échec et mat Une tumeur de vessie bien inhabituelle P. Camparo* C ertaines formes histologiques rares de tumeurs urothéliales présentent des évolutions cliniques déroutantes ou nécessitant une prise en charge spécifique. L’observation que nous présentons ici souligne l’importance de la connaissance, et de la reconnaissance, de ces formes atypiques. Observation * Service de pathologie, hôpital Foch, Suresnes. Monsieur M., âgé de 53 ans, consulte en février 2010 pour un premier épisode d’hématurie dans un contexte de rétention aiguë d’urines. Dans ses antécédents, on note une consommation tabagique à 20 paquets-année, interrompue il y a 15 ans, un surpoids modéré, ainsi qu’une hypertension artérielle et un diabète non insulino-dépendant tous deux traités. Le bilan sanguin réalisé à l’admission montre un taux d’hémoglobine à 13 ­g/­l, avec un hématocrite à 41,9 %, 7 260 globules blancs/mm3 avec formule conservée (neutrophiles : 68,1 %, lymphocytes : 22,7 %), des fonctions rénale, hépatique et un ionogramme sanguin normaux (créatininémie à 100 ­µmol/­l). La glycémie est de 12,5 ­mmol/­l (non à jeun). Le bilan urinaire confirme l’hématurie macroscopique et l’absence d’infection urinaire concomitante. Devant le syndrome rétentionnel, un examen endoscopique vésical est réalisé. Celui-ci met en évidence une volumineuse formation intravésicale de 10 cm faisant l’objet d’une première résection incomplète. Le diagnostic histologique initial est celui de carcinome urothélial papillaire non infiltrant de bas grade de malignité (OMS 2004 ; pTaG2, OMS 1973) [figure 1]. Une résection complémentaire est réalisée en avril (M + 2). Sur ces copeaux, il persiste une tumeur urothéliale, désormais de haut grade, non infiltrante, soulignée au niveau du chorion par une population mononucléée et de nombreuses cellules géantes multinucléées. Le diagnostic retenu est celui de carcinome urothélial papillaire non infiltrant de haut grade (OMS 2004), muscle vu (pTaG3, OMS 1973) à cellules géantes de type ostéoclastique (figure 2). Une troisième résection est réalisée en juin (M + 4), qui montre, outre la récidive du carcinome urothélial au niveau de la vessie avec persistance des aspects de métaplasie ostéoclastique, une lésion de l’urètre bulbaire non infiltrante de bas grade. Une quatrième résection est effectuée en juillet (M + 5), montrant une volumineuse tumeur de haut grade avec composante indifférenciée, de type sarcomatoïde, infiltrant le chorion sans atteindre le muscle (pT1HG) et d’importants remaniements nécrotiques. La décision est prise de réaliser une cystoprostatectomie, mais le patient est revu fin juillet pour une insuffisance rénale par obstruction (créatinine à 560 ­µmol/­l) imposant une néphrostomie bilatérale le 10 août. Dans le même temps, il développe une embolie pulmonaire en rapport avec des caillots iliaques bilatéraux, puis un iléus paralytique le 16 août, et une pneumopathie d’inhalation nécessitant une intubation. La fonction rénale continue de se dégrader malgré la néphrostomie bilatérale. Une première dialyse est réalisée le 18 août. L’état du patient se dégrade rapidement et il décède le 30 août (M + 6). Discussion Figure 1. Carcinome urothélial papillaire non infiltrant de bas grade de malignité. 