelles (3).
Histologiquement, la composante ostéoclastique
reproduit les aspects observés dans les tissus mous et
les tumeurs des gaines et des tendons (4). Les cellules
plurinucléées présentent un aspect homogène, avec de
nombreux noyaux réguliers le plus souvent regroupés
au centre du cytoplasme (figure 2). Elles sont associées
à des cellules monohistiocytaires en nombre variable.
La composante tumorale urothéliale est souvent de
haut grade (carcinome papillaire infiltrant ou non, ou
carcinome in situ) [figure 3].
La présence d’une composante à cellules géantes réac-
tionnelle est classique dans les tumeurs urothéliales.
Elle peut être liée à des antécédents thérapeutiques
(BCG-thérapie) ou être le reflet de la réponse de l’hôte
contre la prolifération tumorale. Les cellules géantes
sont alors facilement identifiables comme des élé-
ments appartenant à la réponse immunitaire induite
ou autonome. La présence de ces éléments est sans
conséquence pronostique.
Les carcinomes urothéliaux à grandes cellules pléo-
morphes constituent un sous-type histologique agressif
des tumeurs urothéliales. Les grandes cellules sont
facilement identifiables du fait de leur fort polymor-
phisme cellulaire et de leur intime association à des
contingents urothéliaux classiques au sein d’une tumeur
manifestement infiltrante (5). Dans ce cas, on démontre
aisément que les cellules géantes sont issues de l’épi-
thélium : elles expriment les marqueurs épithéliaux
(cytokératines) et non de la lignée monocyte/macro-
phage (α1-antitrypsine, CD68, phosphatase acide). Ces
tumeurs sont de mauvais pronostic.
Dans de rares cas, des cellules syncytiotrophoblastiques
exprimant ou sécrétant de la β-HCG peuvent être pré-
sentes au sein de carcinomes urothéliaux. Le pronostic
de ces formes histologiques est corrélé à celui de la
composante urothéliale associée. Les exceptionnels
choriocarcinomes de la vessie sont en revanche de
mauvais pronostic (6, 7).
Enfin, les carcinomes sarcomatoïdes avec cellules
géantes sarcomateuses fusiformes sont également
des formes histologiques agressives rares de tumeurs
urothéliales. Elles se caractérisent par la présence d’un
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Tableau. Indications thérapeutiques dans les variants morphologiques des carcinomes urothéliaux.
Type histologique de carcinome urothélial Traitement
Carcinome urothélial à cellules géantes
ostéoclastiques (1)
Chirurgie précoce, chimiothérapie ?
Carcinome urothélial à grandes cellules
pléomorphes (5)
Cystectomie précoce, chimiothérapie ?
Carcinome transitionnel à différenciation
trophoblastique (6, 7)
Chirurgie précoce, chimiothérapie ?
Carcinome sarcomatoïde (8) Cystectomie précoce dès pT1
Autres variants de carcinomes urothéliaux
avec traitement spécifique (6) Traitement
Carcinome micropapillaire Cystectomie dès pT1, éventuellement
chimiothérapie néo-adjuvante
Carcinome à petites cellules Chimiothérapie néo-adjuvante
± cystectomie
Carcinome plasmocytoïde Chimiothérapie néo-adjuvante
et cystectomie ?
Carcinome avec différenciation glandulaire
ou malpighienne
Comme un carcinome urothélial pur
double contingent épithélial classique et fusiforme
pseudo-sarcomateux, les deux contingents exprimant
les marqueurs épithéliaux. Au sein des cellules du
contingent sarcomateux, on peut mettre en évidence
des cellules géantes multinucléées, mais leur polymor-
phisme et leur profil immunohistochimique permettent
de les distinguer des cellules géantes ostéoclastiques
telles que décrites dans notre observation (8).
L’histogenèse du contingent à cellules géantes et
monocytaires présent dans les carcinomes urothéliaux
à cellules géantes est controversée : cellules mésenchy-
mateuses indifférenciées, cellules histiocytaires, cellules
épithéliales ? Pour D. Baydar et al., la composante osté-
oclastique serait de nature réactionnelle. En effet, ces
cellules expriment essentiellement des marqueurs des
lignées monocytes/macrophages et ne présentent pas
d’atypies cytonucléaires ni de surexpression de Ki67
ou p53. À l’inverse, les cellules mononucléées accom-
pagnant la prolifération tumorale constitueraient le
composant malin agressif de ces lésions. Elles partagent
ainsi des caractéristiques immunohistochimiques avec
les cellules épithéliales (expression de cytokératine) et
surexpriment p53 et Ki67 tout comme le composant
urothélial tumoral auquel elles sont associées (1).
Lévolution des carcinomes urothéliaux à cellules
géantes ostéoclastiques est défavorable malgré des
traitements agressifs (cystectomie première ou chimio-
thérapie néo-adjuvante puis chirurgie). D. Baydar et
al., dans la plus importante série publiée (seulement
6 cas !), rapportent que chez 4 patients sur 5 la survie
nexcédait pas 15 mois, le décès survenant dans un
contexte de maladie largement disséminée (1, 2). Une
prise en charge agressive précoce semble donc être
recommandée tout comme dans d’autres formes histo-
logiques rares de tumeurs urothéliales (tableau).
Conclusion
Cette histoire clinique dramatique illustre le fait que,
au sein même du groupe clinique hétérogène que
constituent les tumeurs urothéliales, certaines formes
histologiques présentent un profil évolutif routant qui
nécessite une prise en charge thérapeutique spécifique,
à défaut d’être toujours efficace.
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