146 Les tumeurs à cellules géantes sont classiquement décrites dans les tissus mous (tumeurs à cellules géantes des gaines et des tendons). Il s’agit de tumeurs Correspondances en Onco-urologie - Vol. I - n° 3 - octobre-novembre-décembre 2010 Une tumeur de vessie bien inhabituelle de ­croissance lente et de comportement peu agressif dans ces localisations. Des tumeurs d’histo­logie similaire ont été décrites dans certains viscères (foie, vésicule biliaire, pancréas, glandes salivaires, intestins, sein, tractus génital féminin, etc.) sous le terme de “tumeurs à cellules géantes de type ostéoclastique” ou “tumeurs à cellules géantes”. Un peu moins d’une trentaine d’observations de ce type ont été décrites dans des localisations vésicales ou du tractus urinaire. La très grande majorité des cas survient chez des hommes (­24/­28 cas), le plus souvent vers l’âge de 70 ans (seuls 2 cas ont été rapportés avant 40 ans) [1, 2]. Les manifestations cliniques sont sans particularité. Elles associent variablement hématurie, volontiers macro­ scopique, dysurie, douleurs, pesanteurs… Les localisations sont essentiellement vésicales, les atteintes du tractus urinaire étant exceptionnelles (3). Histologiquement, la composante ostéoclastique reproduit les aspects observés dans les tissus mous et les tumeurs des gaines et des tendons (4). Les cellules plurinucléées présentent un aspect homogène, avec de nombreux noyaux réguliers le plus souvent regroupés au centre du cytoplasme (figure 2). Elles sont associées à des cellules monohistiocytaires en nombre variable. La composante tumorale urothéliale est souvent de haut grade (carcinome papillaire infiltrant ou non, ou carcinome in situ) [figure 3]. La présence d’une composante à cellules géantes réactionnelle est classique dans les tumeurs urothéliales. Elle peut être liée à des antécédents thérapeutiques (BCG-thérapie) ou être le reflet de la réponse de l’hôte contre la prolifération tumorale. Les cellules géantes sont alors facilement identifiables comme des éléments appartenant à la réponse immunitaire induite ou autonome. La présence de ces éléments est sans conséquence pronostique. Les carcinomes urothéliaux à grandes cellules pléomorphes constituent un sous-type histologique agressif des tumeurs urothéliales. Les grandes cellules sont facilement identifiables du fait de leur fort polymorphisme cellulaire et de leur intime association à des contingents urothéliaux classiques au sein d’une tumeur manifestement infiltrante (5). Dans ce cas, on démontre aisément que les cellules géantes sont issues de l’épithélium : elles expriment les marqueurs épithéliaux (cytokératines) et non de la lignée monocyte/macrophage (α1-antitrypsine, CD68, phosphatase acide). Ces tumeurs sont de mauvais pronostic. Dans de rares cas, des cellules syncytiotrophoblastiques exprimant ou sécrétant de la β-HCG peuvent être présentes au sein de carcinomes urothéliaux. Le pronostic de ces formes histologiques est corrélé à celui de la composante urothéliale associée. Les exceptionnels choriocarcinomes de la vessie sont en revanche de mauvais pronostic (6, 7). Enfin, les carcinomes sarcomatoïdes avec cellules géantes sarcomateuses fusiformes sont également des formes histologiques agressives rares de tumeurs urothéliales. Elles se caractérisent par la présence d’un Figure 2. Stroma à cellules ostéoclastiques : cellules de grande taille multinucléées avec noyaux en position centrale. Figure 3. Carcinome urothélial de haut grade souligné par un stroma mononucléé pseudosarcomateux. Correspondances en Onco-urologie - Vol. I - n° 3 - octobre-novembre-décembre 2010 147 échec et mat double contingent épithélial classique et fusiforme pseudo-sarcomateux, les deux contingents exprimant les marqueurs épithéliaux. Au sein des cellules du contingent sarcomateux, on peut mettre en évidence des cellules géantes multinucléées, mais leur polymorphisme et leur profil immunohistochimique permettent de les distinguer des cellules géantes ostéoclastiques telles que décrites dans notre observation (8). L’histogenèse du contingent à cellules géantes et monocytaires présent dans les carcinomes urothéliaux à cellules géantes est controversée : cellules mésenchymateuses indifférenciées, cellules histiocytaires, cellules Tableau. Indications thérapeutiques dans les variants morphologiques des carcinomes urothéliaux. Type histologique de carcinome urothélial Traitement Carcinome urothélial à cellules géantes ostéoclastiques (1) Chirurgie précoce, chimiothérapie ? Carcinome urothélial à grandes cellules pléomorphes (5) Cystectomie précoce, chimiothérapie ? Carcinome transitionnel à différenciation trophoblastique (6, 7) Chirurgie précoce, chimiothérapie ? Carcinome sarcomatoïde (8) Cystectomie précoce dès pT1 Autres variants de carcinomes urothéliaux avec traitement spécifique (6) épithéliales ? Pour D. Baydar et al., la composante ostéoclastique serait de nature réactionnelle. En effet, ces cellules expriment essentiellement des marqueurs des lignées monocytes/macrophages et ne présentent pas d’atypies cytonucléaires ni de surexpression de Ki67 ou p53. À l’inverse, les cellules mononucléées accompagnant la prolifération tumorale constitueraient le composant malin agressif de ces lésions. Elles partagent ainsi des caractéristiques immunohistochimiques avec les cellules épithéliales (expression de cytokératine) et surexpriment p53 et Ki67 tout comme le composant urothélial tumoral auquel elles sont associées (1). L’évolution des carcinomes urothéliaux à cellules géantes ostéoclastiques est défavorable malgré des traitements agressifs (cystectomie première ou chimiothérapie néo-adjuvante puis chirurgie). D. Baydar et al., dans la plus importante série publiée (seulement 6 cas !), rapportent que chez 4 patients sur 5 la survie n’excédait pas 15 mois, le décès survenant dans un contexte de maladie largement disséminée (1, 2). Une prise en charge agressive précoce semble donc être recommandée tout comme dans d’autres formes histologiques rares de tumeurs urothéliales (tableau). Traitement Carcinome micropapillaire Cystectomie dès pT1, éventuellement chimiothérapie néo-adjuvante Conclusion Carcinome à petites cellules Chimiothérapie néo-adjuvante ± cystectomie Carcinome plasmocytoïde Chimiothérapie néo-adjuvante et cystectomie ? Carcinome avec différenciation glandulaire ou malpighienne Comme un carcinome urothélial pur Cette histoire clinique dramatique illustre le fait que, au sein même du groupe clinique hétérogène que constituent les tumeurs urothéliales, certaines formes histologiques présentent un profil évolutif déroutant qui nécessite une prise en charge thérapeutique spécifique, à défaut d’être toujours efficace. ■ Références 1. Baydar D, Amin MB, Epstein JI. Osteoclast-rich undiffe- rentiated carcinomas of the urinary tract. Mod Pathol 2006; 19(2):161-71. 2. Kanthan R, Torkian B. Primary de novo malignant giant cell tumor of kidney: a case report. BMC Urol 2004;4:7. 3. Kimura K, Ohnishi Y, Morishita H et al. Giant cell tumor of the kidney. Virchows Arch A Pathol Anat Histopathol 1983;398(3):357-65. 148 4. Oliveira AM, Dei Tos AP, Fletcher CD et al. Primary giant cell tumor of soft tissues: a study of 22 cases. Am J Surg Pathol 2000;24(2):248-56. 5. Lopez-Beltran A, Blanca A, Montironi R et al. Pleomorphic giant cell carcinoma of the urinary bladder. Hum Pathol 2009;40(10):1461-6. 6. Lopez-Beltran A, Cheng L. Histologic variants of urothelial carcinoma: differential diagnosis and clinical implications. Hum Pathol 2006;37(11):1371-88. 7. Krah X, Klose E, Atanassov G et al. [Urothelium cancer with trophoblastic differentiation. An unusual case of a 77 year old patient]. Urologe A 2006;45(1):81-4. 8. Wang J, Wang FW, Lagrange CA et al. Clinical features of sarcomatoid carcinoma (carcinosarcoma) of the urinary bladder: analysis of 221 cases. Sarcoma 2010 Jul 18 [Epub]. Correspondances en Onco-urologie - Vol. I - n° 3 - octobre-novembre-décembre 2010